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Image de la semaine | 25/05/2014

« Fleurs de bitume » en Limagne, anciennes carrières de Cournon (Puy de Dôme)

26/05/2014

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

La digitation visqueuse dans la nature : exemple d'arborescences de bitume dans les plans de faille d'un ancienne carrière.



En cette fin du mois de mai, on célèbre la fête des mères, souvent en lui offrant des fleurs. Si votre mère a une sensibilité géologique, en plus des traditionnelles fleurs "botaniques", offrez-lui des images de fleurs géologiques. Ce peut être des fossiles de fleurs, des fleurs de silice (image de fleur de lussatite) et pourquoi pas des « fleurs de bitume ».

On trouve dans l'ancienne carrière de calcaire de Cournon (Puy de Dôme), d'étranges figures dans des fractures affectant les parois de la carrière ou à la surface de blocs éboulés qui s'en sont détachés. Ces figures ressemblent souvent à des fleurs. Quand je suis dans cette carrière avec mes étudiants, ceux-ci pensent souvent que ces figures sont des fossiles. Les meilleurs pensent à des dendrites (cf. Dendrites d'oxyde de manganèse (MnO2) dans les calcaires de Cerin (Ain)). Ces derniers n'ont pas tort, puisque "dendrite" vient du grec ancien δενδρον (dendron) qui signifie "arbre", et que ces figures, parfois, ressemblent à des arbres. Mais en général, les dendrites correspondent à des arborescences de micro-cristaux d'oxyde de manganèse (avec parfois un peu d'oxyde de fer). La croissance de ces arborescences cristallines se fait surtout après la diagenèse, par circulation de fluides (H2O) minéralisés dans les fractures et les joints de stratification. Ces dendrites sont en général constituées d'oxydes de manganèse (MnO2 = pyrolusite, également appelé psilomélane lorsqu'il est hydraté) plus ou moins mélangés à quelques pour-cents d'oxydes de fer. Il est probable que cette croissance cristalline soit favorisée par l'action de bactéries endogées ferroxydantes.

Mais les figures visibles à Cournon ne sont pas constituées d'oxyde de manganèse, mais de bitume.

Le bitume (mélange d'hydrocarbures lourds parfois légèrement oxydés) est très fréquent en Limagne de Clermont-Ferrand. Entre autres affleurements, ce bitume a été exploité dans des mines (cf. ... La mine de bitume de Dallet (Puy de Dýme), dite « Mine des Rois »), coule en formant un véritable "ruisseau" (cf. Source et ruisseau d'hydrocarbures, Puy de la Poix), s'échappe quand on étête accidentellement un ancien forage (cf. Une éruption de pétrole à Cébazat (Puy de Dôme)) et enduit des fractures affectant calcaires et pépérites de la carrière de Cournon.

Avant de discuter de l'origine de la morphologie de ces étranges arborescences, regardons en des détails, ainsi que leur position dans les fractures du calcaire de la carrière.



Partie centrale de la carrière de Cournon (Puy de Dôme)

Figure 8. Partie centrale de la carrière de Cournon (Puy de Dôme)

Deux fractures enduites de bitume sont repérées sur cette photos : une fracture que l'on voit "en coupe" (à la verticale de la flèche rouge, et dont des détails correspondent à la première série de photos ci-après), et une fracture dont le bloc de gauche est tombé, dont on voit le plan "de face" et dont des détails correspondent à la deuxième série de photos ci-après).


Une fracture du front de taille de la carrière de Cournon (flèche rouge sur la vue annotée)

Figure 9. Une fracture du front de taille de la carrière de Cournon (flèche rouge sur la vue annotée)

L'intersection de cette (ces) fracture(s) et du front de taille parait noir, car cette fracture est pleine de bitume.

Deux vues rapprochées ci-après.


Détail de la fracture ci-dessus, carrière de Cournon (Puy de Dôme)

Figure 10. Détail de la fracture ci-dessus, carrière de Cournon (Puy de Dôme)

L'intersection de cette (ces) fracture(s) et du front de taille parait noir, car cette fracture est pleine de bitume.


Détail de la fracture ci-dessus, carrière de Cournon (Puy de Dôme)

Figure 11. Détail de la fracture ci-dessus, carrière de Cournon (Puy de Dôme)

L'intersection de cette (ces) fracture(s) et du front de taille parait noir, car cette fracture est pleine de bitume.




Une fracture du front de taille de la carrière de Cournon (flèche bleue sur la vue annotée)

Figure 14. Une fracture du front de taille de la carrière de Cournon (flèche bleue sur la vue annotée)

Les plans de cette fracture majeure et des fractures annexes associées sont ici principalement vues de face, l'autre côté de la fracture (le côté gauche) s'étant éboulé (le bloc éboulé photographié sur les figures 1 à 6 provenant de cet autre côté de la fracture). Les grandes surfaces noires sont presque complètement recouvertes de bitume. C'est sur ces faces noires que l'on peut voir in situ les arborescences de bitumes.


Détail de la partie centrale de la zone de fracture ci-dessus, fracture vue de face, l'un des deux côtés s'étant écroulé

Figure 15. Détail de la partie centrale de la zone de fracture ci-dessus, fracture vue de face, l'un des deux côtés s'étant écroulé

Ces fractures vues de face sont soit complètement noires (complètement enduites de bitume,) soit parcourues de ces étranges arborescences ou fleurs de bitume.


Détail de la partie centrale de la zone de fracture ci-dessus, fracture vue de face, l'un des deux côtés s'étant écroulé

Figure 16. Détail de la partie centrale de la zone de fracture ci-dessus, fracture vue de face, l'un des deux côtés s'étant écroulé

Ces fractures vues de face sont soit complètement noires (complètement enduites de bitume,) soit parcourues de ces étranges arborescences ou fleurs de bitume.


Détail de la partie centrale de la zone de fracture ci-dessus, fracture vue de face, l'un des deux côtés s'étant écroulé

Figure 17. Détail de la partie centrale de la zone de fracture ci-dessus, fracture vue de face, l'un des deux côtés s'étant écroulé

Ces fractures vues de face sont soit complètement noires (complètement enduites de bitume,) soit parcourues de ces étranges arborescences ou fleurs de bitume.


Détail de la partie centrale de la zone de fracture ci-dessus, fracture vue de face, l'un des deux côtés s'étant écroulé

Figure 18. Détail de la partie centrale de la zone de fracture ci-dessus, fracture vue de face, l'un des deux côtés s'étant écroulé

Ces fractures vues de face sont soit complètement noires (complètement enduites de bitume,) soit parcourues de ces étranges arborescences ou fleurs de bitume.


Quelle(s) peut (peuvent) être l'origine(s) de ces arborescences d'hydrocarbures ? Le bitume présent dans ces fractures vient d'une migration depuis des roches mères situées en profondeur. Ce bitume (plus léger que l'eau qui imbibe toutes les roches de la croûte supérieure) remonte naturellement par ces fractures. On pourrait proposer que cette remontée dans des fractures étroites ait été irrégulière, et que l'association d'une montée irrégulière et de phénomènes de tension superficielle et de capillarité ait engendré ces figures.

On peut proposer une autre origine. Il est vraisemblable qu'avant l'ouverture de la carrière, les fractures du calcaire étaient complètement enduites de bitume en une couche régulière ne dessinant aucune figure particulière. Lorsqu'un éboulement (récent) a séparé les deux côtés de la fracture "collés" entre eux par ce bitume très visqueux, l'écartement de la couche de bitume visqueux et collant aux deux parois a engendré cette étrange morphologie. Pour vérifier que cette hypothèse était plausible, Damien Mollex et moi-même avons réalisé une expérience simulant l'écartement de deux parois initialement collées entre elles par un fluide visqueux et collant. Nous avons donc posé quelques centilitres de colle à papier peint colorée en bleu par de l'encre sur une plaque de plexiglas. Nous avons écrasé cette colle en une couche mince en posant par-dessus une autre plaque de plexiglas et en pressant fortement, puis nous avons lentement écarté les deux plaques de plexiglas. Cette manipulation très simple a créé des figures ressemblant beaucoup aux fleurs de bitume de Cournon, ce qui montre que cette hypothèse de formation est vraisemblable. Des physiciens spécialistes des fluides visqueux pourraient confirmer / préciser cette hypothèse, expliquer le pourquoi de la formation de cette morphologie, faire varier des paramètres comme la viscosité de la colle ou la vitesse d'écartement…

Montage d'une série de photos montrant le déroulement d'une expérience simulant la formation de figures similaires aux « fleurs de bitume  » de Cournon

Figure 19. Montage d'une série de photos montrant le déroulement d'une expérience simulant la formation de figures similaires aux « fleurs de bitume  » de Cournon

Nous avons posé quelques centilitres de colle à papier peint colorée en bleu par de l'encre sur une plaque de plexiglas. Nous avons écrasé cette colle en une couche mince en posant par-dessus une autre plaque de plexiglas et en pressant fortement, puis nous avons lentement écarté les deux plaques de plexiglas. Cette manipulation très simple a créé des figures ressemblant beaucoup aux « fleurs de bitume » de Cournon.

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Gros plan sur l'une des plaques du résultat final de l'expérience "colle - fleur de bitume"

Figure 20. Gros plan sur l'une des plaques du résultat final de l'expérience "colle - fleur de bitume"

La ressemblance morphologique avec les fleurs de bitume de Cournon est assez saisissante, en particulier avec celles de la figure 6.


Gros plan sur l'une des plaques du résultat final de l'expérience "colle - fleur de bitume"

Figure 21. Gros plan sur l'une des plaques du résultat final de l'expérience "colle - fleur de bitume"

La ressemblance morphologique avec les fleurs de bitume de Cournon est assez saisissante, en particulier avec celles de la figure 6.