Image de la semaine | 13/05/2019
Les pegmatites et le kaolin de Marcognac, Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), matières premières historiques de la porcelaine de Limoges
13/05/2019
Résumé
Exploitation de filons de pegmatite kaolinitisée pour le kaolin nécessaire à l'industrie de la porcelaine.
Source - © - / 2019 Manufacture nationale de Sèvres / Pierre Thomas
Source - © 2020 Marcognac, Terre de porcelaine | Source - © 2020 Marcognac, Terre de porcelaine |
Nous avons vu les deux dernières semaines d'anciennes exploitations de pegmatites au Nord de Limoges (cf. Les pegmatites du Limousin : d'anciens gisements exploités pour l'industrie électrique, les porcelaines et autres céramiques, la verrerie… et des curiosités géologiques et Les pegmatites du Limousin : des minéraux et des métaux rares, une mise en place plus complexe qu'imaginée et des modèles pour aider à comprendre la genèse des gisements des métaux “ du futur”), pegmatites surtout exploitées pour leurs feldspaths, minéraux utilisés dans l‘industrie de la porcelaine. Nous vous montrons aujourd'hui ce qu'il reste d'anciennes carrières de pegmatites altérées et des installations industrielles associées, carrières situées au Sud de Limoges et exploitées pour le kaolin. Comme leurs consœurs du Nord, ces pegmatites du Sud sont hercyniennes. Les carrières sont actuellement inondées, mais les anciennes installations industrielles sont conservées et se visitent (cf. figures ci-dessus).
Ce sont les Chinois qui ont inventé la porcelaine dès le XIIe siècle avant notre ère. Elle est connue en Europe depuis Marco Polo, où elle était appréciée pour sa blancheur, sa dureté, sa translucidité, sa sonorité. Mais, jusqu'au XVIIIe siècle, les Européens n'en maitrisaient pas la fabrication. Ces techniques de fabrication furent introduites en Allemagne au début du XVIIIe, et en France dans la deuxième moitié de ce même XVIIIe siècle. La fabrication de la porcelaine a pu se développer en France grâce à la découverte du kaolin, au lieu-dit Clos de Barre à Saint-Yrieix-la-Perche sur les terres de Madame du Montet en 1768. Cette terre blanche découverte par le médecin militaire en retraite Jean-Baptiste Darnet fut identifiée par l'apothicaire bordelais Marc-Hilaire Villaris, et c'est ce dernier qui, au nom du roi Louis XV, fit l'achat des terrains. Cette carrière alimentait la Manufacture de Sèvres. Cette découverte à Saint-Yrieix allait révolutionner toute l'histoire de la porcelaine en Europe et permettre le développement d'une économie nouvelle en France, et notamment dans la région de Limoges. La première exploitation des carrières de Marcognac date de 1786 et l'exploitation du kaolin sera terminée en 1935. Cependant, la qualité des pegmatites non altérées permettra de continuer l'exploitation des feldspaths jusqu'en 1976.
Trois “ingrédients” sont en effet nécessaires pour faire de la porcelaine : environ 25 % de quartz, 25 % de feldspath et 50 % de kaolin pur. Les proportions exactes de ces trois composants dépendent des usages que l'on veut faire de la porcelaine, des procédés de fabrication des différentes manufactures… Rappelons que le mot “kaolin” vient du chinois “gaoling” (高岭), mot signifiant “collines hautes” et qui désigne une carrière ou un hameau situé à Jingdezhen dans la province du Jiangxi au Sud-Est de la Chine. Le kaolin est une argile exclusivement constituée de kaolinite (Al2Si2O5(OH)4). Il a pour origine l'altération des feldspaths par de l'eau. Il y a eu longtemps un débat pour savoir si cette eau était de l'eau météorique ou de l’eau dite “juvénile” car libérée par la cristallisation des magmas pegmatitiques. Les analyses géochimiques privilégient une altération par l'eau météorique. Le kaolin pur fond à une température voisine de 1800°C. Pour faire de la porcelaine, on commence par mélanger le kaolin et de très fines poudres de quartz et de feldspath très finement broyés. On mélange ces poudres (avec plus de 50 % de kaolin) à de l'eau pour en faire une pâte, pâte que l'on moule pour faire des objets de forme voulue. Après séchage, on cuit ces objets à une température de 1000 à 1200°C, température inférieure à la température de fusion du mélange et on obtient une céramique poreuse, nommée le “dégourdi” (ou le “biscuit” selon son degré de porosité). Cette cuisson déshydrate le kaolin qui réagit avec quartz et feldspath et se transforme notamment en mullite, silicate d'alumine de formule 2(SiO2),3(Al2O3).La transformation “kaolin + quartz + feldspath → dégourdi” se fait sans fusion et peut s'apparenter à du métamorphisme. On recouvre ensuite le dégourdi d'une suspension aqueuse faite des trois ingrédients classiques, poudres extrêmement fines, mais avec plus de feldspath et moins de kaolin que pour faire le dégourdi. C'est ce qu'on appelle l'émaillage ou le vernissage. L'abondance du feldspath dans l'émail fait diminuer la température de fusion du mélange. On chauffe alors le dégourdi émaillé à une température voisine de 1300 à 1400°C. L'émail fond, et devenu liquide, envahit la porosité du dégourdi, et se vitrifie lors du refroidissement post-cuisson. L'émail solidifié (qu'on appelle alors glaçure) imprègne alors complètement et irréversiblement le dégourdi qui devient alors translucide et imperméable : la porcelaine. La transformation “dégourdi + émail → porcelaine” est donc une fusion partielle, et s'apparente à du magmatisme.
Les pegmatites de la région de Saint-Yrieix-la-Perche sont riches en feldspath et totalement dépourvues de biotite, donc de fer. Et l'absence de fer est nécessaire pour avoir une porcelaine blanche. Il y eu donc dès la fin du XVIIIe siècle une “ruée vers l'or blanc” (le kaolin) dans toutes la région de Saint-Yrieix-la-Perche. Les carrières de Marcognac furent les principales carrières du district.
Le district à kaolin s'étend depuis la commune du Chalard à l'Ouest jusqu'à Mongibaud à l'Est, sur une distance de 25 km. Les carrières pour l'exploitation se répartissent en 5 secteurs principaux, Le Chalard, Saint-Yrieix-la-Perche, Marcognac au centre, Bois-Vicomte et Marsac. Au total, il y aurait eu une quarantaine de carrières ouvertes sur l’ensemble du district. La dernière carrière ferma en 1978.
D'un point de vue géologique, toutes les exploitations se localisent dans la formation des gneiss micaschisteux de l’Unité Inférieure des Gneiss, à proximité du contact avec la formation des orthogneiss de cette même unité (figure 28). Ce contact lithologique est globalement de direction Est-Ouest. Il est décalé par des failles d'orientation N20-30° et N60-70°. Les gneiss micaschisteux peuvent renfermer des intercalations d'amphibolites comme à Marcognac. Au Chalard, les gneiss micaschisteux sont recoupés par des granites (massif de granite leucocrate du Chalard).
Le kaolin est associé à des filons et dykes très irréguliers de pegmatites intrusives. Ces filons sont tous localisés dans la formation de gneiss micaschisteux et montrent une orientation préférentielle Est-Ouest. Les pegmatites sont leucocrates avec muscovite largement dominante sur la biotite, très peu abondante et souvent absente.
En 2019,en France,on n'exploite plus de pegmatites pour le kaolin, mais des leucogranites altérés en Bretagne (cf., par exemple, Altération de leucogranites et kaolin) et dans le Nord du Massif Central.
Les carrières de Marcognac sont maintenant noyées. Mais à partir de 1990, la commune racheta une partie des anciens lieux d'extraction et de traitement, et les restaura. Le site fut classé aux Monuments historiques au titre de l'archéologie industrielle. Son exploitation touristique est sous la responsabilité de l'association “Marcognac Terre de Porcelaine”.
Nous allons entreprendre une visite de ce site de Marcognac en commençant par les carrières (où on ne voit presque plus rien), puis en continuant par les anciens bâtiments d'exploitation et de traitement, puis par un petit musée et son contenu, et en finissant par des documents de la fin du XIXe – début du XXe siècle. Ces documents anciens sont visibles à l'extérieur sur le site (panneaux) ou dans le musée.
Et voici 11 documents datant de la fin du XIXe – début du XXe siècle, principalement d'anciennes cartes postales. Ces documents sont exposés sur les sites extérieurs ou dans le musée gérés par “Marcognac Terre de Porcelaine”.