Image de la semaine | 29/01/2024
Promenade géologique dans la vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales – 2/ Plis à charnière verticale, schistosité verticale et linéations horizontales de scapolites, à Trevillach (Pyrénées-Orientales)
29/01/2024
Résumé
Mise en évidence tectonique sur le terrain d’un décrochement senestre au Crétacé supérieur dans les Pyrénées.
Dans une chaine résultant d'un raccourcissement, les plis peuvent avoir des géométries variées (droits, couchés…). Mais dans la majorité des cas, les charnières de ces pis sont plus ou moins horizontales. Quand on trouve des plis à charnières verticales, il y a deux possibilités extrêmes : soit il s'agit de charnières classiques (horizontales) basculées et devenues verticales à la suite d'une tectonique postérieure, soit il s'agit de plis directement engendrés avec leur charnière verticale. Et la méthode la plus simple pour faire des plis à charnière initialement verticale, c'est de faire des plis associés à des décrochements.
L'histoire des Pyrénées peut être résumée de la façon suivante. Sur le socle hercynien érodé se dépose une série sédimentaire allant du Trias jusqu'au milieu du Crétacé (Aptien, ≈ 110 Ma). Puis, pendant l'Albien-Cénomanien (≈ 100 Ma), et cela continue plus lentement jusqu'au Campanien (≈ 75 Ma), la rotation du bloc ibérico-corso-sarde entraine l'ouverture du golfe de Gascogne, le fonctionnement d'une faille transformante senestre (la future faille Nord-pyrénéenne), une tectonique complexe avec ici la formation de zones plissées, là de nombreux grabens en extension et leur remplissage sédimentaire, un métamorphisme HT-BP, du volcanisme (cf. Un volcanisme bien méconnu et pourtant si riche d'enseignement : le volcanisme du Crétacé supérieur du Pays Basque, ses pillow-lavas et la salinité de l'eau de mer) et même localement l'exhumation de manteau (lherzolites, cf. Les conglomérats calcaro-péridotitiques de Lers (Ariège), une clé pour comprendre la mise en place des lherzolites pyrénéennes). À partir de la fin du Crétacé terminal, les reliefs localement formés par ces évènements sont la proie de l'érosion. Puis, socle hercynien, couverture mésozoïque (localement métamorphisée)… subissent la compression et le raccourcissement pyrénéens dont le paroxysme date du Lutétien (40 à 50 Ma) ce qui se traduit par des plis, des failles inverses (qui réutilisent souvent des failles dues aux mouvements crétacés). Historiquement (et jusque dans les années 1970) le décrochement fonctionnant au Crétacé supérieur n'avait pas été clairement identifié. Il n'a été mis en évidence que (tardivement) grâce à des études géophysiques, l'étude des anomalies magnétiques du Golfe de Gascogne qui a permis de reconstituer le mouvement de la micro-plaque ibérique.
Les plis à charnière verticale présentés ici se sont développés à haute température, à la même époque qu'a fonctionné le décrochement mis en évidence par la géophysique. Il est tentant de penser que les plis visibles à Trévillach ont été engendrés par ces mouvements décrochants et ne sont pas des plis classiques à charnière horizontale basculés postérieurement à leur formation. Dans ce cas, on pourrait trouver aussi d'autres manifestations tectoniques classiques associées à un décrochement ductile : schistosité verticale avec linéation horizontale… Et c'est le cas !
À une centaine de mètres de l'affleurement des plis à charnière verticale, sur le bord de la D9B, le méta-calcaire urgonien est moins pur. Cette relative “impureté” se traduit par la présence d'une schistosité. Cette schistosité est presque verticale (pendage de 70 à 80°), avec une direction de N110° à N130°. Une schistosité sub-verticale d'orientation moyenne N120° est tout à fait compatible avec une zone de décrochement senestre de direction N100° à N110° (cf. Plan d'aplatissement, plans de schistosité (plans S) et plans de cisaillement (plans C) ou encore Mini-zones de cisaillement (shear zones) dans des granites et autres roches).
Cette schistosité porte souvent une linéation horizontale de scapolites. Rappelons que les scapolites pyrénéennes sont des silicates à la fois calciques et carbonatés [Ca4(AlSiO4)6CO3], silicates métamorphiques de haute température-basse pression qui cristallisent dans le système tétragonal (également appelé quadratique) et forment des prismes allongés à base carrée (cf. Promenade géologique dans la vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales (et ses alentours) – 1bis/ Les scapolites, minéraux de haute température - basse pression caractéristiques du métamorphisme crétacé supérieur des Pyrénées). Cette linéation horizontale est tout à fait compatible avec des mouvements décrochants.
Schistosité sub-verticale de direction moyenne N120° portant une linéation d'allongement sub-horizontale : deux données microtectoniques qui suggèrent fortement un décrochement ductile senestre de direction N100°-N110°. Si ces conclusions locales sont générales à d'autres affleurements tout le long de la zone Nord-pyrénéenne (et c'est le cas), on voit que deux échelles d'observation bien différentes [(1) études microtectoniques le long d'une route et (2) étude des anomalies magnétiques de l'océan Atlantique] aboutissent à la même interprétation. La géologie à différentes échelles, un beau sujet d'oral de Capes ou d'Agrégation.
Ces affleurements près du village de Trévillach permettent, en moins d'1 km2, de retracer l'histoire tectono-métamorphique des Pyrénées. Après le Crétacé inférieur, mais avant le Paléocène, un évènement métamorphique de haute température-basse pression a eu lieu pendant un épisode de décrochement senestre. Ces roches métamorphiques ont été la proie de l'érosion au début du Cénozoïque. Un raccourcissement postérieur a entrainé le jeu de failles affectant tout ce qui précède. Cette histoire est compatible avec tout ce qu'on sait après des décennies d'études géologiques à l'échelle de toute la chaine pyrénéenne et des océans environnants. Un bel exercice de géologie à faire avec des élèves !