Image de la semaine | 06/05/2019
Les pegmatites du Limousin : des minéraux et des métaux rares, une mise en place plus complexe qu'imaginée et des modèles pour aider à comprendre la genèse des gisements des métaux “ du futur”
06/05/2019
Résumé
Pegmatites extraordinaires des Monts d'Ambazac (Haute-Vienne) à béryl, tantalite, lépidolite ou pétalite, riches en éléments incompatibles et à structures aplo-pegmatitiques étonnantes.
Cette “image de la semaine” est la deuxième de deux articles consacrés aux pegmatites du Limousin, plus précisément des Monts d'Ambazac. Cette semaine est consacrée aux pegmatites “extraordinaires”, montrant des structures et des minéraux rares, modèles pour comprendre la genèse des gisements des métaux dits du futur (béryllium, lithium, tantale, niobium…) alors que la première semaine montrait, elle, des pegmatites “ordinaires” (Les pegmatites du Limousin : d'anciens gisements exploités pour l'industrie électrique, les porcelaines et autres céramiques, la verrerie… et des curiosités géologiques). Ces deux articles n'ont pu être écrits que grâce à la Société géologique du Limousin et à son président, qui m'a piloté sur “ses” terres en mars 2019. Qu'il en soit remercié. La majorité des photos présentées ici ont été prises dans des mines abandonnées d'accès malaisé voire dangereux pour un public non averti. Pour préserver ce qui reste de ce patrimoine naturel, aucun prélèvement ou coup de marteau destructeur n'ont été faits ou donnés dans ces galeries lors de cette visite. Les échantillons photographiés ont été ramassés dans des vieux déblais en cours d'altération à l'extérieur des mines. Pour des raisons de sécurité et pour la préservation du patrimoine, les affleurements montrés ne seront pas précisément localisés.
La semaine dernière, nous avons vu les pegmatites “ordinaires” des Monts d'Ambazac en Limousin (Haute-Vienne) (cf. Les pegmatites du Limousin : d'anciens gisements exploités pour l'industrie électrique, les porcelaines et autres céramiques, la verrerie… et des curiosités géologiques). Les pegmatites ont été (et sont encore dans de nombreux pays) des sources de gemmes (émeraude, topaze…), de quartz, de feldspath (utilisé pour les céramiques), de kaolin (pour les céramiques, dont la porcelaine), de certains minerais utilisés depuis longtemps comme la cassitérite (minerai d'étain, SnO2)… Mais depuis quelques décennies, l'intérêt pour ces roches a augmenté, car ce sont des sources majeures de métaux dits « technologiques et stratégiques », métaux indispensables à de nombreux usages modernes. Parmi ces métaux, citons le lithium (Li) nécessaire aux batteries et piles, le tantale (Ta) nécessaire dans tout ce qui contient de la microélectronique, le niobium (Nb) utilisé entre autres dans la supraconductivité, certaines terres rares indispensables dans de très nombreuses technologies, le béryllium (Be) utilisé dans de nombreux alliages, dans l'industrie électrique, dans l'électronique… Les pegmatites ont donc cessé d'être de simples curiosités géologiques, et sont devenues des objets géologico-économiques majeurs. De très nombreuses études sont donc entreprises pour comprendre la genèse de ces magmas particuliers, l'origine de leur grande variété, la complexité de leur mise en place et de leur évolution interne dans leurs filons, l'origine des métaux qu'elles concentrent…
Pour résumer brièvement, on peut dire que les magmas pegmatitiques correspondent aux derniers liquides résiduels de la cristallisation des magmas granitiques. Ils concentrent les éléments dits incompatibles[1]
, que ce soient des métaux comme le béryllium, le niobium, le tantale, le lithium… mais aussi des non-métaux comme le bore, le fluor… La nature, la quantité et la localisation des éléments incompatibles concentrés dans tel ou tel gisement dépend :
- de la nature des roches mères qui ont fondu,
- de leur degré de fusion partielle,
- des phénomènes de cristallisation à l'équilibre ou hors équilibre dans les filons,
- de cristallisation de liquide en état de surfusion,
- de phénomènes de démixtion de magmas devenus moins miscibles,
- de la teneur et de la nature des éléments volatils dissouts dans les magmas,
- de la circulation et de la diffusion de ces éléments volatils dans la masse du granite en cours de cristallisation,
- des phénomènes de ré-injections et de réactions entre deux magmas,
- …
Les variations de ces paramètres et de leur importance relative génèrent la complexité des pegmatites. Les pegmatites sont classées en fonction de leurs éléments alcalins majeurs (K, Na ou Li), de leurs éléments traces… Les pegmatites des Monts d'Ambazac, par exemple, vont d'un pôle potassique, à un pôle sodolithique en passant par une chimie sodipotassique. Vis-à-vis des éléments traces, ces pegmatites du Limousin font partie des pegmatites dites LCT (riches en Lithium, Césium et Tantale). Le détail de ces études pointues et loin d'être achevées n'a pas sa place dans cette image de la semaine qui n'est pas un traité sur les pegmatites. Mais une bonne synthèse sur les pegmatites, sur leur classification, et en particulier sur les pegmatites du Limousin, se trouve dans la thèse de Sarah Deveaud (2015), thèse en accès libre sur le web, Caractérisation de la mise en place des champs de pegmatites à éléments rares de type LCT : exemples représentatifs de la chaîne varisque. Un rapport de l'US Geological Survey (en anglais), également en libre accès peut être consulté sur Mineral-Deposit Model for Lithium-Cesium-Tantalum Pegmatites.
À défaut d'avoir aujourd'hui un intérêt économique dans les conditions actuelles du marché, les pegmatites du Limousin constituent des modèles pour essayer de faire découvrir et de mieux appréhender le « phénomène pegmatite ».
Source - © 2015 Sarah Deveaud
Après celle de la semaine dernière (cf. Les pegmatites du Limousin : d'anciens gisements exploités pour l'industrie électrique, les porcelaines et autres céramiques, la verrerie… et des curiosités géologiques), nous allons donc faire une deuxième “promenade géologique” au Nord de Limoges pour voir des minéraux contenant certains de ces métaux rares, ainsi que des exemples de structures internes des filons de pegmatites montrant la complexité de leur mise en place. Les quatre premières photographies (figures 1 à 4) viennent du secteur 1 de la figure 6, ci-dessous. Ce sont des échantillons ramassés dans des déblais d'anciennes exploitations de feldspath qui exploitaient des pegmatites sodipotassiques à béryl ou dans d'anciens travaux routiers. Les 3 suivantes ont été prises dans une ancienne galerie du secteur 2 qui exploitait (pour le quartz) un filon de pegmatite potassique à béryl. Les 5 suivantes ont été prises dans des galeries exploitant dans le secteur 3 un filon de pegmatite sodolithique.
Le bérylium n'a jamais été valorisé en Limousin. On dit même que la route nationale 20, réaménagée au début du XXe siècle, aurait été empierrée localement avec des béryls venant d'anciennes carrières. Les pegmatites lithinifères dites de Chèdeville-La Chaise étaient, elles, exploitées pour la verrerie par Saint Gobain.
Cette série de photographies ciblées sur les minéraux contenant des métaux rares (béryl, lépidolite, pétalite) sera accompagnée par des cartes géologiques et géochimiques.
La carte géologique d'Ambazac au 1/50 000 (relevés effectués de 1967 à 1971, carte publiée en 1974) est accompagnée de cartes géochimiques du granite de Saint-Sylvestre (et de son annexe orientale de Saint-Goussaud). Ces données très détaillées, ainsi que la cartographie précise des filons ne sont pas dues à un amour particulier du BRGM des années 1970 pour les pegmatites, ni à une prospection poussée pour ces métaux technologiques qui n'étaient ni très utiles ni “stratégiques” il y a 50 ans. Ces études ont été faites par le BRGM et le CEA pour la recherche de l'uranium, ces leucogranites du Limousins étant abondamment parcourus de filons hydrothermaux variés et riches en uranium. Le Limousin fut la plus importante province uranifère de France qui exploita près de 40 mines de 1949 à 2001. À la fin des années 1970, le Limousin produisait environ 750 tonnes d'uranium par an (presque la moitié de la production française). L'étude des pegmatites du Limousin et de leurs métaux rares était donc un “sous-produit” de la recherche de l'uranium.
Il n'y a pas que les minéraux qui sont intéressants dans les pegmatites du Limousin, il y a, parfois, la structure interne des pegmatites. En France, la structure interne des pegmatites n'est pas enseignée dans l'enseignement secondaire, ce qui est parfaitement normal, mais pas beaucoup plus les universités ce qui l'est peut-être moins, si on voulait que les géologues français gardent une certaine culture dans la géologie minière, et que la France ne soit pas totalement dépendante des connaissances et du bon vouloir de “puissances étrangères” pour son approvisionnement en métaux. La plupart des pegmatites déjà vues sur Planet-Terre étaient souvent sans structure particulière, mais l'une était franchement anisotrope, Croissance cristalline atypique dans un filon de pegmatite, Plage de la Mine, Piriac-sur-Mer (Loire Atlantique), bien que l'origine de cette structure soit assez simple.
Mais si on tape sur le web “internal structure pegmatite”, “layered aplite” ou “zoned pegmatite”…, on tombe sur des articles et des figures, comme la figure suivante, qui montrent que le problème de la structure interne des pegmatites et aplites est complexe, mais étudié, et que sa compréhension pourrait avoir des retombées économiques certaines.
Source - © 2014 David London
Essayer d'expliquer la physique et la chimie de telles structurations internes aux corps aplo-pegmatitiques n'aurait pas sa place dans cet article, car cela ferait appel à de la dynamique des fluides plus ou moins miscibles, à la diffusion des ions dans les bains silicatés saturés en eau, à la nucléation en équilibre ou en déséquilibre des espèces cristallines…
Mais ne pas comprendre précisément ce qui se passe n'empêche pas d'admirer ces magnifiques affleurements encore visibles (pour combien de temps encore ?) dans les anciennes mines du Limousin, ni de penser à leur intérêt économique potentiel ! Nous vous montrons deux exemples de structures internes dans deux anciennes mines différentes, l'une dans la zone 3, et l'autre dans la zone 1 de la figure 6.
Source - © 2012 Lima et Lebocey, modifié
[1] Rappelons la définition géologique du mot “incompatible”. Ce mot a plusieurs synonymes, dont hygromagmaphile et hygromagmatophile, et se rapporte à la propriété qu'ont certains éléments à être difficilement intégrés dans les silicates qui cristallisent à partir d'un magma silicaté, éléments qui restent donc dans la phase fluide résiduelle. Inversement, les éléments incompatibles sont les premiers à quitter le réseau cristallin des silicates pour gagner le magma lors d'une fusion partielle.