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Article | 30/05/2014

Les aventures et les résultats de Curiosity entre septembre 2013 et mai 2014, de Yellowknife Bay à Kimberley

30/05/2014

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Géologie martienne : analyses, terrains striés, discordances angulaires, dynamique sédimentaire, galet de gabbro à plagioclases pluri-centimétriques... sur le chemin du Mont Sharp.


Notre dernière chronique sur les aventures scientifiques du robot Curiosity date de début septembre 2013 (cf. Les travaux et résultats de Curiosity, de mi-février à début-septembre 2013). Nous avions laissé Curiosity "fonçant" vers le Sud-Ouest, après être resté quasiment dix mois à étudier les affleurements de Yellowknife Bay. Que s'est-il passé durant ces neuf derniers mois ?

On peut diviser cette chronique en deux parties : (1) les résultats publiés dans la revue Science en janvier 2014 concernant Yellowknife Bay et (2) le récit et les résultats préliminaires du trajet.

Trajet déjà effectué par Curiosity et trajet restant à faire pour atteindre le mont Sharp (état fin mai 2014)

Figure 1. Trajet déjà effectué par Curiosity et trajet restant à faire pour atteindre le mont Sharp (état fin mai 2014)

Sur cette carte, le trajet déjà effectué est indiqué en trait plein rouge. Le trajet restant à faire pour atteindre les niveaux inférieurs du Mont Sharp (ellipse bleue, sa cible principale), est indiqué en pointillés rouges. Le cercle bleu en haut à droite correspond à Yellowknife Bay, où Curiosity est resté 10 mois (8 mois d'études scientifiques, 1 mois de bugs informatiques et 1 mois sans transmission du fait des positions relatives Terre-Soleil-Mars). La flèche jaune indique la position approximative de Curiosity à la fin de notre dernière chronique, début septembre 2013. Les principaux points d'intérêt depuis septembre 2013 sont indiqués (et datés) par des petits cercles de couleur.


La géologie de Yellowknife Bay

Yellowknife Bay, vue générale faite les sols 170 à 176 (27 janvier au 3 février 2013)

Figure 2. Yellowknife Bay, vue générale faite les sols 170 à 176 (27 janvier au 3 février 2013)

C'est dans ce secteur qu'Opportunity a fait huit mois de géologie intensive.


Curiosity a travaillé huit mois dans Yellowknife Bay. Nous avons relaté les résultats préliminaires fournis "au jour le jour" par la NASA (cf. Les travaux et résultats de Curiosity, de mi-février à début-septembre 2013). En janvier 2014, la revue Science a publié un numéro spécial (Science vol. 343) concernant les résultats "définitifs" de cette exploration, résultats qui confirment et précisent les résultats préliminaires fournis "en temps réel" quelques mois plus tôt.

Nous vous résumons rapidement ces résultats, que nous illustrerons par les 6 figures suivantes.

Curiosity a toujours circulé sur des roches sédimentaires, roches qui ont été déposées par de l'eau courante dans un ancien lac. Ce sont essentiellement des roches détritiques, gréseuses ou argileuses, provenant de l'altération et de l'érosion de roches basiques (basaltes, gabbros…) et du dépôt de leurs débris et produits néoformés dans le lac. Elles se sont déposées dans de l'eau peu salée, avec un pH neutre, avec coexistence de micro-environnements oxydés et réduits. Une colonne stratigraphique locale a pu être établie. Cet ancien environnement serait aujourd'hui tout à fait habitable par la majorité des bactéries terrestres actuelles, alors que l'ancien environnement d'Opportunity ne le serait que pour des bactéries bien particulières (acidophiles et halophiles). Ce pH neutre est également une condition favorable à une éventuelle chimie prébiotique (polymérisation des acides aminés…). Ces roches ont subi une diagenèse se traduisant, entre autres, par la présence de multiples sphérules (qui ne sont pas sans rappeler les myrtilles d'Opportunity). Ces roches sont traversées de fractures maintenant remplies de minéraux secondaires, principalement des sulfates. Ces roches contiennent un très faible pourcentage de carbone mais les études n'ont pas permis de savoir si les roches contenaient ou non des molécules organiques "indigènes". Le mélange "éléments détritiques + matrice argileuse + minéraux diagénétiques" a pu être daté (méthode K-Ar) à 4,2±0,4 Ga, ce qui confirme les âges attribués par la méthode de comptage des cratères. La vitesse de l'érosion éolienne a pu être estimée à environ 1 m par million d'années.

Vue du secteur de Yellowknife Bay où ont été réalisés les deux forages à la base des analyses minéralogiques, chimiques et isotopiques (John Klein et Cumberland) (sol 137, 24 décembre 2012)

Figure 3. Vue du secteur de Yellowknife Bay où ont été réalisés les deux forages à la base des analyses minéralogiques, chimiques et isotopiques (John Klein et Cumberland) (sol 137, 24 décembre 2012)

De bas en haut, on trouve l'unité Sheepbed, formée d'argiles plus ou moins gréseuses et où ont eu lieu les deux forages. Cette unité Sheepbed est recouverte par l'unité Gillespie Lake essentiellement formée de grès plus ou moins grossiers. Ces deux unités sont affectées d'un réseau de fractures ouvertes d'origine peu claire (alternance de dilatations et de contractions thermiques ?). L'unité Gillespie Lake est elle-même surmontée par l'unité Glenelg, avec à sa base intercalation locale de la formation de Point Lake, formation d'origine bien énigmatique (cf. Les travaux et résultats de Curiosity, de mi-février à début-septembre 2013, figures 13 à 21).



Carte de l'étendue probable de l'ancien lac interne au cratère Gale et de son alimentation torrentielle, sur les sédiments duquel roule Curiosity depuis août 2012

Figure 5. Carte de l'étendue probable de l'ancien lac interne au cratère Gale et de son alimentation torrentielle, sur les sédiments duquel roule Curiosity depuis août 2012

Rappelons que les sédiments de ce lac ne constituent pas le but scientifique de la mission. Le but scientifique principal correspond aux couches argileuses basales du Mont Sharp, couches argileuses sur lesquelles venaient déferler les vagues de ce lac. Le trajet déjà effectué est figuré en vert, celui qui reste à faire est figuré en rouge.


Figure 6. Carte morphologique détaillée établie à l'aide des images haute résolution des différentes missions orbitales

Alluvial Fan peut être traduit par "cône de déjection", Bedded Fractured par "couches fracturées", Cratered Surface par "surface cratérisée", Hummocky Plain par "plaine bosselée", Rugged par "accidenté" et Striated par "strié".

Source : Science 343, (2014); J. P. Grotzinger et al. Gale Crater, Mars, a Habitable Fluvio-Lacustrine Environment at Yellowknife Bay


Schéma résumant les résultats des études radiochronologiques effectuées par l'instrument SAM

Figure 7. Schéma résumant les résultats des études radiochronologiques effectuées par l'instrument SAM

Pour les outils, dont SAM, voir Le 6 août, le robot Curiosity devrait se poser sur Mars et sa partie instruments scientifiques. En dosant l'argon et surtout en mesurant le rapport 40Ar/36Ar, Curiosity a pu proposer un âge de 4,2±0,4 Ga. Cet âge ne correspond pas à l'âge de la roche sédimentaire, mais à un mélange des âges des éléments détritiques (âge Noachien), de la matrice (Hespérien inférieur) et des minéraux diagénétiques. Cet âge correspond à l'ordre de grandeur de ce qu'indiquent les modèles de cratérisation.


Âge d'exposition et vitesse d'érosion sur Mars

Figure 8. Âge d'exposition et vitesse d'érosion sur Mars

À la surface d'une planète sans champ magnétique et avec une faible atmosphère, le rayonnement cosmique atteint la surface. Des noyaux de 3He, 21Ne… sont ainsi implantés dans les premiers décimètres les plus superficiels des roches martiennes. La teneur d'une roche en ces noyaux indiquent depuis combien de temps cette roche est en (sub)surface. Dans le cas des roches forées dans Yellowknife Bay, on trouve un âge de 78±30 Ma. Cet âge, associé à la morphologie du site, permet d'estimer la vitesse d'érosion (éolienne) des escarpements martiens : environ 1m/Ma. Ce résultat permettra de mieux choisir les futurs sites de forage. En effet, les molécules organiques que doit rechercher Curiosity sont très sensibles à l'environnement externe martien qui est très agressif (rayons cosmiques, UV, milieu très oxydant…). Le site du forage Cumberland (en bleu) était en surface depuis 80 Ma, et les (éventuelles) molécules organiques ont vu leur teneur très fortement réduite. Vue la vitesse "élevée" de cette érosion, un forage implanté très près d'un escarpement (en rouge) aurait peut-être permis de découvrir des quantités mesurables de matière organique martienne.


Le trajet de la période septembre 2013 – mai 2014

Contrairement à son habitude, la NASA est très "chiche" en communication de résultats préliminaires.

Si toutes les images brutes (raw images), sans échelle, sans orientation, sans aucun commentaire… sont bien mises à disposition tous les jours sur le web (Mars Science Laboratory / Raw images), la NASA ne livre que peu de photographies commentées ou de panoramas tout construits (Mars Science Laboratory / Images) ou de News » (MSL / What's new). Par contre, on peut facilement suivre, quasiment au jour le jour la progression de Curiosity grâce à des cartes très précises (MSL / Where is Curiosity? ).

On en est donc très souvent réduit à faire ses propres interprétations géologiques (exclusivement à l'aide d'images, puisque seulement deux résultats analytiques ont été divulgués depuis la sortie de Yellowknife Bay) et à faire ses propres mosaïques "maison" pour avoir des panoramas. Dans le cas des panoramas, la "déficience" de la NASA est compensée par des initiatives privées, qui élaborent et mettent en ligne de tels panoramas. Avec son accord, j'utilise donc des panoramas fait par Damia Bouic, diplômée du DNSEP option design à l'École Supérieure des Beaux Arts de Marseille, panoramas disponible sur son blog Marsrovers Images.

Face à cette pénurie de données scientifiques, la suite des aventures de Curiosity va se réduire à 53 images commentées, qui peuvent être des images uniques de la NASA, des panoramas NASA, des panoramas de Damia Bouic, ou des panoramas "maison". Toutes les interprétations proposées sont donc forcément des interprétations personnelles et provisoires, à prendre avec les réserves d'usage.

Un exemple typique des paysages parcourus en ce début d'automne 2013 par Curiosity (sol 437, 29 octobre 2013)

Figure 9. Un exemple typique des paysages parcourus en ce début d'automne 2013 par Curiosity (sol 437, 29 octobre 2013)

Noter la nature très caillouteuse du sol sur lequel doit rouler Curiosity, ce qui ne sera pas sans conséquences sur l'état de ses roues.


Un site martien d'intérêt géologique : Darwin (sol 399, 20 septembre 2013)

Figure 10. Un site martien d'intérêt géologique : Darwin (sol 399, 20 septembre 2013)

L'érosion a dégagé et laissé en saillie des filons résistants et recoupant un substratum plus érodable.


Gros plan sur l'un de ces filons résistants dégagé par l'érosion sur le site de Darwin (sol 400, 21 septembre 2013)

Figure 11. Gros plan sur l'un de ces filons résistants dégagé par l'érosion sur le site de Darwin (sol 400, 21 septembre 2013)

La NASA y a effectué des analyses, mais n'en a pas divulgué les résultats.



Le site de Cooperstown photographié le 28 octobre 2013 (sol 437, 28 octobre 2013)

Figure 13. Le site de Cooperstown photographié le 28 octobre 2013 (sol 437, 28 octobre 2013)

C'est sur ce site qu'a été effectuée la seule analyse (ChemCam) post-Yellowknife Bay publiée à ce jour (25 mai 2014). L'analyse publiée ci-après a été effectuée sur l'un de ces bancs durs que l'érosion met en évidence.


Gros banc du site de Cooperstown, avec alternance de grès fins et de grès grossier (sol 439, 30 octobre 2013)

Figure 14. Gros banc du site de Cooperstown, avec alternance de grès fins et de grès grossier (sol 439, 30 octobre 2013)

Le rectangle noir localise les sites d'analyse de Chemcam, dont les résultats sont présentés à la figure suivante.


Figure 15. Résultats d'analyses de ChemCam sur un des bancs résistants de Cooperstown

Les proportions des divers éléments indiquent une chimie basaltique. Les bancs sont donc constitués de grès plus ou moins conglomératiques, eux-mêmes formés de micro-débris basaltiques (ou gabbroïques). On pourrait trouver de tels sédiments au fonds des lacs islandais.


Un exemple typique de paysage entre Cooperstown et Dingo Gap (sol 440, 1er novembre 2013)

Figure 16. Un exemple typique de paysage entre Cooperstown et Dingo Gap (sol 440, 1er novembre 2013)

Un banc de grès particulièrement résistant et présentant sa fracturation si particulière occupe le tiers gauche de l'image.


Le 18 décembre 2013 (sol 486), lors d'une pause (prévue) pour une "révision générale", la NASA s'aperçoit que les bandes de roulement de ses roues sont beaucoup plus abîmées que prévues, avec des traces de chocs et même des ruptures et des perforations

Figure 17. Le 18 décembre 2013 (sol 486), lors d'une pause (prévue) pour une "révision générale", la NASA s'aperçoit que les bandes de roulement de ses roues sont beaucoup plus abîmées que prévues, avec des traces de chocs et même des ruptures et des perforations

À partir de ce sol 486, la NASA va, dans la mesure du possible, choisir de rouler sur des terrains moins caillouteux, ce qui va ralentir la progression de Curiosity, mais ne va pas stopper la dégradation des roues. À gauche, l'image d'une roue ce 18 décembre 2013. Il y a déjà une belle déchirure (flèche verte). À gauche, la même roue photographiée le 8 mars 2014 (sol 364, 2 mois et demi plus tard donc). La déchirure (flèche verte) n'a pas évolué. Par contre une simple trace de choc (flèche rouge) est devenue un beau trou.


État d'une autre roue du Curiosity (sol 568, 12 mars 2014)

Figure 18. État d'une autre roue du Curiosity (sol 568, 12 mars 2014)

Quatre trous-déchirures sont nettement visibles.


Pas étonnant que les roues soient "fatiguées" vu la nature très caillouteuse du trajet !

Figure 19. Pas étonnant que les roues soient "fatiguées" vu la nature très caillouteuse du trajet !

Rappelons que Curiosity pèse 900 kg, et que même avec six roues, cela fait une sacrée pression sur les roues dans des situations comme celle surprise par la caméra MAHLI le 8 janvier 2014 (sol 506).


Le sol 511 (13 janvier 2014), Curiosity s'arrête pour étudier un banc de conglomérat grossier

Figure 20. Le sol 511 (13 janvier 2014), Curiosity s'arrête pour étudier un banc de conglomérat grossier

Pour la première fois, Curiosity va découvrir un galet de roche grenue dont les cristaux sont visibles à l'œil nu (on devrait dire « à la caméra nue »).


Gros plan sur le banc de conglomérat à galet de roche grenue de la figure précédente (sol 512, 14 janvier 2014)

Figure 21. Gros plan sur le banc de conglomérat à galet de roche grenue de la figure précédente (sol 512, 14 janvier 2014)

Le rectangle noir localise la figure suivante, zoom sur ce conglomérat.


Figure 22. Très gros plan sur le banc de conglomérat des deux figures précédentes (sol 514, 15 janvier 2014)

On voit nettement des galets arrondis pluri-centimétriques, indiquant un transport par un courant d'eau assez énergique. Le gros galet central est un galet de gabbro, galet nommé Harrison, où l'on reconnaît parfaitement des baguettes centimétriques de feldspaths plagioclases pris dans une matrice verte de pyroxènes verdâtres. La NASA indique que ChemCam a confirmé cette détermination. La présence de ce galet de gabbro montre qu'il doit y avoir quelque part dans les parois du cratère Gale, des roches magmatiques ayant cristallisé lentement, en profondeur. Les roches magmatiques martiennes ne sont donc pas que des roches volcaniques.


Figure 23. Le 28 janvier 2014 (sol 526), Curiosity arrive devant une dune qui barre une vallée : Dingo Gap

L'éviter en escaladant les pentes caillouteuses avec le risque d'encore plus dégrader ses roues, ou la franchir avec le risque de s'enliser ? En attendant, on peut noter un changement dans le paysage : il y a plus de collines qu'avant et celles-ci ont leur sommet constitué d'une dalle horizontale (du grès) particulièrement résistante.


Après des essais de roulement avec marche avant, marche arrière, braquage… la NASA décide de franchir la dune de Dingo Gap

Figure 24. Après des essais de roulement avec marche avant, marche arrière, braquage… la NASA décide de franchir la dune de Dingo Gap

Arrivé au sommet le 4 février 2014 (sol 533), Curiosity fait moult photos, dont la trentaine assemblées en cette mosaïque.


Le 6 février 2014 (sol 635), Curiosity est de l'autre côté de la dune de Dingo Gap

Figure 25. Le 6 février 2014 (sol 635), Curiosity est de l'autre côté de la dune de Dingo Gap

En examinant la surface rocheuse dépourvue de sable et de caillasses, il retrouve des filons en saillie qui ne sont pas sans rappeler ceux du site Darwin (figures 10 et 11).


Le 6 février 2014 (sol 635), Curiosity est de l'autre côté de la dune de Dingo Gap

Figure 26. Le 6 février 2014 (sol 635), Curiosity est de l'autre côté de la dune de Dingo Gap

En examinant la surface rocheuse dépourvue de sable et de caillasses, il retrouve des filons en saillie qui ne sont pas sans rappeler ceux du site Darwin (figures 10 et 11).


Figure 27. Le 9 février 2014 (sol 538), Curiosity quitte Dingo Gap et sa dune

Dans le quart inférieur gauche, noter les filons en reliefs, les mêmes que ceux des deux figures précédentes mais vus sous un autre angle.


Le 13 février 2014 (sol 541), on quitte définitivement le secteur de Dingo Gap dont on devine encore la dune au bout des traces de roues

Figure 28. Le 13 février 2014 (sol 541), on quitte définitivement le secteur de Dingo Gap dont on devine encore la dune au bout des traces de roues

On voit bien que les collines ont leur sommet constitué d'une dalle horizontale (du grès) particulièrement dure et résistante à l'érosion. Des sortes de cuestas et de buttes témoins (qu'on pourrait aussi appeler mesa) ! Et dominant le tout, le Mont Sharp.


Depuis août 2012, Curiosity roule sur des terrains d'un type nouveau, ici l'unité "striée"

Figure 29. Depuis août 2012, Curiosity roule sur des terrains d'un type nouveau, ici l'unité "striée"

Les différents types de terrains, à cause de leur aspect sur les images satellites haute résolution, ont été appelés unités respectivement cratérisée, bosselée, à couches fracturées, accidentée… Ce sol 548 (19 février 2014) on arrive très vraisemblablement pour la première fois près de l'unité appelée « unité striée », et on voit pourquoi ce nom. Le substratum est constitué d'une alternance relativement régulière de couches dures et de couches tendres. Ces couches ont un léger pendage (pendage sans doute d'origine sédimentaire, dû par exemple à une progradation à grande échelle, cf. Stratifications obliques de grande taille dans l'Archéen d'Afrique du Sud, canyon de la Blyde River ). L'intersection entre ces couches légèrement inclinées et la surface topographique donne cette morphologie "étrange" qui, en vue verticale, ressemble à des stries. Avec les images orbitales haute résolution, on voit que la direction globale de ces striations (l'intersection entre la surface et les différentes couches inclinées) est d'environ N70°, avec un léger pendage vers le SSE.


Du 22 février au 6 mars 2014 (du sol 550 au sol 562), Curiosity progresse dans un contexte accidenté, l'occasion de montrer de beaux paysages en faisant de belles mosaïques. Les quatre figures suivantes correspondent à quatre mosaïques "maisons" et ont deux buts : (1) montrer la variété et la beauté de ces paysages, (2) montrer le pendage des couches, parfois horizontales, parfois légèrement inclinées vers le SSE.

Mosaïque maison d'images prise le sol 550

Mosaïque maison d'images prise le sol 551

Mosaïque maison d'images prise le sol 554

Mosaïque maison d'images prise le sol 562

Le sol 568 (12 mars 2014), Curiosity s'approche du prochain site géologique "intermédiaire", le secteur de Kimberley

Figure 34. Le sol 568 (12 mars 2014), Curiosity s'approche du prochain site géologique "intermédiaire", le secteur de Kimberley

L'image résume la géologie de ce secteur : des couches inclinées (« unité striée ») visibles au centre droit de l'image, couches surmontées par des couches horizontales contenant des bancs très durs, dont ceux "chapeautant" les collines.


Le site de Kimberley a été choisi il y a plus d'un an comme site géologique intermédiaire entre Yellowknife Bay et la base du Mont Sharp. Sur les images orbitales, on y voit en effet des terrains horizontaux, avec plusieurs couches dures repères, souvent sous forme de buttes témoins (ou mesa), couches horizontales recouvrant en discordance angulaire les couches inclinées constituant l'unité striée. Une géologie variée, avec de nombreux escarpements. Or, forer juste à la base d'un escarpement peut être intéressant pour trouver de la matière organique préservée (cf. figure 8 de cet article).

Carte du trajet de Curiosity dans le secteur de Kimberley établie le 22 mai 2014 (sol 637)

Figure 35. Carte du trajet de Curiosity dans le secteur de Kimberley établie le 22 mai 2014 (sol 637)

Cette carte permet de suivre l'exploration de la Région de Kimberley entre la mi-mars et la mi-mai 2014. Curiosity, si on ne tient pas compte des virages, progresse du Nord au Sud. Son trajet est indiqué par un trait jaune. Chaque point jaune correspond à un arrêt nocturne. L'indication à côté de ces sites d'arrêt indique le n° du sol se terminant lors de cet arrêt. Vous pouvez donc (approximativement) localiser les sites de prises de vue des 25 images qui suivent. Une photo prise le sol xxx a donc été prise depuis le point jaune appelé sol xxx ou sur le trait jaune situé juste "en amont" de ce point jaune. Le point rouge indique le site du forage de Windjana (figures 46 à 51). Sur cette carte, on voit bien les couches horizontales formant des buttes témoins. Trois de ces buttes (les monts Christine, Joseph et Remarkable) recouvrent nettement en discordance une unité "striée" située juste à l'Est.


En arrivant à Kimberley dont on reconnaît les quatre buttes juste au centre de l'image (sol 571, 15 mars 2014)

Figure 36. En arrivant à Kimberley dont on reconnaît les quatre buttes juste au centre de l'image (sol 571, 15 mars 2014)

Le Mount Remarkable correspond à la deuxième butte en partant de la gauche.


Figure 37. Panorama global sur le secteur de Kimberley avec trois de ses quatre buttes (sol 574 à 576, 18 à 20 mars 2014)

De gauche à droite le Mont Joseph, le Mont Remarkable et le Mont Christine.

Le sommet de chacune de ces buttes est constitué d'une couche résistante horizontale, recouvrant (avec une discordance angulaire) les couches inclinée vers le SSE de l'unité striée.


Figure 38. Zoom sur le secteur de Kimberley avec trois de ses quatre buttes (sol 574 à 576, 18 à 20 mars 2014)

De gauche à droite le Mont Joseph, le Mont Remarkable et le Mont Christine.

Le sommet de chacune de ces buttes est constitué d'une couche résistante horizontale, recouvrant (avec une discordance angulaire) les couches inclinée vers le SSE de l'unité striée.



Panorama avec ,au fond, le Mont Remarkable (à gauche) et le Mont Christine, à droite (sol 589, 3 avril 2014)

Figure 40. Panorama avec ,au fond, le Mont Remarkable (à gauche) et le Mont Christine, à droite (sol 589, 3 avril 2014)

Au premier plan, le sol "sableux" est affecté de curieux sillons. Ceux-ci se formeraient à l'aplomb des fractures "ouvertes" des dalles de grès. Ces fractures et la chute du sable qui s'y produit pourraient être dues aux alternances dilatations / contractions thermiques affectant ces dalles de grès (rappelons que pendant l'été, la température du sol varie de 0°C le jour à -90°C la nuit, cf. les variations de température jour/nuit en août 2012).


Panorama avec au fond le Mont Remarkable (à gauche) et le Mont Christine (à droite) (sol 589, 3 avril 2014)

Figure 41. Panorama avec au fond le Mont Remarkable (à gauche) et le Mont Christine (à droite) (sol 589, 3 avril 2014)

Ces monts et l'espèce de "plateau" les reliant sont constitués de couches horizontales. Au premier plan, on voit très bien les couches inclinées vers la gauche (vers le SSE) de l'unité striée. La discordance angulaire entre les terrains horizontaux et inclinés se distingue assez bien entre la base des deux monts.


Interprétation paléo-sédimentaire des observations dans le secteur de Kimberley

Figure 42. Interprétation paléo-sédimentaire des observations dans le secteur de Kimberley

On peut noter que ces couches inclinées ont une direction approximative N70° (traits rouges), avec un pendage orienté en général vers le SSE. Cette orientation et ce pendage sont approximativement partout les mêmes dans la mesure où l'on peut le déterminer sur la base de simple photos. On peut interpréter cette direction et ce pendage en termes de progradation, si on suppose que ces couches inclinées ont été déposées dans l'ancien lac par les torrents issus des bords du cratère et en constituent en quelque sorte le delta sous-lacustre. Cette orientation est en effet perpendiculaire à la direction les paléo-courants tels qu'ils sont figurés (flèches noires) sur le schéma de la NASA publié en décembre 2013.


Le Mont Remarkable, site du prochain forage, vu de loin (sol 592, 6 avril 2014)

Figure 43. Le Mont Remarkable, site du prochain forage, vu de loin (sol 592, 6 avril 2014)

Ce mont est constitué de couches horizontales. Au premier plan, les couches inclinées vers la gauche.


Zoom sur le Mont Remarkable, site du prochain forage (sol 592, 6 avril 2014)

Figure 44. Zoom sur le Mont Remarkable, site du prochain forage (sol 592, 6 avril 2014)

Ce mont est constitué de couches horizontales. Au premier plan, les couches inclinées vers la gauche.


La région de Kimberley vue par la caméra Hirise de MRO, le 11 avril 2014

Figure 45. La région de Kimberley vue par la caméra Hirise de MRO, le 11 avril 2014

On devine les traces du rover qui arrive par le coin supérieur gauche de l'image. Le rover Curiosity lui-même correspond au petit point bleu au tiers inférieur de l'image, au pied du Mont Remarkable.


Le site de forage de Windjana, au pied du Mont Remarkable (sol 630, 15 mai 2014)

Figure 46. Le site de forage de Windjana, au pied du Mont Remarkable (sol 630, 15 mai 2014)

Le forage a été effectué dans la couche horizontale qui traverse l'image de gauche à droite. Quelques mètres en arrière, cette couche horizontale est surmontée d'autres couches. Si la vitesse d'érosion (éolienne) est la même ici que dans Yellowknife Bay, cette couche n'est donc en surface que depuis quelques millions d'années. Une position favorable pour y trouver de l'éventuelle matière organique martienne.

Cette photo a été prise le sol 630, 15 mai 2014, dès que Curiosity s'est éloigné du site de forage.


Curiosity au pied du Mont Remarkable et de la roche Windjana (sol 613, 27 avril 2014)

Figure 47. Curiosity au pied du Mont Remarkable et de la roche Windjana (sol 613, 27 avril 2014)

Les équipes de la NASA ont déjà choisi le site du futur forage. Avant d’entamer le forage proprement dit, les scientifiques ont voulu examiner la qualité de la roche, ainsi que sa structure. Pour cela ils ont utilisé une brosse rotative qui a enlevé la poussière sur un cercle d’environ 6 cm de diamètre, débarrassant la roche de la poussière rougeâtre qui recouvre toute la majorité de la surface de Mars. Ce cercle "dépoussiéré" correspond à la petite tache verte juste à droite de la flèche rouge. La position de ce site de forage a été choisie juste au pied d’un relief : les premières pentes du Mont Remarkable commencent à moins d’1 m à gauche du point de forage. Si l’érosion éolienne a la même vitesse qu’à Yellowknife Bay (1 m/Ma), alors la surface de Windjana n’est en surface que depuis moins d’1 Ma. Une bonne chance pour que les molécules organiques qu’elle contenait éventuellement n’aient pas été entièrement dégradées par les conditions externes.





Gros plan sur le forage de Windjana (sol 628, 13 mai)

Figure 51. Gros plan sur le forage de Windjana (sol 628, 13 mai)

Cette image a été effectuée de nuit, et le trou de forage est éclairé par les diodes du bras. C'est la poudre issue du forage qui a été prélevée pour être introduite dans l'instrument SAM. Des traces des impulsions laser de ChemCan sont visibles à l'intérieur du forage, ainsi qu'au-dessus en haut à droite. Les résultats de ces analyses sont attendues pour... plus tard.


À 50 m au SE du Mont Remarkable (visible à droite) se trouve un petit relief sans nom visible dans la moitié gauche de l'image

Détail sur le petit relief sans nom situé 50 m au SE du Mont Remarkable (sol 613, 27 avril 2014)

Figure 53. Détail sur le petit relief sans nom situé 50 m au SE du Mont Remarkable (sol 613, 27 avril 2014)

Les couches supérieures de ce relief sont "banales" pour le secteur, en ce sens qu'elles ont un léger pendage vers le SSE comme toutes les couches de l'unité striée dans ce secteur. Mais la base de ce relief est constituée de couches ayant un autre pendage, les parties supérieure et inférieure de ce relief sont donc séparées par une discordance angulaire. Une autre unité, plus vieille que l'unité striée, ou une variation locale de pendage au sein de cette même unité ?


Gros plan sur la discordance du relief sans nom situé au SE du Mont Remarkable (sol 630, 15 mai 2014)

Figure 54. Gros plan sur la discordance du relief sans nom situé au SE du Mont Remarkable (sol 630, 15 mai 2014)

En haut les couches "classiques" inclinées vers la droite (vers le SSE). En bas des couches différemment orientées et inclinées.




Détail sur des couches constitutives du relief sans nom, près du Mont Remarkable

Figure 57. Détail sur des couches constitutives du relief sans nom, près du Mont Remarkable

Certaines de ces couches sont constituées de sédiments détritiques grossiers. Ces couches inclinées ne peuvent donc en aucun cas être d'origine éolienne mais sont bien d'origine fluviatile et/ou torrentielle.



Zoom sur certaines couches des supérieures du relief sans nom au SE du Mont Remarquable (sol 631, 16 mai 2014)

Figure 59. Zoom sur certaines couches des supérieures du relief sans nom au SE du Mont Remarquable (sol 631, 16 mai 2014)

Des stratifications obliques sont visibles dans le quart inférieur droit. Encore un indice du dépôt de ces couches par des eaux courantes.


Pour finir cet examen du secteur de Kimberley, on peut zoomer sur le centre de l'image 58 (sol 631, 16 mai 2014)

Figure 60. Pour finir cet examen du secteur de Kimberley, on peut zoomer sur le centre de l'image 58 (sol 631, 16 mai 2014)

On voit un réseau de fracture d'allure différente des fractures "habituelles". Des Fentes de dessiccation ?