Image de la semaine | 08/11/2021
La Roche de Solutré (Solutré-Pouilly, Saône-et-Loire), des mers jurassiques aux vignobles du Mâconnais
08/11/2021
Résumé
Paysage de cuesta en bordure du Fossé de la Bresse.
Parmi les sites emblématiques où la géologie française marque le paysage, la culture et l'histoire française, la Roche de Solutré fait figure d'exemple. Dominant les vignobles de Mâconnais avec sa cousine de Vergisson, la Roche de Solutré a également marqué l'histoire de la Cinquième République par les ascensions du président François Mitterrand dont il disait « De là, j'aperçois mieux ce qui va, ce qui vient et surtout ce qui ne bouge pas ». Ce paysage célèbre recèle les traces d'une histoire géologique longue qui débute sous les mers du Jurassique et voit les conséquences très indirectes de la convergence alpine ainsi que la présence de l'Homme bien avant que les vignes ne soient plantées. Cet article propose de reconstituer quelques éléments de ces différentes histoires lisibles dans les roches et les reliefs.
Les roches appartiennent au Jurassique moyen ; principalement à l'Aalénien et au Bajocien (cf. Le stratotype “historique” du Bajocien (Jurassique moyen) de Sainte-Honorine-des-Pertes (Calvados)).
La notice de la carte géologique de Mâcon décrit les formations du Jurassique moyen comme suit (du sommet vers la base).
J1b-l6b. Bajocien moyen et inférieur. Aalénien supérieur. Épaisseur : 50 à 60 mètres.
Une coupe synthétique de ces formations s'établit comme suit :
- quelques mètres de calcaire à entroques (parfois inexistants),
- calcaire massif à Polypiers (J1bp),
- calcaire à entroques supérieur,
- couches marneuses à Otoites sauzei,
- calcaire à entroques inférieur,
- calcaires et marno-calcaires à chailles de l'Aalénien.
Le calcaire à Polypiers est gris clair à bleuté, avec des passées saccharoïdes ou légèrement ferrugineuses. Il est massif, formant des couches assez continues ou de grosses lentilles, véritables récifs. Au flanc Nord de la Roche de Solutré, il passe à des calcaires et marnes noir bleuté, riches en fossiles et ayant fourni Stephanoceras humphriesianum et toute une faune de Lamellibranches et de Gastéropodes. Au Nord des carrières de Saint-Martin-Belle-Roche, le calcaire à Polypiers passe latéralement à des calcaires jaunâtres à Brachiopodes silicifiés et piquants d'Oursins (J1bs). Curieusement, le calcaire à Polypiers est absent de l'alignement Charnay-Clessé.
Les calcaires à entroques supérieurs sont massifs, jaunâtres, rosés ; ils surmontent un banc ou plusieurs bancs plus marneux à Otoites sauzei, plus ou moins constants, passant aux carrières de la Grisière, près de Mâcon, à des calcaires bigarrés à chailles branchues.
Les calcaires à entroques inférieurs sont plus lités, rouges, avec des stratifications entrecroisées bien nettes. Leur base se situe sans doute dans l'Aalénien supérieur, car ils contiennent des niveaux marneux à Graphoceras concavum.
Les calcaires de l'Aalénien plus ou moins argileux, un peu ferrugineux, à chailles, sont rarement visibles sous les éboulis de la cuesta bajocienne. Les auteurs y décrivent : Ludwigia murchisonae, Erycites fallax, Tmetoceras scissum. À la Roche de Vergisson, ils contiennent des dalles à empreintes de Cancellophycus.
L'Aalénien inférieur se rattache du point de vue faciès aux marnes toarciennes.
D'après le Guide géologique Bourgogne Morvan (P. Rat, 1986), se succèdent de la base vers le sommet de la Roche de Solutré :
- des sables calcaires à stratifications entrecroisées composées de bioclastes (échinodermes, bryozoaires, bivalves, coraux, serpules, foraminifères) avec des oolithes et localement des lits argilo-sableux. Des ammonites ont permis de rattacher ces formations à l'Aalénien.
- les séquences bréchoïdes montrent, en plus des faciès précédents, des restes d'éponges calcaires donnant un aspect bréchique,
- le niveau à Crinoïdes (début du Bajocien) est composé des restes (entroques) d'une prairie à crinoïdes,
- le niveau abrupt au sommet de la Roche est composé de colonies coralliennes faites de coraux en lames et branchus. Entre les colonies, des niveaux de boues à débris fossiles d'oursins, de bivalves (“type” coquille Saint-Jacques), de bryozoaires et de brachiopodes. Les crinoïdes sont rares dans ces roches.
- un peu en arrière du sommet, un nouveau niveau à Crinoïdes est observable.
L'observation des roches dans les éboulis ne rend pas toujours facile leur rattachement à une formation précise de la Roche de Solutré.
Le Bajocien supérieur représente donc un récif jurassique (ici jurassique moyen) dont l'accès est moins facile que ceux déjà présentés sur Planet-Terre (cf. Week-end géologique à la Pointe du Chay – Oursins et coraux du Jurassique supérieur de Charente-Maritime, Week-end géologique à la Pointe du Chay – Crinoïdes, pinnes et autres mollusques du Jurassique supérieur de Charente-Maritime et École de Terrain - Un récif corallien dans la vallée de l'Yonne). Le récif, aussi observable au Nord, au niveau de la Roche de Vergisson, s'amincit de l'Ouest vers l'Est. Il n'est plus observé au Sud dans le mont de Pouilly.
Quesne et coll. (2000 [3]) ont mis en évidence la présence de failles normales métriques à plurimétriques synsédimentaires (associées à des brèches) qui mettent en évidence une extension globalement Ouest-Est synchrone des dépôts des roches du Bajocien. L'analyse du sens du courant dans les dépôts bioclastiques indique une pente vers l'Est existant à l'époque du dépôt. Les bioconstructions récifales pourraient, elles, s'être installées sur les points hauts de l'époque.
L'histoire de cette mer s'inscrit dans l'histoire de la fracturation de la Pangée et l'ouverture de l'océan alpin. Au début du Jurassique la Pangée se fracture en lien avec l'ouverture de différents océans (Atlantique central, océan alpin ou liguro-piémontais). Les dépôts sont caractéristiques d'une zone proximale (proche de la côté) d'un plateau continental dans la zone photique (moins de 100 m de profondeur, présence de coraux associés à des organismes symbiotiques photosynthétiques – cf. Plongée dans les récifs de la Grande Barrière de Corail, Queensland, Australie et Survol en hélicoptère de la Grande Barrière de Corail, Queensland, Australie) confirmé par l'hydrodynamisme du milieu, remanié par les courants de tempêtes, à l'origine de rides et des bioclastes. À cette époque, la position de la France était plus au Sud en zone intertropicale.
La Roche de Solutré et celle de Vergisson présentent une morphologie monoclinale appelée “cuesta” à pendage d'environ 10° à 20° vers l'Est. Cette cuesta est formée par des roches présentant un pendage et dont l'altération-érosion différentielle conduit à la formation du front de la cuesta saillante dans le paysage et du revers de la cuesta à pente plus faible (Figure 2). Les barres calcaires sont affectées de diaclases localisant les processus d'altération-érosion (dissolution des carbonates, cryoclastie – fracturation liée au changement de volume de l'eau dans les fractures lors de l'alternance gel-dégel – …).
Le sommet de la Roche de Solutré présente une morphologique classique des calcaires et des modelés karstiques : un lapiaz (ou lapiez). Ce lapiaz résulte du ruissellement de l'eau dans les diaclases de la roche calcaire et de la dissolution des carbonates par l'équation CaCO3 + CO2 + H2O → Ca2+ + 2HCO3−. Le ruissellement se faisant dans les points bas et dans une direction contrôlée par la pente, ce sont toujours ces derniers qui sont les points où l'altération est la plus développée ce qui conduit à la formation des rigoles observées. Le sol développé sur ce calcaire à polypiers permet la formation de pelouses calcaires dont les espèces (comme certaines orchidées) sont visibles au printemps.
Les cours d'eau de la zone expliquent une altération-érosion-transport localisées entre les sommets actuels et l'individualisation des Roches de Solutré et de Vergisson et permettent l'observation du pendage des couches vers l'Est.
Source - © 2000 Quesne et al. [3 |
Ces morphologies affectant les roches marines du Jurassique moyen, leur formation est nécessairement postérieure au Bajocien. L'orientation Nord-Sud de l'alignement de ces cuestas et des failles de mêmes orientations présentent les mêmes directions que le fossé de la Bresse et que l'arc alpin.
La formation du relief des roches de Solutré et de Vergission est associé à l'épaulement du Fossé de la Bresse, lui-même lié à la dynamique oligo-miocène (pour des explications sur la formation des rifts ouest-européens, voir l'article Le volcanisme d'Auvergne, un point chaud ?).
À l'Oligocène, s'ouvrent les rifts Ouest-européens (Limagnes, Bresse, Fossé rhénan…) sous l'effet de déformations multifactorielles de la lithosphère, déformations à laquelle participe sans doute la formation des Alpes. Au Miocène, des phénomènes lithosphériques (flexuration de la lithosphère due à la convergence alpine ?) et une importante remontée de l'asthénosphère entraine la surrection de tout ce qu'on appelle maintenant le Massif Central, une fracturation d'extrados sur ce bombement (ce qui explique les failles affectant l'Oligocène terminal et le Miocène, ainsi que le volcanisme cénozoïque discret mais présent en Saône-et-Loire). Cette surrection avec formation de relief induit une reprise de l'érosion et la délimitation des cuestas par l'effet de la présence des cours d'eau.
Les vignobles au pied de la Roche de Solutré sont célèbres pour la culture des vignes (cépage Chardonnay) à l'origine des vins blancs de Pouilly-Fuissé. Pour les lecteurs intéressés sur les liens entre géologie et vins, il est possible de se reporter à l'ouvrage de Charles Frankel, Terre de vignes [4].
La présence d'ossements de chevaux (et de plus minoritairement de rennes) est connue depuis longtemps. Ces ossements étaient tellement nombreux qu'ils formaient une véritable « brèche osseuse », qui était utilisée par les vignerons comme engrais phosphatés. C'est au XIXe siècle que les premiers scientifiques ont découvert le gisement dit du Cros du Charnier et attribué ces ossements à la présence des hommes préhistoriques.
Les âges de ces ossements vont de l'Aurignacien (aux alentours de 40 000 ans) au Solutréen (environ 22 000 à 17 000 ans, culture connue pour les peintures de la grotte Cosquer et définie à Solutré notamment par une industrie lithique caractérisée par des outils dits « feuilles de laurier ». À cette période, la Terre était au Dernier Maximum Glaciaire et le Nord de la France et la périphérie des Alpes étaient sous des climat plus froids qu'actuellement d'où la présence de rennes à ces basses latitudes.
Source - © 2009 World Imaging – CC BY-SA 3.0
Dans les années 1970, des fouilles furent reprises par Jean Combier (1926-2020). Des fouilleurs séparaient les pièces “intéressantes” des autres dont ils faisaient un tas. Étudiant passant par là en 1978, Pierre Thomas, a eu l'autorisation de “se servir” dans le tas de déblais. Voilà quelques échantillons photographiés 43 ans plus tard.
Ces ossements furent à l'origine d'une légende locale selon laquelle les hommes de l'époque auraient fait courir les chevaux jusqu'au sommet de la roche pour les précipiter dans le vide. Wikipédia parle ainsi de cette légende : « Cette théorie très populaire, dont il n'a jamais été question dans les publications scientifiques de l'époque, apparaît dans le roman préhistorique d'Adrien Arcelin publié en 1872 (sous le pseudonyme d'Adrien Cranile) intitulé Solutré ou les chasseurs de rennes de la France centrale. Il s'agit d'une fiction dont l'imaginaire populaire s'est emparé. Illustrée d'une très riche iconographie, elle est reprise des dizaines de fois par des auteurs, cinéastes et artistes malgré son impossibilité, prouvée dès les années 1960 par la configuration du terrain. »
En effet, la distance au sommet de la Roche de Solutré est incompatible avec cette idée. Les derniers travaux proposent plutôt que les troupeaux de chevaux (et aussi des rennes) étaient acculés dans les pierriers marécageux pour ralentir leurs courses et qu'une fois tués, leur viande était découpée et les ossements entassés sur place ce qui explique la présence des ossements dans les sols des vignes. Une fake news qui dure depuis plus d'un siècle !
Le Musée de Préhistoire de Solutré retrace l'histoire de ces hommes préhistoriques.
Bibliographie
P. Rat, 1986. Guide géologique Bourgogne-Morvan, Masson éd., 216p.
Quesne D., Guiraud M., Garcia J.-P., Thierry J., Lathuilière B., Audebert N., 2000. Marqueurs d'une structuration extensive jurassique en arrière de la marge nord-téthysienne (monts du Mâconnais, Bourgogne, France), C.R.A.S., 330, 623-629
C. Frankel, 2013. Terre de vignes, Seuil, 304p.
Site internet de Solutré-Pouilly-Vergisson (consulté le 18/10/2021)