Image de la semaine | 03/02/2014
Les tectites, des larmes de la Terre
03/02/2014
Résumé
Origine et variété de formes des moldavites et autres tectites.
Les tectites (du grec τηκτ́ος = fondu) sont des fragments de verre naturel de taille infra-décimétrique que l'on ne trouve, pour les plus grosses visibles à l'oeil nu et appelées macro-tectites, que dans quatre régions du monde (on parle alors de champ de tectites) : Sud des États-Unis, Sud de la République tchèque, Côte d'Ivoire et Sud-Est asiatique (du Sud de la Chine à l'Australie). Celles trouvées en République tchèque se nomment moldavites, car les premières décrites par des scientifiques (en 1786) ont été trouvée près de la ville de Moldauthein et de la rivière Moldau (maintenant appelées en tchèque Tyn nad Vltavou et Vltava). Ces moldavites ont été exploitées pour en faire des bijoux, et depuis peu pour les collectionneurs, en particulier ceux qui attribuent des pouvoirs surnaturels à ces pierres étranges. On estime à 275 tonnes l'ensemble des moldavites qui ont été extraites du sous-sol tchèque. Il n'y a maintenant plus qu'une seule exploitation légale d'où l'on extrait des moldavites. Les tectites trouvées en Australie sont nommées australasites, celles trouvées aux Philippines s'appelle philippinites…
Les moldavites sont de couleur vert-bouteille ; les autres tectites sont en général noires.
Les tectites diffèrent des verres volcaniques usuels par :
- leur extrême pauvreté en eau (< 0,02% en masse) ;
- leur composition chimique plus proche des argiles gréseuses que des verres volcaniques usuels (qui ont une composition de rhyolite, trachyte, dacite…) ;
- la présence de lechatélièrite (silice vitreuse qui ne se forme qu'à très haute pression et/ou très haute température), absente des verres volcaniques ;
- la présence en micro-inclusion de minéraux choqués (quartz, zircon…) et de coésite ;
- leur fréquente forme d'« éclaboussure » (sphère, goutte…), qui laisse supposer qu'elles proviennent de la solidification rapide "en l'air" d'un liquide silicaté.
Toutes les macro-tectites d'un même champ ont la même chimie et ont toutes le même âge : 35 Ma pour le champ du Sud des États-Unis ; 14,5 Ma pour le champ de République tchèque ; 1,07 Ma pour le champ de Côte d'Ivoire ; 0,77 Ma pour le champ du Sud Est asiatique ; ce qui indique une origine commune à toutes les tectites d'un même champ.
Toutes ces caractéristiques laissent soupçonner une origine liée à un impact. Mais les compositions élémentaires et isotopiques des tectites prouvent que le matériel à l'origine des tectites est majoritairement terrestre, et ne provient quasiment pas de la météorite. Un impact majeur entraîne la fusion d'une partie des éjectas qui retombent dans ou à l'extérieur du cratère. Les tectites seraient alors des éjectas fondus retombées très loin de leur cratère d'origine. Cette hypothèse est confirmée par la découverte du cratère d'origine (même âge que les tectites) pour trois des quatre champs de tectites : le cratère de Chesapeake Bay (Ø = 85 km, recouvert de sédiments mais découvert par des études géophysiques) à l'origine du champ des États-Unis, le cratère du Ries en Bavière (Ø = 25 km) à l'origine du champ tchèque, et le cratère du lac Bosumtwi au Ghana (Ø = 8 km) à l'origine du champ de Côte d'Ivoire. Dans ces trois cas, les tectites ne sont pas uniformément réparties autour du cratère d'origine, mais seulement dans un secteur limité. Les tectites sont donc des éjectas, éjectés fondus, à grande vitesse et de manière unidirectionnelle lors d'un impact arrivant sans doute très obliquement. On ne connaît pas le cratère à l'origine du plus vaste champ de tectites, celui qui s'étend du Sud de la Chine à l'Australie.
Les macro-tectites ont souvent des formes étranges, inhabituelles pour des roches trouvées dans la nature : sphère, ellipsoïde, haltère ou diabolo, poires ou larme, disque renflé sur ses bords… Ces formes sont dues à l'histoire balistique de ces gouttes de silicates fondus éjectées à grande vitesse du cratère. Un astéroïde arrivant au sol avec une vitesse qui peut atteindre 20 km/s peut sans problème éjecter des débris à une vitesse de plusieurs km/s. Ces éjectas empruntent alors une trajectoire balistique (en forme théorique de parabole si on néglige les effets atmosphériques) et peuvent retomber à des centaines ou à des milliers de kilomètres de l'impact (il y a 300 km entre le cratère du Ries et la ville de Týn nad Vltavou). C'est une vitesse et une trajectoire de ce type qu'il faut communiquer aux missiles balistiques si on veut qu'ils atteignent une cible lointaine. Cette trajectoire peut être divisée en trois secteurs entre le cratère et le point de chute : (1) la traversée montante de l'atmosphère, (2) une trajectoire dans la très haute atmosphère et/ou dans le vide spatial, (3) la traversée descendante de l'atmosphère.
C'est en parcourant cette trajectoire que les tectites acquièrent leur forme, sachant que cette trajectoire commence sous forme d'un liquide (sans doute très visqueux) et se termine après sa solidification, que certaines des masses liquides éjectées sont sans doute animées d'une rotations rapide sur elles-mêmes, que la solidification peut avoir lieu n'importe où sur la trajectoire, et qu'il peut y avoir de multiples fragmentations (à l'état liquide ou solide) durant ce trajet. La complexité de ce qui peut se produire sur la trajectoire explique la variété des formes. Pendant la première phase atmosphérique, la forme est donnée par l'interférence entre les forces de cohésion visqueuse, les forces centrifuges (en cas de rotation) et l'aérodynamisme (force de frottement et résistance à l'avancement). Pendant le trajet dans la très haute atmosphère et le vide spatial, seules interviennent des forces de cohésion visqueuse (type tension superficielle) et les forces centrifuges en cas de rotation. Pendant la troisième phase, atmosphérique, si la solidification a déjà eu lieu, l'aérodynamisme intervient seul avec ses frottements, sa fusion superficielle et l'ablation dues aux frottements… Si la solidification totale n'a pas encore eu lieu, toutes les autres forces s'ajoutent à ces deux dernières.
Nous vous montrons ci-dessous quelques échantillons représentatifs des formes les plus courantes rencontrées avec les tectites.
Souvent, on associe le verre libyque aux tectites. Cette association n'est pas dénuée de fondement puisque le verre libyque est manifestement issu d'une fusion due à un impact. Mais aucun échantillon de verre libyque ne montre ces formes caractéristiques acquises sur une trajectoire balistique. Le verre libyque est resté en place, et n'est donc pas une tectite sensu stricto (cf. Le verre libyque, une impactite égyptienne d'origine cométaire ?).
Les tectites sont faites d'une matière inhabituelle (un verre) et ont des formes étranges ; on les trouve mélangées à des sables, graviers ou autres roches banales. Il n'en fallait pas plus pour que les habitants des champs de tectites attribuent à ces roches une origine "surnaturelle" et des pouvoirs magiques. Ce qui était compréhensible pour les temps anciens existe encore dans la France du XXIème siècle. Il suffit de taper tectite dans un moteur de recherche sur internet, et on s'aperçoit que la majorité des articles proposés parlent de lithothérapie, d'ésotérisme et autres superstitions. L'école est gratuite et obligatoire en France depuis 1882. Depuis 130 ans, les enseignants que nous sommes ont, entre autres, pour tâche de montrer aux jeunes Français ce que sont la raison, l'esprit critique et la rigueur intellectuelle. S'il y a tant de marchands et d'officines qui profitent de la crédulité publique, c'est que « ça marche » pour un nombre non négligeable de Français ! Cela atteste de l'échec (au moins partiel) de l'Éducation Nationale dans l'apprentissage de l'esprit critique et de la raison à la totalité des jeunes Français.