Image de la semaine | 21/11/2016
Le gypse oligocène de Portel-des Corbières : strates, failles normales, recristallisations…
21/11/2016
Résumé
Stratification, érosion, failles normales, gypse saccharoïde et en pied d'alouette dans d'anciennes mines de gypse à chambres en ogive partiellement reconverties en chais.
L'ouverture de la Méditerranée occidentale à l'Oligocène terminal / Miocène basal fut précédée et "entourée" de la formation de nombreux petits grabens oligocènes, dont celui de Carpentras et celui de Narbonne-Sigean. Ces bassins en extension sont remplis de sédiments laguno-lacustres, souvent riches en évaporites (dont du gypse). La notice de la carte géologique de Narbonne décrit ainsi le contexte de la formation de ce bassin : « Après la mise en place de la nappe des Corbières, une période de distension va permettre l'installation du bassin laguno-lacustre de Narbonne-Sigean. Une subsidence active se superpose alors à une partie du domaine qu'avait affecté la tectonique tangentielle « pyrénéenne ». Le bassin post-orogénique de Narbonne correspond à un demi graben : ce fossé d'effondrement est basculé au Nord-Ouest ». Le gypse a été exploité, entre autres, dans le bassin de Narbonne, notamment à Portel-des-Corbières entre 1815 et 1992, année de la fermeture des carrières souterraines. En 1980, la production était de 75 000 t/an.
Après la fermeture de l'exploitation de Portel-des-Corbières, des kilomètres de galeries ont été sauvés de la destruction ou de l'emmurement, ce qui est, hélas, le destin de bien trop d'exploitations souterraines en France. Ces galeries sont maintenant exploitées (Terra-Vinéa) comme caves de vieillissement et entrepôts pour du vin local (on est dans les Corbières) et comme musée de l'histoire (surtout locale) de la vigne et de ses métiers, histoire très longue puisqu'elle commence à l'époque romaine. En plus de ce qui est explicitement montré aux touristes et qui ne concerne presque que la vigne et le vin, on peut, en passant, voir sur les parois des galeries un véritable "musée naturel" (hélas non commenté) de la sédimentation évaporitique et de la tectonique régionale à l'Oligocène. On ne peut que regretter que l'exploitant de Terra-Vinéa, qui a sauvé ce patrimoine minier de la destruction (merci à lui), ne mette absolument pas en valeur cette histoire géologique, vieille il est vrai de plus de 20 Ma et ne débute qu'à l'histoire romaine qui n'a que 2000 ans, ce qui ne représente qu'1/10 000 de l'histoire visible dans ces galeries. La mine de Bex en Suisse montre (cf. Les mines de sel de Bex, canton de Vaud (Suisse) : anhydrite, gypse et sel) que, contrairement à ce qu'on apprend sans doute en France dans les "écoles de tourisme" où, comme dans beaucoup d'écoles, règne la pensée unique, le patrimoine géologique intéresse une partie du public. Valoriser ce patrimoine géologique ferait un "plus" certain pour ce site touristique, d'autant plus que quasiment aucun investissement supplémentaire ne serait à faire dans ces galeries déjà aménagées pour la visite. Dommage !
Nous allons faire une visite œno-géologique dans ces galeries, en montrant (un peu) les aménagements touristiques et ce qui est exposé sur le vin, et en insistant sur les strates et les cristallisations, sur la tectonique visible dans les galeries et enfin sur l'exploitation et le contexte géologique.
Dans des galeries non ouvertes au public mais dont on peut trouver des photographies (dossier de photos) sur l'inventaire du patrimoine géologique de Languedoc, on voit de très jeunes et très belles cristallisations ayant "poussé" sur les parois. Ces cristallisations sont bien sûr postérieures à l'ouverture de la galerie, donc postérieures à 1815. Ces cristallisations doivent être dues à l'arrivée à la surface (par des microfractures ou par capillarité dans la porosité de la roche) d'une eau saturée en sulfate de calcium. Il est vraiment dommage que ces magnifiques cristallisations soient invisibles au public.
Ce qui est géologiquement extraordinaire dans ces galerie, en plus des néocristallisations invisibles au public, ce sont les très nombreuses failles normales, souvent synsédimentaires, qui montrent que le dépôt de ces gypses oligocènes s'est fait en contexte extensif. On a là un véritable "musée de la faille normale", musée à la portée de tous, mais musée oublié et passé sous silence par l'exploitant. Le visiteur averti verra et appréciera ces failles normales. Le visiteur qui ne connait pas la géologie verra bien que les couches sont parfois interrompues. Mais faute d'"aide", il ne comprendra pas qu'il a devant lui les manifestations périphériques de l'ouverture de la Méditerranée.