Image de la semaine | 04/11/2024
De possibles gabbros “orientés” (par métamorphisme et déformation, par sédimentation magmatique, par écoulement visqueux…) sur Mars
04/11/2024
Résumé
Découverte sur Mars de roches visuellement semblables à des gabbros. Comparaison avec des gabbros isotropes et anisotropes terrestres.
Source - © 2024 NASA/JPL-Caltech/ASU, modifié
Le 23 septembre, la NASA publiait la photographie d'une roche “étrange” dans un article nommé A striped surpise (“Une surprise rayée”). La presse, le web… parlaient de « zebra rock ». Cette photographie avait été prise par le robot mobile Perseverance dix jours plus tôt, le 13 septembre 2024 (sol 1266), soit le 1266e jour martien depuis l'atterrissage de Perseverance en février 2021, avec 1 sol = 24 h 39 min. La figure 1 montre la photographie de l'article de la NASA, photographie que j'ai “traitée” pour en augmenter le contraste. Aucune analyse n'est disponible pour cette roche, ni aucune vue sous plusieurs angles, et la NASA dit pourquoi.
While driving across unremarkable pebbly terrain, beady-eyed team members spotted a cobble in the distance with hints of an unusual texture in low resolution Navcam images, and gave it the name “Freya Castle”. The team planned a multispectral observation using the Mastcam-Z camera in order to get a closer look before driving away. When these data were downlinked a couple days later, after Perseverance had already left the area, it became clear just how unusual it was ! “Freya Castle” is around 20 cm across, and has a striking pattern with alternating black and white stripes. The internet immediately lit up with speculation about what this “zebra rock” might be, and we've enjoyed reading your theories.
Google traduit ce texte en :
Alors qu'ils traversaient un terrain caillouteux banal, les membres de l'équipe aux yeux perçants ont repéré un galet au loin avec des indications d'une texture inhabituelle dans les images Navcam à basse résolution et lui ont donné le nom de « Château de Freya » . L'équipe a prévu une observation multispectrale à l'aide de la caméra Mastcam-Z afin de voir de plus près avant de repartir. Lorsque ces données ont été transmises quelques jours plus tard, alors que Perseverance avait déjà quitté la zone, il est devenu clair à quel point c'était inhabituel ! « Freya Castle » mesure environ 20 cm de diamètre et présente un motif saisissant avec une alternance de rayures noires et blanches. Internet a immédiatement suscité des spéculations sur ce que pourrait être cette « roche zébrée », et nous avons aimé lire vos théories.
Un mois après la prise de cette photographie, à ma connaissance, le mot “gabbro” n'a jamais été écrit par la NASA dans des fichiers concernant cette roche. Et pourtant, à la simple vue de cette photographie, l'hypothèse qui semble la plus raisonnable (sans aucune certitude puisqu’aucune analyse, aucun spectre infrarouge… n'ont été réalisés), c'est qu'il s'agit d'un bloc de gabbro déformé (= métagabbro ou flaser gabbro). Le minéral blanc serait du feldspath, le minéral sombre un ferromagnésien (pyroxène ou amphibole). Bien que comparaison ne soit pas raison, c'est ce que dirait un Lyonnais trouvant ce bloc dans les alluvions du Rhône.
Nous vous montrons ensuite 3 autres photographies “traitées” de cette roche, photographies glanées sur le site web de la mission Perseverance publiant toutes les images brutes (707 “raw images” prises pendant les sols 1266 à 1268). Il s'agit d'une photographie détaillée et de deux zooms arrière resituant cette roche dans son contexte. On s'aperçoit bien qu'il s'agit d'un bloc isolé, sans relation générique avec son substratum.
Puis nous vous montrerons 7 photographies de roches d'aspect relativement similaire prises à 1,7 km de là et 3,5 mois avant sur le trajet de Perseverance et nous resituerons ces 13 premières images dans leur secteur de la planète Mars.
Ces photographies faisant penser à des gabbros plus ou moins anisotropes, et en n'oubliant pas que « comparaison n'est pas raison », je suis allé chercher dans ma photothèque (et dans celle de mon ami Thierry Juteau) pour voir si je n'avais pas photographié (des années avant que Perseverance trouve ces possibles gabbros orientés) des roches ressemblant plus ou moins à ces gabbros martiens putatifs.
Source - © 2024 D'après NASA repris sur mindat.org | |
Source - © 2024 NASA/JPL-Caltech/ASU, sols 1266 à 1268 |
Source - © 2024 NASA/JPL-Caltech/ASU, sols 1266 à 1268 |
En s'aidant du site de la NASA localisant chaque jour Perseverance, du photojournal du JPL, de Google Earth “Mars”, on peut localiser le site où se trouvait Perseverance le 13 septembre 2024 (sol 1268) et où il a photographié la roche Freya Castle.
Source - © 2024 NASA/JPL-Caltech/ASU |
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Source - © 2024 NASA/JPL-Caltech/ASU/MSSS | |
Source - © 2024 D’après NASA/JPL-Caltech/ASU/MSSS |
Source - © 2024 D’après NASA/JPL-Caltech/ASU/MSSS |
Source - © 2024 NASA/JPL-Caltech/ASU, sols 1162 à 1164 |
Source - © 2024 NASA/JPL-Caltech/ASU, sols 1162 à 1164 |
Source - © 2024 NASA/JPL-Caltech/ASU, sols 1162 à 1164 |
Source - © 2024 NASA/JPL-Caltech/ASU, sols 1162 à 1164 |
La très forte dominante de roches noires par rapport aux roches claires, très minoritaires, montre que le bassin versant de Neretva Vallis doit être très majoritairement constitué de roche(s) sombre(s). Selon les interprétations qui précèdent (interprétations à prendre avec réserve), les roches claires seraient des gabbros plus ou moins “orientés” ; les roches sombres seraient des basaltes, bien que leur détermination (sans analyse) soit beaucoup plus sujette à caution puisque on n'y voit aucun minéral macroscopique. Basalte et gabbro ont la même chimie et la même minéralogie (feldspaths et ferromagnésiens). Sur Terre, les gabbros sont souvent plus clairs que les basaltes car les feldspaths y sont macroscopiques, alors que, dans les basaltes, ils sont sous forme de microlites noyés dans une pâte. Si c'est la même chose sur Mars…
Une grande incertitude demeure donc sur l'origine de ces roches martiennes ressemblant à des gabbros plus ou moins anisotropes, que ce soit l'origine génétique ou l'origine géographique. Mais, outre la structure et la couleur macroscopiques, qu'est-ce qui amène à proposer que ce soient des gabbros alors qu'on ne dispose d'aucune analyse chimique ou minéralogique ? C'est d'abord parce que les roches magmatiques basiques (essentiellement des basaltes, il est vrai) ont été formellement diagnostiquées sur Mars par les différents moyens analytiques des différents robots, parce qu'olivines et pyroxènes ont été spectralement identifiés par les sondes en orbite, et parce que les vitesses sismiques dans la croute martienne sont compatibles avec celles des basaltes (ou des gabbros). C'est aussi parce que certaines météorites martiennes sont des gabbros (cf. Météorites martiennes : les shergottites). Mais c'est aussi (et surtout) parce que les images martiennes de Freya Castle et de Mount Washburn ne peuvent pas ne pas rappeler ce qu'un géologue de terrain connait des gabbros plus ou moins orientés. En n'oubliant pas que comparaison n'est pas raison, il y a de telles similitudes morphologiques entre ces roches martiennes et des gabbros bien terrestres qu'on ne peut pas s'empêcher de proposer que ces roches photographiées par Perseverance cette année 2024 soient des gabbros plus ou moins orientés.
Pour illustrer cette ressemblance, nous vous montrons treize photographies de gabbros issues de ma photothèque et de celle de mon ami Thierry Juteau. On verra des gabbros isotropes, des gabbros anisotropes à cause de phénomènes de sédimentation magmatique, des gabbros anisotropes à cause de déformations (à haute température) post-magmatiques et enfin des gabbros anisotropes à cause de phénomènes d'écoulement visqueux et/ou pâteux syn-magmatiques. Chaque lecteur, même si sa photothèque est pauvre en photographies de gabbro, pourra comparer ces photographies terrestres et martiennes et se faire sa propre idée sur la validité de l'attribution de “gabbro” donnée à ces roches martiennes.
Sur Terre, il y a trois types principaux de gisements de gabbro : (1) dans la lithosphère océanique (actuelle ou dans des ophiolites) ; pour des compléments sur les gabbros des ophiolites, voir Les ophiolites en 180 photos – 2/7 Les gabbros ; (2) en intrusion dans la croute continentale ; (3) en filons recoupant un encaissant quelconque, continental ou océanique. Nous allons voir des gabbros terrestres issus de ces trois contextes.
Il peut aussi y avoir des litages d'origine “mixte”. Nous vous montrons quatre photographies prises dans l'ophiolite d'Oman où un litage “sédimentaire” a été déformé par un écoulement visqueux dans un magma basique non complètement cristallisé. Cet écoulement visqueux peut engendrer des plis de type “slumps”, étirer leurs flancs encore “pâteux”, orienter les cristaux déjà formés…
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Que chacun compare ces photographies terrestres aux photographies martiennes du début de cet article ! Il pourra alors juger s'il est raisonnable ou non de proposer que les roches découvertes par Perseverance en mai et septembre 2024 puissent être des gabbros.