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Image de la semaine | 14/06/2021

Le canyon de la Fish River, Namibie : discordance, failles, dykes, stromatolites…

14/06/2021

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Surrection tectonique et antécédence, un canyon qui révèle une discordance majeure.


Vue sur un méandre dans le canyon de la Fish River, au Sud de la Namibie

Figure 1. Vue sur un méandre dans le canyon de la Fish River, au Sud de la Namibie

Ce canyon d'environ 500 m de profondeur, 1 à 3 km de large, entaille un plateau sur plus de 30 km (à vol d'oiseau) d'une extrémité à l'autre, 60 km en suivant les sinuosités. Ce plateau, d'une altitude moyenne de 800 m, est constitué de terrains sédimentaires horizontaux, le groupe du Nama (âge de 750 Ma, Néoprotérozoïque) recouvrant en discordance un socle métamorphique (gneiss et micaschistes) âgé de 1100 Ma (Protérozoïque moyen) et nommé « série métamorphique du Namaqualand ».

Localisation par fichier kmz du point de vue sur le canyon de la Fish River, Namibie.


La Fish River est un affluent de l'Orange, fleuve de 2160 km de long, qui prend sa source au Lesotho et se jette dans l'Atlantique Sud au niveau de la frontière Namibie-Afrique du Sud. La Fish River forme un canyon qui, sur sa partie la plus étroite, entaille un plateau sur plus de 30 km d'une extrémité à l'autre (à vol d'oiseau), 60 km en suivant les sinuosités. La partie étroite de ce canyon mesure environ 500 m de profondeur, et 1 à 3 km de large. Ce plateau d'une altitude moyenne de 800 m est constitué de terrains sédimentaires horizontaux, le groupe du Nama (âge de 750 Ma, Néoprotérozoïque) recouvrant en discordance un socle métamorphique (gneiss et micaschistes) âgé de 1100 Ma (Protérozoïque moyen) et nommé « série métamorphique du Namaqualand ». La série métamorphique est injectée de dykes de dolérite (datés à 770 Ma), qui ne pénètrent pas la série du Nama. Les évènements géologiques postérieurs aux dépôts de la série du Nama (orogenèse panafricaine vers 550 Ma, formation de la marge atlantique et son magmatisme associé vers 130 Ma…) n'ont pas laissé de traces facilement interprétables lors d'une rapide visite. L'érosion ayant formé le canyon actuel résulte de déformations récentes, mio-pliocène, caractérisées par mouvements verticaux et des failles normales.

Le canyon de la Fish River est d'un des trois sites les plus visités de Namibie, avec les dunes de Sossusvlei (cf. Le Dead Vlei de Sossusvlei et le Parc national d'Etosha. Ce canyon a la réputation d'être le deuxième plus grand canyon du monde après celui du Colorado (cf., par exemple, Le Grand Canyon du Colorado vu du ciel (Arizona, USA)). Classer les canyons n'a pas grande signification, car en général les critères de classification ne sont pas précisés (profondeur, longueur, étroitesse, rapport profondeur/largeur… ?). D'autres canyons revendiquent le titre du plus “quelque chose” canyon du monde (le plus grand, le plus profond…) : le canyon du Colorado bien sûr (mais les USA aiment bien avoir le plus “…” du monde), les gorges du Yarlung Tsangpo, en Chine (mais la Chine aime bien jouer avec les USA à celui qui a la plus grande), les canyons de Colca et de Cotahuasi au Pérou…

Que le canyon de la Fish River soit le deuxième, troisième… plus grand canyon du monde importe peu. Mais il mérite un détour si vous passez par la Namibie ou l'Afrique du Sud, car, outre la beauté de ses paysages désertiques, il permet de bien voir une superbe discordance, des failles, des dykes, de probables stromatolites…, de discuter du phénomène d'antécédence…


Vue sur le canyon de la Fish River (Namibie) prise environ 2 km en amont (au Nord) du site de prise de vue des figures 1 à 4

Figure 6. Vue sur le canyon de la Fish River (Namibie) prise environ 2 km en amont (au Nord) du site de prise de vue des figures 1 à 4

Avec cette vue grand champ, malgré les effets de perspective qui ne permettent pas toujours de séparer ce qui est disposé sur plusieurs plans, et malgré des variations d'épaisseur pouvant affecter une même couche, on peut essayer de suivre les différentes couches et formations d'un bord à l'autre du paysage. Les photos 7 à 13 correspondent à des détails situés dans le quart supérieur gauche de cette figure.



Zoom sur la discordance Nama (750 Ma) / Namaqualand (1100 Ma)

Figure 8. Zoom sur la discordance Nama (750 Ma) / Namaqualand (1100 Ma)

Des dykes de dolérite concordant avec la schistosité des roches du Namaqualand sont visibles (cf. détails sur les figures 12 et 13).


Zoom sur la “flexure” qui décale la série du Nama et son substratum, canyon de la Fish River, Namibie

Figure 9. Zoom sur la “flexure” qui décale la série du Nama et son substratum, canyon de la Fish River, Namibie

Malgré les effets de perspective qui ne permettent pas toujours de séparer ce qui est disposé sur plusieurs plans, et malgré des variations d'épaisseur pouvant affecter une même couche, on voit que, comme la surface topographique supérieure du canyon, cette série du Nama est horizontale à gauche et à droite de l'image. Surface topographique et strates de la formation du Nama semblent inclinées d'une trentaine de degré vers la droite (vers l'Ouest) entre les deux compartiments horizontaux. Il semble bien que des mouvements tectoniques aient surélevé le compartiment de gauche de la photo par rapport à celui de droite. Vu sous cet angle, de loin, à cause des effets de perspective et des éboulis, il n'est pas possible de trancher formellement entre une simple flexure, un pli-faille (à signification de faille inverse), ou une faille normale (les couches inclinées auraient alors la signification de crochon). Dans le coin inférieur gauche de la photo, dans la “prolongation” de la flexure, une faille met nettement en contact les sédiments du Nama et les terrains métamorphiques du Namaqualand.


Zoom sur la faille visible dans le coin inférieur gauche de la photo précédente

Figure 10. Zoom sur la faille visible dans le coin inférieur gauche de la photo précédente

Sur cette figure, la faille a un pendage apparent vers la gauche, mais ce pendage apparent est très vraisemblablement dû à la combinaison d'effets de perspective et de topographie.


Zoom vu de face de la faille de la photo précédente

Figure 11. Zoom vu de face de la faille de la photo précédente

Bien qu'il soit difficile d'en être sûr, on peut distinguer des “fantômes” de stratification dans la zone de brèche de faille. Si le plan de faille correspond au plan A-B, alors il s'agit d'une faille normale. C'est probablement aussi le cas de la faille associée à la “flexure” des figures 7 et 9.




Avant d'entrer dans son canyon sensu stricto, la Fish River coule vers le Sud dans une vallée Nord-Sud relativement large. Cette vallée s'encaisse et s'approfondit vers le Sud pour devenir le vrai canyon de la Fish River. Cet approfondissement vient surtout de l'augmentation de l'altitude de la surface topographique, plus élevée au Sud qu'au Nord. Au début du Miocène, la Fish River coulait ”normalement” vers le Sud sur un plateau d'assez faible altitude et dans une vallée sans doute assez large et relativement peu profonde. Durant le Miocène et le Pliocène, la région s'est relevée, sans doute suite à des basculements dus à des failles normales d'importance régionale. La Fish River s'est alors enfoncée sur place et a transformé sa vallée en canyon. Il s'agit là typiquement d'un phénomène d'antécédence (cf. La cluse du Val de Fier et l'anticlinal du Gros Foug (Savoie et Haute Savoie) : antécédence ou surimposition ?). Cette surrection a été particulièrement importante au Sud du point d'où ont été prises les photos de cet article, point situé à l'entrée Nord du canyon sensu stricto.


Vue (prise en direction du Nord-Ouest) sur l'entrée du canyon de la Fish River (Namibie)

Figure 17. Vue (prise en direction du Nord-Ouest) sur l'entrée du canyon de la Fish River (Namibie)

La Fish River coule de droite à gauche. À droite, on retrouve la vallée (relativement) peu profonde de la figure précédente. De droite à gauche, on voit la surface topographique se relever doucement, la Fish River s'enfoncer dans son substratum et la vallée “ordinaire” devenir canyon.



Vue aérienne du canyon de la Fish River (punaise jaune), Namibie

Figure 19. Vue aérienne du canyon de la Fish River (punaise jaune), Namibie

La Fish River coule d'arrière en avant (du Nord au Sud). Sa vallée est relativement large au Nord. Elle devient canyon en arrivant au niveau d'un bloc récemment surélevé dans lequel elle s'est enfoncée. Elle redevient “normale” en sortant du bloc soulevé.


Vue aérienne de l'entrée Nord du canyon de la Fish River (punaise jaune), Namibie

Figure 20. Vue aérienne de l'entrée Nord du canyon de la Fish River (punaise jaune), Namibie

Au premier plan (au Nord), la Fish River coule dans une vallée assez large. On voit la surface topographique se relever vers le Sud et la rivière s'y enfoncer.


Visiter le canyon de la Fish River ne montre pas qu'un paysage minéral. La vie est discrète, mais bien présente, et depuis longtemps. On voit de nombreuses plantes xérophytes bien vivantes, et aussi des fossiles du Protérozoïque.

Une plante xérophyte namibienne, Aloe gariepensis, espèce d'aloès de la famille des Asphodeloideae

Figure 21. Une plante xérophyte namibienne, Aloe gariepensis, espèce d'aloès de la famille des Asphodeloideae

Le nom d'espèce gariepensis vient de “Gariep”, le nom du fleuve Orange dans la langue des Khoïkhoï (anciennement et péjorativement appelés Hottentots).


Une plante xérophyte namibienne, Aloe gariepensis, espèce d'aloès de la famille des Asphodeloideae

Figure 22. Une plante xérophyte namibienne, Aloe gariepensis, espèce d'aloès de la famille des Asphodeloideae

Le nom d'espèce gariepensis vient de “Gariep”, le nom du fleuve Orange dans la langue des Khoïkhoï (anciennement et péjorativement appelés Hottentots).


Zoom sur des structures dans les roches sédimentaires de la formation du Nama (750 Ma), très probablement des stromatolites

Figure 23. Zoom sur des structures dans les roches sédimentaires de la formation du Nama (750 Ma), très probablement des stromatolites

Aucun examen approfondi n'a été mené lors de cette prise de vue pour confirmer la nature de ces structures.


Surface parsemée de structures dans les roches sédimentaires de la formation du Nama (750 Ma), très probablement des stromatolites

Figure 24. Surface parsemée de structures dans les roches sédimentaires de la formation du Nama (750 Ma), très probablement des stromatolites

Aucun examen approfondi n'a été mené lors de cette prise de vue pour confirmer la nature de ces structures.


Localisation du canyon de la Fish River, Namibie

Toutes les photographies de P. Thomas de cet article ont été prises lors d'une excursion géologique organisée en 2017 par le CBGA (Centre briançonnais de géologie alpine) et encadrée par Olivier Dauteuil (Université de Rennes).