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Article | 17/04/2007

Lacs de méthane sur Titan, matière organique crachée par les volcans d'Encelade, dernières nouvelles de Saturne

17/04/2007

Pierre Thomas

Laboratoire des Sciences de la Terre, ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

La mission Cassini-Huygens, nouveau point fin mars 2007 : méthane sur Titan, volcans d'Encelade, anneaux et pôles de Saturne.


Les survols de Titan

Depuis notre dernier article de mai 2006 sur Titan et la mission Cassini-Huygens, Titan, le principal objectif de la mission, a été survolé plusieurs fois et 5 passages ont donné lieu à des « prises de vues » radar.

Le survol du 9 octobre 2006 n'a donné lieu qu'à la publication de fragments des bandes de survol (survol de Titan "lakes and more lakes", ou encore "Titan's great lakes").

Les 4 autres survols ont donné lieu à la mise à la disposition de la totalité des “bandes” Haute Résolution : Titan le 22 juillet 2006, Titan le 7 septembre 2006, Titan le 23 septembre 2006 et Titan le 22 février 2007.

Ces survols étaient complètement nouveaux, en ce sens qu'ils survolaient la région du pôle Nord de Titan, actuellement plongé dans la nuit et le froid polaire en cet hiver boréal titanien, là où la température est inférieure de quelques degrés aux –180°C « habituels ».

Le radar a découvert de très nombreuses « taches noires », à bords nets, très découpées. Rappelons que le radar ne distingue ni la couleur ni l'albédo de la surface, mais sa pente et sa rugosité. Ces taches noires (telle qu'elles sont transcrites sur les images) sont en fait des surfaces parfaitement horizontales et lisses, et ne réfléchissant absolument pas le rayonnement radar dans la direction de l'émetteur. Comme le souligne la Nasa, bien que l'on n'en ait pas la preuve formelle, la meilleure façon d'interpréter ces taches topographiquement lisses et horizontales, à bords nets et découpés, c'est d'en faire des lacs à l'état liquide. Le fait que ces taches sombres occupent des points bas, que des lits de rivières s'y jettent, qu'elles sont bordées de ce qui ressemble à des lignes de rivages emboîtées, tout renforce cette idée d'étendues liquides à la surface de Titan. Titan serait donc, avec la Terre, le seul corps du système solaire avec du liquide stable en surface.

Ces lacs seraient composés de méthane (CH4) liquide, ou plus vraisemblablement d'un mélange méthane-éthane (C2H6). Ces lacs étant cantonnés au pôle en situation hivernale (le pôle nord en 2006-2007), et étant absents du pôle en situation estivale, le pôle sud en 2006-2007 (ou quasi-absents, voir le "lac" de Titan lors du "survol lointain en juin 2005" du pôle Sud de Titan), on peut supposer que la situation s'inversera d'ici 15 ans, quand ce sera l'hiver au Sud et l'été au Nord. Dans ce cas, ces lacs du Nord s'évaporeraient au printemps (dans 7 ans), et de fortes pluies de méthane constitueraient des lacs près du pôle Sud dans 15 ans. Une météorologie titanienne est certainement à étudier et modéliser, en particulier pour savoir ce qui se passe au printemps et à l'automne, dans les régions équatoriales …

Dans ce qui suit, nous vous présentons une mosaïque et quelques gros plans sur quelques-uns de ces lacs, sans commentaires géologiques poussés. Il s'agit d'un choix « personnel » parmi les dizaines de lacs découverts. En pratique (ce qui explique le format des images), il s'agit d'une sélection d'images extraites de cours ou de conférences essayant au maximum de juxtaposer des images radar de Titan et des images Google Earth ou IGN de lacs ou de formations géologiques terrestres présentant des similitudes morphologiques. Chercher des équivalents morphologiques planétaires et terrestres grâces aux images Google Earth est d'ailleurs une activité que je ne saurais que trop recommander aux amateurs de nature, de voyages et de découvertes.

Les rapprochements suggérés ici ne sont que des convergences morphologiques. Il n'est pas sûr que ces convergences morphologiques indiquent toujours des origines semblables. C'est en particulier le cas des images où le terme de caldeira ne signale qu'une similitude morphologique et non pas forcément une origine volcanique avec effondrement du toit d'un réservoir magmatique consécutif à des éruption majeures.

Montage des bandes radar couvrant la région du pôle Nord de Titan

Figure 1. Montage des bandes radar couvrant la région du pôle Nord de Titan

Chaque bande individuelle mesure de 100 à 200 km de large.


Les premières images de lacs sur Titan, publiées en juillet 2006

Figure 2. Les premières images de lacs sur Titan, publiées en juillet 2006

Les taches noires seraient des lacs. L'auréole gris-foncé que l'on trouve parfois en périphérie des zones les plus noires correspondraient à des surfaces moins lisses, du genre marécages ou zones humides, ou bien à une surface liquide légèrement agitée de vagues.



Deux lacs en connexion sur Titan, comparaison avec les lacs terrestres de Cudskoje - Pskovkoje

Figure 4. Deux lacs en connexion sur Titan, comparaison avec les lacs terrestres de Cudskoje - Pskovkoje

En « haut » des lacs titaniens, présence d'auréoles grises (zones moins lisses).


Deux images de lacs de Titan en région montagneuse

Figure 5. Deux images de lacs de Titan en région montagneuse

Noter l'allure très découpée de ces côtes titaniennes.


Comparaisons entre un lac de Titan et un lac terrestre

Figure 6. Comparaisons entre un lac de Titan et un lac terrestre

Lacs à côtes très découpées, lac terrestre de Vassivières.


Un lac sur Titan et un lac terrestre à côtes très découpées

Figure 7. Un lac sur Titan et un lac terrestre à côtes très découpées

Lac terrestre du barrage d'Assouan.


Lacs à côtes très découpées sut Titan et sur Terre

Figure 8. Lacs à côtes très découpées sut Titan et sur Terre

Noter l'existence d'une île sur Titan. Lac terrestre du Salagou.



Champ de dépressions sur Titan et sur Terre

Figure 10. Champ de dépressions sur Titan et sur Terre

Caldeiras possibles, ou dépressions ayant une autre origine, dont le fond est parfois occupé par des lacs. Comparaison avec la région de Pozzuoli (ouest de Naples, Ilatie).



Pour rendre plus parlant ces lacs titaniens, la Nasa s'est « amusée » à coloriser certaines images radar. La Nasa a colorisé en bleu très foncé les étendues les plus lisses, et en bleu clair les étendues un peu moins lisses (marécages côtiers, zones avec vagues…). Le substratum (glace d'H2O salie par des hydrocarbures lourds) a été colorisé avec la couleur du sol du site d'atterrissage du module Huygens sur Titan.

Pour permettre des comparaisons de taille, la Nasa a juxtaposé (à la même échelle) le plus grand lac de Titan et le plus grand lac nord-américain, le Lac Supérieur, qui mesure un plus de 300 km de long.


L'extrémité des bandes radar obtenues depuis juillet 2006 atteint la limite jour/nuit polaire. Pour la partie éclairée par le soleil et vue par la caméra infra-rouge (IR) de Cassini avec une mauvaise résolution, on voit que les lacs (vus au radar) se prolongent par une tache sombre visible en IR. On peut alors proposer que cette tache sombre (IR) soit la prolongation du lac (radar). Si cette interprétation est correcte, ce grand lac aurait la taille de la Mer Noire. Doit-on encore parler de lac ou de mer ?

Titan, lac ou mer : juxtaposition d'image radar (en haut) et d'image IR (en bas)

Figure 15. Titan, lac ou mer : juxtaposition d'image radar (en haut) et d'image IR (en bas)

Ces images suggèrent que certains lacs vus au radar ne sont que des baies d'étendues beaucoup plus grandes (entourées en bleu) et de la taille de certaines mers terrestres (la Mer Noire).


En plus de ces lacs, les survols de juillet 2006 à février 2007 ont révélé de superbes champs de dunes, et un indiscutable cratère d'impact (seuls deux cratères d'impact indiscutables avaient été découverts auparavant).

Encelade

Encelade n'a pas été survolé de près pendant cette période.Rappelons que, sur Encelade, des volcans actifs crachant de l'eau (que l'on peut donc aussi appeler geyser) ont été découverts en novembre 2005.


Une image prise de loin en septembre 2006 montre sans ambiguïté les relations entre Encelade et l'anneau E de Saturne. L'anneau E est un anneau très ténu et situé au-delà de la limite de Roche. Encelade, orbitant au sein de l'anneau E, est soupçonné depuis 20 ans d'en être la source. La découverte des volcans actifs a renforcé cette idée : l'anneau E est alimenté en particules de glace par le volcanisme d'Encelade. L'image suivante prouve sans ambiguïté que les panaches d'Encelade alimentent bien l'anneau E.

Vue générale (en haut) et détaillée (en bas) de l'interaction entre le panache éruptif d'Encelade et l'anneau E de Saturne

Figure 20. Vue générale (en haut) et détaillée (en bas) de l'interaction entre le panache éruptif d'Encelade et l'anneau E de Saturne

L'image est prise avec un contre-jour presque total : l'angle Soleil-Encelade-Cassini étant égal à 175°. Encelade apparaît comme un petit cercle noir. Le panache s'échappant du pôle sud apparaît comme une tache blanche, saturant la caméra de Cassini. L'anneau E est rendu par différentes nuances de gris. Les interactions entre Encelade, son panache et l'anneau E sont parfaitement visibles ; il ne reste plus qu'à les comprendre.


Dans une de ces dernières Nasa News (12 mars 2007), la Nasa donne le résultat préliminaire de l'analyse des gaz de ces panaches, analyses effectuées par le spectromètre de masse de Cassini lors du survol le plus rapproché de juillet 2005. Ces résultats sont confirmés par un article dans Icarus d'avril 2007 (D.L. Matson et al., 2007. Enceladus' plume: Compositional evidence for a hot interior, Icarus 187, 569-573 ).

La Nasa dit ceci :

«  En profondeur sous Encelade, il y a de l'eau liquide et une mixture organique (organic brew) ; et bien qu'il n'y ait aucune espèce d'indice de la présence d'une vie, nous avons probablement l'évidence d'un site qui pourrait abriter de la vie. […] Bien que le panache soit principalement composé de vapeur d'eau, le spectromètre de masse a détecté une faible proportion de N2, de CO2, de CH4 (méthane), de C3H8 (propane) et de C2H2 (acétylène). »

L'article d'Icarus indique la composition de ces gaz : H2O = 91% ; CO + N2 (masse atomique identique de 28) = 4% ; CO2 = 3,2% ; CH4 = 1,6%. Quant à C3H8, C2H2 et CNH, ils seraient à moins de 1%. Les auteurs suggèrent qu'une telle chimie implique un intérieur très chaud (de 500 à 800K) et des réactions catalytiques (par des argiles par exemple).

Affaire à suivre, puisqu'un survol très rapproché aura lieu en septembre 2007.

Saturne, ses anneaux et ses pôles

Initialement, l'orbite de Cassini était voisine du plan de l'écliptique. Saturne et ses anneaux étaient donc vus « par la tranche ». Progressivement, l'orbite de Cassini autour de Saturne est redressée, et fait un angle de plus en plus important avec l'écliptique. Les anneaux et les pôles de Saturne sont donc de plus en plus vus « par dessus ».

Nous vous présentons six photos « inhabituelles » de ces anneaux, du pôle Sud et même du pôle Nord plongé dans la nuit hivernale.

Vue générale de Saturne et de ses anneaux, par le dessous du plan de l'écliptique

Figure 21. Vue générale de Saturne et de ses anneaux, par le dessous du plan de l'écliptique

Les anneaux sont éclairés « par dessus » et cette vue est prise « par dessous ». Les diverses teintes de blanc, gris et brun renseignent sur l'épaisseur optique des anneaux. Les parties claires diffusent beaucoup de lumière ; elles sont donc composées de particules très fines, et suffisamment peu abondantes pour laisser diffuser la lumière. Les parties gris sombres contiennent encore moins de particules que les parties claires. Le centre de l'anneau médian (l'anneau B) est occupé par une zone brun foncé. Dans ce cas, le caractère foncé est dû à l'abondance des particules, et il n'y a plus de lumière diffusée.





Bien que le pôle Nord de Saturne soit plongé dans la nuit, cela ne l'empêche pas d'étre observé en infra-rouge thermique (aux environs de 5 μm). La Nasa vient de publier ce 27 mars 2007 une « news » montrant qu'il existe aussi un vortex polaire Nord sur Saturne, mais que celui ci est de forme … hexagonale. L'origine de cette forme n'est pas claire... la nouvelle aurait été publiée le 1er avril, on se serait demandé si…