Article | 07/12/2005
Volcanisme actif sur Encelade, Japet vu de loin et survol rapproché de Rhéa
07/12/2005
Résumé
La récolte de la mission Cassini continue. Observation d'un volcanisme actif sur Encelade et discussion de son origine. Des images de Japet (vu de loin) et Rhéa (de près), autres satellites de Saturne.
Table des matières
Fin novembre 2005, Cassini a survolé Japet et Encelade de loin, Rhéa de près.
Encelade
On savait depuis 1981 (mission Voyager) qu'Encelade avait eu une activité géologique récente. Les 3 survols d'Encelade par Cassini (février, mars et juillet 2005) ont révélé un monde complexe, avec des surfaces totalement dépourvues de cratères (donc très jeunes), et une activité tectonique très importante, notamment près du pôle Sud.
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute
Survol de juillet 2004 : indices de volcanisme
Résumons en particulier les résultats du survol de juillet 2004 (voir détail dans l'article sur Encelade du 15 septembre 2005). Les études dans l'infra-rouge ont montré que la région du pôle Sud avait une température de 20°C supérieure à celle des régions environnantes (figure 2). Des données IR précises montraient que les zones à haute température étaient localisées près de failles (figure 3).
Source - © 2005 NASA/JPL/GSFC | Source - © 2005 NASA/JPL/GSFC/Space Science Institute |
Des données d'occultation d'étoile indiquaient la présence de dégagement gazeux à l'aplomb du pôle Sud d'Encelade (figure 4).
Source - © 2005 NASA/JPL/University of Colorado/Space Science Institute
Tout laissait donc supposer qu'il y avait un volcanisme (volcanisme d'H2O et éventuellement d'hydrocarbures) actif ou très récent dans la région du pôle Sud. Mais il restait à en avoir la preuve par l'image. C'est chose faite depuis le 27 novembre 2005
Survol de novembre 2005 : preuves du volcanisme par l'image
Durant cette journée du 27 novembre 2005, Cassini qui venait de survoler de près Rhéa a tourné ses caméras en direction d'Encelade, alors éloigné de 145.000 km et qui était en position de contre-jour, au voisinage du Soleil. Encelade apparaissait donc comme un disque noir bordé d'un fin croissant lumineux, un peu comme un premier croissant de Lune. Dans cette configuration, le pôle Sud se trouve en bas à gauche du globe, à peu près au centre du croissant lumineux. Cette observation a révélé de fins jets de matière qui s'élèvent à plus de 200 km au-dessus de la surface d'Encelade.
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute
Si ces jets de matières éclairés "à contre-jour" sont lumineux et se détachent sur le ciel noir, c'est qu'ils diffusent la lumière du Soleil, ce qui implique qu'ils sont constitués de micro-particules, vraisemblablement de givre (glace d'H2O ou d'hydrocarbures).
Il y a donc, au-dessus du pôle Sud, soit émission directe d'eau sous forme de jets (type "geysers") , soit arrivée d'eau en surface, eau qui se sublime rapidement pour donner cette éjection de matière.
La NASA parle des "fontaines d'Encelade".
Un des responsable de la NASA privilégie la première solution et dit ce 6 décembre 2005 (voir le texte d'origine) : « I think what we're seeing are ice particles in jets of water vapor that emanate from pressurized vents. To form the particles and carry them aloft, the vapor must have a certain density, and that implies surprisingly warm temperatures for a cold body like Enceladus », ce qui se traduit par : « je pense que nous sommes en train de voir des particules de glace dans un jet de vapeur qui émane d'une bouche de sortie sous pression. Pour former des particules et les transporter au loin, la vapeur doit avoir une certaine densité et cela implique une température étonnamment chaude pour un corps froid comme Encelade ».
Un traitement poussé des images montre que ces "jets" diffusent sur une zone énorme, de dimension supérieure au diamètre d'Encelade (figure 6).
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute
En ré-examinant de "vieilles" images et en augmentant considérablement les contrastes, la NASA a retrouvé de telles émissions sur des images prises en janvier 2005 (figure 7). Ce volcanisme peut donc être actif sur des périodes de plus de 6 mois consécutifs.
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute
Origine du volcanisme d'Encelade : le rôle des marées ?
Ce "volcanisme" sur un corps aussi petit pose des problèmes. Il faut, en effet, trouver une source d'énergie pour fondre le manteau glacé de ce petit satellite, même si ce manteau est fait de glace d'H2O ammoniaquée qui peut fondre à –103°C. La seule possibilité raisonnable, c'est une déformation périodique du globe d'Encelade par les marées, déformation entraînant frictions internes donc dégagement d'énergie.
À cause des forces de marées, Encelade a une forme d'ellipsoïde dont le grand axe est dirigé vers Saturne. On parle de bourrelet de marée. Encelade faisant un tour sur lui-même pendant qu'il fait un tour autour de Saturne (en 32,88 heures), c'est toujours la même face qui est dirigée vers Saturne, comme dans le cas de la Lune vis à vis de la Terre. Il n'y a donc pas de mouvement relatif entre le globe d'Encelade et son bourrelet (fig 8).
Mais la présence des autres satellites et les résonances entre les périodes orbitales d'Encelade, de Mimas et de Téthys entraînent une ellipticité forcée de l'orbite d'Encelade.
La distance Encelade-Saturne varie donc, ce qui entraîne une variation de l'amplitude du bourrelet de marée. Le globe d'Encelade change donc périodiquement d'allongement (fig 9). Cette variation d'allongement du globe d'Encelade est une source de friction interne, donc de dégagement de chaleur.
Mais la situation est encore plus complexe !
En effet la vitesse de révolution d'Encelade est variable à cause des lois de Kepler. Dans notre schéma, c'est à droite (position 1) qu'il tourne le moins vite autour de Saturne, et à gauche (position 2) le plus vite. Par contre, sa vitesse de rotation sur lui-même est constante.
Pour comprendre, partons le la position 1 de la figure ci-dessous.
Le bourrelet, la face rouge et sa montagne sont dirigés vers Saturne.
Un quart de période (8,22 heures) plus tard (position 2), Encelade a fait moins d'1/4 de tour autour de Saturne (il va lentement), mais déjà 1/4 de tour sur lui-même. La face rouge et sa montagne ont donc fait 1/4 de tour : ils sont dirigés vers "le bas". Par contre, le bourrelet est toujours dirigé vers Saturne, donc décalé par rapport et à la face rouge et à sa montagne. Le bourrelet a pris de l'avance par rapport à la montagne.
1/ 4 de tour après (position 3), la face rouge et sa montagne ont encore fait 1/ 4 tour, et se retrouvent alignés avec le bourrelet. Encore 1/ 4 de tour plus tard (position 3) un décalage se reproduit, pour re-disparaître au bout d'un tour complet (position 4).
Il y a donc mouvement relatif entre le globe d'Encelade (avec ses faces rouge et bleue et sa montagne) et le bourrelet de marées. Ce deuxième mouvement s'ajoute au premier (variation de l'amplitude du bourrelet) pour créer friction interne et dégagement de chaleur.
On peut remarquer que la situation est la même pour Io, satellite de Jupiter. Dans ce cas, des calculs théoriques effectués avant les missions Voyager avaient prévu le fort dégagement d'énergie interne et le volcanisme actif. Dans le cas d'Encelade, les calculs montrent que ce dégagement d'énergie interne est à peine suffisant, et pourtant… (Voir dossier sur le volcanisme dans le système solaire, dossier qui date déjà de 5 ans).
Volcanisme sur d'autres satellites
Pour conclure ce chapitre sur le volcanisme, montrons trois belles images du volcanisme actif de Io, satellite de Jupiter, le seul volcanisme (avec celui de la Terre) pour lequel on a pu photographier du magma (silicaté) liquide et "incandescent". En effet, sur Triton où il y a des émissions volcaniques d'azote (cf. photojournal.jpl.nasa.gov/), et sur Encelade, on n'a jamais pu photographier de "magmas" liquides, et seuls ont pu être photographiées les émissions de gaz ou de givre.
Source - © 1999 NASA/JPL/University of Arizona | |
Source - © 2001 NASA/JPL/University of Arizona | Source - © 2001 NASA/JPL/Lowell Observatory |
Japet
Cassini a survolé de loin (415.000 km) Japet le 12 novembre 2005.
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute
La NASA publie aussi un film de ce survol lointain de Japet.
Ce survol n'apporte pas de renseignements franchement nouveaux par rapport aux précédents survols voir l'article du 14 janvier 2005) mais confirme magnifiquement que la "Ride Equatoriale" est au centre de la "Tache Noire".
Rhéa
Rhéa était le dernier des satellites majeurs de Saturne à ne pas avoir encore été survolé de près par Cassini. Ce premier survol rapproché a eu lieu le 26 novembre 2005.
La figure 15 montre une vue générale, et la figure 16 une vue oblique très rapprochée. Un examen rapide des images de ce premier survol rapproché montre un satellite criblé de cratères, sans grande activité géologique manifeste (au moins dans la région survolée). Seules des "dépressions linéaires" suggèrent l'existence de failles.
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute | Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute |
Et pourtant, bien que montrant une très faible activité géologique, Rhéa est le plus gros des satellites moyens de Saturne (1528 km de diamètre), trois fois plus grand en diamètre (donc 27 fois plus important en masse) qu'Encelade. Et c'est pourtant le petit satellite qui est actif, pas le gros.
Pour illustrer la variété d'activité des six satellites moyens de Saturne (Mimas, Encelade, Téthys, Dioné, Rhéa et Japet), et pour "fêter" cette formidable année 2005, la NASA publie un montage de quatre images de quatre de ces satellites prises en 2005. Une belle carte de "bonne année"!
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute