Article | 15/03/2023
Microtectonique sur la Dalle des Matelles (Hérault) : de la chaine pyrénéo-provençale à l'ouverture du Golfe du Lion
15/03/2023
Résumé
Étude de déformations à l’échelle d’un affleurement : joint stylolithique, veine de calcite, fente de tension, décrochement et pull-apart, structures conjuguées, faille normale… Contraintes et déformations. Passage de l’échelle de l’affleurement à l’échelle régionale.
Table des matières
Introduction
Bien connue des amateurs de tectonique et des étudiants montpelliérains, la « Dalle des Matelles » est un site idéal pour illustrer les concepts de la microtectonique à une dizaine de kilomètres au Nord-Ouest de Montpellier (commune des Matelles). La microtectonique est l'étude de la déformation à l'échelle de l'affleurement géologique, d'un échantillon macroscopique et/ou microscopique. Elle se distingue de la tectonique qui s'intéresse aux structures géologiques et aux mouvements des plaques à grande échelle (de l'ordre du kilomètre à plusieurs milliers de kilomètres). Ces deux disciplines restent néanmoins très complémentaires pour caractériser les déformations multi-échelles d'une région.
Cette “dalle” affleure dans un petit affluent du Lirou, le ruisseau de la Déridière, localisé au Nord du village des Matelles. Le ruisseau est actif seulement quelques jours par an lors des épisodes cévenols (cf. Encart 1), ce qui permet d'apprécier presque toute l'année les microstructures sur la roche mise à nu et polie par les crues. En plus d'être un bon objet pédagogique pour s'initier aux éléments fondamentaux de la géologie de terrain et de l'analyse structurale de la déformation, c'est aussi l'occasion d'introduire deux grands évènements géologiques majeurs du Languedoc : la formation de la chaine pyrénéo-provençale et l'ouverture du Golfe du Lion.
Microtectonique et compression pyrénéenne sur la Dalle des Matelles
La déformation cassante visible sur la Dalle des Matelles affecte des bancs de calcaire micritique (ancienne boue carbonatée) datant du Jurassique supérieur (Kimméridgien). Les strates, d'une épaisseur de l’ordre de 20 cm, sont faiblement inclinées vers le Sud-Ouest (< 10°). La déformation observée fait partie du réseau de failles du Lirou dont le déplacement fini (ou total) est relativement faible (quelques mètres). Les segments de faille et fractures observés sont subverticaux, d'orientation N20° (cf. Encart 2) et N140°, avec des déplacements attestant de jeux décrochants senestres et dextres respectivement.
Bien que le déplacement cumulé pendant la phase de compression pyrénéenne soit relativement faible sur le réseau de failles du Lirou, l'affleurement de la Dalle des Matelles est connu pour ces nombreux tectoglyphes, marqueurs microtectoniques dus aux frottements sur le plan de faille, tels que les joints stylolithiques et les fentes de tension.
Les stylolithes sont des structures en forme de pics orientés suivant la direction de la contrainte maximale, et s'organisant sur un plan “stylolithique” dont l'orientation est plus ou moins orthogonale à la contrainte maximale. Ils sont d'origine “sédimentaire” lorsque la contrainte maximale correspond à la pression lithostatique (cf. Les stylolites de la pierre de Villebois (Ain) à la Carrière des Meules, La Carrière du Mas (Villebois, Ain), ses stylolites, sa faille, quelques monuments bâtis avec son choin…) et, dans ce cas, ils forment un plan horizontal et des pointes verticales, ou alors d’origine purement tectonique. En coupe, ils s'observent le long de joins stylolithiques ressemblant à des dents de scie. Ils se forment par une dissolution orientée suivant la contrainte maximale.
Les fentes de tension sont, quant à elles, des fissures ouvertes où recristallisent les produits de la dissolution souvent associée à la formation des stylolithes dans les milieux carbonatés. Ces marqueurs souvent bien développés dans les roches carbonatées nous permettent de remonter au paléo-champ de contraintes associé à une phase déformation (cf. De Roya au Col de Crousette : Randonnée géologique dans l'arrière-pays calcaire des Alpes-Maritimes, Fentes de tension et boudinage dans la vallée de la Durance (Hautes-Alpes), Fentes en échelons dans les Alpes, les Pyrénées et le Sahara). Les stylolithes indiquent l'axe de la contrainte maximale tandis que les fentes de tension renseignent sur l'orientation de la contrainte principale maximale (σ1), dans l'axe (souvent la longueur) de la fente, et minimale (σ3), dans l'axe d'ouverture (souvent la largeur) de la fente.
De beaux exemples de joints stylolithiques sont visibles en coupe mais aussi en 3 dimensions sur la bordure des strates situées en rive gauche. Les stylolithes mesurent en général quelques millimètres comme la plupart de ceux visibles sur la Dalle des Matelles, mais ils peuvent aussi être inframillimétriques (cf. Calcaires à Foraminifères) ou même centimétriques (cf. Les Failles et Microstructures associées).
La plupart de ces failles réactivent des veines de calcite déjà formées. C'est pourquoi il est fréquent d'observer des veines cisaillées, de quelques millimètres à centimètres d'épaisseur, témoignant d'une déformation cassante postérieure à leur cristallisation. La morphologie de la calcite tronçonnée porte le nom évocateur de « pile de livre renversée ». Il est possible que cette déformation s'inscrive dans une alternance de phases de cristallisation et de cisaillement fragile associée au cycle sismique, mais cette hypothèse reste difficile à valider sur le terrain.
Il est également possible d'observer des fentes de tension en échelons matérialisant un « plan de faille avorté » (ou « plan de faille potentiel ») (cf. Fentes en échelons dans les Alpes, les Pyrénées et le Sahara). Ces segments échelonnés témoignent d'un début de déformation cisaillant le milieu mais dont le déplacement était trop faible pour aboutir à la localisation de la déformation sur un plan de faille. Dans certains cas, l'initiation de la déformation localisante donne une forme sigmoïde aux fentes de tension, voire un véritable décalage des fentes.
Enfin, des structures plus complexes permettent d'analyser la perturbation locale du champ de contraintes autour des micro-failles visibles sur la dalle. À différentes échelles spatiales, les irrégularités du plan de faille ou du réseau de failles signent souvent une faible maturité du système. La microtectonique sur l'affleurement des Matelles montre bien que l'état de contrainte n'est pas identique en tout point. L'analyse des joints stylolithiques et des fentes de tension reflètent des paléo-champs de contraintes en accord, au premier ordre, avec les contraintes régionales. Mais localement les paléo-contraintes fossilisées dévient parfois significativement des contraintes régionales, en particulier dans les zones de courbure ou aux extrémités des segments de failles.
À grande échelle, les orientations N20° et N140° des failles observées attestent de structures dites conjuguées (cf. Encart 3). Elles sont associées à une phase compressive dont on peut estimer le champ de paléo-contraintes et en particulier la contrainte maximale (cf. Encart 3) dont l'orientation serait ici N170°. Ce régime compressif est en accord avec le raccourcissement Nord-Sud régional associé à la chaine pyrénéo-provençale, dont atteste aussi le pli-faille Est-Ouest du Pic Saint-Loup quelques kilomètres plus au Nord (cf. École de Terrain - Histoire tectonique de la faille des Cévennes).
Failles normales oligocènes à proximité de la Dalle des Matelles
Après avoir passé un moment “à quatre pattes” pour contempler la Dalle des Matelles, on peut se relever et regarder l'escarpement de quelques mètres de haut sur la rive gauche de la Déridière. Il s'agit d'un miroir d'orientation Nord-Sud, avec un pendage vers l'Est assez fort (> 70°). Cette faille perturbe l'horizontalité des strates de part et d'autre de ce plan (pendage vers l'Est), formant ce que l'on appelle un crochon de faille. Le crochon est une courbure locale et brusque des couches au contact de la faille renseignant sur le déplacement relatif des deux blocs. À l'inverse de la déformation fragile sur le plan de faille, le plissement à l'origine du crochon témoigne d'une déformation plastique accommodant une partie du déplacement fini. La cinématique visible sur ce segment de faille montre un jeu en faille normale contrairement à ce qui a été observé précédemment sur la dalle. Cet évènement extensif correspond à l'ouverture du Golfe du Lion à l'Oligocène, dont attestent de nombreux grabens et hémi-grabens régionaux (cf. Un graben kilométrique). Une branche voisine du réseau de failles du Lirou est d'ailleurs localisée quelques centaines de mètres au Sud-Est : la faille des Matelles-Corconne. Cette faille pluri-kilomètrique que l'on traverse en remontant le ruisseau de la Déridière a tout de même accumulé plusieurs centaines de mètres de rejet vertical (> 500 m dans la zone des Matelles).
En analysant les tectoglyphes du miroir de faille bordant la Dalle des Matelles (stries, marches de calcite recristallisée, éventuellement stylolithes et fentes de tension), on trouve à la fois une composante décrochante et une composante verticale. Ces observations laissent supposer que la phase extensive survenue après la compression pyrénéenne a partiellement réactivée la faille du Lirou en faille normale. On parle de réactivation de structures héritées lorsque la déformation se localise sur une structure préexistante (une faille ou un contraste lithologique), même si son orientation n'est pas à 30° de l'axe des contraintes maximales.
Résumé et contexte géologique régional
Cet affleurement, remarquable pour ces microstructures tectoniques, se trouve sur une branche de la faille dite du Lirou, globalement orientée Nord-Sud. Celle-ci vient se connecter à un réseau de failles plus important (> 20 km), orienté Sud-Ouest Nord-Est et connu sous le nom de « faille des Matelles-Corconne ». Cette orientation se retrouve sur de nombreuses structures régionales entre Nîmes et la plaine de l'Hérault, plus ou moins parallèles à la grande « faille des Cévennes » qui délimite la bordure Sud-Est du Massif Central et dont l'histoire géologique est relativement complexe (cf. École de Terrain – Histoire tectonique de la faille des Cévennes). La faille des Cévennes a probablement vu le jour en tant que décrochement dextre tardi-hercynien, puis a accommodé une première phase d'extension durant le Mésozoïque. Cette faille a ensuite rejouée durant l'orogenèse pyrénéo-provençale en décrochement senestre à l'Éocène, et a finalement été réactivée en faille normale à l'Oligocène lors de l'ouverture du Golfe du Lion. De manière analogue à la faille des Cévennes, la faille du Lirou a fonctionné en décrochement senestre pendant la compression pyrénéo-provençale. Cette chaine intracontinentale s'étendait durant l'Éocène des Pyrénées à la Provence en passant par le Languedoc. Elle s'est formée lors du raccourcissement Nord-Sud induit par la remontée de la plaque ibérique vers le Nord à l'Éocène. L'anticlinal du Pic Saint-Loup à quelques kilomètres au Nord des Matelles témoigne du raccourcissement important accommodé dans l'avant-pays de la chaine pyrénéo-provençale durant cette phase de compression.
La transition entre la compression pyrénéenne et l'initiation de l'extension à l'origine du démantèlement de la chaine et de l'ouverture de la Méditerranée Occidentale se situerait au Priabonien (Éocène terminal, vers 35 Ma). Durant l'Oligocène-Miocène, cette extension SE-NO a abouti à l'ouverture du Golfe du Lion, accommodée par de nombreuses failles normales encore visibles sur la marge languedocienne, dont la faille des Matelles-Corconne. De nombreux “blocs basculés”, grabens et hémi-grabens caractéristiques des marges passives attestent aujourd'hui de cette phase d'extension oligo-çiocène (cf. Un graben kilométrique, le graben oligocène de Saint-Bauzille de Putois, une vingtaine de kilomètres au Nord des Matelles, en est un bel exemple).
Un grand merci à Alexandre Aubray pour ses nombreux conseils qui ont grandement enrichi cet article.
Bibliographie utilisée
L. Maerten, F. Maerten, M. Lejri, P. Gillespie, 2016. Geomechanical paleostress inversion using fracture data, Journal of Structural Geology, 89, 197-213
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M. Séranne, R. Couëffé, E. Husson, C. Baral, J. Villard, 2021. The transition from Pyrenean shortening to Gulf of Lion rifting in Languedoc (South France) – A tectonic-sedimentation analysis, Bulletin de la Société Géologique de France, 192, 1 (Open Access)
R. Soliva, F. Maerten, J.-P. Petit, V. Auzias, 2010. Field evidences for the role of static friction on fracture orientation in extensional relays along strike-slip faults: Comparison with photoelasticity and 3-D numerical modeling, Journal of Structural Geology, 32, 11, 1721-1731