Image de la semaine | 23/02/2015
Les Gorges du Fier (Haute Savoie) : un bel exemple de surimposition... encore que...
23/02/2015
Résumé
Une barre urgonienne incisée par le Fier, des gorges à visiter.
Tout le monde connaît les gorges grandioses que sont les gorges du Verdon, du Tarn... pour ne pas parler de celles du Colorado. À côté de ces "monuments à la grandeur de la nature", il existe de "petites" gorges, complètement différentes bien que tout aussi spectaculaires. Les Gorges du Fier sont de celles-là : 300 m de long, 40 m de profondeur avec des parois verticales, et de 1 et 5 m de largeur. Une passerelle est aménagée à mi-hauteur (à 20 m au-dessus du torrent). La gorge est si étroite que, bien qu'on soit situé à 20 m au-dessus du torrent, on peut, plusieurs fois sur le trajet, toucher à la fois les deux parois de la gorge en écartant les bras. Ces gorges entaillent une barre de calcaire urgonien (Crétacé inférieur). Dans un premier temps, nous ferons une visite commentée de ces gorges. Dans un deuxième temps, nous proposerons une explication à ce paysage hors du commun.
Source - © 2014 Peter IJmker sur panoramio | |
Pour essayer de comprendre l'origine de cette gorge, il faut en étudier le cadre géologique et morphologique. Entre Annecy et le Val de Fier, le Fier traverse sur une quinzaine de kilomètres de large une région vallonnée, d'altitude comprise entre 400 et 500 m. Les terrains à l'affleurement sont principalement constitués de Miocène, les fameuses molasses, respectivement en jaune (m1-2) ou en orangé (m1a) sur la carte géologique au 1/250 000 (figure 20). Ce Miocène est recouvert d'alluvions glaciaires, des moraines du Würm. Le Fier coule sur ces terrains en y ayant creusé une vallée "normale". Au centre du Nord de ce plateau molassique, les montagnes d'Age et du Mandallaz (qui forment le même anticlinal armé d'Urgonien) "sortent" de la molasse et des moraines ; elles forment des reliefs qui diminuent et disparaissent vers le Sud. Le Miocène et l'Urgonien sont plissés, mais pas les moraines, qui reposent en discordance sur leur substratum. Les Gorges du Fier entaillent sur 300 m de longueur environ une barre calcaire urgonienne appartenant à la terminaison péri-anticlinale de la Montagne d'Age, terminaison périclinale partiellement ennoyée sous les moraines du Würm.
On peut alors proposer l'origine suivante pour ces gorges du Fier. Les glaciations successives ont relativement aplani-ondulé la région située entre Annecy et le Val de Fier. La terminaison Sud de l'Anticlinal de la montagne d'Age était partiellement érodée, et devait former localement une barre calcaire résiduelle dominant les environs (Urgonien plus érodé et/ou Miocène) de quelques dizaines de mètres. Le Fier avait creusé ses vallées successives dans ces terrains lors de chaque interglaciaire. Pendant et à la fin de la dernière glaciation, toute la région a été recouverte des moraines wurmiennes. Le Fier post-Wurm débouchant du Massif des Bornes et du paléo-lac d'Annecy a du se creuser une nouvelle vallée dans ces moraines, vallée dont le tracé s'est fait indépendamment de la géologie et de la topographie du substratum anté-moraines. Quand le fond de sa nouvelle vallée a atteint le niveau de la petite barre de calcaire Urgonien épargnée par l'érosion, le Fier n'a eu d'autre « choix » que de continuer à s'enfoncer sur place en creusant cette extraordinaire gorge. Comme l'Urgonien est un calcaire très résistant à l'érosion, cette néo-vallée ne s'est pas élargie au cours de ses 15 000 à 20 000 ans d'existence. Si cette interprétation est correcte, les gorges du Fiers ont donc été creusées en moins de 20 000 à 15 000 ans, depuis la fin de la dernière déglaciation.
Ce serait là un très bel exemple de surimposition. Et avec le Val de Fier, bel exemple d'antécédence situé 15 km en aval, la rivière Fier est un bel exemple des relations tectonique / sédimentation et climat / réseau hydrographique.
On peut aussi, peut-être, encore compliquer ce schéma de simple surimposition. En effet, l'anticlinal d'Age - Mandallaz est un anticlinal encore "actif". Il est séparé en deux par la faille du Vuache (cf. Miroir de faille décrochante : faille du Vuache, la Petite Balme, Sillingy (Haute Savoie)), faille active qui joue en décrochement (dernier séisme important en 1996). Mais si le raccourcissement est principalement accommodé par ce décrochement, il n'est pas exclu que l'anticlinal se bombe encore un peu, au moins localement. On pourrait même proposer une hypothèse extrême, à savoir que les 40 m d'incision des Gorges du Fier ne seraient dus qu'à 40 m de surrection locale subactuelle de l'Urgonien, surrection qui aurait lieu depuis la fin de la glaciation et qui affecterait ce petit secteur de la terminaison de l'anticlinal. On aurait là un bel exemple d'antécédence. Si cette hypothèse était vraie à 100%, alors ce creusement de 40 m (40 000 mm) en 20 000 ans correspondrait à une surrection de 2 mm/an. C'est une vitesse qui n'a rien d'invraisemblable dans les Alpes et qui a même été mesuré dans certains secteurs du Jura interne et des Massifs Cristallins Externes. Bien sûr, ces remontées mesurées affectent de vastes surfaces et non pas des fragments de 300 m de large, mais une (petite) part de surrection active se rajoutant au phénomène de surimposition n'est pas à exclure formellement pour expliquer la "vigueur" et la "jeunesse" du relief des Gorges du Fier.