Image de la semaine | 14/06/2021
Le canyon de la Fish River, Namibie : discordance, failles, dykes, stromatolites…
14/06/2021
Résumé
Surrection tectonique et antécédence, un canyon qui révèle une discordance majeure.
La Fish River est un affluent de l'Orange, fleuve de 2160 km de long, qui prend sa source au Lesotho et se jette dans l'Atlantique Sud au niveau de la frontière Namibie-Afrique du Sud. La Fish River forme un canyon qui, sur sa partie la plus étroite, entaille un plateau sur plus de 30 km d'une extrémité à l'autre (à vol d'oiseau), 60 km en suivant les sinuosités. La partie étroite de ce canyon mesure environ 500 m de profondeur, et 1 à 3 km de large. Ce plateau d'une altitude moyenne de 800 m est constitué de terrains sédimentaires horizontaux, le groupe du Nama (âge de 750 Ma, Néoprotérozoïque) recouvrant en discordance un socle métamorphique (gneiss et micaschistes) âgé de 1100 Ma (Protérozoïque moyen) et nommé « série métamorphique du Namaqualand ». La série métamorphique est injectée de dykes de dolérite (datés à 770 Ma), qui ne pénètrent pas la série du Nama. Les évènements géologiques postérieurs aux dépôts de la série du Nama (orogenèse panafricaine vers 550 Ma, formation de la marge atlantique et son magmatisme associé vers 130 Ma…) n'ont pas laissé de traces facilement interprétables lors d'une rapide visite. L'érosion ayant formé le canyon actuel résulte de déformations récentes, mio-pliocène, caractérisées par mouvements verticaux et des failles normales.
Le canyon de la Fish River est d'un des trois sites les plus visités de Namibie, avec les dunes de Sossusvlei (cf. Le Dead Vlei de Sossusvlei et le Parc national d'Etosha. Ce canyon a la réputation d'être le deuxième plus grand canyon du monde après celui du Colorado (cf., par exemple, Le Grand Canyon du Colorado vu du ciel (Arizona, USA)). Classer les canyons n'a pas grande signification, car en général les critères de classification ne sont pas précisés (profondeur, longueur, étroitesse, rapport profondeur/largeur… ?). D'autres canyons revendiquent le titre du plus “quelque chose” canyon du monde (le plus grand, le plus profond…) : le canyon du Colorado bien sûr (mais les USA aiment bien avoir le plus “…” du monde), les gorges du Yarlung Tsangpo, en Chine (mais la Chine aime bien jouer avec les USA à celui qui a la plus grande), les canyons de Colca et de Cotahuasi au Pérou…
Que le canyon de la Fish River soit le deuxième, troisième… plus grand canyon du monde importe peu. Mais il mérite un détour si vous passez par la Namibie ou l'Afrique du Sud, car, outre la beauté de ses paysages désertiques, il permet de bien voir une superbe discordance, des failles, des dykes, de probables stromatolites…, de discuter du phénomène d'antécédence…
Source - © 2018 D'après Hp.Baumeler / wikimedia | Source - © 2018 D'après Hp.Baumeler / wikimedia |
Avant d'entrer dans son canyon sensu stricto, la Fish River coule vers le Sud dans une vallée Nord-Sud relativement large. Cette vallée s'encaisse et s'approfondit vers le Sud pour devenir le vrai canyon de la Fish River. Cet approfondissement vient surtout de l'augmentation de l'altitude de la surface topographique, plus élevée au Sud qu'au Nord. Au début du Miocène, la Fish River coulait ”normalement” vers le Sud sur un plateau d'assez faible altitude et dans une vallée sans doute assez large et relativement peu profonde. Durant le Miocène et le Pliocène, la région s'est relevée, sans doute suite à des basculements dus à des failles normales d'importance régionale. La Fish River s'est alors enfoncée sur place et a transformé sa vallée en canyon. Il s'agit là typiquement d'un phénomène d'antécédence (cf. La cluse du Val de Fier et l'anticlinal du Gros Foug (Savoie et Haute Savoie) : antécédence ou surimposition ?). Cette surrection a été particulièrement importante au Sud du point d'où ont été prises les photos de cet article, point situé à l'entrée Nord du canyon sensu stricto.
Visiter le canyon de la Fish River ne montre pas qu'un paysage minéral. La vie est discrète, mais bien présente, et depuis longtemps. On voit de nombreuses plantes xérophytes bien vivantes, et aussi des fossiles du Protérozoïque.
Toutes les photographies de P. Thomas de cet article ont été prises lors d'une excursion géologique organisée en 2017 par le CBGA (Centre briançonnais de géologie alpine) et encadrée par Olivier Dauteuil (Université de Rennes).