Image de la semaine | 29/05/2023
Le Bushveld, la principale réserve de platine du monde
29/05/2023
Résumé
Affinité du platine et des platinoïdes pour le fer et le soufre expliquant les concentrations dans les chromites et sulfures de certains niveaux du complexe du Bushveld.
Les cinq photographies qui précèdent ont été prises dans une des mines de platine du Bushveld, la mine (à ciel ouvert) de Pp Rust, Potgietersrus (Mokopane), Afrique du Sud. L'image de cette semaine (29 mai 2023) est la troisième (et dernière) d'un “photoreportage” sur le complexe magmatique du Bushveld, la plus importante intrusion basique et ultrabasique du monde en domaine continental. Ce photoreportage fait suite à une excursion géologique organisé par le CBGA en 2008 et dont l'encadrement géologique était assuré par Jean-François Moyen (actuellement professeur à l'Université de Saint-Étienne). Le but de ces trois articles n'est pas de retracer-interpréter l'histoire fort complexe de cette intrusion, intrusion multiple qui est un véritable “monstre géologique”, mais de montrer une galerie de photographies d'objets géologiques extraordinaires. Pour simplifier à outrance l'histoire du Bushveld, on peut dire qu'il s'agit d'un giga-sill complexe, fait de roches basiques et ultrabasiques, d'une épaisseur de 7 à 8 km et affleurant sur environ 300 km d'Est en Ouest et 200 km du Nord au Sud. Ce giga-sill complexe a été alimenté par une succession d'injections magmatiques, injections suivies de différenciations par cristallisation fractionnée, éventuellement suivies de contaminations par du matériel crustal, tout cela recommençant plusieurs fois pendant un temps géologiquement très bref (temps inférieur à la précision/incertitude des mesures radiochronologiques). Le lecteur intéressé par la géologie du Bushveld, voulant comprendre ce qu'on connait des mécanismes précis de sa formation, recherchant une bibliographie abondante… pourra se reporter à un article de J. F. Moyen disponible sur le web, Le complexe du Bushveld (2007).
La mine de Pp Rust exploite du platine et d'autres platinoïdes, métaux appartenant au groupe du platine dits MGP (PGM en anglais ou encore PGE pour Platinium Group Element). Ces éléments, rares, ont des propriétés physiques et chimiques communes intéressant beaucoup chimistes et industriels. Ce sont le ruthénium – 44Ru, le rhodium – 45Rh, le palladium – 46Pd, le rhénium – 75Re, l'osmium – 76Os, l'iridium – 77Ir, et le platine – 78Pt. Ces métaux sont rares dans l'univers, dans les chondrites et dans la Terre. Et comme ils sont sidérophiles, la majorité du stock terrestre est maintenant dans le noyau. Le clarke du platine est de l'ordre de 0,005 ppm soit 0,005 g par tonne, le clarke d'un élément chimique étant sa teneur moyenne dans la croute continentale. La teneur moyenne en platine des “minerais” exploités dans la mine de Pp Rust est comprise entre 4 et 10 g/t (environ 1000 fois plus que le clarke).
Le platine est très peu réactif et a très peu d'affinité chimique. Les processus géologiques le concentrant sont rares. C'est un élément modérément sidérophile (qui aime le fer) et chalcophile (littéralement qui aime le cuivre, mais il serait plus judicieux de dire thiophile = qui aime le soufre). Le platine sera donc (modérément) présent dans les chromites (FeCr3O4) et dans les sulfures comme la pyrite (FeS2), la pyrrhotite (FeS), la pentlandite ([Fe, Ni]9S8)…
Si un magma contient du soufre “dissout” et s'il contient des traces de platine, ce platine s'incorporera dans de la chromite ou dans des sulfures si les conditions permettent leur cristallisation. Nous avons vu la semaine dernière que des conditions entrainant la cristallisation de chromite ont existé lors des injections/cristallisations ayant engendré le sommet de la Zone Critique et la base de la Zone Principale (cf. Les niveaux de chromite et de magnétite du Bushveld (Afrique du Sud), conséquences atypiques de la différenciation magmatique). D'autre part, le magma du Bushveld était saturé en soufre (0,4 % en masse). Or la solubilité du soufre dans un magma baisse quand la température baisse et que le magma commence à cristalliser. Elle passe de 0,4 % à 0,1 % quand la température passe de 1300 à 1200°C, champ de température où cristallisent les orthopyroxènes (les clinopyroxènes et les plagioclases cristallisent postérieurement, à une température plus basse) et où le pourcentage de cristaux passe de 5 à 20 %. Les trois quarts du soufre du magma co-cristallisent (sous forme de sulfures) avec les orthopyroxènes, sulfures piégeant la quasi-totalité des traces du platine présent dans le magma. C'est donc les niveaux de chromitite et/ou d'orthopyroxénite qui pourront être considérablement enrichis en platine. C'est eux que recherchent les prospecteurs et qu'exploitent les compagnies minières. Dans le Bushveld, ces conditions produisant des niveaux riches en platine se sont reproduites trois fois, engendrant les trois principaux niveaux minéralisés ou reefs. (1) Le Merensky Reef est constitué de pyroxénites feldspathiques d'une épaisseur de 80 cm en moyenne, mais irrégulière, variant de quelques centimètres à près de 10 m. Il est bordé de part et d'autre de fines couches de chromitites, et se situe dans des norites. Ce reef s'étend sur plusieurs centaines de kilomètres sur les lobes Ouest et Est, plongeant de 10° vers le centre du complexe du Bushveld. Les sondages ont recoupé ce niveau à plus de 1 900 m de profondeur. Le Merensky Reef contient très peu de sulfures et ses teneurs en MGP sont généralement comprises entre 5 et 7 g/t avec Pt>Pd. (2) L'UG2 Reef est l'une des couches de chromitite submassive qui contient des sulfures et une teneur en platinoïdes comprise entre 4 et 8 g/t avec Pt>Pd. La puissance de cette couche varie de 0,45 à 1,25 m. (3) Le Platreef est chronologiquement le troisième niveau mis en exploitation ; il n'est présent qu'au Nord du complexe. Il s'agit d'un niveau de pyroxénites à la base du complexe dans le lobe Nord, relativement puissant (300 m) et nettement plus riche en métaux de base (nickel, cuivre) que les autres reefs. Il contient des platinoïdes sur une trentaine de mètres d'épaisseur sous forme de sulfures, tellurures et arséniures, avec une teneur de 1 à 4 g/t et Pt<Pd, contrairement aux deux autres niveaux (texte extrait de minéralinfo). Nous avons vu différents aspects de l'UG2 Reef la semaine dernière (cf. Les niveaux de chromite et de magnétite du Bushveld (Afrique du Sud), conséquences atypiques de la différenciation magmatique), la mine Pp Rust imagée cette semaine exploite, elle, le Platreef.
Source - © 2021 D'après Koreller – CC BY-SA 4.0, modifié |
Une fois sortis de la mine, les blocs de roches sont concassés, triés, traités physiquement (par densité) puis chimiquement… Blocs de stériles, résidus du traitement chimiques… sont entassés et stockés. Nous vous montrons trois installations où se font des étapes de ce passage de la roche au concentré de métal.
L'exploitation du platine, comme toutes les exploitations de mines ou de carrières, impacte plus ou moins l'environnement, au moins localement et même plus globalement quand cette exploitation entraine la pollution des fleuves… Ces impacts plus ou moins importants dépendent (1) des dépenses non immédiatement rentables que font ou ne font pas les compagnies minières pour minimiser ces dommages, et (2) du prix que les clients (nous, en bout de chaine) sont prêts à payer pour acheter le produit.
Entre 2008 (année de ma visite au Bushveld) et 2022, la surface de la mine et des installations annexes a plus que doublé. Pendant cette même période, à juste titre et pour des raisons sanitaires, les autorités compétentes de l'Europe, du Japon, des USA… ont voulu lutter contre les oxydes d'azote et les particules fines rejetés en ville par les automobiles. Pour cela, ces autorités compétentes ont rendu obligatoire l'usage des pots catalytiques. Or il y a du platine (et du palladium) dans les pots catalytiques. La production de platine a donc augmenté, ainsi que la taille et le nombre des mines, les dégâts occasionnés à l'environnement… Actuellement, le remplacement des voitures thermiques par des voitures électriques (équipées de batteries au lithium ou de piles à combustible est à l'ordre du jour pour des raisons climatiques (CO2 et effet de serre) parfaitement justifiées. Et les voitures équipées d'une pile à combustible (fonctionnant à l'hydrogène “vert”) nécessitent l'emploi de platine. Développer l'usage de platine est d'un côté « bon pour l'environnement », mais « mauvais pour l’environnement » d'un autre côté, au moins sur les lieux d'extraction et le long des fleuves qui s'en échappent. Cette dualité (bon d'un côté, mais mauvais d'un autre) est le propre de toute activité humaine. Il faut (faudrait) toujours faire la part des choses, peser le pour et le contre… avant de prendre une décision « en connaissance de cause ». On peut se demander si les lobbyistes et les décideurs qui ont de facto fait augmenter l'usage du platine connaissaient toutes les conséquences de leurs décisions, en particulier. Ont-ils fait un choix en « connaissance de cause » ou en « méconnaissance de cause » ? Il est vrai que lobbyistes et décideurs habitent en général bien loin des sites d'exploitation et que « polluer les antipodes » n'est pas un souci pour beaucoup d’entre eux, même si certains se proclament « écologistes ». Plutôt que développer l'usage des pots catalytiques et des piles à combustible ne serait-il pas plus judicieux de limiter l'usage des automobiles ! Résultat garanti sans consommation de platine.
Source - © 2007 Jean-François Moyen |
Source - © 2009 Taylor et al. (figure 10H, p.237), modifié | Source - © 2023 Bregeon et al., Les platinoïdes (p.9), modifié |
Source - © 2018 Statista sur researchgate | Source - © 2020 BRGM sur minéralinfo |