Article | 02/07/2012
Les impacts dans le système solaire
02/07/2012
Résumé
Formation et évolution des planètes, chronologie relative et absolue, cratères d'impact de météorites dans le système solaire.
Table des matières
La revue Le Règne Minéral publie en ce mois de juin 2012 un cahier spécial consacré aux météorites différenciées. Cet article est un premier jet destiné à ce numéro spécial, premier jet qui a dû être réduit pour satisfaire aux contraintes éditoriales de la revue. Vous trouverez donc cet article (un peu diminué) dans ce premier numéro des Cahiers du Règne Minéral intitulé Les météorites différenciées. Vous y trouverez plus d'une quinzaine d'autres articles consacrés aux météorites. Page de garde et table des matières vous sont proposées en annexe à la fin de cette version en ligne.
Depuis 1959, survol de la face cachée de la Lune par la sonde soviétique Luna 3, toutes les planètes ont été survolées au moins une fois par une sonde spatiale, ainsi que leurs principaux satellites et quelques astéroïdes. Quasiment toutes les surfaces "solides" visitées sont perforées d'innombrables cratères de météorites, sauf la Terre, Vénus, Europe et Titan qui n'en montrent que peu, et Io où les sondes n'en ont trouvé aucun. Et malgré cette abondance de cratères, les météorites sont des objets rares, que musées et collectionneurs s'arrachent, assez rare pour que Le Règne Minéral y consacre un numéro spécial. Que sont ces cratères de météorite, comment se forment-ils, pourquoi y en a-t-il si peu sur Terre et y ont-ils (eu) une action notable malgré leur faible nombre ?
Les impacts formateurs
La Terre et donc la vie terrestre ne seraient pas là sans les impacts. Il y a 4,56 Ga, le système solaire était constitué d'une nébuleuse où se condensaient des poussières ferro-silicatées (au centre) ou ferro-silicato-glacées en périphérie. Celles-ci se sont progressivement rassemblées en planétésimaux, corps kilométriques en orbite autour du Soleil en formation. Ces planétésimaux se sont heurtés les uns les autres, et ces milliards d'impacts ont fini par donner des corps de 1000 à 3000 km de diamètre. Ces derniers sont à leur tour entrés en collision pour former le système solaire interne que nous connaissons avec ses 4 planètes. La chaleur dégagée par ces impacts a entraîné la fusion des planètes en formation, qui se sont donc différenciées en noyau ferreux et manteau silicaté pendant leur formation. Ce gymkhana cosmique a duré moins de 100 millions d'années, et s'est (relativement) calmé après. Mais tout n'a pas été aussi régulier que relaté ci-dessus. À la fin de cette période d'intenses collisions, un corps de la taille de l'actuel Mars, et surnommé Théia, a heurté tangentiellement la Terre, et en a arraché quelques pour-cents de la masse. Une partie de ces débris, plus sans doute d'autres provenant de l'objet impacteur, se sont mis en orbite autour de la Terre, se sont accrétés et on ainsi formé la Lune. D'autre part, des objets venus du système solaire externe heurtent aussi la Terre nouvellement formée et, venant d'au-delà de la zone où se condense la glace, y amène la majeure partie des 1021 kg d'eau qu'on trouve aujourd'hui sur notre planète. Sans collisions et sans impacts, il n'y aurait pas (ou très peu) d'eau sur une Terre qui d'ailleurs n'existerait pas.
A-t-on des témoignages directs et "palpables" de ces collisions à l'origine de la Terre et des planètes ? Il est possible que les météorites de la classe des méso-sidérites soient des témoins de ces collisions : deux corps déjà différenciés seraient entrés en collision. Un corps riche en fer aurait partiellement fondu en heurtant la croûte silicatée d'un deuxième corps et s'y serait en partie mélangé. Il reste à dater l'âge de ces impacts pour savoir s'ils sont bien contemporains de ce gymkhana interplanétaire.
Le grand bombardement tardif... et la suite
Vers -4,45 Ga, la Terre, la Lune et les planètes ont acquis leur taille définitive ; les objets sur des orbites elliptiques qui recoupent les orbites quasi-circulaires des planètes se raréfient, et le bombardement décroît progressivement. Le bombardement décroît, mais pas régulièrement. Les observations et datations sur la Lune, ainsi que des modèles d'évolution des orbites dans le système solaire montrent une recrudescence de ce bombardement vers -4/-3,8 Ga, ainsi qu'une augmentation de la taille de certains objets impacteurs. On parle de grand bombardement tardif (late heavy bombardment = LHB en anglais). Ainsi sont nés la majorité des grands bassins (d'un diamètre > 400 km) qu'on voit sur Mercure, Mars et la Lune. Sur cette dernière, ces bassins d'impact ont presque tous été ultérieurement remplis par du basalte, donnant ainsi les mers lunaires, vaste taches circulaires sombres qu'on voit au télescope. L'origine du grand bombardement tardif est à rechercher dans l'évolution des orbites des planètes géantes, évolution qui déstabilise les orbites des objets situés au-delà de Neptune et en précipite certains dans le système solaire interne.
Source - © 2005 NASA/JPL/Space Science Institute | Source - © 1967 NASA / Lunar Orbiter 4, modifié |
À partir de -3,8 Ga, le nombre des impacts diminue progressivement pour se stabiliser au voisinage du très faible taux actuel. Cette diminution est spectaculaire pour les gros impacteurs. Si on regarde la Lune, ou Mercure, les cratères de diamètre supérieur à 100 km et entourés d'un système de raies rayonnantes claires attestant de leur âge géologiquement récent (plus jeune que 1 milliard d'années) se comptent sur les doigts de la main.
Source - © 2008 JAXA/NHK sur lpod |
Si les cratères récents de grande taille sont rares, ils sont d'autant plus nombreux qu'ils sont petits. À L'échelle géologique, la surface de la Lune est véritablement "labourée", broyée par des micro-impacts. Après 3,8 Ga de ce bombardement par des petites météorites, toute la surface de la Lune est soit occupée par un petit cratère, soit recouverte des débris d'un cratère voisin. C'est ce qui explique que la surface de la Lune soit poudreuse et que les astronautes y laissaient de belles traces de pas. Ce sol en partie constitué par les éjectas des gros impacts et broyé par la chutes des micro-météorites est appelé régolite. Mais que les futurs astronautes se rassurent ; si la chute des micro-météorites a complètement façonné le sol lunaire pendant des milliards d'années, le risque d'en recevoir une pendant une promenade lunaire est quasi-nul.
Source - © 1972 NASA/JPS scan, montage de 2 iimages Apollo 16 (AS-16-114-18422 et AS-16-114-18423 )
Impacts et chronologie
Plusieurs fois dans cet article, on cite des âges en millions ou milliards d'années, même pour des sites dont on n'a ramené aucun échantillon pour des datations en laboratoire. Comment obtient-on ces âges ? Sur un corps sans érosion comme la Lune, un cratère de météorite est "éternel", à moins d'être détruit par un cratère plus jeune ou recouvert par une coulée de lave. Une surface nouvelle, par exemple une coulée de lave qui vient d'être émise, le fond ou les éjectas d'un cratère qui vient de se former... n'est perforée d'aucun cratère de météorite. Avec le temps qui passe, cette surface reçoit de plus en plus de météorites. La densité de cratères (nombre de cratères par unité de surface) est donc fonction de l'âge de cette surface. Plus une surface est vieille, plus elle est cratérisée. On peut déjà rien qu'avec cette méthode comparer les âges de différentes surfaces, ce qu'on appelle la chronologie relative. Depuis la Lune, des échantillons ont été ramenés, qui ont permis de mesurer (par radiochronologie) l'âge en millions ou milliards d'années de diverses surfaces, et ainsi d'obtenir une relation âge / densité de cratères. En comptant les cratères sur une surface d'où ne provient aucun échantillon, on peut alors proposer un âge. Cette courbe lunaire peut ensuite être transposée sur d'autres planètes, en faisant un certain nombre de corrections en fonction de la gravité de la planète, de sa distance à la ceinture des astéroïdes… C'est en comptant les cratères de météorites qu'on a pu établir une chronologie de tous les évènements de tout le système solaire.
Source - © 1967 NASA/ Lunar and Planetary Institute, mission Lunar Orbiter 4
La morphologie et les effets des cratères d'impacts
Quelle que soit la planète qu'on survole, les cratères d'impact ont tous un air de famille. Les plus petits (D < 10 km, pour la Lune) ont une forme de bol, une profondeur approximativement égale au dixième de leur diamètre, des bords relevés, et sont entourés d'une couronne de débris appelés éjectas, éjectas clairs quand ils sont jeunes. Ces cratères sont appelés cratères simples. La météorite arrive avec une énorme énergie cinétique. En arrivant sur la cible (le sol de la planète), cette météorite est stoppée quasi-instantanément et ne s'enfonce que très peu. Une partie de son énergie cinétique est transformée en chaleur ce qui en général vaporise la météorite (si elle dépasse une certaine taille), et fond une partie de la cible. L'autre partie de l'énergie comprime violemment la cible. Cette hyper-compression se déplace en profondeur sous forme d'une onde de compression à partir du point d'impact. En passant, cette onde de compression fracture la cible, la chauffe, et engendre des transitions de phase d'ultra-haute pression. Par exemple, le carbone devient diamant, l'olivine peut devenir ringwoodite… Une fois l'onde de compression passée, la matière se décomprime violemment, ce qui éjecte "vers le haut" une énorme quantité de matière, débris fragmentés, partiellement fondus, métamorphisés… dont la majorité retombe dans et autour de la cavité engendrée par cette éjection, mais dont une minorité peut être éjectée à très grande distance, voire quitter la planète. On peut estimer que le diamètre du cratère est égal à environ 20 fois le diamètre de la météorite (dans le détail, cela dépend bien sûr de la nature de cette dernière). Les météorites ramassées sur Terre contiennent souvent des traces de chocs, par exemple de la ringwoodite. Cela signifie qu'elles ont été extraites de leur corps parent (astéroïde, Mars…) par une violente collision.
Source - © 2011 NASA/ Lunar and Planetary Institute, mission Lunar Orbiter 1 | Source - © 1972 NASA sur lpod, mission Apollo 16 |
Source - © 2009 Lunar and Planetary Institute, modifié
Sur la Lune, quand le cratère a un diamètre supérieur à 10 km, des phénomènes de rebonds internes entrainent la formation d'un piton central. Les bords du cratère, très élevés, ont tendance à s'effondrer et à engendrer des espèces de terrasses. Entre le piton central et le bord du cratère, remontée du fond et couches d'éjectas fondus entrainent une morphologie assez plate. Tout cela engendre un cratère appelé complexe. Toutes les transitions existent entre cratères simples et complexes. Et pour un diamètre supérieur à 200 km, le piton central devient anneau central, et le cratère change de nom et s'appelle un bassin. Ces diamètres de transition changent avec la gravité de la planète. Sur Terre, par exemple, la transition cratère simple / cratère complexe a lieu vers 5 km de diamètre, et la transition vers le bassin à anneau central dès 40 km de diamètre.
La présence de glace dans le sous-sol (sur Mars) ou d'une atmosphère dense (sur Vénus) ou d'autres conditions locales peuvent également entrainer des variations morphologiques, en particulier pour les éjectas.
Source - © 1972 NASA/Lunar and Planetary Institute, Apollo 17
Source - © 2009 Lunar and Planetary Institute, modifié
Source - © 2010 Agence saptaile chinoise sur lpod, modifié | Source - © 1971 NASA, mission Apollo 15 (AS 15-9328), modifié |
Source - © 2010 NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Carnegie Institution of Washington, mission Messenger, modifié | |
Source - © 2007 ESA/ DLR/ FU Berlin (G. Neukum), mission Mars Express | Source - © 1996 NASA/JPL, mission Magellan,modifié |
Les impacts sur Terre et leurs effets
Les cratères d'impacts sont rares sur Terre. En 2012, on en compte 182 "certifiés", et de nombreux autres "suspectés". Pourquoi si peu ? Les petits impacteurs (diamètre inférieur à quelques centimétres ou décimètres), de loin les plus nombreux, sont arrêtés par l'atmosphère et finissent sous forme d'étoiles filantes. C'est là une différence majeure avec les corps sans atmosphère, et cela explique l'absence de régolite sur notre planète. Ceux d'un diamètre décimétrique à pluri-métrique sont souvent brisés en plusieurs morceaux (dont quelques-uns peuvent atteindre le sol), voire explosent complètement lors de leur traversée de l'atmosphère. Leur résistance à cette traversée dépend évidemment de leur nature : une météorite métallique résiste mieux qu'un fragment cométaire. Les plus gros impacteurs (diamètre supérieur à quelques dizaines de mètres) traversent l'atmosphère quasiment sans dommage, et forment un cratère. Mais celui-ci va être la proie de l'érosion, va pouvoir être recouvert de sédiments, être entrainé en subduction s'il tombe sur un fond océanique…, d'où leur relative rareté. Quand ils sont préservés, ce sont de véritables "musées" de l'impactisme. On peut y étudier la nature des éjectas, des produits de fusion, la fracturation associée… ce qui, pour l'instant, ne peut être fait que sur Terre. Et n'oublions pas qu'un impact colossal a eu lieu au Mexique il y a 65 Ma, et que cet impact a très vraisemblablement participé à l'extinction des dinosaures non aviens. Sans cet impact, les mammifères qui existaient déjà auraient sans doute continué à "végéter" à l'ombre des dinosaures, et nous ne serions pas là pour en parler.
Les impacts « aujourd'hui »
Contrairement à ce qui se passait avant -3,8 Ga, les impacts sont rares dans le système solaire. Sur Terre, les chutes observées ayant occasionné des dégâts se comptent sur les doigts des mains. On cite ainsi quelques toits abimés ou percés, un coffre de voiture cabossé… Aucun décès dû à une chute de météorite n'est formellement recensé, bien qu'il soit probable que quelques éleveurs de rennes aient perdu la vie en 1908, à cause de la chute de la Toungouska. À part l'évènement de 1908, aucune chute majeure ne fut recensée depuis l'invention de l'écriture. Sur la Lune, il y a aussi peu de chutes majeures, mais l'absence d'atmosphère permet au mini- et micro-météorites d'atteindre le sol. Quand cela ce produit sur la face nocturne de la Lune, cela se traduit par un petit éclair lumineux détectable au télescope depuis la Terre. Aucun de ces micro-impacts n'a été vu ou ressenti par les astronautes des missions Apollo. Sur Mars, le robot Opportunity a repéré un cratère d'une dizaine de centimètres de diamètre creusé dans du sable près de la crête d'une petite dune. Une météorite d'1/2 cm de diamètre a dû tomber là avant le passage du robot, mais après la dernière tempête locale. Sur les planètes géantes comme Jupiter, la très forte gravité attire beaucoup les astéroïdes ou comètes passant par-là, et les chutes majeures sont beaucoup plus fréquentes. En atteste la collision (multiple) de la comète Shoemaker Levy 9 sur Jupiter en juillet 1994.
Source - © 2006 Hubble Space Telescope Comet Team - NASA |
A. Cahiers du Règne Minéral, juin 2012
Le premier numéro des Cahiers du Règne Minéral, s'intitule Les météorites différenciées. Il comporte 68 pages au format 21x30cm, plus de 120 illustrations inédites et a été réalisé par une équipe de spécialistes.
Source - © 2012, Le Règne Minéral
Les thèmes abordés dans ce cahier sont :
- Introduction générale : Les chutes, croûte de fusion, les cratères, la différenciation, les astéroïdes, quelques anecdotes concernant des météorites différenciées, les accidents, l'utilité d'une collection, le réseau FRIPON (la "mission spatiale du pauvre").
- Historique des chutes en France.
- Monographie des chutes importantes en France : Caille (06), Juvinas (07), Chassigny (52), Albi-sur-Chéran (74).
- Vesta et la mission Dawn.
- Les météorites de Vesta et sa géologie.
- Mars et Curiosity.
- Les météorites martiennes et la géologie de Mars.
- La Lune, un satellite de la Terre - les missions et pourquoi retourner sur la Lune.
- Les météorites de la Lune et la géologie de la Lune.
- Chondrites = achondrites à Enstatite et la Terre.
- La Terre est une planète (le noyau)
- Les fers et les textures de Windmannstätten.
- Les pallasites et l'absence de manteau.
- Les groupes rares (uréilites, etc).
- Le pas encore et le presque déjà (les achondrites primitives).
- Le volcanisme dans le système solaire.
- Les impacts : second phénomène géologique majeur du système solaire.
- Histoire de chocs (les mésosidérites, le hit and run, Chixulub et les dinosaures).
- Rappel historique sur les missions spatiales.
- Classification des objets différenciés.
- Glossaire.