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Article | 28/06/2004

Cassini-Huygens approche de Saturne : buts scientifiques de la mission et état des connaissances sur Saturne et ses satellites

28/06/2004

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire des Sciences de la Terre

Emmanuelle Cecchi

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Les sondes américaine et européenne Cassini et Huygens, lancées le 15 octobre 1997, s'apprêtent à se satelliser autour de Saturne. Objectifs de la mission et principales connaissances actuelles sur les satellites de Saturne, l'un des objets d'étude prévu de la mission.


Mars a tenu la vedette cette première moitié de 2004. Mais Mars va devoir partager les honneurs avec Saturne et ses satellites pour les mois et les années qui viennent. En effet, la mission américano-européenne Cassini-Huygens devrait se satelliser autour de Saturne le 1ier juillet prochain, et travailler là bas plusieurs années, si tout se passe bien.

Photographie de Saturne (d = 120 000 km) et de ses anneaux, prise par Cassini le 27 mars 2004

Figure 1. Photographie de Saturne (d = 120 000 km) et de ses anneaux, prise par Cassini le 27 mars 2004

La sonde aborde le système saturnien par le pôle Sud. Elle se placera d'abord en orbite très elliptique (et inclinée par rapport au plan de l'équateur saturnien, plan qui est confondu avec celui des anneaux et des satellites), orbite qui sera ajustée progressivement pour optimiser les rendez-vous avec les satellites.


Introduction sur la mission Cassini-Huygens

Les noms de Cassini et de Huygens sont les noms de deux grands astronomes du 17ème siècle, pionniers de l'exploration de Saturne.

La sonde a été lancée le 15 octobre 1997 (Figure 2). Elle comprend 2 vaisseaux, attachés ensemble jusqu'au 25 décembre 2004 : la sonde Cassini qui restera en orbite autour de Saturne, dont la NASA est maîtresse d'ouvrage, et le module Huygens qui devrait se poser sur Titan en janvier et dont l'ESA (Agence Spatiale Européenne) a la maîtrise d'œuvre. L'ensemble pèse plus de 6 tonnes (Figure 3).

La sonde a parcouru un long et complexe voyage; elle est plusieurs fois passée à proximité de Vénus, la Lune, la Terre et Jupiter (Figure 4).

Jupiter (d = 142 800 km) photographié par Cassini le 6 décembre 2000

Figure 4. Jupiter (d = 142 800 km) photographié par Cassini le 6 décembre 2000

Au premier plan, en bas à droite, Ganymède (d = 5262 km)


Utilisant l'effet de fronde gravitationnelle, elle a pu, à chaque survol, augmenter sa vitesse et se diriger vers le lointain système saturnien. Elle va arriver vers Saturne du côté sud par rapport au plan des anneaux, franchira le plan des anneaux entre l'anneau F et l'anneau G, survolera saturne à 18 000 km, 5 fois plus près que ne l'on fait les sondes Voyager (voir une animation sur le trajet de Cassini-Huygens). C'est pendant ce survol, dans la nuit du 30 juin au 1er juillet à 2h36 TU que sera allumé le moteur principal de la sonde. Celle-ci sera alors freinée, et s'insérera sur une orbite très elliptique autour de Saturne. Le 3 juillet, la sonde survolera Titan. Puis, progressivement, une série d'allumages des moteurs ajustera l'orbite de la sonde afin d'optimiser les survols des satellites et le largage de Huygens sur Titan 6 mois plus tard.

Il est prévu que Cassini effectue au moins 74 orbites, et étudie avec 12 instruments l'ensemble du système saturnien. En particulier, 44 survols rapprochés de Titan sont prévus (dont 3 avant l'atterrissage de Huygens, les 3 juillet, 26 octobre et 13 décembre), ainsi que de nombreux survols des autres satellites. Cassini est alimenté en énergie par un petit réacteur nucléaire. Huygens va se séparer de Cassini le 25 décembre 2004; il rentrera dans l'atmosphère de Titan le 14 janvier et tentera de la traverser lentement, puis de se poser en douceur sur la surface. Il possède six instruments scientifiques. Huygens n'est alimenté en énergie que par des batteries.

Cassini a déjà commencé à photographier et étudier Saturne, ses anneaux, sa haute atmosphère durant son approche (voir par exemple figures 5a, 5b et 6) et vient de passer à moins de 10 000 km de son plus lointain satellite, Phoebé (figure 7).

Saturne et de ses anneaux photographiés par Cassini

Figure 5. Saturne et de ses anneaux photographiés par Cassini

Sur la photographie (a), on voit très bien l'ombre de Saturne sur les anneaux. Sur la photographie (b), on devine l'ombre des anneaux sur Saturne (ombre faible car les anneaux sont très minces). On devine également le globe de Saturne à travers les anneaux.


Détail de la surface nuageuse de Saturne

Figure 6. Détail de la surface nuageuse de Saturne

Le pôle Sud est parfaitement visible, ainsi que les anneaux à l'arrière plan.



Voir aussi le dossier sur la géologie Phoebé.

Les images de Cassini fournies par la NASA sont consultables sur : http://photojournal.jpl.nasa.gov/mission/Cassini.

Quels sont les buts scientifiques de la Mission?

Ce que l'on sait aujourd'hui du système saturnien vient bien sûr des observations astronomiques qui ont commencé en 1610 (Galilée), mais provient essentiellement des missions américaines Voyager 1 et 2 qui ont survolé Saturne en 1980 et 1981.

Saturne est la deuxième planète du système solaire par sa taille. Elle possède le plus beau et le plus complexe système d'anneaux. Elle a 18 satellites principaux (et une douzaine de tout petits satellites, de quelques kilomètres de "diamètre"), dont un satellite exceptionnel, Titan, qui a une taille supérieure à celle de la Lune et qui est le seul satellite du système solaire à posséder une atmosphère dense.

La sonde Cassini-Hyugens va donc étudier :

  1. l'environnement de Saturne (magnétosphère …),
  2. sa haute atmosphère avec ses nuages, ses courants et ses tempêtes, sa chimie …,
  3. les caractéristiques physiques de Saturne (moment d'inertie, aplatissement …),
  4. ses anneaux,
  5. ses petits et " moyens " satellites glacés,
  6. Titan.

Pour nous géologues, ce seront les objectifs 5 et 6 (les satellites, dont Titan) qui seront les plus intéressants.

Que sait-on, avant l'arrivée de Cassini-Huygens, sur les satellites de Saturne, et quels sont les problèmes en suspens?

On connaît 18 satellites principaux, que l'on peut classer en 5 classes.

Première classe : les satellites "proches"

Ils sont de forme souvent non sphérique, ont moins de 300 km de diamètre (ou de grand axe quand ils ne sont pas sphériques) et orbitent à moins de 150 000 km de Saturne, parfois même à l'intérieur des anneaux comme Pan, ou juste à leurs bords. Ce sont Pan, Atlas, Prométhée, Pandore, Epiméthée et Janus (Figures 8, 9, 10, 11, 12). Ce sont de "petits" blocs de glace, connus pour l'instant avec une mauvaise résolution.


Figure 9. Anneaux externes de Saturne, Prométhée, Pandore et Epiméthée

Photographie Cassini du 24 mai 2004. Prométhée (d = 102 km, Pandore est située de part et d'autre du fin anneau F. Son diamètre est de 84 km. Epiméthée est visible en haut à gauche assez loin du bord des anneaux. Son diamètre est de 116 km.


Les figures suivantes sont des photographies des satellites proches de Saturne, Prométhée, Epiméthée et Janus.



Figure 12. Janus, satellite proche de Saturne

Diamètre de 220 km. Photographie Voyager.


Deuxième classe

Ils ressemblent à ceux de la 1ère classe (forme souvent non sphérique, moins de 300 km de diamètre ou grand axe), mais leur distance à Saturne est comprise entre 180 000 et 4 000 000 de km) et sont parfois des "lagrangiens" de plus gros satellites. Ce sont Telesto et Calypso (sur la même orbite que Téthys), Hélène sur la même orbite que Dioné, et Hypérion. Ce sont eux aussi de "petits" blocs de glace, connus avec une mauvaise résolution.

Troisième classe : Mimas, Encelade, Téthys, Dioné, Rhéa, et Japet sont six satellites de taille "moyenne"

Ils ont une forme sphérique et un diamètre compris entre 400 et 1600 km. Ils ont une densité comprise entre 1 et 1,4 g/cm3. Ils sont en orbite autour de Saturne à une distance comprise entre 180 000 et 4 000 000 km. Ce sont des sphères de glaces plus ou moins mélangées à un peu de silicates et de fer. Leur activité géologique semble faible ou modérée pour Mimas, Rhéa et Japet (figures 15a,15b, 19, 20), très forte pour Encelade (figure 16), ou intermédiaire pour Dioné et Téthys (figures 17 et 18). Déterminer les détails, les modalités et les causes de ces activités géologiques modérées ou même fortes sur de si petits satellites sera un des buts de Cassini.

Les deux faces de Mimas (d = 392 km, masse volumique de 1,2 g.cm-3), satellite de Saturne, vues par Voyager 1 en novembre 1980

Figure 15. Les deux faces de Mimas (d = 392 km, masse volumique de 1,2 g.cm-3), satellite de Saturne, vues par Voyager 1 en novembre 1980

(a)Paysage uniformément cratérisé, avec des "fosses" énigmatiques (chasma) qui traversent la planète ("en diagonale" sur l'image). (b)Cratère Herschel : énorme cratère de 120 km de diamètre. La grande profondeur de ce cratère (relativement au diamètre de la planète) montre que les réajustements "isostatiques" ont été très faibles, et que la surface de Mimas ne suit pas le "géoïde". Cela est dû à la petite taille et à la très faible gravité régnant sur ce corps.


Encelade (d = 500 km, masse volumique de 1,1 g.cm-3) est le plus mystérieux de ces satellites de taille moyenne ; il a été survolé par le seul Voyager 2. Il est aussi petit que Mimas, mais s'il présente certaines parties de sa surface très cratérisées, d'autres parties ne sont absolument pas cratérisées et montrent des signes évidents d'une activité géologique très récente. L'absence de tout cratère sur les parties les plus jeunes montre que du matériel profond est très récemment arrivé en surface, en la renouvelant complètement à certains endroits. Cette arrivée de matériel profond (sous forme d'eau liquide, de glace ductile ?) constitue une sorte de volcanisme. Encelade tourne autour de Saturne au sein d'un anneau excessivement ténu, l'anneau E, anneau qui serait alimenté en permanence par les éruptions volcaniques actuelles (ou sub-actuelles) d'Encelade. Cassini assistera-t-il à des éruptions ? Il y a d'ailleurs une querelle de vocabulaire : comment appeler ce magmatisme d'eau (plus ou moins gelée) sur un corps de glace ? S'agit-il de volcans, de geysers,… Laissons cette querelle sémantique à ceux qui n'ont rien d'autre à dire. En effet, on ne connaît pas l'origine de l'énergie qui maintient actif un corps si petit, et c'est là un problème infiniment plus important.

Encelade, Satellite de Saturne

Téthys (d = 1060 km, masse volumique de 1 g.cm-3) a été survolé par les 2 sondes Voyager 1 et 2. La première photographie montre un énorme cratère (nommé Odysseus) de 400 km de diamètre. La surface du fond de ce cratère suit approximativement la forme de la sphère (le géoïde). Cette différence avec Mimas vient sans doute de sa gravité plus forte. La 2ème photographie montre l'autre côté de Téthys, très cratérisé, et parcouru par une immense "vallée" (Ithaca chasma) de plus de 2000 km de long, 100 km de large et plusieurs kilomètres de profondeur. Cette vallée "barre" les 3/4 de la planète. Cette fracture serait due à une conséquence indirecte de l'impact d'Odysseus, mais rien n'est moins sûr.

Figure 17. Téthys, satellite de Saturne

(a)Odysseus, un cratère de 400 km de diamètre à la surface de Téthys, satellite de Saturne. Photographie prise par Voyager 2. (b)Face très cratérisée de Téthys, et parcourue par une immense vallée de plus de 2000 km de long et 100 km de large.


Dioné (d = 1120 km, masse volumique de 1,4 g.cm-3) a été survolé par Voyager 1. La surface est moyennement cratérisée (comparée à Mimas ou à Rhéa), donc d'un âge intermédiaire. Pourquoi ? Une grande "craquelure" d'origine inconnue (Latium chasma) est visible en bas de la figure suivante.

Dioné, satellite de Saturne

Rhéa (d = 1530 km, masse volumique de 1,3 g.cm-3) est le plus gros des satellites intermédiaires (figure 19). Bien que ce soit le plus gros, c'est l'un de ceux qui a la surface la plus cratérisée, donc l'activité géologique la plus faible. Pourquoi ?


Japet (d = 1460 km, masse volumique de 1,2 g.cm-3) est le plus lointain des satellites intermédiaires. L'une de ses particularités géologiques est sa "bimodalité" de couleur : il possède une face claire (visible sur la majorité de la figure 20) et une face très sombre (en bas à gauche). L'origine et la nature de ce matériel sombre (vraisemblablement riche en carbone) ne sont pas bien comprise, ni pourquoi il n'occupe que la moitié de Japet, ni pourquoi la limite entre les parties claires et sombres est si nette .

Face claire de Japet, le plus lointain des satellites intermédiaires de Saturne

Figure 20. Face claire de Japet, le plus lointain des satellites intermédiaires de Saturne

La face sombre de Japet est visible en bas à gauche.


Quatrième classe : un petit satellite très lointain, Phœbé

Il s'agit d'un petit satellite (diamètre de 220 km), mais situé à une très grande distance de Saturne (13 000 000 km, soit 4 fois plus loin que le plus lointain des autres satellites, Japet) et ayant une orbite rétrograde. En effet, il tourne autour de Saturne dans un sens opposé à celui de tous les autres satellites. Cela indique vraisemblablement que ce n'est pas un satellite co-génétique du système saturnien, mais un objet glacé venu des confins du système solaire (ceinture de Kuiper, de Oort ?) et capturé par la gravité saturnienne.

Avant Cassini, on ne connaissait pas grand chose de Phœbé, si ce n'est qu'il était très sombre, comme l'une des faces de Japet (figure 21a). Avec les images de Cassini prises les 12, 13 et 14 juin 2004 , cette tache floue devient un vrai monde (figure 21b).

Phœbé, satellite lointain de Saturne

Figure 21. Phœbé, satellite lointain de Saturne

(a) Image de Phœbé prise avant Cassini. (b)Phœbé vu par Cassini.


Pour plus de détails, voir l'article consacré à Phœbé, écrit le 25 juin 2004 avec les premiers résultats communiqués par la NASA.

Cinquième classe : un gros satellite, Titan

Pour l'instant, les images Voyager de Titan sont décevantes, car Titan est entièrement recouvert de nuages, sans contraste de couleur, et semble uniformément orangé. La figure 22 montre une face de Titan quand elle est entièrement éclairée par le soleil (coté jour). La figure 23 montre à l'opposé la partie "nuit" de Titan, avec seulement un fin croissant de la haute atmosphère éclairé par le soleil.

Titan, gros satellite de Saturne

Figure 22. Titan, gros satellite de Saturne

Face de Titan entièrement éclairée par le Soleil.


Face "nuit" de Titan, satellite de Saturne

Figure 23. Face "nuit" de Titan, satellite de Saturne

Sur cette phjotographie, seul un fin croissant de haute atmosphère est éclairé par le Soleil.


Titan a un diamètre de 5150 km (Lune 3476 km), ce qui en fait le deuxième plus gros satellite du système solaire (après Ganymède). Il est plus gros que la planète Mercure. Son orbite est située entre celle de Rhéa et celle de Japet. Sa masse volumique est de 1,9 g.cm-3. Sa gravité superficielle est de 1,37 m.s-2 (Terre 9,81 m.s-2, Lune 1,57 m.s-2), la vitesse de libération est de 2,7 km.s-1 (Terre 11, 2 km.s-1, Lune 2,4 mm.s-1). La température superficielle est voisine de 90/95°K (-183/-178 °C). Sa densité globale suggère fortement que Titan est composé d'un mélange de 60% de glaces et de 40% de silicates+fer.

Titan possède une atmosphère (pression au sol de 1600 hPa soit 1,6 atmosphères). Pour un corps solide, cette atmosphère est la deuxième du système solaire, plus faible que celle de Vénus, certes, mais plus dense que celle de la Terre. Cette atmosphère est constituée principalement de N2 (environ 87%), d'Ar (environ 10%) et de CH4 (environ 3%), avec des traces d'éthane (C2H6), de propane et autres hydrocarbures, d'acide cyanhydrique (HCN). L'analyse précise de cette atmosphère va être effectuée in situ par Huygens en janvier prochain.

Titan et son atmosphère permettent de mieux cerner pourquoi certains corps ont ou n'ont pas d'atmosphère. En comparant Titan à la Terre et à la Lune, on peut séparer le rôle de la gravité superficielle (et de la vitesse de libération) et celui de la température (et de la vitesse d'agitation des molécules). La Terre et la Lune sont à la même distance du Soleil et ont la même température assez élevée (à l'effet de serre près). Dans ce cas (température élevée identique et voisine de 0°C), c'est la gravité qui impose sa loi : sur la Terre avec une forte gravité, l'atmosphère est restée ; sur la Lune avec une faible gravité, elle s'est échappée. La Lune et Titan ont approximativement la même gravité superficielle (et la même vitesse de libération), mais n'ont pas la même température. Avec un g voisin de 1,4 m.s-2, la (relativement) forte température de la Lune a entraîné l'échappement de toute l'atmosphère; avec quasiment le même g, la faible température de Titan (-180°C) à permis à Titan de garder son atmosphère.

Titan est en permanence recouvert de nuages, qui masquent complètement sa surface. Ces nuages sont vraisemblablement constitués d'aérosols (fines gouttelettes) d'hydrocarbures. D'après les données Voyager, ces hydrocarbures proviennent probablement de réactions photochimiques complexes et mettant en jeu des composés carbonés et carbono-azotés provenant de la photolyse du méthane et de composés azotés (HCN) par les UV solaires. Cette photolyse est suivie de la recombinaison des radicaux libres, avec des réactions du type : 2 CH4 + photons UV → 2 CH3• + 2H• → C2H6 + H2 (réaction 1) C2H6+ CH4 + photons UV → C2H5• + CH3• + 2H• → C3H8 + H2 …

La figure 24 montre une vue rasante de cette atmosphère prise par Voyager 1. La coupe de la figure 25, calée sur l'image précédente, montre un modèle actuel (modèle post-Voyager, mais anté-Huygens) de ce que l'on pense de l'évolution de la pression et de la température en fonction de l'altitude ; elle montre aussi la composition de cette atmosphère, la localisation des brumes (haze) et des nuages, et les réactions qui s'y produiraient.

Ces modèles obtenus d'après les données Voyager indiquent en particulier l'existence de nuages de méthane vers 20 km d'altitude, avec la possibilité que des pluies de méthane et/ou d'éthane s'en échappent. Vues la pression, la température et la composition de l'atmosphère, il est possible (mais non certain) que ces pluies puissent atteindre le sol, et que des lacs ou des mers de méthane et/ou d'éthane existent, au moins dans les hautes latitudes. La figure 26 montre une vue d'artiste de ce que pourrait découvrir Huygens juste avant son atterrissage. Ce n'est qu'une vue d'artiste, avec une côte et des îles bien (trop sans doute) déchiquetées bordant une mer d'éthane dissous dans du méthane. Pour la beauté de son dessin, l'artiste a minimisé l'opacité des nuages et de l'atmosphère, car les nuages empêchent certainement de voir le globe de Saturne depuis la surface de Titan.

Vue d'artiste de la surface de Titan

Ces réactions chimiques complexes dans l'atmosphère ne sont pas sans rappeler (d'assez loin) les célèbres réactions de Miller, effectuées pour la première fois en 1952 et évoquées à l'époque comme étant à l'origine des molécules pré-biotiques sur Terre. Et comme il y a peut-être des mers ou lacs dans lesquels peuvent tomber les grosses molécules organiques synthétisées dans l'atmosphère, il n'en faut pas plus pour que certains voient en Titan un analogue de la Terre primitive d'il y a 4,4-4,5 Ga. Mais ce n'est qu'un faux et pseudo analogue et la comparaison est trompeuse. Avec sa température de -180°C (la Terre avait T>0°C), avec son atmosphère surtout composée d'N2 et CH4 (la Terre avait une atmosphère primitive riche en CO2, et le CO2 est gelé à -180°C), avec des (possibles) océans de méthane (et non pas d'H2O comme sur Terre), Titan ne ressemble en rien à ce que devait être la Terre il y a 4,5 à 3,8 Ga. Malgré le fait que cette analogie soit trompeuse et beaucoup plus "journalistique" que scientifique, étudier in situ ces réactions est d'un intérêt capital pour comprendre les différents mécanismes de la chimie du carbone dans l'univers.

D'après les données de Voyager, cette chimie complexe a pour origine la destruction photochimique du méthane, la production de molécules complexes et lourdes, et d'H2. L'hydrogène H2, très léger, s'échappe de Titan et Voyager 1 a mesuré cet échappement ; il serait égal à environ 1 kg d'H2 par seconde s'échappant de Titan. Selon la réaction 1, cela correspond à la destruction de 16 kg de méthane par seconde. Y a- t-il vraiment une telle perte d'H2 et une telle destruction de méthane ? C'est ce que cherchera, entres autres, Huygens. Or, s'il y a bien destruction de méthane, il y en a encore dans l'atmosphère, ce qui suppose qu'il existe une source de méthane pour remplacer ce qui est détruit. Laquelle (volcanisme …) ?

Confirmer et préciser (voir infirmer) ces modèles issus de données de plus de 20 ans et étudier cette chimie organique complexe intéresse au plus haut point les scientifiques. Tout cela sera analysé sous toutes les coutures par Huygens pendant que la sonde traversera l'atmosphère, pendue au bout de son parachute. Étudier cette atmosphère pendant les 2h30 à 3h de descente et étudier le sol pendant la phase d'approche seront d'ailleurs les buts principaux de Huygens. En effet, la survie de la sonde après l'atterrissage (ou l'amerrissage) qui se produira à 5 m.s-1 est loin d'être sûr. La sonde est malgré tout prévue pour se poser soit sur un sol dur, soit sur une étendue liquide (elle a des flotteurs). Si la sonde survit à l'atterrissage, elle pourra encore communiquer quelques minutes avec Cassini (qui retransmet les données vers la Terre), mais pas plus, car Cassini se couchera très vite derrière l'horizon de Titan. Quand Cassini repassera au-dessus de Titan, les batteries d'Huygens (non rechargeables par des panneaux solaires si loin du soleil et sous les nuages de Titan) seront mortes depuis longtemps avec la températures de -180°C.

La couverture nuageuse cache complètement la surface de Titan, et on ne sait pas en particulier s'il y a ou non des surfaces liquides, si la surface est plate ou montagneuse, s'il y a ou non des cratères, des traces d'activité interne, des volcans crachant du méthane, des traces d'érosion fluviatiles ou littorales... En observant dans certaines longueurs d'onde précises dans l'IR, longueurs d'onde qui sont relativement peu absorbées par les aérosols d'hydrocarbures et le méthane, on a pu, depuis le télescope spatial Hubble, obtenir des images de la surface avec une très faible résolution. La figure 27 montre 4 photographies prises par Hubble à 4 jours terrestres d'intervalle (en 4 jours terrestres, Titan fit 1/4 de tour sur lui même). Depuis quelques jours, Cassini peut faire la même chose (figure 28) et a ainsi pu établir une carte des basses latitudes. Dans ces 2 "images", on voit des zones réflectives (claires dans l'image de Hubble, rouges dans la carte de Cassini) et d'autres très peu réflectives (sombres sur les images de Hubble, bleues sur la carte de Cassini. À quoi cela correspond-il ? Mais même quand Cassini sera proche de Saturne, la résolution ne sera jamais très bonne, et ne permettra pas de faire de la géologie précise.

Images de la surface de Titan prises par Hubble à plusieurs jours d'intervalle

Figure 27. Images de la surface de Titan prises par Hubble à plusieurs jours d'intervalle

Les photographies sont prises à 4 jours terrestres d'intervalle et basées sur l'observation de certaines longueurs d'onde dans l'IR. Titan a fait 1/4 de tour sur lui-même durant ces 4 jours.



C'est pour lever cette incertitude sur la morphologie de la surface de Titan que Cassini est équipé d'un radar imageur (figure 29). À chaque passage rapproché au dessus de Titan (44 sont prévus, dont le premier le 3 juillet), Cassini "imagera" environ 1% de la surface du satellite.


Dans 4 ans, on saura alors à quoi ressemble la surface de Titan, qui est la dernière grande surface inconnue du système solaire (avec celle de Pluton). On saura en particulier s'il y a ou non des mers, une activité géologique, des volcans actifs crachant du méthane…

Mais sans attendre 4 ans, ni même sans attendre le 14 janvier et la descente/atterrissage/amerrissage de Huygens, Titan sera survolé 3 fois. Pendant ces 3 survols, son atmosphère et sa surface seront étudiées pour préparer la descente et l'atterrissage de Huygens, ce qui nous donnera déjà une idée de ce monde inconnu.

Les quelques années qui viennent risquent donc d'être passionnantes, si la mise en orbite se passe bien le 1er juillet, si tous les instruments fonctionnent, si Huygens effectue bien sa descente en douceur le 14 janvier et ne s'écrase pas… Comme pour Mars, Planet-Terre essayera de vous tenir au courant "en direct " pour les principaux résultats géologiques.