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Image de la semaine | 02/01/2017

Les ocres de Roussillon, Vaucluse

02/01/2017

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Émersion prolongée de sables argileux et glauconieux et altération formant les ocres de Roussillon, colorants réputés.



Détail montrant des stratifications obliques dans les ocres de Roussillon (Vaucluse)

On appelle "ocre" une argile (kaolinite) colorée par divers oxydes et hydroxydes de fer (Fe3+) ce qui lui donne une variété de couleur allant du rouge, au brun et au jaune suivant les proportions de ces divers oxydes. Des traces d'oxyde de manganèse peuvent encore augmenter la palette des couleurs. Dans la nature, et en particulier en Provence, cette argile colorée est associée à du sable qui peut constituer jusqu'à 90% de la roche brute, qu'on appelle souvent aussi (par abus de langage) "ocre". Après séparation du sable des argiles colorées (mélange avec de l'eau suivie d'une décantation dans des bassins), ces argiles constituent des colorants qui furent très recherchés avant l'invention des colorants chimiques. Les ocres ont de tous temps été utilisées par les hommes, ne serait-ce que dans les peintures rupestres. Elles furent utilisées pour les peintures, pour colorer mortiers et ciment... L'exploitation des ocres fut industrialisée à la fin du XVIIIème siècle, notamment en Provence. La production provençale culmina en 1929 avec 40 000 tonnes, et décline depuis. La roche brute (sable + ocre) était extraite majoritairement de carrières à l'air libre, mais aussi de carrières souterraines. Il ne reste plus en 2017 qu'une exploitation en activité dans le Vaucluse, à Gargas. La nature a repris ses droits dans les anciennes carrières à l'air libre abandonnées depuis des décennies. Cela forme maintenant des paysages insolites, inattendus en France (notamment près des villages de Roussillon, Rustrel, Gargas…), et qui méritent un voyage autour du massif du Lubéron.

Les ocres de Provence sont d'âge albien, 110 Ma, et, éventuellement, englobent un peu de Cénomanien, 95 Ma. La notice de la carte géologique BRGM 1/50 000 de Cavaillon décrit ainsi l'Albien et le Cénomanien :

 

C1b. Albien.

Sables ocreux, jaunes et rouges, micacés, glauconieux surtout à leur partie inférieure, à stratification entrecroisée. Le façonnement éolien du quartz à certains niveaux laisse supposer des émersions locales (plages, dunes). Pas de fossiles, mais des tubes cylindriques évoquant des fragments de roseaux. Épaisseur : 20 m

C2. Cénomanien (s.l.) probable (non formellement daté)

Cénonien inférieur : Grès tendres, jaunes, tachés de rouge ou de lie-de-vin, en bancs massifs aux contours arrondis, ou bien sables rouges à stratification entrecroisée, comportant parfois des lits de graviers. Certaines assises ont été déposées en mer, ainsi qu'en témoigne la découverte, près de Saint-Pantaléon, de fragments d'Ammonites indéterminables et d'un Micrastéridé dans des blocs éboulés. D'autres assises, en raison de la morphoscopie des minéraux, se seraient déposées sur la terre ferme (dunes). Les grès succèdent en concordance aux sables ocreux albiens.

Cénomanien supérieur : Sables blancs à petits quartz roses, siliceux, un peu kaoliniques, passant, aussi bien latéralement que vers le haut surtout, d'une façon irrégulière, à des grès quartzites -d'ordinaire blancs, parfois rouges (Gourgas, route d'Apt à Bonnieux) ; sans fossiles. Le Cénomanien supérieur" serait partiellement marin, partiellement continental.

 
 --D'après la notice de la carte géologique de Cavaillon, simplifiée.

L'origine de ces ocres est à rechercher dans l'histoire post-Albien-Cénomanien de la région. On peut d'abord remarquer que ces ocres sont contemporaines des grès glauconieux albien de Saint-André-de-Rosans dans les Hautes Alpes (cf. Les plus belles boules de France : les sphères de grès de Saint-André-de-Rosans, Hautes Alpes), l'arrivée de sables étant générale dans la région. Ces grès hautalpins et leurs célèbres boules sont exclusivement marins, et la sédimentation marine a continué au Nord de la Provence et dans la région alpine pendant presque tout le Crétacé supérieur. Dans le Sud du Vaucluse par contre, l'Albo-cénomanien montre déjà des signes d'émersion comme l'indique la notice de la carte géologique de Cavaillon. Cette émersion fut complète par la suite pendant tout le Crétacé supérieur dans tout le Sud de la Provence, du Languedoc… Cette émersion est due à une surrection régionale globale, à relier au fonctionnement crétacé supérieur de la faille transformante séparant l'Europe de la microplaque ibérico-corso-sarde (voir figure 29 dans Les flyschs du Crétacé-Tertiaire du Pays Basque : slumps et méga-slumps, turbidites et méga-turbidites...), émersion qui voit se former les "bauxites de Provence" un peu plus au Sud de Roussillon. Quand ces sables se sont déposés, ils contenaient un peu d'argile (et autres silicates), dont de la glauconite [(K,Na)(FeIII,Al,Mg)2[(Si,Al,FeIII)4O10](OH)2], phyllosilicate argileux riche en fer se formant en milieu marin. Ces sables argileux et glauconieux subirent une altération poussée lors de l'émersion du Crétacé supérieur, altération de type intertropicale humide vu le climat qui régnait à ce moment-là au Sud de la France. Tous les silicates (sauf le quartz) du sédiment donnèrent de la kaolinite [Al2Si2O5(OH)4] qui a rempli les interstices entre les grains de sable. Le fer circulant, notamment celui provenant de la destruction de la glauconite, devint un mélange d'oxydes et d'hydroxydes ferriques intimement associés à la kaolinite. Des niveaux indurés type cuirasse latéritique ont pu se développer ici ou là à la surface et chapeautent localement les couches d'ocre.

Nous vous présentons quelques photos prises sur les sentiers des ocres de Roussillon, photographies montrant les figures d'érosion ayant disséqué et raviné ces anciennes carrières depuis leur abandon, et photographies montrant quelques détails de la stratification de ces sables, notamment leurs stratifications obliques. Le site de Roussillon est à retrouver sur Google earth avec le fichier kmz ocres-roussilon.kmz.



Un ancien front de taille, complètement raviné, dans les carrières d'ocres de Roussillon (Vaucluse)

Figure 5. Un ancien front de taille, complètement raviné, dans les carrières d'ocres de Roussillon (Vaucluse)

Des détails des stratifications obliques visibles sur ce front de taille sont montrés sur les deux images suivantes.


Stratifications obliques dans les ocres de Roussillon (Vaucluse)

Figure 6. Stratifications obliques dans les ocres de Roussillon (Vaucluse)

Détail du front de taille précédent.


Stratifications obliques dans les ocres de Roussillon (Vaucluse)

Figure 7. Stratifications obliques dans les ocres de Roussillon (Vaucluse)

Détail du front de taille précédent.


Vue d'ensemble du sentier des ocres de Roussillon (Vaucluse)

Détail du début du sentier des ocres de Roussillon

Détail du début du sentier des ocres de Roussillon

En se promenant le long du sentier des ocres de Roussillon

En se promenant le long du sentier des ocres de Roussillon

En se promenant le long du sentier des ocres de Roussillon

En se promenant le long du sentier des ocres de Roussillon

Vue aérienne du site des ocres de Roussillon (Vaucluse)

Figure 17. Vue aérienne du site des ocres de Roussillon (Vaucluse)

Le sentier des ocres parcourt les anciennes carrières dont les anciens fronts de taille sont visibles au centre de l'image. Au fond de l'image, la chaîne du Lubéron ferme l'horizon. Localisation sur Google earth avec le fichier kmz ocres-Roussillon.kmz.


Vue aérienne du secteur des ocres de Roussillon (Vaucluse)

Vue aérienne géologique du secteur des ocres de Roussillon

Figure 19. Vue aérienne géologique du secteur des ocres de Roussillon

La grande tache verte au centre de la carte géologique correspond à l'Albo-cénomanien (vert foncé = Albien, vert clair = Cénomanien). Les terrains figurés en marron-orange et rouge posés directement sur les terrains verts (Albo-cénomanien) correspondent à de l'Éocène supérieur lacustre (Ludien = Priabonien, 35 Ma). Cela permet d'estimer l'importance de la lacune sédimentaire qui a duré au moins 65 Ma (et encore l'Éocène est lacustre et non marin). C'est pendant cette longue période d'émersion et d'altération en climat chaud et humide qu'a eu lieu la transformation des sables glauconieux en ocres.