Image de la semaine | 03/10/2022
Non, les grenats ne sont pas caractéristiques de haute pression !
03/10/2022
Résumé
Petit inventaire, incomplet, de grenats magmatiques ou métamorphiques formés dans des conditions n’impliquant pas de haute pression.
Les grenats constituent une famille de nésosilicates cristallisant dans le système cubique, avec les formes caractéristiques de ce système (dodécaèdre, octaèdre…). La formule globale de la famille est : (Me2+)3(Me3+)2(SiO4)3, où Me2+ représente un cation métallique divalent (Ca2+, Mg2+, Fe2+, Mn2+) et Me3+ un cation métallique trivalent (Al3+, Fe3+, Cr3+). Les grenats les plus fréquents sont l'almandin (Al3+, Fe2+), le grossulaire (Al3+, Ca2+), le pyrope (Al3+, Mg2+), la spessartite (Al3+, Mn2+), l'andradite (Fe3+, Ca2+) et l'uvarovite (Cr3+, Ca2+). Des solutions solides existent entre ces différents pôles.
Les grenats sont le sujet d'une double erreur extrêmement répandue dans l'Éducation nationale. Selon cette double fake news, les grenats seraient (1) des minéraux exclusivement d'origine métamorphique, (2) des minéraux caractéristiques d'une haute pression. Je retrouve tous les ans cette double erreur chez les étudiants entrant en L3 à l'ENS de Lyon (et venant donc de BCPST ou de L1 et L2 universitaires) ou chez les étudiants entrant en « prépa agrèg » et venant d'un cursus SVT-CAPES. C'est une double erreur, car (1) si les grenats sont majoritairement métamorphiques, il existe des grenats dans des roches magmatiques (plutoniques comme volcaniques), et (2) les grenats sont stables dans quasiment tous le champ Pression-Température (sauf “à froid”) et pas seulement dans le domaine des hautes pressions. Les grenats des cornéennes de Plélauff (figures 1 à 4) et les cinq autres exemples qui suivent sont là pour le rappeler.
On peut se demander d'où vient cette fausse association grenat / haute pression. Le lycéen découvre les grenats avec le métamorphisme des zones de subduction (éclogite, faciès métamorphique de haute pression) et il ne les voit plus après dans sa scolarité au lycée. Dans les années qui suivent, on parle beaucoup plus des subductions que des auréoles de métamorphisme de contact ou que des phases tardives BP-HT des chaines de collision… On parle des grenats comme la phase alumineuse du manteau profond, ou comme minéral protégeant la coésite de la rétromorphose lors de la remontée des zones profondes. Tout ça fleure bon la haute pression. Très probablement, peu d'enseignants disent explicitement que les grenats sont caractéristiques d'une haute pression, mais bien peu parlent et montrent des grenats de basse pression.
Nous allons vous montrer deux autres exemples de grenats associés au métamorphisme de contact, autour du plus célèbre granite de France (le granite de Flamanville) et autour d'un des plus jeunes granites d'Europe (le granite de l'Ile d'Elbe). Puis nous verrons des grenats liés au métamorphisme MP à BP - HT et aux migmatites et granites associés, phénomènes fréquents dans les stades tardi- et post-collisionnels de la chaine hercynienne, avec deux exemples pris dans le Velay et dans les Pyrénées hercyniennes. Enfin nous vous montrerons des grenats formés par des fumeroles (à la pression atmosphérique donc) dans un dôme de trachyte du Cantal. Nous évoquerons aussi (sans les traiter) des grenats présents dans des roches volcaniques acides de la Martinique, des iles Marquises et des Pyrénées.
Source - © 2012 D’après Marcoux et al. | |
Source - © 2015 Servizio Geologico d'Italia / Elbareport | |
Les stades tardifs des chaines de collision correspondent souvent à des épisodes d'augmentation de température et de désépaississement (diminution de pression) de l'empilement des unités tectoniques réalisé pendant la collision sensu stricto. Il s'en suit un métamorphisme MP-HT et BP-HT, avec développement de minéraux comme la sillimanite, la cordiérite et les grenats. Cette température élevée s'accompagne souvent d'une fusion partielle, avec développement de migmatites et de véritables massifs granitiques. Migmatites, granites et filons péri-granitiques contiennent eux aussi souvent des grenats. Des précisions sur ces épisodes tardifs dans la chaine hercynienne française sont développées dans Structure et évolution pré-permienne du Massif Central français 3/3 – Magmatisme et scénario géodynamique aux parties consacrées à la migmatisation et au magmatisme post-orogénique.
Nous vous montrons ci-dessous deux zones où ces évènements tardi-hercyniens ont engendré des grenats : dans le massif du Canigou, massif hercynien de la zone axiale des Pyrénées (Pyrénées Orientales), et dans le Sud du dôme granitico-migmatitique du Velay (Ardèche).
Le Dôme de Velay correspond à un « diapir migmatitico-granitique » mis en place au Carbonifère supérieur-Permien basal en contexte extensif, dans des conditions de BP-HT. Lors de sa mise en place de ce dôme, les premiers jus granitiques à se solidifier étaient recoupés par des magmas plus tardifs, eux-mêmes injectés après leur cristallisation par des magmas encore plus récents… Et tout cela est recoupé par des filons de pegmatites, des filons de quartz hydrothermal… Ces migmatites, granites et roches filoniennes contiennent souvent des grenats (des almandins) et des minéraux caractéristiques d'une BP et d'une HT, en particulier de la cordiérite.
Non seulement les grenats peuvent être présents dans les migmatites, les granites et les filons péri-granitiques, mais ils existent aussi dans les roches volcaniques, en particulier les roches volcaniques acides. Citons les phonolites des iles Marquises (article de Brousse et Maury, 1978 et image geowiki), les dacites du Miocène supérieur du dôme de Gros Ilet, Martinique (Dacite à grenat, Lithothèque de l'ENS de Lyon) et les dacites permiennes du Pic du Midi d'Ossau (Pyrénées Atlantiques), que la notice de la carte géologique de Laruns-Somport décrit ainsi : « Le premier cycle volcanique de chimisme acide et peralumineux, est essentiellement formé de rhyolites et dacites caractérisées par la présence constante de grenats en plus ou moins grande abondance. […]. Le grenat, de composition almandin, est automorphe et non zoné, ce qui incite à lui attribuer une origine magmatique ». Autre occurrence connue, des grenats de type hydrogrosssulaire sont présents dans les rodingites (roches de type gabbro ayant subi un métamorphisme océanique) de nombreuses ophiolites.
Mais encore plus méconnus, des grenats peuvent avoir été formés quasiment à la pression atmosphérique, car déposés par des fumeroles. Ils se forment par circulation de fluides fumeroliens à haute température dans des fractures internes à des dômes volcaniques acides ou dans des cavités internes à la roche à peine refroidie. Nous vous montrons les andradites du dôme trachytique miocène supérieur de Menoyre (Menet, Cantal) que l'on trouve dans une carrière (de pierres de taille) maintenant abandonnée. Ces grenats, des andradites relativement riches en manganèse, ont soit été déposés directement par les fluides fumeroliens, soit obtenus par réactions entre ces fluides (s'ils étaient oxydants) et certains des minéraux du trachyte, par exemple selon la réaction (voir Abréal Grenats de fumeroles et phonolites à grenats) 6 CaFe2+Si2O6 (hédenbergite = pyroxène ferro-calcique) + 3/2 O2 → 2 Ca3Fe2(SiO4)3 (andradite) + Fe2O3 + 6 SiO2.
Les grenats cristallisant dans les fractures n'ont pu que cristalliser dans deux dimensions et, après “ouverture” des fractures par les carriers, ils ressemblent à des lichens. Les grenats ayant cristallisé dans des cavités montrent les formes caractéristiques des cristaux du système cubique (dodécaèdre, octaèdre…).
Source - © 2018 Vincent Conion - ENS de Lyon | Source - © 2018 Vincent Conion - ENS de Lyon |