Image de la semaine | 16/02/2009
Stratifications en arêtes de poisson dans des tidalites du groupe de Moodies, vallée du Sheba Creek, région de Barberton (Afrique du Sud)
16/02/2009
Résumé
Marées et tidalites : stratifications en arêtes de poisson d'Afrique du Sud et du cap Gris-Nez.
Les semaines précédentes, nous avons vu des ensembles de stratifications obliques progradant dans un seul sens : progradation actuelle (cap Gris-Nez), progradation éocène (Minerve - La Caunette) ou progradation tardi-archéenne (Blyde River). Les images de cette semaine montrent des superpositions de niveaux de quelques centimètres d'épaisseur progradant alternativement dans deux sens opposés.
La seule explication possible, c'est l'alternance de courants se dirigeant tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre (image 4).
Quelle peut être l'origine de cette alternance relativement régulière du sens des courants ? On peut proposer deux hypothèses, illustrée chacune par une image (les images 6 et 7). Ces deux hypothèses font de ces dépôts des tidalites, c'est-à-dire des dépôts de marée. Sur une côte plate et sableuse, genre Baie du Mont Saint Michel, baie de Somme (image 5) et autres plages diverses, les tempêtes créent de nombreux trous d'eau et autres dépressions plus ou moins vastes, dépressions qui vont se faire remplir progressivement par le sable et la vase apportés par les courants de marée. Si le remplissage du petit trou d'eau de la plage du Cap Gris-Nez est « par miracle » conservé, il formera une couche de « tidalite quaternaire ».
Dans la première hypothèse (image 6), chaque ensemble progradant de 4-5 cm d'épaisseur correspond à des dépôts sédimentés pendant une demi-marée (montante ou descendante). Chaque strate de 4-5 cm d'épaisseur se serait donc déposée en environ 6h. Le remplissage du trou d'eau sur une plage du cap Gris-Nez correspondrait à l'un de ces niveaux progradants, déposé par mer descendante. La géométrie de la plage par contre ne permettrait pas le dépôt d'une couche correspondant à la marée montante.
Dans la deuxième hypothèse (image 7), c'est chaque lamine individuelle des ensembles progradants (d'environ 1 cm d'épaisseur) qui constituent le dépôt d'une demie-marée (montante ou descendante), celle qui a localement la puissance de transport la plus importante. Chaque ensemble progradant correspondrait donc aux dépôts successifs de dizaines de demie-marées. Mais dans des zones plates comme la baie du Mont Saint Michel, la baie de Somme, le bassin d'Arcachon... la topographie et la configuration de l'estran change à chaque tempête, à chaque grande marée d'équinoxe. Et après une tempête ou une grande marée, une dépression qui se faisait alimenter par un courant venu de la gauche se fera alimenter par un courant venu d'une autre direction. Et si chaque lamine d'1 cm d'épaisseur correspond au dépôt d'une marée, chaque ensemble progradant de 5 cm d'épaisseur correspond alors à l'intervalle de temps entre 2 tempêtes (ou 2 très grandes marées) suffisamment fortes pour changer la configuration de l'estran.
Il n'est pas facile de trancher de façon formelle entre ces deux hypothèses. Deux arguments, cependant, font pencher pour la deuxième hypothèse, bien que la régularité de l'alternance de variations de sens du courant pose un problème.
- Il n'y a pas entre 2 ensembles progradant dans 2 sens opposés de niveau de sédiments plus fins, genre silt. Or, entre flux et reflux (pendant lesquels se dépose du sable), il y a l'étal, où devrait se déposer des sédiments plus fins. Il semble même qu'un ensemble progradant repose sur l'ensemble sous-jacent par une surface d'érosion. Par contre, chaque lamine comprend à sa base un niveau centimétrique de grès, surmonté d'un niveau millimétrique plus sombre, silteux. Le grès se serait déposé par exemple pendant la marée montante, et aurait été nappé d'un fin dépôt silteux pendant l'étal et la marée descendante (qui aurait une puissance de transport plus faible selon notre hypothèse, ce qui est le cas le plus fréquent).
- Dans le cas le plus général, les dépôts sédimentés pendant une marée individuelle ont une épaisseur qui varie : dépôts épais pendant les marées de vives eaux, et dépôts plus minces pendant les marées de mortes eaux. Aujourd'hui (au Quaternaire), il y a environ 15 jours entre deux marées de mortes eaux (1/2 mois lunaire), soit environ 29 marées montantes et descendantes. Dans un ensemble de couches (grès + silt) déposées chacune pendant une marée, on trouve une variation périodique d'épaisseur, et cette variation périodique d'épaisseur se fait (statistiquement) avec une fréquence de 29 doublets élémentaires (grès + silts) entre les doublets les plus minces de mortes eaux. On trouve une telle disposition en carottant les sédiments de la baie du Mont Saint Michel. Si on trouve une telle disposition dans des roches sédimentaires anciennes, on a là une très forte présomption qu'il s'agissent de tidalites et que chaque doublet "grès + silt" corresponde bien au dépôt d'une marée.
Des études menées par K.A. Eriksson et E. L. Simpson (Geology, 2000, 28, pp 831-834), ont trouvé un tel type de périodicité dans les lamines élémentaires des grès du groupe de Moodies.
K.A. Eriksson et E. L. Simpson ont même montré que dans le groupe de Moodies, agé de 3,22 Ga, statistiquement, la fréquence n'était pas de 28 marées par demi-mois lunaire, mais de seulement 20 marées par demi-mois lunaire. Cela indique qu'il y avait une vingtaine de jours par mois lunaire (contre 29 aujourd'hui). On a bien là la preuve que durée du jour et durée du mois lunaire (période de rotation de la Terre sur elle-même et période de révolution de la Lune autour de la Terre) varient au cours des temps géologiques (voir la conférence sur la Lune, de Pierre Thomas).
Si on suppose que le moment cinétique global du système Terre-Lune n'a pas varié depuis cette époque (le système Terre-Lune est un système isolé dans l'espace), on peut calculer (calculs effectués par David Chapot) la durée du jour et du mois lunaire de l'époque. Il y a 3,2 Ga, le jour durait une dizaine d'heures (contre 24 actuellement) ; le mois lunaire durait 20 jours de l'époque, soit environ 200 h (l'équivalent de 8 jours actuels). La Lune se trouvait à environ 160.000 km de la Terre (contre 384.000 actuellement).
Les images 13 et 14 montrent un troisième affleurement de stratifications en arêtes de poisson, affleurement voisin des deux premiers.
Il n'est pas nécessaire d'aller à 10.000 km de la France et de remonter dans le temps de 3,2 Ga pour voir des stratifications en arêtes de poissons et autres tidalites. Quand on sait que cela existe et qu'on les cherche, on en trouve assez souvent. En témoignent les images suivantes prises dans le Jurassique terminal (Tithonien inférieur, constitué des grès de la Crèche) au Cap Gris-Nez (Pas de Calais).