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Article | 07/01/2015

Les aventures et les résultats de Curiosity entre mai 2014 et janvier 2015, de Kimberley à Pahrump Hills

07/01/2015

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Curiosity continue son périple martien et la NASA publie enfin des résultats d'analyses effectuées entre 2012 et 2014 concernant la recherche de matière organique, le méthane et les isotopes de l'hydrogène de l'eau.


Nous avions laissé Curiosity en mai 2014. Il venait de quitter la région de Kimberley où il avait passé 2 mois. (cf Les aventures et les résultats de Curiosity entre septembre 2013 et mai 2014, de Yellowknife Bay à Kimberley). Depuis, il a repris sa progression, est arrivé à Pahrump Hills mi-septembre 2014, et il y est encore en ce début janvier 2015. Rappelons les objectifs de Curiosity et résumons ce qu'il avait déjà découvert en mai 2014. Curiosity s'est posé dans le cratère Gale (Ø = 150 km). Ce cratère a eu une histoire atypique. Selon les études effectuées avec les images des sondes orbitales et partiellement confirmées par les deux premières années de Curiosity, Gale aurait été rempli d'un lac où se seraient déposés des sédiments lacustres. Puis l'érosion aurait enlevé la presque totalité de ces sédiments, sauf en son centre où ils forment une montagne, le Mont Sharp. Enfin, une fois creusée par l'érosion, la dépression entourant ce Mont Sharp aurait été épisodiquement tapissée de cônes alluviaux venant des monts environnants et aurait même abrité des lacs temporaires. D'août 2012 à septembre 2014, Curiosity roule sur et analyse les sédiments de ces cônes alluviaux tardifs et de ces lacs temporaires. Mais sa véritable cible, ce sont les sédiments de la base du Mont Sharp. Les études spectrales (faites depuis l'orbite) montrent que ceux-ci sont riches en argile (montmorillonite) et les minéraux détectés montrent qu'ils se sont déposés en milieu non acide. Des conditions idéales pour étudier les conditions paléogéographiques ayant eu lieu dans ce lac entre -3,8 et -3,5 Ga et ayant pu conserver de la matière organique (éventuellement complexe) si une chimie organique complexe a eu lieu dans ce lac ! Mais un cordon de dunes sépare le site d'atterrissage de la base du Mont Sharp, distante au plus près de 4 km de ce site d'atterrissage. Cela oblige Curiosity à faire un long détour vers le SO pour éviter ce cordon de dunes et atteindre la base du Mont Sharp à travers une interruption du cordon dunaire, interruption que la NASA a appelé Entry Point encore distante de 5 km de Kimberley, là où nous l'avons laissé mi-mai 2014.

Sur le trajet Kimberley - Entry Point, grâce aux études orbitales, la NASA a repéré un site remarquable, les Pahrump Hills. La série stratigraphique du Mont Sharp est complexe. Selon les interprétations de la NASA, la formation de base est appelée la Murray Formation, recouverte par les dépôts de l'Hematite Ridge et bien d'autres dépôts plus récents. Ces formations du Mont Sharp sont recouvertes au NO par des dunes, et aussi par les cônes alluviaux et les sédiments des lacs temporaires tardifs, sédiments tardifs sur lesquels roule Curiosity depuis son atterrissage et que la NASA a appelés Crater Floor Sediments. Or les Pahrump Hills semblent correspondre à un affleurement de la Murray Formation, qui affleure localement sous les Crater Floor Sediments. D'où l'intérêt de leur étude !

Cet article comprend deux parties. La première correspond aux résultats (préliminaires) du trajet Kimberley - Pahrump Hills. Ces résultats peuvent être obtenus par tout un chacun en consultant les NASA News, les images sélectionnées et commentées par la NASA, ou les images brutes de Curiosity que chacun peut interpréter, assembler en mosaïques… à sa guise. La deuxième partie correspond aux résumés des résultats scientifiques publiés en décembre 2014 à l'occasion de l'AGU (American Geophysical Union), résultats concernant la matière organique dans les Crater Floor Sediments, le méthane dans l'atmosphère, et le deutérium dans les argiles.

De Kimberley à Pahrump Hills

Carte du trajet effectué par Curiosity pendant les années 2012 à 2014 (trait rouge continu) et du trajet restant à faire avant d'atteindre sa cible, la base et les flancs du Mont Sharp

Figure 1. Carte du trajet effectué par Curiosity pendant les années 2012 à 2014 (trait rouge continu) et du trajet restant à faire avant d'atteindre sa cible, la base et les flancs du Mont Sharp

Nous avons laissé Curiosity en mai 2014 au site Kimberley (en orange). Il est actuellement (début janvier 2015) au site Parhump Hills (en violet).


Mosaïque artisanale d'images prises le sol 739 (4 septembre 2014) résumant la géologie régionale

Figure 2. Mosaïque artisanale d'images prises le sol 739 (4 septembre 2014) résumant la géologie régionale

Au premier plan, les sédiments des cônes alluviaux et sédiments lacustres tardifs (Crater Floor Sediments) sur lesquels Curiosity roule depuis plus de 2 ans. À l'arrière-plan, le Mont Sharp dont les couches basales constituent la cible de la mission. La couche la plus basale est appelée la Murray Formation. Entre les deux, Le cordon de dunes sombres qui oblige Curiosity à faire un long détour. Quelques buttes témoins de Crater Floor Sediments émergent du cordon de dunes


Un scénario possible expliquant la formation du Mont Sharp

Superposition de 2 document montrant (1) une photo satellite avec le trajet prévu de Curiosity pour les mois qui viennent à partir de Parrump Hills et (2) la carte géologique (d'une partie seulement) de ce secteur

Figure 4. Superposition de 2 document montrant (1) une photo satellite avec le trajet prévu de Curiosity pour les mois qui viennent à partir de Parrump Hills et (2) la carte géologique (d'une partie seulement) de ce secteur

Selon la carte géologique, les Parhump Hills seraient l'équivalent du plus nordique des affleurements de la Murray Formation (bleu clair) sous les Crater Floor Sediments (gris). AA' correspond à la coupe de la figure suivante.


Coupe géologique des flancs NO du Mont Sharp selon le trajet AA' de la figure précédente

Figure 5. Coupe géologique des flancs NO du Mont Sharp selon le trajet AA' de la figure précédente

Au NO, les Crater Floor Sediments recouvrent les couches basales du Mont Sharp (Murray Formation et couches de l'Hematite Ridge). Les buttes témoins de Crater Floor Sediments sont nommées Murray Buttes.



Carte détaillée du trajet effectué par Curiosity depuis le 20 juillet 2014 (sol 694)

Figure 7. Carte détaillée du trajet effectué par Curiosity depuis le 20 juillet 2014 (sol 694)

Le 1er août 2014 (sol 706), Curiosity atteint Hidden Valley. Le risque d'enlisement trop important dans les dunes lui fait faire un détour pour rejoindre Pahrump Hills, qu'il atteint début septembre 2014.



Traces de roulement dans les dunes de Hidden Valley

Figure 9. Traces de roulement dans les dunes de Hidden Valley

Ces essais ont indiqué un trop grand risque d'enlisement. La NASA renonce à emprunter cette vallée.


Mosaïque artisanale montrant les bords de Hidden Valley

Figure 10. Mosaïque artisanale montrant les bords de Hidden Valley

Les strates sont remarquables. Le mur vertical de la falaise mesure environ 1 m de hauteur.


Mosaïque artisanale montrant les bords de Hidden Valley

Figure 11. Mosaïque artisanale montrant les bords de Hidden Valley

Détail de la figure précédente.

Les strates sont remarquables. Le mur vertical de la falaise mesure environ 1 m de hauteur.


Vue globale d'un affleurement constitué de roches très claires dans le secteur des Pahrump Hills, sol 752

Figure 12. Vue globale d'un affleurement constitué de roches très claires dans le secteur des Pahrump Hills, sol 752

Cet affleurement est censé être constitué de roche de la Murray Formation.


Zoom d'un affleurement constitué de roches très claires dans le secteur des Pahrump Hills

Figure 13. Zoom d'un affleurement constitué de roches très claires dans le secteur des Pahrump Hills

Cet affleurement est censé être constitué de roche de la Murray Formation.


Trajet prévu de Curiosity dans Pahrump Hills depuis la base, Confidence Hills, jusqu'à Whale Rock

Figure 14. Trajet prévu de Curiosity dans Pahrump Hills depuis la base, Confidence Hills, jusqu'à Whale Rock

Dans la réalité, Curiosity est monté assez rapidement à Whale Rock, est redescendu en ligne droite, est remonté en faisant des observations plus poussées et des analyses ; il a en fait arpenté tout le secteur.


Carte du trajet de Curiosity entre les sols 753 et 835

Figure 15. Carte du trajet de Curiosity entre les sols 753 et 835

Premier trajet, montant, entre les sols 753 et 794, puis trajet descendant jusqu'au sol 799, et deuxième trajet montant jusqu'au sol 835. Cette carte vous permettra de localiser approximativement les sites de prises de vue des images qui suivent.



Forage d'essai et forage principal de Confidence Hills

Figure 17. Forage d'essai et forage principal de Confidence Hills

C'est la poudre de ce forage qui a été analysé par CheMin, SAM…


Vue de détail des couches dans le secteur de Confidence Hills

Figure 18. Vue de détail des couches dans le secteur de Confidence Hills

Ces photos ont été prises le sol 803 dans un secteur où la surface topographique (surface d'érosion) recoupe la stratification, ce qui permet de bien la distinguer. Ces strates sont de véritables lamines très fines (de 2 à 4 mm d'épaisseur) et très régulières. Ces lamines se sont très vraisemblablement déposées dans un milieu aquatique très calme, sans aucun courant ni aucune agitation. Les fentes qui découpent la surface en polygone ne sont pas liées à telle ou telle strates, mais bien à la surface actuelle. Ce ne sont pas des fentes de dessiccation datant de l'époque de la sédimentation, mais bien des fentes récentes, peut-être liées aux variations thermiques jour-nuit ou été-hiver. Des concrétions ressemblant aux bumps de Yellowknife Bay (Les travaux et résultats de Curiosity, de mi-février à début-septembre 2013) parsèment cette formation laminée.


Vue de super détail des couches dans le secteur de Confidence Hills

Figure 19. Vue de super détail des couches dans le secteur de Confidence Hills

Ces photos ont été prises le sol 803 dans un secteur où la surface topographique (surface d'érosion) recoupe la stratification, ce qui permet de bien la distinguer. Ces strates sont de véritables lamines très fines (de 2 à 4 mm d'épaisseur) et très régulières. Ces lamines se sont très vraisemblablement déposées dans un milieu aquatique très calme, sans aucun courant ni aucune agitation. Les fentes qui découpent la surface en polygone ne sont pas liées à telle ou telle strates, mais bien à la surface actuelle. Ce ne sont pas des fentes de dessiccation datant de l'époque de la sédimentation, mais bien des fentes récentes, peut-être liées aux variations thermiques jour-nuit ou été-hiver. Des concrétions ressemblant aux bumps de Yellowknife Bay (Les travaux et résultats de Curiosity, de mi-février à début-septembre 2013) parsèment cette formation laminée.


Quelque part entre Alexander Hills et Chinle, sol 792

Figure 20. Quelque part entre Alexander Hills et Chinle, sol 792

On voit très bien la stratification régulière. Comme dans le secteur de Confidence Hills, ces lamines se sont très vraisemblablement déposées dans un milieu aquatique très calme, sans aucun courant ni aucune agitation.


Stratifications prises quelque part entre Alexander Hills et Chinle, sol 792

Figure 21. Stratifications prises quelque part entre Alexander Hills et Chinle, sol 792

On voit très bien la stratification régulière, les lamines, d'épaisseur comprise entre 2 et 4 mm, sont d'une régularité extraordinaire. Comme dans le secteur de Confidence Hills, ces lamines se sont très vraisemblablement déposées dans un milieu aquatique très calme, sans aucun courant ni aucune agitation.


Lamines, quelque part entre Alexander Hills et Chinle, sol 792

Figure 22. Lamines, quelque part entre Alexander Hills et Chinle, sol 792

On voit très bien la stratification régulière, les lamines, d'épaisseur comprise entre 2 et 4 mm, sont d'une régularité extraordinaire. Comme dans le secteur de Confidence Hills, ces lamines se sont très vraisemblablement déposées dans un milieu aquatique très calme, sans aucun courant ni aucune agitation.


Autre secteur à lamines fines particulièrement nettes photographié le sol 837 par Curiosity

Figure 23. Autre secteur à lamines fines particulièrement nettes photographié le sol 837 par Curiosity

Cette photo montre deux autres données de nature bien différentes mais dignes d'intérêt. (1) Cet affleurement est parcouru de filons remplis d'une substance blanche. La NASA a certainement analysé la nature de ces filons, mais n'a pas communiqué le résultat. (2) Au centre de l'image, on voit 2 taches verdâtres. C'est le résultat du brossage de la surface par la brosse du bras articulé, brossage qui précède un examen détaillé à la loupe (MAHLI), à l'analyse chimique (APXS)...


Figure 24. Vue globale sur une surface brossée (et sur la brosse) prise le sol 809 près de Pink Cliffs

L'échelle est donnée par la barre jaune (et par la pièce de monnaie des USA). Cette image a été prise de nuit, à la lumière des diodes présentes sur le bras articulé. On y distingue de nombreuses formes géométriques, sans doute des pseudomorphoses (fantômes) de cristaux d'évaporite (des sulfates ?). Cela suggère que le lac dns lequel s'est déposée la Murray Formation s'est parfois suffisamment évaporé pour que la concentration en sels dissouts y dépasse le seuil de solubilité.


Vue détaillée sur une surface brossée prise le sol 809 près de Pink Cliffs

Figure 25. Vue détaillée sur une surface brossée prise le sol 809 près de Pink Cliffs

L'échelle est donnée par la barre jaune de la figure précédente. Cette image a été prise de nuit, à la lumière des diodes présentes sur le bras articulé. On y distingue de nombreuses formes géométriques, sans doute des pseudomorphoses (fantômes) de cristaux d'évaporite (des sulfates ?). Cela suggère que le lac dns lequel s'est déposée la Murray Formation s'est parfois suffisamment évaporé pour que la concentration en sels dissouts y dépasse le seuil de solubilité.


Cristaux de gypse dans des marnes argileuses lacustres oligocènes du Languedoc

Figure 26. Cristaux de gypse dans des marnes argileuses lacustres oligocènes du Languedoc

Des équivalents (lointains car ici la matrice est carbonatée, pas à Pahrump Hills) des pseudomorphoses de Pink Cliffs ?


Mosaïque artisanale de Whale Rock, dans les hauteurs des Pahrump Hills, sol 794

Détail des strates de Whale Rock, sol 796

Figure 28. Détail des strates de Whale Rock, sol 796

Contrairement aux strates du secteur des Confidence Hills ou entre Alexander Hills et Chinle, où les strates sont parfaitement parallèles, on voit, ici, des stratifications obliques (cf. Stratifications obliques dans les grès du Cuisien de La Caunette, Hérault).

Dans le secteur de Pahrump Hills, les conditions paléogéographiques variaient au cours du temps : eaux calmes (milieu de lac ?) ou présence de courants et de phénomènes de progradation (bordure de lac ?).


Détail des strates de Whale Rock, sol 796

Figure 29. Détail des strates de Whale Rock, sol 796

Contrairement aux strates du secteur des Confidence Hills ou entre Alexander Hills et Chinle, où les strates sont parfaitement parallèles, on voit, ici, des stratifications obliques (cf. Stratifications obliques dans les grès du Cuisien de La Caunette, Hérault).

Dans le secteur de Pahrump Hills, les conditions paléogéographiques variaient au cours du temps : eaux calmes (milieu de lac ?) ou présence de courants et de phénomènes de progradation (bordure de lac ?).


Figure 30. Mosaïque montrant le paysage au Sud et au Sud-Ouest de Whale Rock, sol 844 (21 décembre 2014)

À gauche, le Salsberry Peak, l'un des sommets des Pahrump Hills.


Le Salsberry Peak, sol 844 (21 décembre 2014)

Figure 31. Le Salsberry Peak, sol 844 (21 décembre 2014)

Zoom de la figure précédente.

Les 3 prochaines figures correspondent respectivement à un zoom sur la partie centrale du pic photographiée ce 21 décembre 2014, puis à 2 zooms sur son flanc droit (SO) photographiés 11 jours plus tard.


Zoom sur la partie centrale du Salsberry Peak, sol 844

Figure 32. Zoom sur la partie centrale du Salsberry Peak, sol 844

Zoom de la figure précédente.


Zoom sur le flanc Sud-Ouest du Salsberry Peak, sol 855

Figure 33. Zoom sur le flanc Sud-Ouest du Salsberry Peak, sol 855

Cette photo, prise le 1er janvier 2015, a un éclairage différent de celui du 21 décembre.

La base des roches sombres qui constituent le sommet du pic est parcourue de tout un réseau de filons clairs, fractures remplies (très probablement par des circulations hydrothermales) d'une substance claire (sulfates, autre chose ?). On connaissait déjà des filons sur Mars, découverts par Opportunity puis par Curiosity. Ce réseau de Salsberry Peak est le plus spectaculaire découvert sur Mars depuis 2004, année depuis laquelle des robots mobiles sont arrivés et circulent sur Mars.


Zoom sur le flanc Sud-Ouest du Salsberry Peak et ses filons, sol 855

Figure 34. Zoom sur le flanc Sud-Ouest du Salsberry Peak et ses filons, sol 855

Cette photo, prise le 1er janvier 2015, a un éclairage différent de celui du 21 décembre.

La base des roches sombres qui constituent le sommet du pic est parcourue de tout un réseau de filons clairs, fractures remplies (très probablement par des circulations hydrothermales) d'une substance claire (sulfates, autre chose ?). On connaissait déjà des filons sur Mars, découverts par Opportunity puis par Curiosity. Ce réseau de Salsberry Peak est le plus spectaculaire découvert sur Mars depuis 2004, année depuis laquelle des robots mobiles sont arrivés et circulent sur Mars.


Réseau de filons hydrothermaux verticaux terrestres ressemblant aux filons martiens de Salsberry Peak

Figure 35. Réseau de filons hydrothermaux verticaux terrestres ressemblant aux filons martiens de Salsberry Peak

Dans ce cas précis, il s'agit de filons de barytine (BaSO4) recoupant des calcaires dolomitiques du Jurassique Inférieur des Causses (Aveyron). S'il est très possible que les filons martiens soient en sulfates, il est assez peu probable qu'ils soient en sulfate de baryum (encore que), et encore moins vraisemblables qu'ils recoupent des carbonates.


Résultats d'analyses obtenus entre 2012 et 2014, et publiés en décembre 2014

Curiosity, grâce à son instrument SAM, a recherché de la matière organique dans les roches de 5 sites : Rocknest, John Klein, Windjana, Cumberland, et Confidence Hills. L'n de ces 5 sites, Cumberland (situé dans Yellowknife Bay), a donné un signal indiscutable en mai 2013, prouvant qu'il y a de la matière organique dans le niveau d'argile (montmorillonite) gréseuse nommé Sheepbed. En chauffant la poudre issue du forage, en faisant passer les gaz s'échappant de la poudre chauffée dans un chromatographe, et en mesurant au spectromètre de masse la masse molaire (ou plus exactement le rapport masse/charge) des différents composés séparés par le chromatographe, Curiosity a formellement identifié un certain nombre de composés organochlorés : les trois chlorométhanes, des chloroéthanes, propane, butane, et du mono-chlorobenzène (le plus abondant, en masse, des composés organiques identifiés). La teneur de la roche en chlorobenzène est de 150 à 300 ppb, soit 0,15 à 0,30 grammes par tonne. Des traces de composés organochlorés avaient été identifiées dans le forage précédent (John Klein), mais en quantité si faible qu'on n'était pas sûr de leur présence réelle. Ces composés organochlorés ne sont pas des produits martiens d'origine, mais des produits secondaires fabriqués par les techniques d'analyses de Curiosity. En effet, Curiosity ramasse de la poudre de roche, poudre qui contient des molécules organiques mais aussi des perchlorates (ClO4-). En chauffant cette poudre, les perchlorates réagissent avec les molécules carbonées, les détruisent partiellement et engendrent chlorobenzène et autres composés organochlorés. Il sera difficile, en analysant ces molécules organiques secondaires, de remonter aux molécules organiques primaires. C'est sans doute parce qu'il contenait moins de perchlorates (parce que foré plus près d'un escarpement le protégeant des rayonnements à l'origine des perchlorates) que Cumberland a délivré plus de molécules organiques que les autres sites d'analyse.

Schéma illustré des résultats de la recherche de matière organique dans la poudre du forage Cumberland par l'association chromatographe / spectromètre de masse

Figure 36. Schéma illustré des résultats de la recherche de matière organique dans la poudre du forage Cumberland par l'association chromatographe / spectromètre de masse

La courbe du bas représente la réponse de l'appareil à vide, avant introduction de la poudre. Les pics présents correspondent à la réponse propre de l'appareil. La courbe du haut représente la réponse de l'analyseur après introduction de la poudre d'échantillon. Sept pics supplémentaires apparaissent (le pic 5 est indiscernable du « bruit » de l'appareil) correspondant à 7 molécules organochlorées. Dans les schémas des molécules, les boules noires correspondent au carbone, les vertes au chlore et les petites boules blanches à l'hydrogène.


Réponses comparées de 4 des 5 sites d'analyse effectuées par Curiosity

Figure 37. Réponses comparées de 4 des 5 sites d'analyse effectuées par Curiosity

Les réponses des sites Rocknest, John Klein et Confidence Hills sont inférieures au bruit des appareils d'analyse. La quantité de chlorobenzène contenu dans Cumberland (0,3 g/t) est, elle, très largement supérieure au bruit instrumental. Il y a bien des molécules organiques précurseurs du chlorobenzène dans la roche argileuse de Cumberland. La NASA n'a pas, pour l'instant, communiqué de résultats concernant Windjana alors qu'elle a communiqué des résultats de Confidence Hills, pourtant plus récent. On ne peut qu'espérer que c'est parce qu'il y a une réponse positive mais non encore complètement interprétée.


La NASA a également publié des résultats concernant la présence de méthane dans l'atmosphère (cf. Mars methane detection and variability at Gale crater[1]). Le méthane martien est une vieille question. Comme il est détruit par les UV solaires, sa présence dans l'atmosphère de Mars signifierait qu'il existerait une source actuelle active de méthane sur Mars, source minérale (voir, par exemple, Méthane abiotique enflammé et serpentinite du site de la Chimère, Cirali, Turquie ) ou source biologique (voir, par exemple, La production biologique de méthane ). Ces deux types de méthane, d'origine minérale ou biologique, peuvent être temporairement stockés sous forme de clathrates, puis déstockés. Ces deux origines impliquent l'existence d'eau liquide en profondeur dans le sous-sol, voire d'une vie actuelle, d'où l'importance de la recherche de méthane dans l'atmosphère de Mars. Ces dernières années, deux observations avaient suggéré la présence de méthane dans l'atmosphère de Mars, observations depuis la Terre (cf. Dégagement de méthane sur Mars, connaissances terrestres et hypothèses martiennes ) ou depuis la sonde Mars Express (Du méthane sur Mars, des fentes de dessiccation et des sédiments dans Gusev). Mais les teneurs détectées étaient à la limite de la résolution des méthodes de détection utilisées, et étaient très contestées. Les résultats (préliminaires) de Curiosity (communiqués avant les résultats publiés en décembre 2014) indiquaient que le méthane, s'il y en avait, était en concentration inférieure aux incertitudes du seuil de détection de ses analyseurs. Le résultat publié en décembre 2014 complique les choses. Si le méthane atmosphérique a une teneur très faible en temps normal, indiscernable du bruit instrumental pendant la majorité des 750 sols concernés par ces analyses, il y a eu deux "bouffées" de méthane parfaitement mesurables autour des sols 300 et 500. Si la brièveté et l'importance de ces "bouffées" suggèrent une origine locale (interne au cratère Gale), on ne sait pas quel processus est à l'origine de ces bouffées de méthane.

Évolution de la teneur du méthane atmosphérique martien au cours des 750 premiers sols de la mission Curiosity

Figure 38. Évolution de la teneur du méthane atmosphérique martien au cours des 750 premiers sols de la mission Curiosity

Habituellement voisine de 0,7 ppbv (c'est-à-dire quasiment indiscernable du bruit instrumental), la teneur atmosphérique en méthane peut atteindre et même dépasser 7 ppbv pendant de brèves périodes. On ne connaît pas l'origine (certainement locale) de ces "bouffées" de méthane.


Schéma résumant les sources et puits possibles de méthane atmosphérique sur Mars

Figure 39. Schéma résumant les sources et puits possibles de méthane atmosphérique sur Mars

La NASA a figuré les deux origines classiques. Origine 1 (en bas, à droite) : H2O + CO2 + Fe2+ contenu dans des olivines → méthane, et origine 2 (en bas, à gauche) : méthane biogénique.

Ce méthane, avec ses deux origines potentielles, né dans le sol et/ou le sous-sol peut être stocké/déstocké sous forme de clathrates. La NASA a aussi rajouté le méthane pouvant venir de la dégradation de la matière organique contenue dans les poussières cosmiques et autres micro-chondrites carbonées. Ce méthane, quelle qu'en soit l'origine, est "rapidement" dispersé par le vent et détruit par les ultra-violets solaires. On ne connaît pas l'origine des "bouffées" de méthane détectées par Curiosity.


Un dernier résultat publié en décembre 2014 mérite d'être souligné, il concerne le rapport D/H de l'eau (ou plus précisément des groupements hydroxyles) des argiles martiennes (cf. The imprint of atmospheric evolution in the D/H of Hesperian clay minerals on Mars[1]).

Dans les océans terrestres, le rapport D/H (SMOW D/H) est égal à 1,56.10-4. La vapeur d'eau de l'atmosphère martienne est enrichie en deutérium par rapport à l'eau terrestre : le D/H de l'atmosphère martienne vaut 6 fois le SMOW D/H. Cet enrichissement de l'atmosphère martienne en hydrogène lourd (D) est dû à l'échappement important de l'hydrogène martien, lui-même dû, entre autres, à la faible gravité. Et l'hydrogène léger (H) s'échappe mieux que l'hydrogène lourd (D). Le rapport D/H des argiles de Yellowknife Bay a pu être mesuré. Il vaut 3 fois le SMOW D/H, soit la moitié du D/H de l'atmosphère martienne. Si on suppose (ce qui est tout à fait raisonnable) que le D/H des argiles est égal au D/H de l'eau dans laquelle elles se sont formées, le D/H de l'eau martienne a donc été multiplié par deux entre l'époque de la fabrication de ces argiles (entre -3,8 à -3 Ga) et l'époque actuelle. Ce chiffre permettra de quantifier la perte d'hydrogène (donc d'eau) de Mars au cours des derniers milliards d'années, et de la comparer avec l'échappement actuel d'hydrogène qu'est en train de mesurer la mission MAVEN de la NASA.



[1] Si vous n'êtes pas abonné à Science, vous pouvez accéder à une liste d'articles de recherche mis à disposition via la NASA à la page New Curiosity Research Papers.