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Image de la semaine | 22/05/2023

Les niveaux de chromite et de magnétite du Bushveld (Afrique du Sud), conséquences atypiques de la différenciation magmatique

22/05/2023

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Effet local de magmas acides dans la différenciation des magmas basiques du complexe du Bushveld expliquant les cumulats atypiques de chromite et de magnétite.


Niveau de chromite près de la ferme Maandaagshoek, complexe du Bushveld, Afrique du Sud

Figure 1. Niveau de chromite près de la ferme Maandaagshoek, complexe du Bushveld, Afrique du Sud

De bas en haut, on trouve un niveau d'anorthosite très clair, plus épais mais assez semblable aux niveaux d'anorthosite qu'on voit dans les gabbros des figures 20 à 24 de la semaine précédente (cf. Le Bushveld (Afrique du Sud), un musée de la différenciation et des roches magmatiques stratifiées). Ce niveau d'anorthosite est surmonté d'une couche noire de chromite quasi pure (FeO.Cr2O3 = FeCr2O4) d'une quarantaine de centimètres d'épaisseur. Cette couche de chromite est surmontée de plusieurs mètres de pyroxénites qui ont été détaillées dans les figures 13 à 19 de la semaine dernière (cf. Le Bushveld (Afrique du Sud), un musée de la différenciation et des roches magmatiques stratifiées). Il peut y avoir localement un niveau de dunite (ici absent) à la base des pyroxénites. Les pyroxénites passent progressivement à des norites (gabbros à orthopyroxène) sur la colline à l'arrière des habitations, puis à des anorthosites (invisibles depuis ce site de prise de vue). La ferme Maandaagshoek se situe dans la partie supérieure de la Zone Critique (partie nommée UG2 = Upper Group 2), là où (avec la base de la Zone Principale) sont situés les plus riches gisements de chrome (et de platine).

Localisation par fichier kmz du site à niveau de chromite de la ferme Maandaagshoek (Bushveld, Afrique du Sud).


L'image de cette semaine (22 mai 2023) et des deux semaines qui l'encadrent (15 et 29 mai 2023) correspondent à un “photoreportage” sur le complexe magmatique du Bushveld, la plus importante intrusion basique et ultrabasique du monde en domaine continental. Ce photoreportage fait suite à une excursion géologique organisé par le CBGA en 2008 et dont l'encadrement géologique était assuré par Jean-François Moyen (actuellement professeur à l'Université de Saint-Étienne). Le but de ces trois articles n'est pas de retracer-interpréter l'histoire fort complexe de cette intrusion, intrusion multiple qui est un véritable “monstre géologique”, mais de montrer une galerie de photographies d'objets géologiques extraordinaires. Pour simplifier à outrance l'histoire du Bushveld, on peut dire qu'il s'agit d'un giga-sill complexe, fait de roches basiques et ultrabasiques, d'une épaisseur de 7 à 8 km et affleurant sur environ 300 km d'Est en Ouest et 200 km du Nord au Sud. Ce giga-sill complexe a été alimenté par une succession d'injections magmatiques, injections suivies de différenciations par cristallisation fractionnée, éventuellement suivies de contaminations par du matériel crustal, tout cela recommençant plusieurs fois pendant un temps géologiquement très bref (temps inférieur à la précision/incertitude des mesures radiochronologiques). Le lecteur intéressé par la géologie du Bushveld, voulant comprendre ce qu'on connait des mécanismes précis de sa formation, recherchant une bibliographie abondante… pourra se reporter à un article de J. F. Moyen disponible sur le web, Le complexe du Bushveld (2007).

Les trois photographies qui précèdent montrent la base d'une séquence caractéristique de la partie supérieure de la Zone Critique (nommée UG2 = Upper Group 2), constituée, de bas en haut, de chromite (ou, plus précisément, de chromitite – roche composée essentiellement de chromite), de dunite (pas toujours présente), d'orthopyroxénite, de gabbro noritique et d'anorthosite. Cette séquence plus ou moins complète peut se répéter plusieurs fois ; on a identifié huit répétitions de cette séquence dans la partie supérieure de la Zone Critique, correspondant sans doute à autant d'injections élémentaires d'un magma basique primaire. Autant la suite dunite (pas toujours présente), orthopyroxénite, gabbro noritique et anorthosite est classique et correspond à ce qu'on attend d'une série de différenciation complète d'un magma basique, autant la présence de chromite pure à la base est beaucoup plus exceptionnelle. “Normalement”, la chromite est un minéral annexe n'apparaissant pas en premier dans une série de différenciation classique. Pour faire précipiter “précocement” de la chromite (avant les olivines et les pyroxènes) à partir d'un magma basique (et la faire se déposer à la base d'une couche liquide), des études expérimentales montrent qu'il “suffit” d'y ajouter un magma acide, ce qui déplacera l'ordre de cristallisation des minéraux. Ce magma acide responsable de la précipitation de la chromite peut avoir deux origines : (1) une différenciation “locale” du magma basique majoritaire du Bushveld dans un secteur voisin et son mélange avec le magma dominant, ou (2) l'arrivée d'une petite quantité d'un magma acide provenant de la fusion locale de la croute continentale à cause de la haute température du magma basique en train de s'injecter. Des analyses et calculs des rapports isotopiques initiaux du strontium (87Sr/86 Sr) au niveau de l'Upper Group 2 et des autres niveaux minéralisés en chromite comme le Merensky Reef montrent bien que l'arrivée-mélange d'un magma acide et son “injection” dans le magma basique sont contemporains de la cristallisation-cumulation de la chromite.

Une nouvelle injection (injection n) d'un magma basique à l'origine d'une séquence allant des roches ultrabasiques aux anorthosites s'accompagnerait donc d'une fusion locale de la croute continentale (du toit du giga-sill ?), de la production d'une faible quantité de magma acide, de son mélange avec le magma basique, de la cristallisation de la chromite et de son “dépôt” à la base de la séquence n, séquence surmontant la séquence précédente n−1.

Log stratigraphique complet du complexe du Bushveld (7 km d'épaisseur) et de ses quatre zones, mis en relation avec le rapport isotopique initial du strontium (87Sr/86Sr)

Figure 4. Log stratigraphique complet du complexe du Bushveld (7 km d'épaisseur) et de ses quatre zones, mis en relation avec le rapport isotopique initial du strontium (87Sr/86Sr)

On voit que dans les grandes lignes, le passage de la Zone Critique à la Zone Principale correspond à une augmentation “progressive” du rapport (87Sr/86 Sr)0 (importante contamination par du matériel crustal) et que les deux niveaux les plus riches en chromite (Upper Group 2 et Merensky Reef) correspondent à des augmentations brutales de ce rapport. Les petits chiffres à droite du log dans la Zone Critique localisent les niveaux riches en chromite. Les M à droite du log dans la Zone Supérieure représentent des niveaux de magnétite.


Il n'y a pas que des niveaux de chromite situés immédiatement au toit d'un niveau anorthositique et à la base de niveaux ultrabasiques (pyroxénite ou péridotite). On peut trouver ici ou là d'autres niveaux de chromite interstratifiés dans des pyroxénites.

“Stratigraphiquement”, sous le groupe riche en chromite Upper Group 2, il y a le groupe Upper Group 1, qui affleure magnifiquement dans les gorges de la Dwars River (site classé et protégé, Dwars River Heritage Site), non loin d'une mine exploitée par la compagnie minière Tweefontein. Les gorges de la Dwars River présentent, de façon spectaculaire, des alternances de chromitite et d'anorthosite. Les couches de chromite ne sont pas aussi continues qu'elles le semblent au premier coup d'œil (sur les photographies 10 et 11). Ces couches ont différentes épaisseurs, bifurquent latéralement, s'enclavent mutuellement, sont perturbées ou cassées par l'anorthosite… suggérant des mouvements du mélange magma / cristaux en cours de dépôt. Dans les neuf photographies qui suivent, on ne cherchera pas à décrire-expliquer le détail de chaque couche mais simplement à montrer la variété et la complexité de ce qui se passait au sommet de la Zone Critique. Cristallisation fractionnée, réinjection, contamination… ne sont pas de longs fleuves tranquilles.



Différents aspects des alternances chromitite / anorthosite des gorges de la Dwars River, Bushveld (Afrique du Sud)







Grâce au Bushveld, l'Afrique du Sud est le principal producteur mondial de chrome. Elle produit la moitié des 7 millions de tonnes (7 Mt) annuelles produites dans le monde. Rappelons que le chrome est surtout utilisé pour faire des aciers spéciaux (≈ 50 % de la consommation), pour la fabrication de pigments pour les peintures, la verrerie et la céramique… (≈ 25 % de la consommation), l'industrie du cuir et des tanneries (≈ 15 % de la consommation), la fabrication de catalyseurs (≈ 5 % de la consommation)…

Il n'y a pas que des niveaux de chromite comme ressource minérale dans le Bushveld. Il y a aussi des minerais de platine (cf. la semaine prochaine), mais aussi des niveaux de magnétite (Fe3O4) que l'on trouve dans la Zone Supérieure. Ces magnétites ne sont pas exploitées pour le fer, mais le sont parfois pour le chrome ou le vanadium qu'elles contiennent en “impuretés”. L'origine de ces niveaux de magnétite, qui ne sera pas développée ici, est sans doute voisine de celle des niveaux de chromite de la Zone Critique, mais avec au départ un magma moins basique que dans la Zone Critique. Rappelons que l'Afrique du Sud est le sixième producteur mondial de minerai de fer (60 Mt pour une production mondiale de 2200 Mt de minerai de fer – permettant la production de 1900 Mt d'acier). Mais la très grande majorité de ces minerais de fer Sud-africains ne vient pas du Bushveld, mais de l'exploitation de BIF (cf. Les fers rubanés (Banded Iron Formation) de l'Archéen de Barberton, groupe de Fig Tree (−3,26 à −3,22 Ga), Afrique du Sud).

Couche de magnétite (Fe3O4) vue “de face”, Magnet Hill, complexe du Bushveld (Afrique du Sud)

Figure 21. Couche de magnétite (Fe3O4) vue “de face”, Magnet Hill, complexe du Bushveld (Afrique du Sud)

Ces couches de magnétite pendent d'une dizaine de degrés vers le Sud-Ouest.

Localisation par fichier kmz du site à couches de magnétite de Magnet Hill, Bushveld (Afrique du Sud).


Vue plus large sur une couche de magnétite (Fe3O4) vue “de face”, Magnet Hill, complexe du Bushveld (Afrique du Sud)

Figure 22. Vue plus large sur une couche de magnétite (Fe3O4) vue “de face”, Magnet Hill, complexe du Bushveld (Afrique du Sud)

Ces couches de magnétite pendent d'une dizaine de degrés vers le Sud-Ouest.


Couches de magnétite des figures précédentes, mais ici vues “de profil”, Magnet Hill, Bushveld (Afrique du Sud)

Figure 23. Couches de magnétite des figures précédentes, mais ici vues “de profil”, Magnet Hill, Bushveld (Afrique du Sud)

Ces couches de magnétite pendent d'une dizaine de degrés vers le Sud-Ouest. Ces lits de magnétites sont interstratifiées dans des anorthosites et/ou des gabbros noritiques.


Couche de magnétite des figures précédentes, mais ici vues “de profil”, Magnet Hill, Bushveld (Afrique du Sud)

Figure 24. Couche de magnétite des figures précédentes, mais ici vues “de profil”, Magnet Hill, Bushveld (Afrique du Sud)

Ces couches de magnétite pendent d'une dizaine de degrés vers le Sud-Ouest. Ces lits de magnétites sont interstratifiées dans des anorthosites et/ou des gabbros noritiques.


Gros plan sur la section d'une couche de magnétite, Magnet Hill, Bushveld (Afrique du Sud)

Figure 25. Gros plan sur la section d'une couche de magnétite, Magnet Hill, Bushveld (Afrique du Sud)

Il s'agit d'un cumulat de cristaux de magnétite avec des feldspaths intercumulus.


Localisation du Bushveld, Afrique du Sud