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Image de la semaine | 03/02/2014

Les tectites, des larmes de la Terre

03/02/2014

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire de Géologie de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Origine et variété de formes des moldavites et autres tectites.


Une moldavite en forme de larme (ou de poire)

Figure 1. Une moldavite en forme de larme (ou de poire)

De telles moldavites sont ramassées en Bohème et en Moravie (République tchèque) dans les terrains fluviatiles (argiles, sables et graviers) de la base du Miocène moyen (15 Ma). Les moldavites appartiennent à l'une des quatre classes de tectites connues à la surface de la Terre.


Moldavite en forme de larme (ou de poire), vue en transparence

Figure 2. Moldavite en forme de larme (ou de poire), vue en transparence

Vue en transparence de la moldavite de la figure précédente.

De telles moldavites sont ramassées en Bohème et en Moravie (République tchèque) dans les terrains fluviatiles (argiles, sables et graviers) de la base du Miocène moyen (15 Ma). Les moldavites appartiennent à l'une des quatre classes de tectites connues à la surface de la Terre.

Tectite (6) de la vue d'ensemble ci-dessous.


Moldavite vue par transparence

Figure 3. Moldavite vue par transparence

Cette tectite n'a pas de forme particulière.

Tectite (1) de la vue d'ensemble ci-dessous.


Les deux côtés d'une même moldavite

Figure 4. Les deux côtés d'une même moldavite

Vues de la tectite sans forme particulière de l'image précédente.

Tectite (1) de la vue d'ensemble ci-dessous.


Les tectites (du grec τηκτ́ος = fondu) sont des fragments de verre naturel de taille infra-décimétrique que l'on ne trouve, pour les plus grosses visibles à l'oeil nu et appelées macro-tectites, que dans quatre régions du monde (on parle alors de champ de tectites) : Sud des États-Unis, Sud de la République tchèque, Côte d'Ivoire et Sud-Est asiatique (du Sud de la Chine à l'Australie). Celles trouvées en République tchèque se nomment moldavites, car les premières décrites par des scientifiques (en 1786) ont été trouvée près de la ville de Moldauthein et de la rivière Moldau (maintenant appelées en tchèque Tyn nad Vltavou et Vltava). Ces moldavites ont été exploitées pour en faire des bijoux, et depuis peu pour les collectionneurs, en particulier ceux qui attribuent des pouvoirs surnaturels à ces pierres étranges. On estime à 275 tonnes l'ensemble des moldavites qui ont été extraites du sous-sol tchèque. Il n'y a maintenant plus qu'une seule exploitation légale d'où l'on extrait des moldavites. Les tectites trouvées en Australie sont nommées australasites, celles trouvées aux Philippines s'appelle philippinites…

Les moldavites sont de couleur vert-bouteille ; les autres tectites sont en général noires.

Les tectites diffèrent des verres volcaniques usuels par :

  1. leur extrême pauvreté en eau (< 0,02% en masse) ;
  2. leur composition chimique plus proche des argiles gréseuses que des verres volcaniques usuels (qui ont une composition de rhyolite, trachyte, dacite…) ;
  3. la présence de lechatélièrite (silice vitreuse qui ne se forme qu'à très haute pression et/ou très haute température), absente des verres volcaniques ;
  4. la présence en micro-inclusion de minéraux choqués (quartz, zircon…) et de coésite ;
  5. leur fréquente forme d'« éclaboussure » (sphère, goutte…), qui laisse supposer qu'elles proviennent de la solidification rapide "en l'air" d'un liquide silicaté.

Toutes les macro-tectites d'un même champ ont la même chimie et ont toutes le même âge : 35 Ma pour le champ du Sud des États-Unis ; 14,5 Ma pour le champ de République tchèque ; 1,07 Ma pour le champ de Côte d'Ivoire ; 0,77 Ma pour le champ du Sud Est asiatique ; ce qui indique une origine commune à toutes les tectites d'un même champ.

Toutes ces caractéristiques laissent soupçonner une origine liée à un impact. Mais les compositions élémentaires et isotopiques des tectites prouvent que le matériel à l'origine des tectites est majoritairement terrestre, et ne provient quasiment pas de la météorite. Un impact majeur entraîne la fusion d'une partie des éjectas qui retombent dans ou à l'extérieur du cratère. Les tectites seraient alors des éjectas fondus retombées très loin de leur cratère d'origine. Cette hypothèse est confirmée par la découverte du cratère d'origine (même âge que les tectites) pour trois des quatre champs de tectites : le cratère de Chesapeake Bay (Ø = 85 km, recouvert de sédiments mais découvert par des études géophysiques) à l'origine du champ des États-Unis, le cratère du Ries en Bavière (Ø = 25 km) à l'origine du champ tchèque, et le cratère du lac Bosumtwi au Ghana (Ø = 8 km) à l'origine du champ de Côte d'Ivoire. Dans ces trois cas, les tectites ne sont pas uniformément réparties autour du cratère d'origine, mais seulement dans un secteur limité. Les tectites sont donc des éjectas, éjectés fondus, à grande vitesse et de manière unidirectionnelle lors d'un impact arrivant sans doute très obliquement. On ne connaît pas le cratère à l'origine du plus vaste champ de tectites, celui qui s'étend du Sud de la Chine à l'Australie.

Les macro-tectites ont souvent des formes étranges, inhabituelles pour des roches trouvées dans la nature : sphère, ellipsoïde, haltère ou diabolo, poires ou larme, disque renflé sur ses bords… Ces formes sont dues à l'histoire balistique de ces gouttes de silicates fondus éjectées à grande vitesse du cratère. Un astéroïde arrivant au sol avec une vitesse qui peut atteindre 20 km/s peut sans problème éjecter des débris à une vitesse de plusieurs km/s. Ces éjectas empruntent alors une trajectoire balistique (en forme théorique de parabole si on néglige les effets atmosphériques) et peuvent retomber à des centaines ou à des milliers de kilomètres de l'impact (il y a 300 km entre le cratère du Ries et la ville de Týn nad Vltavou). C'est une vitesse et une trajectoire de ce type qu'il faut communiquer aux missiles balistiques si on veut qu'ils atteignent une cible lointaine. Cette trajectoire peut être divisée en trois secteurs entre le cratère et le point de chute : (1) la traversée montante de l'atmosphère, (2) une trajectoire dans la très haute atmosphère et/ou dans le vide spatial, (3) la traversée descendante de l'atmosphère.

Trajectoires (théoriques et schématiques) des moldavites et de la météorite à l'origine du cratère du Ries (Ø = 25 km)

Figure 5. Trajectoires (théoriques et schématiques) des moldavites et de la météorite à l'origine du cratère du Ries (Ø = 25 km)

C'est en parcourant leur trajectoire que les tectites acquièrent leur forme.


C'est en parcourant cette trajectoire que les tectites acquièrent leur forme, sachant que cette trajectoire commence sous forme d'un liquide (sans doute très visqueux) et se termine après sa solidification, que certaines des masses liquides éjectées sont sans doute animées d'une rotations rapide sur elles-mêmes, que la solidification peut avoir lieu n'importe où sur la trajectoire, et qu'il peut y avoir de multiples fragmentations (à l'état liquide ou solide) durant ce trajet. La complexité de ce qui peut se produire sur la trajectoire explique la variété des formes. Pendant la première phase atmosphérique, la forme est donnée par l'interférence entre les forces de cohésion visqueuse, les forces centrifuges (en cas de rotation) et l'aérodynamisme (force de frottement et résistance à l'avancement). Pendant le trajet dans la très haute atmosphère et le vide spatial, seules interviennent des forces de cohésion visqueuse (type tension superficielle) et les forces centrifuges en cas de rotation. Pendant la troisième phase, atmosphérique, si la solidification a déjà eu lieu, l'aérodynamisme intervient seul avec ses frottements, sa fusion superficielle et l'ablation dues aux frottements… Si la solidification totale n'a pas encore eu lieu, toutes les autres forces s'ajoutent à ces deux dernières.

Nous vous montrons ci-dessous quelques échantillons représentatifs des formes les plus courantes rencontrées avec les tectites.

Souvent, on associe le verre libyque aux tectites. Cette association n'est pas dénuée de fondement puisque le verre libyque est manifestement issu d'une fusion due à un impact. Mais aucun échantillon de verre libyque ne montre ces formes caractéristiques acquises sur une trajectoire balistique. Le verre libyque est resté en place, et n'est donc pas une tectite sensu stricto (cf. Le verre libyque, une impactite égyptienne d'origine cométaire ?).

Ensemble de 7 tectites montrant la variété des formes des tectites

Figure 6. Ensemble de 7 tectites montrant la variété des formes des tectites

Tectites : (1) sans forme particulière, (2) forme de sphère, (3) forme d'ellipsoïde aplati, (4) forme d'haltère (ou diabolo), (5) et (6) en forme de goutte, de poire ou de larme, (7) en forme de disque à bord renflé. Les tectites 1 et 6 sont des moldavites ; les tectites 2, 3, 4, 5 et 7 viennent du Sud-Est asiatique. Les tectites 1 et 6 ont été montrées sur les figures précédentes. Les autres tectites sont montrées en détail sur les figures suivantes.


Tectite (Sud-Est asiatique) de forme sphérique

Figure 7. Tectite (Sud-Est asiatique) de forme sphérique

Tectite (2) de la vue d'ensemble.

Cette forme aurait été acquise lors de la partie "hors atmosphère" de la trajectoire. En effet, la gravité ressentie est nulle quand on parcourt une trajectoire balistique avec aucune autre force que l'attraction terrestre (pas de résistance de l'air en particulier). Si la tectite est encore liquide, elle se met alors en boule (cf. le whisky du capitaine Haddock). L'origine des sillons n'est pas parfaitement élucidée. Ils sont surtout présents sur les grosses tectites, et se seraient formés en 2 temps lors de la rentrée dans l'atmosphère : (1) un réchauffement brusque de la surface de la tectite (déjà solidifiée et refroidie) dû aux frottements atmosphériques engendre des craquelures et fissures internes, (2) érosion thermique et ablation préférentielle le long de ces craquelures par les frottements atmosphériques. Cette morphologie est fréquente chez les philippinites.


Tectite (Sud-Est asiatique) de forme sphérique

Figure 8. Tectite (Sud-Est asiatique) de forme sphérique

Tectite (2) de la vue d'ensemble.

Cette forme aurait été acquise lors de la partie "hors atmosphère" de la trajectoire. En effet, la gravité ressentie est nulle quand on parcourt une trajectoire balistique avec aucune autre force que l'attraction terrestre (pas de résistance de l'air en particulier). Si la tectite est encore liquide, elle se met alors en boule (cf. le whisky du capitaine Haddock). L'origine des sillons n'est pas parfaitement élucidée. Ils sont surtout présents sur les grosses tectites, et se seraient formés en 2 temps lors de la rentrée dans l'atmosphère : (1) un réchauffement brusque de la surface de la tectite (déjà solidifiée et refroidie) dû aux frottements atmosphériques engendre des craquelures et fissures internes, (2) érosion thermique et ablation préférentielle le long de ces craquelures par les frottements atmosphériques. Cette morphologie est fréquente chez les philippinites.


Vue de profil d'une tectite en forme d'ellipsoïde de révolution

Figure 9. Vue de profil d'une tectite en forme d'ellipsoïde de révolution

Tectite (3) de la vue d'ensemble.

Cette forme serait acquise par la rapide rotation sur elle-même d'une sphère encore liquide. Cette morphologie est fréquente chez les philippinites.


Vue de face d'une tectite en forme d'ellipsoïde de révolution

Figure 10. Vue de face d'une tectite en forme d'ellipsoïde de révolution

Tectite (3) de la vue d'ensemble.

Cette forme serait acquise par la rapide rotation sur elle-même d'une sphère encore liquide. Cette morphologie est fréquente chez les philippinites.


Tectite en forme d'haltère ou de diabolo

Figure 11. Tectite en forme d'haltère ou de diabolo

Tectite (4) de la vue d'ensemble.

Cette forme serait due à la rotation très rapide d'un ellipsoïde encore liquide qui, plutôt que de s'aplatir, a tendance à se diviser en deux masses tendant à se séparer à cause de la force centrifuge.


Tectite en forme de poire, de goutte, ou encore de larme

Figure 12. Tectite en forme de poire, de goutte, ou encore de larme

Tectite (5) de la vue d'ensemble.

Une telle forme peut avoir deux origines : (1) la rotation très rapide d'une tectite en haltère encore liquide et ayant entraîné la séparation des deux moitiés de cette haltère, (2) la forme aérodynamique usuelle d'une goutte de liquide en mouvement rapide dans l'atmosphère.


Tectite en forme de disque renflé sur le bord, vue d'une face

Figure 13. Tectite en forme de disque renflé sur le bord, vue d'une face

Tectite (7) de la vue d'ensemble.

Une telle forme pourrait être due à la rotation très rapide d'une tectite ellipsoïdale à l'état de liquide très visqueux.


Tectite en forme de disque renflé sur le bord, vue de profil

Figure 14. Tectite en forme de disque renflé sur le bord, vue de profil

Tectite (7) de la vue d'ensemble.

Une telle forme pourrait être due à la rotation très rapide d'une tectite ellipsoïdale à l'état de liquide très visqueux.


Tectite en forme de disque renflé sur le bord, vue de l'autre face

Figure 15. Tectite en forme de disque renflé sur le bord, vue de l'autre face

Tectite (7) de la vue d'ensemble.

Une telle forme pourrait être due à la rotation très rapide d'une tectite ellipsoïdale à l'état de liquide très visqueux.


Trois tectites, l'une en forme d'haltère, les deux autres en forme de larme

Figure 16. Trois tectites, l'une en forme d'haltère, les deux autres en forme de larme

La juxtaposition de ces deux formes classiques permet de proposer que la forme de larme dérive de la scission d'une haltère, bien que la déformation d'une goutte de liquide traversant l'atmosphère à grande vitesse soit aussi possible.


Localisation (approximative) des quatre champs de tectites du monde (ellipses) : République tchèque, Sud des États-Unis, Côte d'Ivoire et Sud-Est asiatique (au sens large)

Figure 17. Localisation (approximative) des quatre champs de tectites du monde (ellipses) : République tchèque, Sud des États-Unis, Côte d'Ivoire et Sud-Est asiatique (au sens large)

Trois de ces champs de tectites ne couvrent que quelques milliers de km2, le quatrième en couvre des millions. Le nom particulier des tectites et donné par le pays où la ville où elles sont trouvées. Les étoiles localisent les trois cratères d'impact à l'origine des tectites tchèques, américaines et ivoiriennes. On ne connaît pas le cratère à l'origine des tectites du Sud-Est asiatique.


Les tectites sont faites d'une matière inhabituelle (un verre) et ont des formes étranges ; on les trouve mélangées à des sables, graviers ou autres roches banales. Il n'en fallait pas plus pour que les habitants des champs de tectites attribuent à ces roches une origine "surnaturelle" et des pouvoirs magiques. Ce qui était compréhensible pour les temps anciens existe encore dans la France du XXIème siècle. Il suffit de taper tectite dans un moteur de recherche sur internet, et on s'aperçoit que la majorité des articles proposés parlent de lithothérapie, d'ésotérisme et autres superstitions. L'école est gratuite et obligatoire en France depuis 1882. Depuis 130 ans, les enseignants que nous sommes ont, entre autres, pour tâche de montrer aux jeunes Français ce que sont la raison, l'esprit critique et la rigueur intellectuelle. S'il y a tant de marchands et d'officines qui profitent de la crédulité publique, c'est que « ça marche » pour un nombre non négligeable de Français ! Cela atteste de l'échec (au moins partiel) de l'Éducation Nationale dans l'apprentissage de l'esprit critique et de la raison à la totalité des jeunes Français.