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Article | 21/01/2005

Arrivée du module Huygens sur Titan : premières images de la traversée de l'atmosphère et du sol

21/01/2005

Pierre Thomas

Laboratoire de Sciences de la Terre / ENS de Lyon

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Commentaires "à chaud" des premières images rapprochées de la surface de Titan, collectées par le module Huygens au cours de sa descente à travers l'atmosphère et suite à son arrivée sur le sol de ce satellite de Saturne.


La descente du module Huygens sur Titan s'est parfaitement déroulée dans l'après midi du 14 janvier 2005. La sonde a traversé l'atmosphère (en l'analysant) pendant 2h30. Apparemment, les données ont été collectées, mais à cette heure aucun résultat n'a encore été publié sous forme compréhensible par des non-spécialistes.

Puis Huygens s'est posé avec succès sur un sol solide, avec semble-t-il une croûte durcie en surface, croûte surmontant un substrat ayant une consistance de sable mouillé (André Brahic dixit à France Inter).

Et surtout, le ciel de Titan s'est avéré beaucoup moins nuageux ou brumeux qu'on ne le craignait, au moins en cet endroit, et de magnifiques images ont pu être prises à partir de 20 km d'altitude jusqu'au niveau du sol, ce qui est une bonne nouvelle, car beaucoup craignaient que les seules images soient des images prises de l'intérieur de nuages de brume.

Ce sont ces images que nous allons commenter rapidement. Ces commentaires sont des commentaires à chaud, au vu des seules informations communiquées le lundi 17 janvier 2005 à 15h, et susceptibles d'être confirmées, infirmées, précisées… dans les heures ou jours qui suivent.

Les premières images ont été communiquées au grand public dans la soirée. Pour l'instant, l'ESA en a communiqué cinq, relayée par le site de la NASA.

Mais ces images prises pendant et après la descente du module Huygens (module européen) ont été prises par le spectro-imageur, un des deux instruments NASA / Université de l'Arizona embarqués par Huygens. Les signaux de cet imageur ont donc été reçus (entre autres) par l'Université de l'Arizona. Aux USA, les résultats scientifiques obtenus grâce à des fonds publics doivent être mis à la disposition du public. Toutes ces images "brutes" (au nombre de plusieurs centaines) sont donc disponibles sur http://www.lpl.arizona.edu/~kholso/data.htm

Des "amateurs" éclairés ont grossièrement traité ces images, dont Mr Anthony Liekens qui les a publiées sur son site (http://anthony.liekens.net/index.php/Main/Huygens)

Nous ne pouvons que regretter que l'ESA n'ait pas cette politique de transparence et que toutes les images "brutes" ne soient pas disponibles trois jours après la mission. Nous ne pouvons que regretter que le travail fait par ces "amateurs" n'ait pas son équivalent à l'ESA, et que l'on doive aller chercher certaines des plus belles images de cette mission européenne sur des sites américains. Quelque chose pourrait être amélioré dans la politique de communication de l'ESA !

Avant de commenter rapidement neuf images, les plus significatives, situons le site d'atterrissage sur les données de l'orbiteur Cassini.

La figure 1 montre une image IR de Titan et l'endroit où la sonde s'est posée.

Image IR de Titan, obtenue en octobre 2004 par l'orbiter Cassini

Figure 1. Image IR de Titan, obtenue en octobre 2004 par l'orbiter Cassini

Les zones sombres absorbent l'IR, alors que les zones claires le réfléchissent. Le cadre jaune correspond à la figure suivante. Le cadre jaune correspond à la figure suivante.


L'image de la figure 2, prise d'orbite, correspond à la zone encadrée en jaune dans la figure 1. Le cercle jaune de 40 km de diamètre indique la zone que Huygens a pu photographier lorsqu'il est sorti de la zone de nuage. Attention, ces images de l'orbiteur sont des images IR (autour de 3 micromètres), et les différentes teintes de gris n'ont que peu de rapport avec les gris visibles sur les images de l'atterrisseur Huygens.

Image de la surface de Titan prise d'orbite

Figure 2. Image de la surface de Titan prise d'orbite

Cette image correspond à une zone de 2250 x 1800 km. Les hydrocarbures sont en blanc et la glace d'eau en noir. Le cercle jaune de 40 km de diamètre indique la zone que Huygens a pu photographier lorsqu'il est sorti de la zone de nuage. Attention, ces images de l'orbiteur sont des images IR (autour de 3  µm), et les différentes teintes de gris n'ont que peu de rapport avec les gris visibles sur les images de l'atterrisseur Huygens.


Les premières images exploitables ont été prises à une vingtaine de kilomètres d'altitude. La photographie droite de la figure 3 prise de 16 km est celle qu'ont publiée tous les média ; elle vient de l'ESA. Sa résolution est d'environ 40 m. Il s'agit d'une image "verticale" de la surface de Titan. À titre comparatif, une vue verticale d'un réseau fluviatile désertique en Arabie lui a été associée.

Comparaison entre les vallées de Titan et les vallées terrestres

Figure 3. Comparaison entre les vallées de Titan et les vallées terrestres

L'image individuelle de la surface de Titan, prise de 16 km d'altitude montre un réseau de drainage sur des terrains clairs, réseau semblant se jeter dans une "mer" sombre. La résolution est de 40 m/pixel. Les "vallées" qui ont de 2 à 4 pixels de large mesurent donc environ 50 m de large, ce qui permet de proposer que l'image couvre environ 7 x 10 km. La photographie de la Terre est une vue verticale d'un réseau fluviatile désertique en Arabie.


Grâce à Anthony Liekens (http://anthony.liekens.net/index.php/Main/Huygens), nous pouvons disposer d'une mosaïque de plusieurs images, qui re-situe l'unique image ESA dans un contexte plus vaste (figure 4).

Mosaique d'Images de la surface de Titan

Figure 4. Mosaique d'Images de la surface de Titan

Mosaïque d'images prises de 16 km, montrant une surface d'environ 30 x 30 km, révélant la même morphologie de "terres" parcourues de vallées se jetant dans une "mer" sombre. "Terre" et "mer" sont séparées par une "ligne de rivage", avec "îles, estuaires, deltas…". Les termes "terres, mers…" sont évidemment à prendre au second degré. Le site d'atterrissage est symbolisé par un cercle rouge.


Que nous révèlent ces images (prises de 16 km) ? La longueur d'onde d'obtention n'étant pas indiquée, il n'est pas sûr que les nuances de gris seraient ce que verrait exactement un œil humain. Mais ces réserves faites, on voit très nettement trois ensembles : des terrains clairs (en haut de l'image), parcourus par tout un réseau de vallées, avec affluents, confluents, rivières principales…, ces "rivières" se jetant dans des terrains sombres, plats et uniformes, qui ressemblent à s'y méprendre à une mer, séparée des terrains clairs (des terres ?) par une "ligne de rivage" très nette. Ces "rivières" se jettent dans "la mer" dans des zones qui ressemblent beaucoup à des embouchures. Il y aurait des "îles" à proximité de la "côte" . En bas à droite, les bandes blanches correspondraient probablement à des nuages, soit, beaucoup moins probablement, à des "îles" beaucoup plus claires. Mais, d'après ce que nous savons, Huygens s'est posé sur ces terrains sombres, quelque part à droite, en bas. Comme il s'est posé sur un terrain solide, on peut émettre des doutes sérieux sur la nature liquide des terrains sombres, à moins que Huygens se soit posé sur une "île" basse.

À 8 km d'altitude, Huygens à pris des images "obliques". L'ESA a publié une image "individuelle" (figure 5) et une mosaïque qui montre le panorama sur 360° (figure 6).

Figure 5. Mosaïque de trois images du module Huygens montrant une vue oblique de la "ligne de côte"

La longueur du rivage de gauche à droite est d'environ 3 km.


Figure 6. Mosaïque sur 360° d'images obliques prises par Huygens à environs 8 km d'altitude au-dessus de Titan

Une "ligne de rivage" identique à celle de la figure 7 se voit bien en haut à gauche. Les bandes sinueuses et tâches blanches du 1er plan seraient des bandes nuageuses, ou éventuellement des "îles". Le site d'atterrissage est symbolisé par un cercle rouge.


Anthony Liekens (http://anthony.liekens.net/index.php/Main/Huygens) a retravaillé cette mosaïque en l'agrandissant et en s'inspirant des couleurs obtenues au sol (figure 7). La figure 8 permet de faire la correspondance entre les vues verticales et les vue obliques au niveau de la "côte".

Version colorisée de la mosaïque de la figure 6, en s'inspirant des couleurs obtenues au sol

Figure 7. Version colorisée de la mosaïque de la figure 6, en s'inspirant des couleurs obtenues au sol

Le site d'atterrissage est repéré par un cercle rouge.



Antony Liekens a mis dans son site des travaux d'autres "amateurs éclairés", en particulier ceux de Mike Zawistowski. Huygens a pris de nombreuses images de la même région pendant sa descente (oblique à cause du vent) entre 20 et 8 km d'altitude, sous des angles différents donc. Cela permet d'obtenir de la stéréoscopie, et donc des reconstitutions 3D avec des programmes informatiques. Voici deux de ces reconstitutions 3D (figure 9), avec une très forte exagération du relief. Ce ne sont, répétons-le, que des reconstitutions qui n'ont pas reçu l'"imprimatur" de l'ESA, et qui ne sont données qu'à titre d'information. Mais ces vues sont particulièrement spectaculaires et démonstratives. Elles mettent en évidence des étendues plates (en bas à droite de la croix de la figure 9a) interprétables comme une "mer" (de méthane). On voit aussi ces taches blanches, interprétables de deux manières : comme des nuages/bancs de brumes, ou bien comme des "îles". Ces taches blanches sont en relief, ce qui ne permet pas de trancher entre nuages et bancs de brume s'élevant au-dessus de la "mer", ou "îles". Les auteurs des images 9b et 9c ont pris le parti de les représenter comme des "îles".

Vue verticale et reconstitutions 3D d'une région de Titan à proximité du site d'atterrissage de Huygens

Figure 9. Vue verticale et reconstitutions 3D d'une région de Titan à proximité du site d'atterrissage de Huygens

La couleur de ces images 3D est purement arbitraire et a été choisie identique à celle du sol. La croix noire présente sur ces trois images est située au même endroit, et sert à se repérer entre la vue verticale et les 2 vues obliques représentées sous des angles de vue différents. Le cercle rouge sur l'image verticale indique la position du site d'atterrissage de Huygens, hors du champ de ces reconstitution 3D. La photographie a couvre une surface d'environ 30 x 30 km.

En bas à droite de la croix noire de l'image verticale (a), on voit bien ces étendues plates, interprétables comme une "mer" (de méthane). On voit aussi ces taches blanches, interprétables de deux manières : comme des nuages/bancs de brumes, ou bien comme des "îles". Ces taches blanches sont en relief, ce qui ne permet pas de trancher entre nuages et bancs de brume s'élevant au dessus de la "mer", ou "îles". Les auteurs ont pris le parti de les représenter comme des "îles".


Une fois au sol, Huygens a pris une image (en plusieurs longueurs d'onde, et en éclairant le site avec des lampes), ce qui a permis de reconstituer les vraies couleurs (figure 10).

L'ESA a également publié (figure 11) une image annotée pour qu'on se rende compte de l'échelle et de la profondeur de champ, limitée car l'image a été prise au ras du sol.

Figure 10. Image "vraies couleurs" du sol de Titan

On voit un sol jonché de galets ovoïdes aplatis, dont l'un est entouré d'un sillon creux


Figure 11. Image annotée du sol de Titan

Sont données les dimensions de certains blocs, ainsi que les distances à l'objectif des blocs 4 et 6.


On y voit un sol "plat", parsemé de blocs arrondis (galets), en forme d'ellipsoïdes assez plats et disposés à plats, au moins au premier plan (blocs numérotés 1, 2, 3 et 8). Autour du bloc 4, on devine un "sillon en creux" entourant ce bloc.

Tout ceci suggère que l'on est sur un terrain jonché de galets, qui auraient donc subi un transport par voie liquide (galets de rivière et/ou torrent, galets de plage ayant roulé grâce aux vagues… ?), car l'érosion éolienne ne donne pas souvent cette morphologie en ellipsoïde aplati, et qui auraient été déposés à plat lors du retrait de ce liquide. L'affouillement que l'on voit autour du bloc 4 serait dû à un courant de fluide (liquide ou gazeux ?) qui en aurait érodé le pourtour.

On peut essayer d'aller plus loin que cette interprétation de premier ordre, pour se risquer à des hypothèses et conclusions plus globales mais qui restent des hypothèses "à chaud", bien sûr susceptibles de modifications au gré des données nouvelles qui arriveront.

  1. On a une morphologie d'érosion fluviatile "évidente". S'agit-il de rivières dues à des précipitations et des sources (comme sur les continents terrestres), ou des rivières obtenues par drainage, un peu comme sur une étendue vaseuse terrestre quand le niveau de l'eau baisse (comme dans la Baie du Mont St Michel à marée basse) ?
  2. Les étendues plates et sombres ressemblent à des lacs ou mers, avec lignes de rivages, embouchures de rivière …
  3. Compte tenu de le précision de la localisation du site d'atterrissage de Huygens, il est difficile de dire s'il s'est posé sur une zone sombre ou un zone claire (figure 4). Mais nous pouvons envisager les deux cas.

    • Si Huygens s'est posé sur un terrain sombre correspondant à la "mer", on peut dire que cette "mer" ne serait pas remplie de liquide, mais serait constituée de ce sol "sableux" jonché de galets. Si on cherche une analogie terrestre, la région où s'est posé Huygens ressemblerait à une "Mer d'Aral" (mer intérieure quasi asséchée suite aux travaux de drainage et d'irrigation entrepris par les Soviétiques dans les années 1960).
    • Si Huygens s'est posé sur un terrain clair, et si les zones claires sont interprétées comme des îles, il est difficile de savoir si la mer est asséchée ou ne l'est pas. En revanche si les zones claires correspondent à des nuages (sans îles), les hypothèses concernant la "mer " asséchée restent valables.
  4. N'oublions pas que les solides de la surface de Titan seraient majoritairement constitués de glaces d'H2O ou d'hydrocarbures lourds gelés, et que les liquides seraient constitués de méthane et/ou d'éthane liquides.
  5. L'absence de cratères d'impact visibles (l'atmosphère de Titan arrêterait les petites météorites, mais pas les grosses) suggère que cette morphologie est "géologiquement jeune" (un chiffre précis est impossible à donner).

Face à ces données-conclusions provisoires, on pourrait proposer deux hypothèses, si on suppose que Huygens s'est posé sur une zone sombre correspondant à une "mer".

  • Les rivières et les étendues liquides de Titan ont disparu dans cette région, et ce très récemment (géologiquement parlant). Nous serions donc arrivés en un site et à une époque très particulière, juste après la disparition irréversible et définitive par assèchement (ou par gel ?) des rivières, lacs et mers en cet endroit. Nous n'aurions vraiment pas eu de chance d'être arrivés sur Titan juste après son assèchement !
  • Les rivières et étendues liquides de ce site de Titan ne sont liquides qu'à certaines périodes, et disparaissent à d'autres, pour cause de variations climatiques par exemple, que ce soit :

    • des variations saisonnières (les saisons titaniennes sont fort complexes du fait de la rotation de Saturne en 29 ans autour du Soleil, de l'inclinaison de son axe de rotation sur l'écliptique (29°), et du fait de la rotation de Titan autour de lui mêle et autour de Saturne en16 jours) ;
    • ou, des variations à plus long termes (genre Milankowitch avec alternances de périodes chaudes et froides durant des milliers d'années).

    Huygens s'est posé près de l'équateur, la région globalement la plus chaude de Titan. Mais peut-être, en certaines situations orbitales (variation saisonnière ou "milankowitchienne"), le méthane est-il liquide lors des saisons "froides" et "évaporés" lors des saisons chaudes ?

    L'hypothèse d'alternance méthane liquide et gelé (plutôt que liquide et évaporé) est moins probable, du fait de la température de Titan proche de celle de la liquéfaction/évaporation du méthane, et du fait de la présence de galets sur le sol de ces possibles mers, sol qui ressemble donc plus au fond d'une mer asséchée qu'à la surface d'une mer gelée.

    Faire des simulations météorologiques saisonnières titaniennes s'impose donc.

Affaire à suivre.

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