Article | 06/04/2015
Les sciences de la Terre au Musée des Confluences de Lyon
06/04/2015
Résumé
Les riches collections de géologie dans les expositions du Musée des Confluences et plus particulièrement dans l'exposition permanente Origines, les récits du monde.
Table des matières
Le 20 décembre 2014, le Musée des Confluences a ouvert ses portes à Lyon. Ce musée expose 3600 objets dans ses expositions permanentes qui couvrent 3000 m2. Ces objets ont été choisis dans des réserves qui comptent 2,2 millions de pièces. Ces expositions et ces collections concernent trois domaines : sciences humaines (ethnologie, égyptologie, arts premiers…), sciences et techniques, et sciences naturelles (paléontologie, minéralogie, zoologie, entomologie, malacologie…). Ce nouveau musée expose donc, entre autres, de belles collections concernant les sciences de la Terre. Une telle ouverture est suffisamment rare en France pour que Planet-Terre y consacre un article.
L'histoire du Musée des Confluences de Lyon
Ce nouveau musée a pour point de départ le Muséum d'histoire naturelle de Lyon qui a grandi dans les deux derniers tiers du 19ème siècle. Ce musée était installé au Palais Saint Pierre, l'actuel Musée des beaux-arts de Lyon, et avait été constitué du rassemblement des nombreux et très riches cabinets de curiosités lyonnais.
En 1879, Émile Guimet (1836-1918), chimiste, riche industriel, voyageur et collectionneur lyonnais, ouvre un Musée des religions (le premier Musée Guimet de Lyon). Ce fut un échec. Les collections sont ensuite transférées à Paris (1883). Elles constituent la base du fond de l'actuel Musée national des arts asiatiques (le Musée Guimet des Parisiens). Les bâtiments lyonnais (boulevard des Belges, dans le 6ème arrondissement), sont agrandis, réaménagés et transformés en restaurant, salles de sports et de musique…
En 1909, la ville de Lyon rachète les bâtiments et y transfère les collections du Musée d'histoire naturelle. Émile Guimet y rajoute plus de 3000 objets venant du musée parisien et enrichit le musée de ses collections personnelles. C'est le deuxième Musée Guimet de Lyon.
En 1927, à côté des collections du musée Guimet, les mêmes bâtiments abritent un nouveau musée, le Musée colonial, avec des collections issues de diverses « expositions coloniales », très en vogue à cette époque.
En 1968, le Musée Guimet et le Musée colonial ferment provisoirement. Une partie des collections est transférée au Musée des beaux-arts et au Musée gallo-romain. L'essentiel (collection d'Émile Guimet, histoire naturelle…) reste sur place (boulevard des Belges). Le Musée s'appelle désormais Musée Guimet d'histoire naturelle. C'est ce musée qui est cher au cœur de nombreux Lyonnais.
Les collections sont enrichies en 1979 par un dépôt des Oeuvres pontificales missionnaires, collections très riches provenant d'Amérique, d'Afrique, d'Océanie…
En 1991, l'exploitation du musée est confiée au département du Rhône.
Pour des raisons essentiellement techniques et pour la conservation des collections qui ont continué à grandir sous l'action de plusieurs conservateurs dynamiques, le bâtiment qui les abrite doit alors être soit profondément rénové, soit complètement changé. Le choix est fait (1) d'arrêter l'exploitation du Musée Guimet d'histoire naturelle, qui ferme définitivement en 2007, (2) d'aménager un Centre de conservation et d'étude des collections (CCEC) en 2002, et (3) de bâtir le nouveau Musée des Confluences avec ses trois thèmes majeurs : sciences humaines, sciences et techniques, sciences de la nature. La construction est confiée à l'agence d'architecture autrichienne Coop Himmelb(l)au. Après bien des rebondissements techniques et financiers, le musée devient un établissement public à coopération culturelle le 1er juillet 2014 et passe du département du Rhône à la Métropole de Lyon le 1er janvier 2015. Il est inauguré le 20 décembre 2014. Des détails complémentaires sur cette histoire peuvent être obtenus sur la page dédiée à son histoire du site du musée à partir de laquelle a été rédigé ce paragraphe.
Les expositions du Musée des Confluences
Le Musée des Confluences est d'abord un musée, c'est-à-dire qu'il expose des objets réels tirés de collections, et même s'il y en a, ce n'est pas un ensemble de panneaux explicatifs avec de longs textes, ou, en version moderne, de bornes interactives et autres projections 3D.
Le musée s'appelle « des confluences » non seulement parce qu'il est bâti au confluent du Rhône et de la Saône, mais parce qu'il se veut aussi être aux confluences de différentes approches, à la confluence des sciences dites dures et des sciences dites humaines (comme si les sciences dites humaines étaient molles et les sciences dites dures inhumaines). Il expose donc une juxtaposition / mise en regard inhabituelles, mais voulues, d'objets naturels et de créations humaines, anciennes surtout mais aussi contemporaines. Les expositions permanentes sont divisées en quatre (les textes qui suivent sont tirés d'un dépliant distribué aux visiteurs).
Origines, les récits du monde. Cette galerie explore la question des origines de l'Univers et de l'Homme. Remontez le temps dans un parcours qui mêle deux approches et formes d'explication du monde : l'une scientifique et l'autre symbolique. Objets à ne pas manquer : les météorites, la sculpture inuit « Création du monde », le camarasaurus, le mammouth, le Shiva Nataraja…
C'est cette exposition, dans laquelle les sciences de la Terre ont une place majeure, que nous allons commenter dans la suite de cet article.
Espèces, la maille du vivant. Quelle est la place de l'Homme au sein du monde vivant ? L'Homo sapiens est ici traité en tant qu'espèce animale évoluant dans la maille complexe de la biodiversité. Le parcours interroge l'existence des êtres humains dans leur rapport à l'environnement naturel et social. Objets à ne pas manquer : le dodo, les coiffes amazoniennes, la vitrine des papillons, les microscopes…
Sociétés, le théâtre des hommes. Cet espace propose des histoires d'ici et d'ailleurs, du passé et du présent autour des questions de la structuration des sociétés, des échanges et de la création. Objets à ne pas manquer : la voiture Berlier, la robe de mariée Brochier, l'armure de samouraï, les fluorites…
Éternités, visions de l'au-delà. Qu'en est-il de la place de la mort aujourd'hui quand ses limites sont sans-cesse repoussées ? Cette exposition nous invite à partager avec d'autres civilisations notre rapport à l'au-delà. Objets à ne pas manquer : les hommes barbus, la momie péruvienne, le Bouddha couché, les vanités de Jean Philippe Aubanel.
En plus de ces quatre expositions permanentes, de grands espaces sont réservés aux expositions temporaires, au nombre de trois en ce début 2015 :
- Les trésors d'Émile Guimet (jusqu'à fin juillet 2015) ;
- Dans la chambre des merveilles, reconstitution d'un cabinet de curiosités (jusqu'à fin juillet 2015) ;
- À la conquête du Pôle Sud (jusqu'à fin juin 2015).
Les sciences de la Terre sont présentes dans trois des quatre expositions permanentes.
Dans l'exposition Sociétés, le théâtre des hommes, où est exposée une superbe collection de minéraux, qui sont autant de minerais ayant permis aux hommes de développer la civilisation actuelle. On y voit de superbes azurites (carbonates de cuivre), de la romanéchite (oxyde de manganèse), tous deux d'origine locale, des fluorites (fluorure de calcium),… respectivement minerai de cuivre, de manganèse, de fluor…
Dans l'exposition Espèces, la maille du vivant, l'Évolution est partout présente ou sous-jacente, Évolution qui est au confluent des sciences de la vie et des sciences de la Terre.
Et bien sûr, dans l'exposition Origines, les récits du monde, où l'histoire de la vie et de la Terre est racontée par d'extraordinaires fossiles, par des météorites…
L'exposition Origines, les récits du monde
L'exposition Origine, les récits du monde a une logique, un sens de parcours. À gauche et sur le "terre-plein central" du parcours, le musée expose des objets "racontant" comment la géologie, la biologie, l'astronomie… décrivent l'histoire et l'origine de l'homme, de la vie, de la Terre et de l'Univers. À droite, l'exposition montre des objets "créations humaines" illustrant comment divers civilisations et artistes ont "vu et raconté" leur vision des origines. En ce qui concerne l'approche scientifique, on entre dans l'exposition au temps présent, et on en ressort à l'époque du Big Bang. Le fil directeur est donc chronologique, une chronologie qui remonte le temps.
L'évolution de la vie représente le "gros morceau" de la partie scientifique de l'exposition, avec des animaux actuels (naturalisés) et surtout d'extraordinaires fossiles.
La thématique du musée est centrée sur l'Homme. Le choix a donc été fait de remonter le temps en partant d'Homo jusqu'à LUCA (Last Universal Common Ancestor, le dernier ancêtre commun à tous les êtres vivants actuels). L'arbre phylogénétique du vivant, celui dont l'original est dans l'exposition Espèces, la maille du vivant est représenté partout (, cf. Comment et pourquoi représenter l'arbre phylogénétique du vivant ? La réponse du Musée des Confluences de Lyon). On rentre dans cet arbre par sa périphérie au niveau d'Homo, et on arrive après un parcours complexe jusqu'au centre de la sculpture, à LUCA. Pourquoi parcourir l'échelle du temps dans ce sens (du plus jeune au plus vieux) et non pas commencer par les origines ? Parce que remonter vers le point d'origine met l'accent sur les points d'appartenance plutôt que sur les points de différences entre les espèces, classes... Parce qu'il faut à tout prix éviter que certains visiteurs ne croient qu'Homo sapiens est l'aboutissement de l'Évolution, mais comprennt qu'il n'est simplement qu'une des 9 millions d’espèces vivant actuellement sur Terre. Parce que de LUCA jusqu'à Homo sapiens il y a des milliers de bifurcations. À chaque bifurcation, pourquoi emprunter une branche plutôt que l'autre ? En partant de LUCA et en progressant "au hasard" (ce que fait l'Évolution) on n'a quasiment aucune chance d'arriver à Homo. Par contre, si on part de nous-même, Homo sapiens, concepteur du Musée, et qu'on rentre dans l'arbre, on voit que notre micro-rameau périphérique, l'un des 9 millions de rameaux périphériques, en rejoint un autre pour n'en former qu'un, qui à son tour en rejoint un autre, et ainsi de suite. On n'a pas le choix, et on arrive forcément à LUCA. Chaque réunion de deux branches correspond à un « dernier ancêtre commun », un DAC. Sur le parcours, après un grand écran fixe montrant (en 2 dimensions) une représentation de l'arbre phylogénétique, il y a sept bornes interactives avec écran où l'on "plonge" dans l'arbre du vivant, en s'arrêtant à sept DAC parmi les plus "importants" :
- le DAC des primates ;
- le DAC des mammifères ;
- le DAC des amniotes ;
- le DAC des tétrapodes ;
- les DAC des gnatostomes et des vertébrés ;
- les DAC des animaux et des eucaryotes ;
- le DAC de la vie actuelle, LUCA.
À proximité de chaque borne interactive correspondant à un DAC sont exposés soit des animaux vivants naturalisés des autres branches descendants de ce DAC, soit surtout des fossiles, des "cousins" de ce DAC et des autres branches qui en descendent :
- singes naturalisés près du DAC 1 ;
- mammifères actuels et surtout fossiles près du DAC 2 ;
- reptiles fossiles (dinosaures, ptérosaures, mosasaures…) près du DAC 3 ;
- amphibiens et poissons fossiles près des DAC 4 et 5 ;
- fossiles de crinoïdes paléozoïques, de trilobites, venant de la faune de Burgess… près du DAC 6 ;
- stromatolithes et fer rubanés près du DAC 7.
Si l'Évolution avait conféré une intelligence aux roses (genre Rosa) et si le Musée des Confluences avait été conçu par ces roses et non pas par des hommes (genre Homo), les DAC choisis et les fossiles associés auraient été très différents (1) le DAC des rosacés, (2) le DAC des dicotylédones, (3) le DAC des angiospermes, (4) le DAC des trachéophytes (anciennement plantes vasculaires), (5) le DAC des chlorobiontes (plantes terrestres et algues vertes), (6) le DAC des plantes, (7) les DAC des eucaryotes, où nous serions rejoints par "notre" parcours, et (8) le DAC de la vie actuelle, LUCA.
Quand on arrive vers -3,5 à -4 Ga, il n'y a plus de fossiles à montrer pour raconter l'histoire de la Terre. Mais l'histoire continue. Une vitrine montre une belle collection de tectites (cf. Les tectites, des larmes de la Terre) et de météorites, dont une superbe tranche de pallasite (cf. Bijoux en pallasite). Juste à côté, est exposée une grosse météorite de fer (une sidérite, cf. Montre taillée dans une sidérite (météorite de fer)) que l'on peut toucher. Une deuxième vitrine expose de rares météorites de Lune et de Mars (cf. Comment sait-on qu'une météorite vient de Mars ?) . Deux petits fragments de sont eux aussi "touchables" : un fragment de la météorite d'Allende qui contient des micro-diamants plus vieux que le système solaire, et un fragment d'une météorite lunaire. On peut donc toucher la Lune au Musée des Confluences, ainsi que des objets plus vieux que la Terre elle-même ! Un système de projection sur une sphère raconte les différents stades de l'origine de la Terre.
Un musée n'a plus beaucoup d'autres d'objets à montrer pour ce qui est plus vieux que la Terre : il n'y a pas d'étoile ou de galaxie dans les collections. Mais une vitrine expose d'anciens instruments astronomiques, et une mini-salle de cinéma projette en continu un film en 3D de 20 minutes sur galaxie, univers, Big Bang…
Tout ce qui précède se trouve sur le côté gauche et sur le "terre-plein central" du parcours. Mais, en regard de tous ces objets géologiques, biologiques ou astronomiques, sont exposés, sur le côté droit, des créations artistiques illustrant les récits des débuts de l'Univers, de la Terre, de la vie ou de l'humanité, récits issus des sociétés inuit, chinoise, aborigène…
L'exposition Origines, les récits du monde possède une salle annexe dans laquelle on rentre quelque part entre les premiers vertébrés et autres fossiles du Paléozoïque. Cette salle expose des objets permettant de comprendre les causes et mécanismes de l'évolution de la vie. Il y a les mécanismes intrinsèques à la vie (mutations, adaptation-sélection de plus en plus poussée à son environnement, variabilités des espèces, mimétisme…). Ces notions sont illustrées par une vitrine où sont montrés des spécimens actuels du plus variable et du plus riche groupe d'animaux, les insectes, avec par exemple de saisissants exemples de mimétisme. La variabilité au sein d'un groupe est aussi illustrée par de nombreux et extraordinaires spécimens d'ammonites. Il y a aussi les causes externes à la vie, que cette dernière doit subir. Ces causes sont les variations climatiques, la dérive des continents, les catastrophes de type grands impacts ou éruptions volcaniques majeures… Ces notions sont illustrées par un film montrant les grandes étapes de l'évolution de la Terre à mettre en parallèle avec celle de la vie. L'action des variations climatiques est illustrée par 2 stands présentant des fossiles "locaux", les fossiles de Cerin (cf. La vie au Kimmeridgien... à Cerin), qui vivaient dans une lagune tropicale au Jurassique terminal à 50 km à l'Est de l'actuel Lyon, et le mammouth de Choulans qui vivait à l'époque glaciaire et qui a été trouvé dans le 5ème arrondissement de Lyon en 1859 lors du creusement d'un tunnel ferroviaire, près de la Montée de Choulans.
En guise de conclusion
Les choix initiaux des architectes et des décideurs qui ont conçu le Musée des Confluences ont consisté à construire et à aménager un musée de grande taille, mais avec une relativement petite surface consacrée aux expositions permanentes. Ces expositions permanentes nous montrent trois mille six cent objets, alors que les réserves en compte deux millions deux cent mille. Cela signifie que 99,85% des objets des collections ne sont pas exposés au public. Le corollaire de ce ratio, c'est l'extraordinaire possibilité de faire des expositions temporaires avec l'énorme potentiel de ces trésors cachés. Une surface équivalente aux expositions permanentes est dédiée aux expositions temporaires. Et les trois expositions temporaires de ce printemps 2015 incitent à l'optimisme. Espérons que les sciences de la Terre ne seront pas oubliées, et que le budget qui sera consacré au renouvellement de ces expositions temporaires se maintiendra.
Un musée, c'est fait pour découvrir (et faire découvrir). En ce qui concerne les origines de la Terre et de la vie, il me semble que l'objectif est rempli. Beaucoup de visiteurs sortiront du musée en ayant découvert quelque chose, et, espérons-le, en ayant changé de regard sur nos origines.
Un musée, c'est aussi un lieu où l'on va chercher des informations. L'exposition Origines, les récits du monde montre des objets exceptionnels, et chacun mériterait au moins une à deux pages de commentaires, soit 3600 à 7200 "pages de panneaux" pour l'ensemble du musée. Ce n'est évidemment pas possible, le Musée des Confluences n'est pas un austère traité sur l'Évolution, la fossilisation et les mythologies chinoises. Ce problème ne devrait être que provisoire, car un système d'audioguide devrait bientôt être mis en place, à l'image de celui que l'on trouve dans un autre nouveau grand musée français, le "Louvre Lens". Dans ce musée moderne, chaque objet a un numéro. Et quand on passe devant telle ou telle pièce, si l'on est intéressé, on tape ce numéro sur le clavier de son audioguide, et on a droit à quelques minutes d'explications, voire plus. Espérons qu'un système similaire sera bientôt opérationnel à Lyon au Musée des Confluences. Deux exemples de pièces paléontologiques qui méritent vraiment des explications complémentaires sont présentés ci-dessous : une comatule du Jurassique terminal et une ammonite du Crétacé supérieur.
Un musée, enfin, c'est fait pour émerveiller, pour faire rêver, pour exciter et susciter notre imagination… Avec le Musée des Confluences, ce "contrat" est rempli : on s'émerveille pendant la visite. Et même si on ne sait pas (encore) pourquoi telle ammonite a de si belles couleurs, on l'admire.
Et comme la volonté des concepteurs était de mêler sciences dites dures et sciences dites humaines, messages scientifiques et créations artistiques… je ne peux m'empêcher de faire un rapprochement auquel les deux artistes / auteurs n'ont sans doute pas pensé. Les expositions Origines, les récits du monde, et Espèces, la maille du vivant montrent abondamment une représentation de l'arbre du vivant. L'exposition temporaire consacrée à Émile Guimet expose une admirable statue vietnamienne d'un Bodhisattva Avalokitesvara à mille bras. Une convergence fortuite (encore que), mais qui fait rêver !