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Image de la semaine | 22/02/2021

Variations sur le coup de sirocco qui a affecté la France le matin du 6 février 2021

22/02/2021

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Ciel rouge, diffusion de la lumière, et tempêtes de sable et poussière… sur Terre et sur Mars.


Le matin du samedi 6 février 2021, le jour s'est levé sur Lyon avec une couleur d'ambiance très inhabituelle, jaunâtre à rougeâtre, sous un ciel de même couleur comme l'attestent ces photos prise depuis mon appartement

Figure 1. Le matin du samedi 6 février 2021, le jour s'est levé sur Lyon avec une couleur d'ambiance très inhabituelle, jaunâtre à rougeâtre, sous un ciel de même couleur comme l'attestent ces photos prise depuis mon appartement

Les couleurs des photos n'ont pas été retouchées et rendent bien compte de la réalité. La température était d'une dizaine de degré, alors que la moyenne des matins de février lyonnais est de 4°C. Cette ambiance de « fin du monde » a duré jusque vers 11h / 11h30. Un tel phénomène est “classique”, en particulier au printemps. Mais à Lyon, il atteint très rarement cette intensité, surtout en février. Ce phénomène atmosphérique est dû à la présence dans le ciel de poussières amenées du Sahara et d'Afrique du Nord par un violent vent du Sud soufflant en altitude.


Le matin du samedi 6 février 2021, le jour s'est levé sur Lyon avec une couleur d'ambiance très inhabituelle, jaunâtre à rougeâtre, sous un ciel de même couleur comme l'attestent ces photos prise depuis mon appartement

Figure 2. Le matin du samedi 6 février 2021, le jour s'est levé sur Lyon avec une couleur d'ambiance très inhabituelle, jaunâtre à rougeâtre, sous un ciel de même couleur comme l'attestent ces photos prise depuis mon appartement

Les couleurs des photos n'ont pas été retouchées et rendent bien compte de la réalité. La température était d'une dizaine de degré, alors que la moyenne des matins de février lyonnais est de 4°C. Cette ambiance de « fin du monde » a duré jusque vers 11h / 11h30. Un tel phénomène est “classique”, en particulier au printemps. Mais à Lyon, il atteint très rarement cette intensité, surtout en février. Ce phénomène atmosphérique est dû à la présence dans le ciel de poussières amenées du Sahara et d'Afrique du Nord par un violent vent du Sud soufflant en altitude.



Le matin du 6 février 2021, cette lumière orangée qui a affecté la région lyonnaise a été bien observée sur un tiers de la France, de la moitié Est des Pyrénées à l'Alsace. En ouvrant leurs volets, de nombreux Lyonnais, ceux qui ne connaissaient pas ce phénomène et qui n'étaient pas “imprégnés” de pensées apocalyptiques ou survivalistes, ont pensé à un accident industriel venant d'arriver dans le « couloir de la chimie » au Sud de l'agglomération lyonnaise. Ce phénomène est pourtant classique mais rarement si intense et se produit rarement aussi tôt dans l'année ; il est dû à la présence dans le ciel de poussières apportées du Sahara et d'Afrique du Nord par un violent vent du Sud soufflant en altitude. Pour voir ce phénomène dans d'autres quartiers de Lyon et dans le reste de la France, il suffisait de naviguer sur le web ce 6 ou 7 février 2021 pour trouver d'innombrables photos. En voici trois prises dans la ville de Lyon, et une dans la Chaine des Puys.

Cette poussière va lentement se diluer et retomber au sol sans donner de traces très visibles, sauf si ces nuages poussiéreux sont affectés par des précipitations. S'il pleut beaucoup, la poussière retombe au sol mais est “lavée” par la pluie abondante ; là encore, il n'y aura que peu de traces visibles, sauf si l'eau de pluie s'accumule par exemple dans des creux où l'on verra du sable et des poussières au fond du trou. Les cas intermédiaires ont, eux, des effets très visibles. À Lyon, juste avant le lever du jours alors que les nuages de poussières étaient déjà présents, il a légèrement plu. Dans certains secteurs de l'agglomération, il a suffisamment plu pour que les voitures soient salies par de la poussière, mais pas assez pour que la pluie nettoie ces voitures. On voyait passer dans les rues des voitures semblant revenir d'un rallye sur chemin boueux. Dans mon quartier (le 7e arrondissement), il n'est tombé que quatre gouttes qui ont vite séché. Vers 9h30, les voitures étaient parsemées de mini-taches jaunâtres.

Une voiture garée dans une rue du 7e arrondissement de Lyon, le samedi 6 février, vers 11h30

Figure 8. Une voiture garée dans une rue du 7e arrondissement de Lyon, le samedi 6 février, vers 11h30

Quelques rares gouttes de pluie étaient tombées sur cette voiture avant le lever du jour. Ces gouttes étaient trop peu nombreuses pour se rassembler et pour couler vers le bas. L'eau s'est évaporée dans la matinée (il faisait anormalement chaud pour un matin de février) en laissant sur la voiture de petites taches de sable très fin, avec des grains trop petits pour être visible à l'œil nu. Il s'agit plus de poussières que de grains de sable. Le personnage masqué en haut à droite “date” cette photo.


Pare-brise d'une voiture garée dans une rue du 7ème arrondissement de Lyon, le samedi 6 février, vers 11h30

Figure 9. Pare-brise d'une voiture garée dans une rue du 7ème arrondissement de Lyon, le samedi 6 février, vers 11h30

Quelques rares gouttes de pluie étaient tombées sur cette voiture avant le lever du jour. Ces gouttes étaient trop peu nombreuses pour se rassembler et pour couler vers le bas. L'eau s'est évaporée dans la matinée (il faisait anormalement chaud pour un matin de février) en laissant sur la voiture de petites taches de sable très fin, avec des grains trop petits pour être visible à l'œil nu. Il s'agit plus de poussières que de grains de sable. Le personnage masqué en haut à droite “date” cette photo.


Zoom sur le pare-brise d'une voiture garée dans une rue du 7ème arrondissement de Lyon, le samedi 6 février, vers 11h30

Figure 10. Zoom sur le pare-brise d'une voiture garée dans une rue du 7ème arrondissement de Lyon, le samedi 6 février, vers 11h30

Quelques rares gouttes de pluie étaient tombées sur cette voiture avant le lever du jour. Ces gouttes étaient trop peu nombreuses pour se rassembler et pour couler vers le bas. L'eau s'est évaporée dans la matinée (il faisait anormalement chaud pour un matin de février) en laissant sur la voiture de petites taches de sable très fin, avec des grains trop petits pour être visible à l'œil nu. Il s'agit plus de poussières que de grains de sable. Le personnage masqué en haut à droite “date” cette photo.


Une voiture garée dans une rue d'une ville de l'Ariège, 6 février 2021

Figure 11. Une voiture garée dans une rue d'une ville de l'Ariège, 6 février 2021

Les conditions locales ont laissé sur cette voiture beaucoup plus de sable et de poussières que dans le 7e arrondissement de Lyon.


En altitude, les précipitations de ce 6 février au matin ont eu lieu sous forme de neige ou de pluie tombant sur une couche de neige déjà présente car tombée avant le redoux. La “vieille” neige d'un blanc immaculé a été alors recouverte de quelques millimètres à centimètres de neige rosâtre ou orangeâtre, qu'il ne faut pas confondre avec une neige riche en Chlamydomonas nivalis (cf. Les extrémophiles dans leurs environnements géologiques - Un nouveau regard sur la biodiversité et sur la vie terrestre et extraterrestre, figures 26 et 27). La couleur rouge des sables et poussières désertiques est due à une très fine couche d'oxyde ferrique qui recouvre les grains de quartz.


Autre image prise à l'Alpe d'Huez montrant la neige ocre vers 17h, avant l'arrivée de la nuit et de nouvelles chutes de neige

Figure 13. Autre image prise à l'Alpe d'Huez montrant la neige ocre vers 17h, avant l'arrivée de la nuit et de nouvelles chutes de neige

Image obtenue par le système de webcam Skaping.

Le lendemain matin, la neige, fraichement tombée, avait tout recouvert et le paysage était redevenu blanc. Mais au printemps, la couche rosâtre réapparaitra temporairement.


Un ami et voisin (Lyon 7e) a une terrasse couverte d'un auvent. Il récupère l'eau de pluie dans un récipient pour arroser ses plantes en pot. Par hasard, il avait vidé et nettoyé son récipient la semaine précédent ce coup de sirocco. Durant la nuit de vendredi 5 à samedi 6, puis surtout de samedi 6 à dimanche 7, il a un peu plu sur Lyon. Et il y avait de l'eau un peu trouble (et un trouble rougeâtre) dans son récipient ce dimanche 7 février 2021. De la poussière saharienne ? Il a pris de cette eau et l'a filtrée avec un sopalin. Ce sopalin est effectivement rougeâtre.

Vue d'ensemble et zoom sur le sopalin (sec) ayant servi à filtrer de l'eau de pluie tombée sur Lyon les 6 et 7 février 2021

Figure 14. Vue d'ensemble et zoom sur le sopalin (sec) ayant servi à filtrer de l'eau de pluie tombée sur Lyon les 6 et 7 février 2021

Les petits trous carrés (≈ 1 mm en diagonale) donnent l'échelle. Sans loupe binoculaire, il est difficile de distinguer des micro-grains de sable sur le papier filtre, lui-même granuleux. Par contre, la couleur du papier ressemble beaucoup à celle de la neige des figures 12 et 13. Lors des manipulations du papier une fois sec, les plus gros grains (ou plutôt les moins petits) se sont déplacés et accumulés dans certaines zones. Là, même sans loupe binoculaire et avec mon seul appareil photo, on distingue de tout petits grains de sable, dont les plus gros ont un diamètre que l'on peut estimer à 1/25 de mm (40 μm) grâce aux photos grossies au maximum. On peut noter que la granulométrie standard des lœss (limon éolien) est comprise entre 10 et 50 μm, ce qui renforce l'idée que ces grains ont bien été apportés par le vent.


Cette lumière orangée spectaculaire et inquiétante (pour ceux qui ne la connaissent pas déjà) est due à la conjonction de deux phénomènes : la diffusion de la lumière par des particules fines, et la couleur rougeâtre de ces particules sahariennes.

Principe de la diffusion de la lumière par molécules et poussières

Figure 15. Principe de la diffusion de la lumière par molécules et poussières

Les flèches fines représentent le seul effet de la diffusion, et les flèches épaisses le résultat sur la lumière perçue.

L'observation et les lois de l'optique indiquent que la lumière traversant un ensemble de molécules ou particules fines interagit avec ces particules. La lumière est alors diffusée dans une autre direction que la propagation du rayon lumineux. Or, la diffusion est plus efficace pour les petites longueurs d'onde (le bleu) que pour les grandes (le rouge). Ici on ne représente que la diffusion du bleu, plus importante que celle du rouge pour expliquer le phénomène observé.

S'il n'y a que des particules très fines (molécules), de dimensions très inférieures aux longueurs d'ondes du visible, la diffusion dite de Rayleigh diffuse de manière isotrope le bleu. Le ciel paraitra alors bleuté si on le regarde dans une direction autre que la source de lumière (c'est pour cela que le ciel est bleu), tandis qu'il apparaitra rouge (le bleu ayant été dispersé) si on le regarde dans la direction du Soleil.

Avec des particules plus grosses, de la taille des longueurs d'onde du visible, la diffusion dite de Mie, n'est plus isotrope mais est dirigée vers l'avant (dans le sens de propagation de la lumière. Le ciel observé dans la direction du Soleil, enrichi en bleu par cette diffusion, apparait bleu alors que le ciel apparaitra rouge dans les autres direction (le bleu ayant été moins diffusé dans ces directions).

Dans le cas de poussières rouges, comme de la poussière de sable recouvert d'oxydes ferrique, s'ajoute une forte absorption du bleu par les particules rouges. La lumière résiduelle est alors rouge mais cette fois dans toutes les directions, et plus sombre (du fait de l'absorption partielle).


Ce phénomène de rougissement de la lumière par de la poussière (même si celle-ci n'est pas rouge) est observable dans les régions où l'atmosphère est enfumée par des feux de forêts importants, comme cela a été le cas ces dernières années en Californie (en septembre 2020) et en Australie (en décembre 2019).

Les images satellites permettent de suivre la progression de ces masses d'air chargées de poussières et/ou de sables venus des déserts. Et non seulement les satellites montrent des images de ces nuages, mais différents instruments embarqués à leur bord permettent de mesurer la quantité totale de poussière intégrée sur toute la colonne atmosphérique (quantité souvent exprimée en mg/m2). Dès le dimanche 7 février, on trouvait sur internet (surtout via Twitter et Facebook relayant le sites météo) photos satellites et cartes interprétatives de l'évènement du 6 février 2021.

Image NASA / MODIS de l'Europe de l'Ouest et de l'Afrique du Nord le matin du 6 février 2021

Figure 18. Image NASA / MODIS de l'Europe de l'Ouest et de l'Afrique du Nord le matin du 6 février 2021

Une tache jaunâtre partant de l'Algérie, survolant la Méditerranée et arrivant sur le Sud-Est de la France se voit très bien.


Figure 19. Carte de l'Europe, de l'Afrique du Nord et du Moyen Orient montrant la quantité totale de poussière en suspension dans toute la tranche atmosphérique (exprimée en mg/m2) le 6 février 2021, 13h

La teneur maximale mesurée était de 2536 mg/m2, soit environ 2,5 g/m2, soit environ 1,5 cm3 de poussière non compactée. Réparti sur ce m2, cela représente une épaisseur moyenne de 1,5 μm (environ un cinquième du diamètre d'un globule rouge).


Les vents de sables et de poussières sahariennes les plus fréquents, abondants et visibles par satellite soufflent de l'Afrique vers l'Atlantique, entrainant en mer d'énormes quantités de sable et de poussière. Le sable retombe “pas trop loin” des côtes mais peut atteindre sans problème les Canaries, où un tel vent de sable et de poussière est appelé “calima”. Les poussières les plus fines peuvent aller beaucoup plus loin et atteindre les Antilles et le Golfe du Mexique. Ces vents de poussières ont des conséquences écologiques variées. Les poussières, en retombant sur les côtes antillaises, mexicaines… nuisent à la croissance des récifs coralliens. Par contre, les poussières retombant en plein océan apportent du fer dans la couche océanique superficielle. Or le manque de fer est un facteur limitant de la croissance du phytoplancton. De tels vents de poussières sont un agent “fertilisant” majeur des océans.


Image satellite (NASA MODIS) prise le 26 février 2000 montrant un vent de sable et de poussière soufflant du Maroc, dépassant les Canaries et atteignant les Açores

Figure 21. Image satellite (NASA MODIS) prise le 26 février 2000 montrant un vent de sable et de poussière soufflant du Maroc, dépassant les Canaries et atteignant les Açores

Ce vent de sable et de poussière forme un vortex dont la morphologie est assez caractéristique de la dynamique des fluides (cf. Tourbillon dans un lac sibérien)


Image satellite (NOAA) du 23 juin 2020, montrant un vent de sable et de poussière soufflant du Maroc et atteignant les Antilles

Figure 22. Image satellite (NOAA) du 23 juin 2020, montrant un vent de sable et de poussière soufflant du Maroc et atteignant les Antilles

Le déroulement de cette “tempête” de sable et de poussière est montrée sur l'image animée de la figure suivante.



Les tempêtes de sable et vents de poussières ne sont pas exclusifs de la Terre. Les tempêtes sont très abondantes et beaucoup plus importantes sur Mars. D'ailleurs, si les tempêtes de sable terrestres ont abondamment été utilisées par le cinéma, de telles tempêtes interviennent deux fois dans le film Seul sur Mars de Ridley Scott (cf., par exemple, Seul sur mars, deux en scène !). Il y a deux types de tempêtes sur Mars. Il y a certes des tempêtes locales, mais aussi des tempêtes globales qui soulèvent de la poussière qui va recouvrir l'ensemble du globe martien pendant au moins un mois. Ces tempêtes globales arrivent presque à chaque printemps de l'hémisphère Sud, lors de la sublimation de la neige carbonique de la calotte polaire Sud.


Une autre tempête de sable locale martienne (29 août 2000) en périphérie de la calotte Nord

Figure 25. Une autre tempête de sable locale martienne (29 août 2000) en périphérie de la calotte Nord

Cette tempête forme un vortex d'environ 900 km de diamètre. La convergence morphologique avec la figure 21 est saisissante.


Figure 26. Deux images de Mars prise par le télescope spatial Hubble

À gauche, une image de Mars dans son état “classique”, le 26 juin 2001. À droite, Mars au printemps de l'hémisphère Sud, le 4 septembre 2001. La poussière a envahi toute l'atmosphère et masque presque complètement la surface de la planète.


Cinq images prises par le robot Opportunity pendant la première moitié d'une tempête globale, respectivement les 14 et 30 juin, 5, 13 et 15 juillet 2007

Figure 27. Cinq images prises par le robot Opportunity pendant la première moitié d'une tempête globale, respectivement les 14 et 30 juin, 5, 13 et 15 juillet 2007

Les chiffres en haut de l'image indiquent l'opacité atmosphérique. La NASA indique que les couleurs respectent approximativement les couleurs réelles.


Deux images du Duluth drill site prise par Curiosity les 21 mai (à gauche) et 17 juin (à droite) 2018

Figure 28. Deux images du Duluth drill site prise par Curiosity les 21 mai (à gauche) et 17 juin (à droite) 2018

À gauche, on a un éclairage et des couleurs “normales” pour Mars, avec des ombres nettes. À droite, on est en pleine tempête de poussière. La lumière est encore plus rouge qu'à Lyon le 6 février 2021 et il n'y a plus d'ombre nette, car la totalité du ciel émet cette lumière rouge.