Article | 15/09/2005
Encelade, le plus surprenant des satellites de Saturne : résultats du survol du 14 juillet 2005
15/09/2005
Résumé
Sonde Cassini, juillet 2005 : la surface tourmentée d'Encelade, une source de chaleur au pôle Sud, datation des structures nommées "rayures de tigre" à partir de données sur la structure de la glace, une atmosphère riche en vapeur d'eau actuellement localisée au pôle Sud, modèles d'activité d'Encelade.
Table des matières
Les problèmes posés par Encelade
Encelade est un des sept satellites majeurs de Saturne. Ce n'est que le sixième satellite par la taille après Titan (5550 km de diamètre), Rhéa (1530 km), Japet (1440 km), Dioné (1120 km) et Téthys (1050 km). Le diamètre d'Encelade n'est que de 500 km (figure 1) et il n'y a que Mimas comme satellite sphériques d'un diamètre inférieur (390 km). Tous les autres satellites sont tellement petits qu'ils ne sont même pas sphériques.
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute
La densité d'Encelade est comprise entre 1,1 et 1,2.
La surface est extrêmement claire, et presque entièrement dépourvue de silicates.
Si l'on suppose qu'Encelade est composé d'un mélange eau gelée ( ρ = 1) et de silicates (ρ = 3), il faut environ 10% du volume en silicates et 90% en eau pour que la densité globale soit de 1,1-1,2. Si on suppose qu'Encelade est différencié, cela implique qu'il existe un noyau silicaté au centre, représentant 10% du volume, c'est à dire racine cubique de 10% soit 45 % du rayon (115 km), recouvert d'une couche d'eau (+ ou – gelée et impure) représentant 55% du rayon (135 km).
La gravité à la surface d'Encelade est extrêmement faible (6/1000 de la gravité terrestre).
La température superficielle est voisine de –200°C (73K).
On sait depuis les missions Voyager (1981) et cela a été confirmé par les deux survols déjà effectués par Cassini (17 février et 9 mars 2005) qu'Encelade a une géologie extrêmement complexe, "délirante", insoupçonnée et difficilement explicable pour un objet d'aussi petite taille (figures 2 et 3).
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute | Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute |
Encelade est situé au sein de l'anneau E (figure 4), là où la densité de matière est maximale au sein de cet anneau ténu. Cette coïncidence a été interprétée comme le résultat d'une perte de "poussières" glacées (volcanisme ?) récentes d'Encelade.
Source - © 2005 NASA/JPL
La présence d'une atmosphère très ténue a été indirectement déduite des observations magnétiques de février et mars 2005. Une telle atmosphère ne peut pas perdurer sur un corps aussi petit et à aussi faible gravité. Si elle est présente aujourd'hui, c'est qu'elle est récente et n'a pas encore eu le temps de s'échapper dans l'espace. Aucune autre donnée, mises à part les données magnétiques, ne montrait l'existence de cette atmosphère.
On peut avoir plus de détails sur ces données "anciennes" en consultant les anciens articles de Planet-Terre, du plus ancien au plus récent : survols de 1981 (Voyager), survol de février 2005, survol de mars 2005
La trajectoire complexe de Cassini, dont le but principal est d'effectuer 40 survols rapprochés de Titan prévoyait un survol d'Encelade le 14 juillet 2005, à 1000 km d'altitude. En raison de l'intérêt majeur de ce satellite, et en particulier à cause de la possible présence d'une atmosphère ténue, la trajectoire a été déviée et reprogrammée, et le survol s'est fait à seulement 175 km d'altitude. Quels sont les principaux résultats de ce rase-motte ?
Les résultats obtenus par la caméra haute résolution
La trajectoire de Cassini l'a amené à survoler Encelade par le pôle Sud. La NASA a publié une série d'images qui correspondent en fait à une série de zooms photographiés de plus en plus près ( figures 5, 6, 7, 8).
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute | Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute |
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute | Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute |
Aux résolutions moyennes (encadré vert) on voit bien ces "rayures de tigre". A haute résolution (encadré rose), on voit bien la surface très tourmentée (tectonique ?) d'Encelade. A très haute résolution (encadré bleu), la morphologie de surface est dominée par des blocs de taille comprise entre 10 et 100 m (la taille d'immeubles d'habitation). L'origine de cette morphologie est pour l'instant parfaitement énigmatique. Aucun cratère n'étant visible dans cette région, cela signifie que ces terrains sont extrêmement jeunes.
D'autres belles images ont été obtenues lors de ce survol, confirmant l'extraordinaire complexité de la surface d'Encelade, complexité résultant de phénomènes (tectoniques, magmatiques ou ...) difficiles à comprendre (figures 9, 10)
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute (droite)
Source - © 2005 NASA/JPL/SSI sur astroarts.org
Mais outre ces images d'une résolution inégalée, ce troisième survol a permis de compléter la couverture d'Encelade, dont on commence à connaître une part notable de la surface.
La NASA a réalisé une carte tectonique préliminaire (figure 11). La géométrie des déformations, au moins les plus récentes et des plus visibles d'entres elles est très particulière : les structures présentent une symétrie par rapport à la direction N-S (l'axe de rotation d'Encelade) et par rapport aux méridiens O et 180° (l'axe du bourrelet des marées). Cela suggère que rotation d'Encelade sur lui-même et marées interviennent d'une façon ou d'une autre dans la genèse de ces structures.
L'activité "thermique" actuelle d'Encelade
Lors du survol de juillet 2005, le spectromètre infra-rouge a permis de mesurer la température superficielle d'Encelade au niveau de sa face éclairée par le soleil et de la comparer au modèle théorique . En effet, si la température superficielle ne dépendait que de l'éclairement solaire, c'est là où le soleil est au zénith qu'il fait le plus chaud et là où l'éclairage est rasant qu'il fait le plus froid. En particulier, l'éclairage est rasant au niveau du pôle Sud et la température au pôle Sud devrait être de 70°K (-203°C), contre 80°K (-193°C) là où le soleil est au zénith. La réalité observée est tout autre (figure 12) : c'est au niveau du pôle Sud qu'il fait le plus chaud : 85°K (-188°C). Il y a donc une autre source de chaleur que le Soleil près du pôle Sud.
En utilisant le spectromètre IR au maximum de sa résolution spatiale, on peut localiser avec une précision d'une dizaine de kilomètres la localisation des sources de chaleur : celles-ci se situent au niveau des "rayures de tigre" (figure13).
Source - © 2005 NASA/JPL/GSFC/Space Science Instute
L'âge des rayures du tigre
Les divers instruments de Cassini, en particulier le spectromètre IR travaillant aux environs de 2 mètres permettent de distinguer la cristallinité de la glace. La glace "habituelle" est une substance cristallisée. Et quand on condense en glace de l'eau liquide ou de la vapeur d'eau, il se forme de la glace cristalline. Mais à très basse température et sous l'action de radiations comme les UV solaires, le rayonnement cosmique… cette glace cristalline se transforme superficiellement en glace amorphe, et ce en quelques dizaines d'années. L'essentiel de la surface d'Encelade est principalement en glace amorphe, ce qui est conforme aux prévisions. Par contre, au niveau des rayures de tigres du pôle Sud, la glace est cristalline (figure 14), ce qui montre qu'elle n'a pas encore eu le temps de s'amorphiser. Cette glace a donc été "fabriquée" il y a moins de quelques dizaines d'années. Il y a donc eu, au niveau des rayures de tigre, soit arrivée d'eau liquide (qui a gelé) soit arrivée de vapeur, qui s'est condensée en givre.
Source - © 2005 NASA/JPL/Univ. Arizona
La présence d'une atmosphère et sa localisation
La présence d'une atmosphère a été prouvée par des expériences d'occultation d'étoile. Si l'on vise une étoile et que l'on mesure sa luminosité, et si la trajectoire de la sonde amène cette étoile à passer derrière Encelade, la mesure de la variation de la luminosité de l'étoile indiquera la présence ou l'absence d'une atmosphère. Si la luminosité de l'étoile cesse brusquement lorsque l'étoile passe derrière Encelade, alors il n'y a pas d'atmosphère. À l'opposé, si avant la disparition de l'étoile derrière Encelade il y a une atténuation progressive, même légère, de la luminosité de l'étoile, c'est qu'il y a une atmosphère. La situation est bien sur symétrique lorsque l'étoile ressort de derrière Encelade. Et ce 14 juillet 2005, en visant l'étoile Gamma Orionis, Cassini a noté une légère atténuation de la luminosité de l'étoile au voisinage d'Encelade (figure 15). Encelade a bien une atmosphère.
Source - © 2005 NASA/JPL/Univ. Colorado
Une expérience similaire avait été faite quelques jours avant, le 11 juillet, avec l'étoile Bellatrix, l'occultation ayant lieu au dessus du pôle Sud, la région chaude et jeune d'Encelade. La diminution progressive de la luminosité était très apparente. En février 2005, une occultation similaire avec l'étoile Lambda Scorpius, mais qui disparaissait derrière l'équateur d'Encelade n'avait donné qu'une interruption brutale, sans atténuation (figure 16). Soit l'atmosphère n'existait pas en février, ce qui est contraire aux données magnétiques, soit l'atmosphère n'est présente qu'au dessus du pôle Sud.
Source - © 2005 NASA/JPL/Univ. Colorado/Space Science Institute
Le spectre UV de la lumière de l'étoile traversant l'atmosphère indique qu'elle est principalement faite de vapeur d'eau. La présence et la localisation de cette atmosphère furent confirmées par l'étude du champ magnétique.
Source - © 2005 NASA/JPL
La figure 18 montre la carte de la trajectoire de Cassini au dessus du pôle Sud.
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute
En survolant au plus près le pôle Sud et pour analyser la possible atmosphère (qui n'a été formellement détectée que par l'analyse des données, quelques jours après le survol) Cassini a utilisé son spectromètre de masse (INMS = Ion Neutral Mass Spectrometer) et son analyseur de poussière (CDA = Cosmic Dust Analyzer). Le premier détecteur a détécté de la vapeur d'eau et le deuxième de très fines particules, très vraisemblablement de la poussière de givre d'H2O. La présence maximale de vapeur et de micro-cristaux de givre d'H2O ne se situait pas au niveau du point le plus rapproché de la surface, mais entre ce point et la zone chaude du pôle Sud, suggérant bien que vapeur et micro-cristaux de givre en suspension provenaient bien du pôle Sud.
Source - © 2005 NASA/JPL/University of Michigan/Max Planck Institute
Les modèles d'activité d'Encelade
Si on résume ces données, ainsi que celles des survols de février et de mars 2005, on peut dire que :
- Certains secteurs d'Encelade sont totalement dépourvus de cratères d'impact : un phénomène de renouvellement de la surface a donc eu lieu jusqu'à une époque très récente. C'est au pôle Sud qu'on trouve les terrains les plus jeunes.
- Les terrains jeunes comme plus anciens montrent des signes de déformations très complexes et extrêmement variées, parfois de type cassant (faille, fracture, rift …) parfois de type ductile (rides, structures de fluage…).
- Des morphologie en "chaîne de cratères" suggère l'existence d'appareil volcanique (volcanisme d'H2O = cryo-volcanisme).
- Au niveau du pôle Sud, il existe des zones dont la température est actuellement anormalement chaude.
- Ces zones anormalement chaudes sont jeunes à échelle humaine (moins âgées que quelques dizaines d'années).
- Ces zones chaudes et très jeunes "émettent" actuellement une atmosphère riche en vapeur d'eau, localisée au dessus du pôle et qui se condense en une suspension de micro-cristaux de glace.
Encelade est donc, avec la Terre, Io et Triton (satellite de Neptune) un des rares corps du système solaire sur lequel on a observé une activité "volcanique" active (Vénus, bien que très probablement actif, n'a jamais montré des signes d'activité visible, comme des panaches de fumée ou l'allongement d'une coulée de lave, pendant les deux années de son survol par Magellan) .
Il se pose alors le problème (1) de la source d'énergie déclenchant cette activité, et (2) les modalités de cette activité, qui implique la présence de liquide pour expliquer le magmatisme.
Si la glace d'Encelade est faite d'eau pure, il faut chauffer l'intérieur d'Encelade à plus de 0°C. Si la glace est faite d'eau "salée", chauffer à –20°C suffit. Si il s'agit de glace ammoniaquée, la fusion partielle peut débuter à –100°C. Le mélange H2O-NH3 présente en effet un eutectique, dont la température de fusion est de –100°C (à la pression atmosphérique). La composition de cet eutectique est d'1/3 d'NH3 pour 2/3 d'H2O
Mais comment chauffer un aussi petit corps, même à –100°C ?
La radioactivité des silicates n'y suffit pas. La seule possibilité serait l'existence d' interactions gravitaires - semblables à celles qui génèrent les marées - avec les autres satellites. Ces interactions déformeraient Encelade et créeraient une friction interne et donc une source de chaleur. C'est ce qui se passe pour Io, satellite de Jupiter et qui est facilement quantifiable. Pour Encelade, pour l'instant, dans l'état actuel des modèles, cette énergie marémotrice semble insuffisante. Et pourtant … Et pourquoi Encelade est il le seul "moyen" satellite à avoir cette activité débordante. Ces deux voisins immédiats (Mimas et Téthys), qui seraient la source des perturbations gravitaires et qui devraient aussi être déformés ont, dans l'état actuel des connaissances, une activité nulle pour Mimas, très modérée pour Téthys. Et pourquoi cette activité actuelle est maximale au pôle Sud ?
Quant aux modalités de l'activité magmatique, la NASA propose deux modèles, non contradictoires et non incompatibles, qui peuvent avoir lieu simultanément en des lieux différents, ou successivement en un même lieu. Ces modèles impliquent l'existence d'un niveau partiellement liquide (slurry = "gadoue") en profondeur, entre la couche de glace superficielle et les silicates profonds :
- soit il s'agit de l'émission de vapeur traversant la glace (modèle 1)
- soit il s'agit de l'arrivée en surface d'un liquide qui se sublimerait en arrivant dans le vide superficiel.
Il y a donc deux possibilités extrêmes quant à la nature des rayures de tigre :
- soit ce sont des rifts et fossés dont le fond aurait été envahi d'eau liquide il y a quelques dizaines d'années tout au plus, eau liquide qui se sublimerait (la pression atmosphérique est quasi nulle) et gèlerait quasiment instantanément (la température externe est de –200°C) ;
- soit ce sont des failles par où serait sortie beaucoup de vapeur d'eau, qui se serait condensée sous forme de givre dans les environs immédiats.
Tous les intermédiaires sont bien sûr possibles.
La détection de vapeur d'eau au dessus du pôle Sud lors de ce troisième survol montre que sublimation d'eau ou de glace encore "chaude" (hypothèse 1) ou émission active de vapeur (hypothèse 2) étaient "fonctionnelles" ce 14 juillet 2005.
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute | Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute |
Quoi qu'il en soit, Encelade, modeste satellite de Saturne révèle bien des surprises et soulève bien des questions. La nature réelle est souvent bien plus complexe que ne le prévoient théories et modèles. Attendons que la NASA publie les résultats de l'analyse de l'atmosphère (autre qu'H2O) si elle a pu en obtenir. La quantification de la présence de l'ammoniac serait capitale pour confirmer (ou infirmer) ces modèles.
Le trajet de Cassini, programmé jusqu'en mai 2008, prévoit encore un survol d'Encelade, le 12 mars 2008. Attendons cette date avec impatience. Mais peut-être la trajectoire sera t-elle modifiée pour avoir d'autres survols d'Encelade, ou la mission prolongée, si Cassini fonctionne encore bien après mai 2008.
Dans les semaines qui viennent, nous ferons un article sur les résultats de l'été (autres que ceux d'Encelade), résultats concernant Saturne, ses anneaux, Titan, Mimas…