Outils personnels
Navigation

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Vous êtes ici : Accueil RessourcesPierres tombales en calcaire sinémurien à gryphées de maitres carriers du XVIIIème siècle

Image de la semaine | 20/03/2017

Pierres tombales en calcaire sinémurien à gryphées de maitres carriers du XVIIIème siècle

20/03/2017

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Carrières, maitres carriers et pierres tombales "professionnelles", exemple de la chapelle de Saint-Fortunat, commune de Saint-Didier-au-Mont-d'Or (Rhône).


Pierre tombale située dans la nef de la chapelle de Saint-Fortunat, chapelle gothique du XIVème siècle

Figure 1. Pierre tombale située dans la nef de la chapelle de Saint-Fortunat, chapelle gothique du XIVème siècle

Cette pierre recouvrait la tombe d'un maitre carrier, mort en 1746. On peut supposer qu'il s'agit de la tombe d'un maitre carrier car des outils classiquement utilisés par un "contremaitre" sont représentés sur cette pierre tombale, à savoir un compas et une règle. De plus, ce maitre carrier devait être un personnage suffisamment important pour avoir droit à être inhumé à l'intérieur de la chapelle, et non pas dans le cimetière voisin de l'église comme tout un chacun. Cette dalle est taillée dans du calcaire à gryphées, qui était exploité sur le versant Ouest de la colline de Saint-Fortunat depuis le XVIème siècle.

Se faire enterrer sous le fruit de son travail était un privilège qui n'était pas donné à tout le monde.



Le hameau de Saint-Fortunat (commune de Saint-Didier-au-Mont-d'Or, Rhône) est connu (1) pour ses carrières (cf. Le calcaire à gryphées (Sinémurien) des carrières de Saint-Fortunat...), et (2) pour sa chapelle gothique du XIVème siècle, chapelle dédiée à Saint Fortunat. Cette chapelle a été bâtie avant l'exploitation des carrières locales qui n'ont ouvert qu'au XVIème siècle, mais avec des pierres issues d'une autre carrière (abandonnée depuis longtemps) située ailleurs à Saint-Didier-au-Mont-d'or. Mais des pierres locales ont été utilisées après la construction du gros œuvre de l'église pour faire/restaurer le dallage de la nef, la table d'un autel situé à gauche du chœur… Parmi le dallage de la nef entièrement réalisé en calcaire à gryphées, on peut noter la présence d'une ou deux ammonites. On remarque surtout, souvent en partie masquées par les rangées de chaises, des pierres tombales, du XVIIIème siècle. Sur ces pierres tombales sont gravés, entre autres, des règles et des compas, instruments des chefs d'exploitation, des contremaitres et des propriétaires des carrières. Sous ces dalles reposent des personnages suffisamment importants pour être enterrés dans l'église, et non pas dans le cimetière attenant.

Dans une petite chapelle, à gauche près de l'entrée de l'église, une pierre tombale du XIXème siècle (1838) issue de l'ancien cimetière a été rapportée. Les instruments gravés sur cette pierre sont des marteaux, des masses, des pics, et aussi des compas, instruments des ouvriers carriers, et non pas des seuls contremaitres. Sous cette tombe reposait un propriétaire de carrière (Famille Buy) qui devait aussi travailler de ses mains. Deux siècles de mémoire de l'exploitation des carrières de Saint-Fortunat !


Vue sur l'emplacement d'une pierre tombale (à droite), bien visible une fois que les chaises ont été déplacées

Pierre tombale précédente, chaises dégagées, chapelle de Saint-Fortunat

Figure 5. Pierre tombale précédente, chaises dégagées, chapelle de Saint-Fortunat

La mort du maitre carrier enterré là date de 1717. On retrouve règle et compas gravés en bas de la pierre.




Détail d'une dalle de calcaire sinémurien contenant des fragments d'ammonite

Figure 8. Détail d'une dalle de calcaire sinémurien contenant des fragments d'ammonite

Zoom sur un coin de la dalle de la figure précédente.


Pierre tombale datant de 1838 et rapportée récemment du vieux cimetière et déposée dans une chapelle latérale, Saint-Fortunat

Figure 9. Pierre tombale datant de 1838 et rapportée récemment du vieux cimetière et déposée dans une chapelle latérale, Saint-Fortunat

Les outils du carrier, et donc par extension du géologue, sont bien mis en valeur. Outre son intérêt concernant le calcaire et ses carrières, cette pierre tombale de 1838 nous interpelle, nous enseignants, sur certains objectifs, méthodes, résultats et priorités anciennes et actuelles de l'Éducation nationale. Son orthographe est en effet à remarquer (voir la transcription ci-dessous) !


Outre son intérêt géologique et patrimonial, cette pierre tombale de 1838 nous interpelle, nous enseignants, sur certains objectifs, méthodes, résultats et priorités anciennes et actuelles de l'Éducation nationale. Son orthographe est en effet à remarquer. On peut lire :

La porté son toute sa vie.
Outy qu'il a cherie
tous le tant de sa vie.
Ici repose
le corps de Andre Buy
decedee le 18 mars 1838
et agee de 76 en.
Regrete de son épouse
et de ses enfans et de
seuce qui l'on connu.
Un de profundis.

On était en 1838, 45 ans avant les lois de jules Ferry, qui datent de 1879 à 1882. L'école n'était ni gratuite, ni laïque, ni obligatoire. Rien d'étonnant à ce que l'orthographe de « l'homme du peuple » qui a gravé la tombe d'un carrier ne soit pas "parfaite". J'ai montré cette photographie à des collègues professeurs en collège ou lycée, et même en L1, 140 ans après les lois Jules Ferry donc. Beaucoup m'ont dit : « j'ai des élèves qui auront (ou ont eu) le bac et qui n'écrivent pas mieux ». En 2017, on est de retour pour les bacheliers à la situation orthographique des ouvriers anté-Troisième République. À méditer par les "huiles" des ministères, par ceux qui réfléchissent depuis 50 ans sur l'Éducation nationale et ce qu'elle devrait être...

Façade de la chapelle de Saint-Fortunat, rue Victor Hugo

Porche de la façade de la chapelle de Saint-Fortunat

Figure 11. Porche de la façade de la chapelle de Saint-Fortunat

La voute et le linteau de ce porche ne sont pas en calcaire sinémurien, mais en calcaire à entroques de l'Aalénien, calcaire connu localement sous le nom de « pierre dorée » (cf. L'éboulement du 21 octobre 1993 à Couzon au Mont d'Or (Rhône), 22 ans après).