Image de la semaine | 21/09/2020
La province volcanique du Payun Matru (Argentine) : des volcans de subduction hors normes
21/09/2020
Résumé
Volcanisme de la série alcaline en contexte de subduction : variation du pendage de subduction, zones sans volcanisme, et volcanisme alcalin atypique en position d'arrière arc.
Source - © 2020 Lynn Recker / Pinterest |
La province volcanique du Payun Matru est située au pied Est de la Cordillère des Andes, côté argentin. Elle est incluse dans une région volcanique plus vaste (16 000 km2). Le volcanisme y est essentiellement basaltique et trachytique. Ce volcanisme est actif régionalement depuis le Pliocène jusqu'à l'Holocène (5 Ma jusqu'à l'époque actuelle) [cf. Hernando et al., 2014, Constraints on the Origin and Evolution of Magmas in the Payun Matru Volcanic Field, Quaternary Andean Back-arc of Western Argentina, Journal of Petrology]. Dans la province volcanique du Payun Matru lui-même, le volcanisme date des 350 000 dernières années. Le stratovolcan Payun Liso (appelé aussi Cerro Payen) date de −320 000 à −260 000 ans. L'âge du début des éruptions du Payun Matru sensu stricto n'est pas bien connu. La formation de sa caldeira, formation contemporaine d'émissions ignimbritiques importantes, est datée de −168 000 ans. La caldeira fut partiellement remplie par des dôme et coulées (principalement trachytiques) jusqu'à −82 000 ans. De telles coulées ont également eu lieu sur les flancs du Payun Matru. L'activité se poursuit sur les flancs et à la périphérie du volcan bouclier, principalement sous forme de cônes de scories (plus de 300, principalement basaltiques) et de coulées de basalte [cf. Germa et al., 2010, Volcanic evolution of the back-arc Pleistocene Payun Matru volcanic field (Argentina), Journal of South American Earth Sciences]. La dernière éruption datée avec certitude a eu lieu il y a 7 000 ans. Des âges plus récents mais encore incertains donnent des âges précédant de peu la conquête espagnole. Des éruptions sont relatées dans d'anciens récits oraux des amérindiens habitant la région, sans qu'il soit possible de dire si ces récits concernaient une éruption vieille de 5 ou 50 siècles.
Cette province volcanique détient un “record du monde ” : c'est elle qui a émis la plus longue coulée de lave du monde au Quaternaire, une coulée pahoehoe de 181 km de long, la coulée dite pampa ondulada. Cette coulée se voit sur Google Earth au Sud-Est du Payun Matru. Pas mal pour un volcanisme de subduction réputé et présenté généralement pour ses laves très visqueuses et ses éruptions explosives !
Cette province volcanique est atypique, hors normes, pour un volcanisme de subduction. Tout d'abord ses laves appartiennent à la série alcaline (du basalte aux trachytes) alors que les séries volcaniques associées aux subductions sont majoritairement calco-alcalines, parfois tholéitiques. Ensuite ces volcans ne sont pas situés dans la haute chaine des Andes contrairement à la majorité des volcans andins, mais au pied orientale de la Cordillère, en position d'“arrière-arc” (back arc en anglais). La profondeur de la lithosphère plongeante est de 250 à 300 km sous le Payun Matru, alors qu'elle est ordinairement de 100 à 150 km sous les volcans de subduction classiques.
Dans un premier temps, nous allons vous montrer quelques aspects morphologiques de ce beau massif volcanique, photographiés en juin 2019, pendant l'hiver austral (figures 4 à 25). On a là un véritable “musée” de formes volcanologiques. Puis nous discuterons de l'origine de ce volcanisme hors normes (figures 26 à 30).
Cette province du Payun Matru est riche d'enseignements et de questions. Elle montre que l'opposition trop souvent faite entre volcan effusif (souvent appelé “volcan rouge” par les vulgarisateurs) et volcan explosif (”volcan gris”) n'est pas appropriée. Un même ensemble volcanique (ici le Payun Matru) a eu des épisodes effusifs et des épisodes explosifs. On devrait parler d'éruptions effusives ou explosives, et non pas de volcans effusifs ou explosifs !
Et ne serait-ce la flore, la faune et le climat, ce qu'on voit dans la région du Payun Matru ressemble à ce qu'aurait pu voir un géologue dans le massif des Mont-Dore il y a environ 2 Ma, ou dans le Cantal vers −7 à −8 Ma : un volcan bouclier à dominante de basalte et de trachyte recoupé par une caldeira et entouré de cônes périphériques. Ce type d'édifice est classique au sein des “plaques continentales”, que ce soit en contexte de rifting, de remontée asthénosphérique avec amincissement crustal, de points chauds… Mais nous ne sommes pas ici dans un contexte intracontinental, mais dans un contexte de subduction.
Tout cela montre une fois de plus que la réalité est plus complexe que les simplifications habituelles, simplifications normales et/ou compréhensibles en collège, lycée, articles de presse et livres de vulgarisation grand public… mais très dommageables au niveau universitaire. En effet, il serait bien que les étudiants, les futurs enseignants… comprennent que la nature n'a pas à “se plier” aux modèles, mais qu'au contraire, ce sont les modèles qui doivent décrire et expliquer la réalité de la nature.
Les quatre figures suivantes montrent la carte géologique de la province du Payun Matru et la répartition spatiale et temporelle des différentes laves, un diagramme TAS (Total Alkalis Silica) montrant que ce volcanisme, comme celui des Monts-Dore et du Cantal, est caractéristique de la série alcaline, et enfin deux cartes volcanologiques de l'Amérique du Sud. Puis nous discuterons rapidement de l'origine proposée pour ce volcanisme hors normes, mais bien réel.
Source - © 2012 Ryan Maton | Source - © 2012 Ryan Maton, modifié |
Il y a un relatif consensus pour expliquer les grandes lignes de l'origine de ce volcanisme alcalin d'arrière arc en Argentine centrale, même si beaucoup reste à préciser dans le détail. Jusqu'au Miocène moyen, la subduction sous l'Amérique du Sud avait un pendage “normal”, avec un arc volcanique “normal”. L'étude de l'évolution spatiale et temporelle du magmatisme, celle des paléo-champs de contrainte grâce à des marqueurs tectoniques, la comparaison avec les régions andines ayant des subductions actuelles presque plates… ont conduit les géologues à proposer l'histoire suivante. Sous l'Argentine centrale et méridionale, la subduction est devenue très peu pentée au Miocène supérieur et au Pliocène inférieur, avec réduction drastique du volcanisme, mise sous compression de la croûte Sud-américaine et genèse de failles inverses et de chevauchements de la Cordillère sur l'avant pays argentin… À partir du Pliocène supérieur, le pendage de la subduction augmente, devient “normal ” et le plan de subduction migre vers l'Ouest. Cela entraine un appel de matériel asthénosphérique venu de “l'Est profond”, sa remontée sous la lithosphère Sud-américaine, et sa fusion partielle par décompression. D'où la convergence chimique et minéralogique de ce magmatisme argentin avec le magmatisme intracontinental type Massif Central. Ce schéma simple pour ne pas dire simpliste pourrait bien sûr être complété, raffiné, compliqué… par d'autres phénomènes, par exemple une rupture de la lithosphère plongeante lors de changement de pendage.
Et tout ça a donné la longue coulée de lave du monde !
Source - © 2012 Ryan Maton, francisé, modifié