Article | 07/01/2015
Les aventures et les résultats de Curiosity entre mai 2014 et janvier 2015, de Kimberley à Pahrump Hills
07/01/2015
Résumé
Curiosity continue son périple martien et la NASA publie enfin des résultats d'analyses effectuées entre 2012 et 2014 concernant la recherche de matière organique, le méthane et les isotopes de l'hydrogène de l'eau.
Table des matières
Nous avions laissé Curiosity en mai 2014. Il venait de quitter la région de Kimberley où il avait passé 2 mois. (cf Les aventures et les résultats de Curiosity entre septembre 2013 et mai 2014, de Yellowknife Bay à Kimberley). Depuis, il a repris sa progression, est arrivé à Pahrump Hills mi-septembre 2014, et il y est encore en ce début janvier 2015. Rappelons les objectifs de Curiosity et résumons ce qu'il avait déjà découvert en mai 2014. Curiosity s'est posé dans le cratère Gale (Ø = 150 km). Ce cratère a eu une histoire atypique. Selon les études effectuées avec les images des sondes orbitales et partiellement confirmées par les deux premières années de Curiosity, Gale aurait été rempli d'un lac où se seraient déposés des sédiments lacustres. Puis l'érosion aurait enlevé la presque totalité de ces sédiments, sauf en son centre où ils forment une montagne, le Mont Sharp. Enfin, une fois creusée par l'érosion, la dépression entourant ce Mont Sharp aurait été épisodiquement tapissée de cônes alluviaux venant des monts environnants et aurait même abrité des lacs temporaires. D'août 2012 à septembre 2014, Curiosity roule sur et analyse les sédiments de ces cônes alluviaux tardifs et de ces lacs temporaires. Mais sa véritable cible, ce sont les sédiments de la base du Mont Sharp. Les études spectrales (faites depuis l'orbite) montrent que ceux-ci sont riches en argile (montmorillonite) et les minéraux détectés montrent qu'ils se sont déposés en milieu non acide. Des conditions idéales pour étudier les conditions paléogéographiques ayant eu lieu dans ce lac entre -3,8 et -3,5 Ga et ayant pu conserver de la matière organique (éventuellement complexe) si une chimie organique complexe a eu lieu dans ce lac ! Mais un cordon de dunes sépare le site d'atterrissage de la base du Mont Sharp, distante au plus près de 4 km de ce site d'atterrissage. Cela oblige Curiosity à faire un long détour vers le SO pour éviter ce cordon de dunes et atteindre la base du Mont Sharp à travers une interruption du cordon dunaire, interruption que la NASA a appelé Entry Point encore distante de 5 km de Kimberley, là où nous l'avons laissé mi-mai 2014.
Sur le trajet Kimberley - Entry Point, grâce aux études orbitales, la NASA a repéré un site remarquable, les Pahrump Hills. La série stratigraphique du Mont Sharp est complexe. Selon les interprétations de la NASA, la formation de base est appelée la Murray Formation, recouverte par les dépôts de l'Hematite Ridge et bien d'autres dépôts plus récents. Ces formations du Mont Sharp sont recouvertes au NO par des dunes, et aussi par les cônes alluviaux et les sédiments des lacs temporaires tardifs, sédiments tardifs sur lesquels roule Curiosity depuis son atterrissage et que la NASA a appelés Crater Floor Sediments. Or les Pahrump Hills semblent correspondre à un affleurement de la Murray Formation, qui affleure localement sous les Crater Floor Sediments. D'où l'intérêt de leur étude !
Cet article comprend deux parties. La première correspond aux résultats (préliminaires) du trajet Kimberley - Pahrump Hills. Ces résultats peuvent être obtenus par tout un chacun en consultant les NASA News, les images sélectionnées et commentées par la NASA, ou les images brutes de Curiosity que chacun peut interpréter, assembler en mosaïques… à sa guise. La deuxième partie correspond aux résumés des résultats scientifiques publiés en décembre 2014 à l'occasion de l'AGU (American Geophysical Union), résultats concernant la matière organique dans les Crater Floor Sediments, le méthane dans l'atmosphère, et le deutérium dans les argiles.
De Kimberley à Pahrump Hills
Source - © 2012 D'après NASA/JPL-Caltech/Univ. of Arizona, modifié
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/MSSS | |
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech et NASA/JPL-Caltech/Univ. of Arizona, modifiés | Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech |
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/MSSS | Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/Univ. of Arizona |
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech | Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech |
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/MSSS | Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/MSSS |
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/MSSS/Damia Bouic | Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/MSSS |
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/MSSS | Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/Univ. of Arizona |
Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech | Source - © 2014 ASA/JPL-Caltech/MSSS |
Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech/MSSS | Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/MSSS |
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech | |
Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech | Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/MSSS |
Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech/MSSS
Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech / NASA/JPL-Caltech/MSSS | |
Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech |
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech | |
Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech/MSSS | Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech/MSSS |
Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech / 2di7 & titanio44 |
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech / 2di7 & titanio44 | Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech / 2di7 & titanio44 |
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/MSSS | Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech/MSSS |
Résultats d'analyses obtenus entre 2012 et 2014, et publiés en décembre 2014
Curiosity, grâce à son instrument SAM, a recherché de la matière organique dans les roches de 5 sites : Rocknest, John Klein, Windjana, Cumberland, et Confidence Hills. L'n de ces 5 sites, Cumberland (situé dans Yellowknife Bay), a donné un signal indiscutable en mai 2013, prouvant qu'il y a de la matière organique dans le niveau d'argile (montmorillonite) gréseuse nommé Sheepbed. En chauffant la poudre issue du forage, en faisant passer les gaz s'échappant de la poudre chauffée dans un chromatographe, et en mesurant au spectromètre de masse la masse molaire (ou plus exactement le rapport masse/charge) des différents composés séparés par le chromatographe, Curiosity a formellement identifié un certain nombre de composés organochlorés : les trois chlorométhanes, des chloroéthanes, propane, butane, et du mono-chlorobenzène (le plus abondant, en masse, des composés organiques identifiés). La teneur de la roche en chlorobenzène est de 150 à 300 ppb, soit 0,15 à 0,30 grammes par tonne. Des traces de composés organochlorés avaient été identifiées dans le forage précédent (John Klein), mais en quantité si faible qu'on n'était pas sûr de leur présence réelle. Ces composés organochlorés ne sont pas des produits martiens d'origine, mais des produits secondaires fabriqués par les techniques d'analyses de Curiosity. En effet, Curiosity ramasse de la poudre de roche, poudre qui contient des molécules organiques mais aussi des perchlorates (ClO4-). En chauffant cette poudre, les perchlorates réagissent avec les molécules carbonées, les détruisent partiellement et engendrent chlorobenzène et autres composés organochlorés. Il sera difficile, en analysant ces molécules organiques secondaires, de remonter aux molécules organiques primaires. C'est sans doute parce qu'il contenait moins de perchlorates (parce que foré plus près d'un escarpement le protégeant des rayonnements à l'origine des perchlorates) que Cumberland a délivré plus de molécules organiques que les autres sites d'analyse.
Source - © 2014 NASA/JPL-Caltech | Source - © 2007 NASA/JPL-Caltech |
La NASA a également publié des résultats concernant la présence de méthane dans l'atmosphère (cf. Mars methane detection and variability at Gale crater[1]). Le méthane martien est une vieille question. Comme il est détruit par les UV solaires, sa présence dans l'atmosphère de Mars signifierait qu'il existerait une source actuelle active de méthane sur Mars, source minérale (voir, par exemple, Méthane abiotique enflammé et serpentinite du site de la Chimère, Cirali, Turquie ) ou source biologique (voir, par exemple, La production biologique de méthane ). Ces deux types de méthane, d'origine minérale ou biologique, peuvent être temporairement stockés sous forme de clathrates, puis déstockés. Ces deux origines impliquent l'existence d'eau liquide en profondeur dans le sous-sol, voire d'une vie actuelle, d'où l'importance de la recherche de méthane dans l'atmosphère de Mars. Ces dernières années, deux observations avaient suggéré la présence de méthane dans l'atmosphère de Mars, observations depuis la Terre (cf. Dégagement de méthane sur Mars, connaissances terrestres et hypothèses martiennes ) ou depuis la sonde Mars Express (Du méthane sur Mars, des fentes de dessiccation et des sédiments dans Gusev). Mais les teneurs détectées étaient à la limite de la résolution des méthodes de détection utilisées, et étaient très contestées. Les résultats (préliminaires) de Curiosity (communiqués avant les résultats publiés en décembre 2014) indiquaient que le méthane, s'il y en avait, était en concentration inférieure aux incertitudes du seuil de détection de ses analyseurs. Le résultat publié en décembre 2014 complique les choses. Si le méthane atmosphérique a une teneur très faible en temps normal, indiscernable du bruit instrumental pendant la majorité des 750 sols concernés par ces analyses, il y a eu deux "bouffées" de méthane parfaitement mesurables autour des sols 300 et 500. Si la brièveté et l'importance de ces "bouffées" suggèrent une origine locale (interne au cratère Gale), on ne sait pas quel processus est à l'origine de ces bouffées de méthane.
Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech | Source - © 2014 D'après NASA/JPL-Caltech |
Un dernier résultat publié en décembre 2014 mérite d'être souligné, il concerne le rapport D/H de l'eau (ou plus précisément des groupements hydroxyles) des argiles martiennes (cf. The imprint of atmospheric evolution in the D/H of Hesperian clay minerals on Mars[1]).
Dans les océans terrestres, le rapport D/H (SMOW D/H) est égal à 1,56.10-4. La vapeur d'eau de l'atmosphère martienne est enrichie en deutérium par rapport à l'eau terrestre : le D/H de l'atmosphère martienne vaut 6 fois le SMOW D/H. Cet enrichissement de l'atmosphère martienne en hydrogène lourd (D) est dû à l'échappement important de l'hydrogène martien, lui-même dû, entre autres, à la faible gravité. Et l'hydrogène léger (H) s'échappe mieux que l'hydrogène lourd (D). Le rapport D/H des argiles de Yellowknife Bay a pu être mesuré. Il vaut 3 fois le SMOW D/H, soit la moitié du D/H de l'atmosphère martienne. Si on suppose (ce qui est tout à fait raisonnable) que le D/H des argiles est égal au D/H de l'eau dans laquelle elles se sont formées, le D/H de l'eau martienne a donc été multiplié par deux entre l'époque de la fabrication de ces argiles (entre -3,8 à -3 Ga) et l'époque actuelle. Ce chiffre permettra de quantifier la perte d'hydrogène (donc d'eau) de Mars au cours des derniers milliards d'années, et de la comparer avec l'échappement actuel d'hydrogène qu'est en train de mesurer la mission MAVEN de la NASA.
[1] Si vous n'êtes pas abonné à Science, vous pouvez accéder à une liste d'articles de recherche mis à disposition via la NASA à la page New Curiosity Research Papers.