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Article | 24/02/2021

La chaine varisque en France, un édifice multi-collisionnel et poly-cyclique / Introduction

24/02/2021

Michel Faure

Institut des Sciences de la Terre d'Orléans, Université d'Orléans

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

La chaine varisque / hercynienne en Europe : distribution et principales subdivisions en France (et pays limitrophes).


Ce qui est trop simple est sûrement faux,
ce qui est trop compliqué est incompréhensible.

Paul Valéry

Avant-propos

Cette synthèse est le fruit de près de 40 ans de recherches menées directement par l'auteur ou dans le cadre de thèses et de masters soutenus à l'ISTO (UMR 7327, Université d'Orléans-CNRS-BRGM). Elle n'aurait pas été possible sans les nombreuses contributions de collègues et d'étudiants qui m'ont fait confiance. Un grand nombre de collègues, chercheurs et enseignants-chercheurs du monde académique universitaire, CNRS et BRGM sont également remerciés pour leur soutien scientifique et matériel et les discussions enrichissantes. Outre les nombreuses publications, les cartes géologiques à 1/50 000 constituent une source d'information inestimable. Bien évidemment, les interprétations sont de la responsabilité de l'auteur.

Jean-Paul Passeron et Anne-Marie Bouvier sont remerciés pour la lecture attentive du fond et de la forme, leurs conseils constructifs et leur grande patience à corriger les fautes de grammaire ou de syntaxe.

Échelles chronostratigraphiques

Cette synthèse utilise les noms des étages de l'échelle chronostratigraphique internationale, échelle qui a évolué au fil du temps lorsque de meilleurs stratotypes ont été trouvés et décrits (avec parfois de nouveaux découpages). Ainsi, par exemple, les étages du Carbonifère n'ont pas les mêmes noms sur la carte géologique de la France (noms “anciens” et, surtout, liés à des stratotypes européens) que dans la charte chronostratigraphique internationale.


Domaines varisques / régions actuelles

Les descriptions des ensembles géologiques et l'histoire de la chaine varisque suivent un “découpage” suivant les grands domaines ayant joué les uns par rapport aux autres lors de l'orogenèse hercynienne. Le territoire métropolitain actuel étant issu de collisions multiples entre blocs et micro-blocs d'origines variées, il est généralement nécessaire de parcourir l'ensemble de cette synthèse “orogénique” pour rassembler les éléments nécessaires à une synthèse concernant une région géographique actuelle (Bretagne, Vosges, par exemple). Des cartes synthétiques et des renvois dans le texte aident le lecteur à visualiser les différents événements / domaines affectant ”sa” région.

L'épine dorsale du continent européen

Chaine hercynienne et chaine varisque

Dès la fin du XIXe siècle, les géologues ont reconnu l'existence de déformations d'âge carbonifère, notamment par l'observation des discordances du Permien ou du Trias sur des terrains sédimentaires plissés, des ensembles métamorphiques ou magmatiques. En 1887, l'étude du bassin houiller du Nord de la France et la présence de plusieurs phases tectoniques ont permis à Marcel Bertrand de définir une orogenèse « hercynienne » dont le nom est dérivé du massif du Harz en Allemagne. On doit au géologue autrichien Eduard Suess (1831-1914), dans son ouvrage monumental Daz Antlitz der Erde [La face de la Terre, publication des volumes successifs de 1883 à 1909], la définition d'une chaine d'âge paléozoïque inférieur comprenant un rameau NO-SE dit armoricain et un rameau NE-SO dit varisque. C'est le célèbre « V hercynien ». Actuellement, sous l'influence des auteurs anglo-saxons, le terme « varisque », préféré dans la littérature internationale, sera également utilisé ici.

La distribution de la chaine varisque

En Europe, la chaine varisque exposée dans divers massifs “anciens”, se développe depuis l'Ibérie (Portugal et Espagne) jusqu'à la Pologne, en passant par le Sud-Ouest de l'Irlande et de l'Angleterre, la France, la Belgique, l'Allemagne et la Tchéquie. Elle constitue aussi le substratum des bassins sédimentaires parisien et aquitain, le socle de la chaine alpine reconnu dans les massifs cristallins internes et externes des Alpes et les nappes alpines du domaine austro-alpin. D'autres éléments de la chaine varisque se rencontrent dans la chaine tertiaire des Pyrénées, le massif des Maures, la partie occidentale de la Corse, la Sardaigne, le Nord-Est de la Sicile (Monts Péloritains), la Calabre (Sila, Serre, Aspromonte), et les massifs kabyles d'Algérie. Ces massifs méditerranéens ont subi pendant les ères mésozoïque (“secondaire”) et cénozoïque (“tertiaire”) des déplacements en bloc de plusieurs centaines de kilomètres. L'architecture de la chaine varisque est notamment détruite du fait de la dispersion des massifs lors de l'ouverture des bassins océaniques comme la mer tyrrhénienne et le bassin algéro-provençal (Fig. 1).

Schéma tectonique de l'Europe

Figure 1. Schéma tectonique de l'Europe

La chaine paléozoïque varisque (en orange clair) occupe la partie moyenne de l'Europe, entre la chaine paléozoïque calédonienne d'Europe du Nord et la chaine cénozoïque alpine d'Europe du Sud dont la continuité structurale est en partie détruite par les bassins d'arrière arc néogènes. La chaine néoprotérozoïque (cadomienne) est largement cachée par des dépôts plus récents, ou remaniée dans les chaines calédonienne ou varisque (par exemple dans le Massif Armoricain où elle n'est pas représentée ici pour plus de clarté). Les fragments de socle varisque de la chaine alpine ne sont pas montrés sur cette carte.


Située entre l'Europe du Nord, caractérisée par le substratum archéen et paléoprotérozoïque du bouclier balte et la chaine calédonienne d'âge anté-dévonien d'une part, et l'Europe méridionale, dominée par les chaines alpines et la Méditerranée, où la tectonique est encore très active d'autre part, l'Europe moyenne a été façonnée par la chaine varisque qui constitue ainsi l'épine dorsale du continent européen.

À l'échelle de la France, la chaine varisque est bien exposée dans les « massifs anciens » : Ardennes, Massif Armoricain, Massif Central, Vosges, Pyrénées. Pour des raisons de logique d'ensemble et de cohérence, le Sud de l'Angleterre (Cornwall, Devon) doit également être considéré.

Dans la suite de cet article, nous nous limiterons à l'examen des massifs anciens français et de quelques régions limitrophes. Bien que restreint, cet ensemble permet de donner une image représentative de la chaine varisque d'Europe moyenne et de discuter les nombreux problèmes encore en suspens. Une présentation des massifs de la branche orientale – ensemble corso-sarde, Maures, massifs cristallins des Alpes – et des propositions de possibles corrélations avec la chaine principale seront suggérés à titre d'hypothèse.

L'évolution des idées

Commencés il y a plus d'un siècle, des travaux détaillés de stratigraphie, de cartographie, de pétrologie magmatique et métamorphique et de tectonique sont disponibles en de très nombreux points des massifs anciens français. Toutes les données géochronologiques acquises plus récemment et surtout l'application de concepts géodynamiques issus de la tectonique des plaques lithosphériques permettent de proposer des interprétations elles-mêmes sujettes à une constante évolution.

Outre les grands progrès réalisés dans les domaines de la géochimie, et notamment de la géochronologie isotopique, la compréhension de la chaine varisque a aussi bénéficié des avancées en géophysique, grâce en particulier à la mise en œuvre de profils sismiques à l'échelle de la croute, comme par exemple le programme français ECORS. Dans les années 1990, le programme GéoFrance 3D a apporté des informations nouvelles sur les structures du Massif Armoricain et du Sud du Massif Central. Toutefois, un grand profil sismique à travers tout le Massif Central qui représente pourtant le plus vaste et le plus étudié des fragments du puzzle varisque reste encore à être réalisé.

Il est ainsi apparu que la majeure partie des roches métamorphiques était d'âge paléozoïque. L'analyse structurale a permis de déchiffrer la succession des déformations superposées et de caractériser la cinématique des déplacements. Enfin, les progrès de la pétrologie métamorphique ont apporté des informations très importantes sur les conditions thermo-barométriques de la déformation.

Il y a une cinquantaine d'années, et malgré les travaux de précurseurs comme F. Kossmat en Allemagne ou A. Demay en France, la vision de la chaine varisque était encore très fixiste. La majeure partie des roches métamorphiques était considérée comme un socle précambrien (noyau arverno-vosgien du Massif Central, socle cadomien du Massif Armoricain) autour duquel les terrains paléozoïques dessinaient des « ceintures plissées périphériques ». Pour plus de détails, voir, par exemple, la série sur la géologie anté-permienne du Massif Central : Structure et évolution pré-permienne du Massif Central français 1/3 – Évolution des idées et architecture en nappes suivi de … 2/3 – Évènements tectono-métamorphiques successifs et de … 3/3 – Magmatisme et scénario géodynamique.

Il est maintenant bien admis que la chaine varisque présente toutes les caractéristiques des chaines de collision. Du point de vue lithologique, on reconnait des roches sédimentaires et magmatiques/mantelliques océaniques (ophiolites) et des séries de marges continentales passives et actives. Du point de vue tectonique, on identifie des déformations ductiles associées à des nappes de charriage, de grands décrochements et des structures extensives post-nappes. Du point de vue pétrologique, on met en évidence un évolution métamorphique polyphasée. Du point de vue magmatique, on reconnait les marques de la fusion liée à un épaississement crustal.

Dans leur grande majorité, les auteurs s'accordent pour considérer que l'orogenèse varisque résulte de la collision entre deux grandes masses continentales : la Laurussia au Nord et le Gondwana au Sud. La Laurussia est-elle même constituée par la collision de l'Amérique du Nord (ou Laurentia), du craton baltique (ou Baltica) et du microcontinent Avalonia au Paléozoïque inférieur à l'issue de l'orogenèse calédonienne. Le Gondwana rassemble l'Amérique du Sud, l'Afrique, l'Inde, l'Australie et l'Antarctique. Son éclatement se produira au Mésozoïque lors de l'ouverture des océans Téthys, Atlantique et Indien. C'est la région septentrionale de la partie africaine du Gondwana qui est entrée en collision avec la Laurussia donnant alors naissance à la Pangée.

Cependant, contrairement à des collisions relativement “simples” comme celle de l'Inde avec l'Eurasie à l'Éocène en Himalaya, ou celle de l'Europe avec l'Apulie dans les Alpes occidentales, il existe dans la chaine varisque des lanières continentales issues du Gondwana. On reconnait ainsi trois microcontinents : Avalonia, Saxo-Thuringia ou Mid-German Crystalline Rise (MGCR), et Armorica. Ces lanières continentales sont séparées par des domaines à lithosphère océanique, les océans Iapetus, Rhéique principal, Rhéique méridional et Médio-européen. Ce dernier océan est aussi appelé Galice-Massif Central, mais on remarquera que cette dénomination n'est pas très appropriée puisque la présence d'ophiolites dans le Massif Central reste très controversée (cf. la discussion dans Structure et évolution pré-permienne du Massif Central français 1/3 – Évolution des idées et architecture en nappes). Le microcontinent Avalonia participe à la formation de la Laurussia, il ne joue pas de rôle important dans le cycle varisque. Ainsi, la chaine varisque apparait comme un édifice polyorogénique, ou multi-collisionnel, résultant de la fermeture de trois domaines océaniques, puis de collisions continentales d'âges et de positions variables.

C'est grâce aux progrès de la géochronologie que l'existence de déformations ductiles et syn-métamorphes d'âge paléozoïque dans les “massifs anciens”, déjà pressenties par quelques pionniers comme André Demay en France, a été établie. La découverte d'évènements tectono-métamorphiques d'âge paléozoïque inférieur (Silurien-Dévonien) a conduit des auteurs à parler de « chaine calédonienne » ou « acadienne ». Mais l'orogenèse varisque d'Europe moyenne ne relève pas du tout de la même histoire géodynamique de collisions continentales que l'orogenèse calédonienne d'Europe du Nord. Ainsi pour éviter cette confusion, les termes d'« orogenèse calédonienne », de « phase calédonienne », ou de « phase acadienne » doivent être proscrits pour décrire les évènements relatifs à la chaine varisque. Actuellement, le terme « éo-varisque » est fréquemment utilisé pour décrire des évènements précoces, même si son âge reste imprécis.

Les subdivisions de la chaine varisque

Dans la suite de cet article, on adoptera la subdivision classique proposée par Kossmat (1927) pour le massif de Bohème, étendue vers l'Ouest pour prendre en compte les massifs varisques français. Du Nord au Sud, de la Belgique à la Méditerranée, on considèrera les ensembles suivants (Fig. 2).

  • L'avant-pays septentrional, correspondant à la Laurussia, dans lequel la déformation varisque est faible ou nulle. Il est représenté par le Pays de Galles en Grande Bretagne et le massif du Brabant en Belgique.
  • Le domaine rhéno-hercynien qui est représenté par le massif de l'Ardenne en France et en Belgique, le Massif Schisteux Rhénan (Rheinisches Schiffergebirge) en Allemagne, et la Cornouaille britannique. La limite entre l'avant-pays et la zone rhéno-hercynienne est un chevauchement à vergence nord appelé le front varisque.

    Ces deux domaines appartiennent à l'Avalonia, microcontinent détaché du Gondwana à l'Ordovicien inférieur et accolé à la Baltica puis à la Laurentia lors de l'orogenèse calédonienne sensu stricto.

  • Le domaine saxo-thuringien exposé en France uniquement dans le Léon au Nord-Ouest du Massif Armoricain. À l'Est, il est masqué sous le Bassin de Paris, notamment entre l'Ardenne et les Vosges.
  • L'Armorica représentée en France par l'Armorique centrale et septentrionale et les Vosges du Nord. Dans le Massif de Bohème, ce domaine est appelé Tepla-Barrandien.
  • Le domaine moldanubien qui correspond aux Vosges du Sud, au Massif Central, à l'Armorique méridionale et au socle des Pyrénées. C'est la partie la plus métamorphique de la chaine, mais dans le Massif Central, le métamorphisme diminue vers le Sud jusqu'à disparaitre. C'est par exemple le cas de la Montagne Noire au Sud du Massif Central ou de la partie orientale des Pyrénées. La limite entre l'Armorica et la zone moldanubienne est représentée en France par la faille de Nort-sur-Erdre dans le Massif Armoricain et faille de Lalaye-Lubine dans les Vosges. Entre les deux, cette limite passe sous le Sud du Bassin de Paris vers Vierzon et Bourges, puis au Nord du Morvan.
  • L'avant-pays méridional, ou bassin de l'Èbre, affleure en France dans la Montagne Noire et dans les Pyrénées. Il constitue aussi le substratum paléozoïque de la plaine du Languedoc où il est connu seulement par forage. Le domaine moldanubien et l'avant-pays méridional appartiennent à la marge septentrionale du Gondwana.
La zonation de la chaîne varisque en France, en Belgique et en Angleterre

Figure 2. La zonation de la chaîne varisque en France, en Belgique et en Angleterre

F.N.P : Faille Nord-pyrénéenne ; BS CSA : branche Sud du Cisaillement Sud-armoricain ; BN CSA : branche Nord du Cisaillement Sud-armoricain ; CNA : Cisaillement Nord-armoricain ; FLL : Faille de Lalaye-Lubine ; MGCR : Mid-German Crystalline Rise. Les petits massifs varisques de la zone Nord-pyrénéenne (au Nord de la faille Nord-pryrénéenne) et les massifs cristallins des Alpes ne sont pas distingués.


Ces ensembles continentaux sont séparés par trois sutures océaniques (Fig. 2). Du Nord au Sud, il s'agit de :

  • la suture rhéique principale représentée par l'anomalie gravimétrique de la Manche, la zone du Cap Lizard en Angleterre et l'anomalie gravimétrique du Pays de Bray ;
  • la suture rhéique méridionale représentée par la suture du Conquet, à l'Ouest de Brest ;
  • la suture éo-varisque, représentée en France par la faille de Nort-sur-Erdre dans le Massif Armoricain. Dans les Vosges, bien que dépourvue d'ophiolites, la faille de Lalaye-Lubine peut être interprétée également comme la suture éo-varisque.

La continuité de ces sutures ophiolitiques est souvent interrompue par un rejeu ultérieur des failles et leur recouvrement par des dépôts ultérieurs. En France, les sutures ophiolitiques ne sont directement observables que dans le Massif Armoricain. Les autres grandes failles de la France varisque –  Cisaillement Nord-Armoricain, Cisaillement Sud-Armoricain, Sillon Houiller, Faille Nord-pyrénéenne, Faille des Cévennes – sont des décrochements intracontinentaux, mais pas des limites de plaques lithosphériques.

L'évolution géodynamique de la chaine varisque

Évolution géodynamique.

Conclusion

Conclusion.