Image de la semaine | 31/05/2021
Les racines, des agents d'altération chimique majeurs, Pénestin (Morbihan) et Colunga (Espagne)
31/05/2021
Résumé
Racines et oxydo-réduction : rappel du rôle de la vie dans l'altération chimique… depuis longtemps.
Ces couches rouges entaillées par un chemin se dirigeant vers la plage de Pénestin (au Sud du Morbihan) correspondent à des dépôts fluviaux-deltaïques déposés il y a quelques centaines de milliers d'années par les paléo-Loire et paléo-Vilaine. Les descriptions de ces terrains et de leur origine sont détaillées dans l'article de la semaine dernière Les sédiments pléistocènes de la paléo-Loire et leur discordance sur les micaschistes hercyniens, plage de la Mine d'or, Pénestin, Morbihan. Ce matériel détritique provient de l'érosion d'altérites rouges, voire de véritables cuirasses latéritiques qui s'étaient formées en France durant toute la première moitié du Cénozoïque. Les couleurs rouge et ocre sont dues à la présence de fer oxydé (Fe3+) diversement hydraté présent dans des hydroxydes ferriques (limonite, goethite…) et des argiles ferrugineuses. Ici, hydroxydes ferriques et argiles ferrugineuses sont détritiques et n'ont pas été formées in situ dans le profil. Les ions Fe3+ sont puissamment “colorants”, et quelques pourcents voire fractions de pourcent de fer oxydé suffisent pour colorer argiles, silts et sables. Les ions Fe2+ sont beaucoup moins “colorants” : ils donnent une teinte verdâtre s'ils sont abondants, et n'ont quasiment pas de couleur s'ils sont dilués. Il ne reste alors que la couleur grisâtre du sable et des argiles ? Aux pH et concentrations “standards” fréquents dans la nature, les ions Fe2+ sont solubles dans l'eau, alors que les ions Fe3+ sont insolubles et forment des hydroxydes. Les paléo-Loire et paléo-Vilaine n'ont pas déposé des sables et argiles rouges en “triant” des grains non colorés pour les disposer de façon à ce qu'ils constituent un cylindre ou un tube. Ces tubes sans Fe3+ ont dû être constitués d‘argiles et de sables normalement oxydés ; puis ce Fe3+ a été réduit le long de ce qui est devenu un tube, et, devenu Fe2+, a été lessivé ou dispersé du fait de sa solubilité par les eaux imbibant / circulant dans ces niveaux sableux perméables. La présence quasi systématique de racines dans ces tubes sans Fe3+ suggère fortement que la présence de ces racines est la cause directe ou indirecte de la réduction du fer oxydé.
Plusieurs hypothèses sont possibles.
1/ Les racines elles-mêmes et les organismes associés (bactéries, filaments des mycorhizes…) sécrètent des substances organiques (glucides …). Ces substances organiques diffusent autour de la racine vivante et réduisent de façon purement chimique et abiotique le Fe3+ en Fe2+. C'est possible mais peu probable car les racines sont parcourues de tissus aérifères y apportant de l'oxygène. De plus, les racines de cette haie bretonne sont souvent des racines de genêts qui, comme toutes les racines de fabacées, contiennent de la léghémoglobine, protéine porteuse de dioxygène. Les environs immédiats d'une racine bien vivante ne constituent pas en général un environnement réducteur.
2/ Il y a beaucoup de matière organique autour des racines vivantes : substances organiques sécrétées (cf. ci-dessus), filaments de champignons ou radicelles et leurs poils absorbants morts, voire vivants… et bien sûr la racine elle-même. Tout cela constitue une source de nourriture potentielle pour des bactéries dès la mort de la racine. Mais si le milieu est pauvre en dioxygène (on est à plusieurs mètres sous la surface du sol), ces bactéries doivent soit pratiquer une fermentation, soit une respiration anaérobie. Les fermentations sont toujours possibles, mais sont énergétiquement peu efficaces. S'il y a dans le milieu un oxydant autre que le dioxygène, de nombreuses bactéries pratiquent une respiration anaérobie, qui fournit plus d'énergie (plus d'ATP par molécule de glucose). Or le Fe3+ est un oxydant. On peut écrire de façon simplifiée l'équation de cette oxydation de matière organique par un oxyde ferrique :
C (représente la matière organique) + 2 Fe2O3 (oxyde ferrique) → 4 FeO (oxyde ferreux soluble) + CO2 + énergie,
ou, de manière plus réaliste :
C6H1206 (glucose) + 12 Fe2O3 (oxyde ferrique) → 24 FeO (oxyde ferreux, soluble) + 6 CO2 + 6 H2O + énergie.
3/ Il n'est pas exclu théoriquement que des cellules des mycorhizes pratiquent elles aussi cette respiration anaérobie une fois les racines mortes. Des biologistes pourraient-ils nous signaler si cette respiration anaérobie est exclusive des bactéries ou si des cellules eucaryotes savent aussi la pratiquer ?
On a là une manifestation visible parce que “colorée” de l'action des êtres vivants (et en particulier des racines et de la rhizosphère) sur les transformations minéralogiques dans les sols, action des êtres vivants qui, même une fois morts, participent à tous les phénomènes regroupés sous le terme d'altération.
Ce rôle chimique (sensu lato) des racines après leur mort s'ajoute à leur rôle mécanique (les racines favorisent la fracturation des roches – cf. Quand des arbres profitent des diaclases des granites pour y insinuer leurs racines, inselbergs de Klein Bolayi et des Three Sisters, complexe granitique de Bulai, Afrique du Sud) mais limitent l'érosion des sol – cf. Les forêts et leurs arbres, des limiteurs d'érosion).
Nous allons vous montrer 15 autres images de cette action réductrice des racines actuelles, et des équivalents anciens, datant du Jurassique, du même phénomène (photo 19 à 23).
À Pénestin, la réduction du Fe3+ est actuelle et est due à des végétaux qui étaient bien vivants il y a quelques mois à quelques années. Ces emplacements racinaires soulignés par des tubes grisâtres à verdâtres recoupant des terrains riches en Fe3+ (rouges, ocres ou violacés) peuvent se retrouver dans des terrains continentaux anciens colonisés par des végétaux terrestres (avec racines) juste après leur dépôt. Dans ce cas, on retrouve alors des “motifs” similaires à ceux de Pénestin, mais sans la racine au milieu du tube réduit, la matière organique de celle-ci ayant disparu depuis longtemps.
C'est en cherchant tout autre chose (cf. fig. 22 et 23), que j'ai trouvé totalement par hasard de telles traces ressemblant à des traces de racines dans les terrains du Jurassique supérieur des Asturies (Espagne). La paléogéographie locale au Jurassique supérieur est-elle compatible avec cette interprétation ?
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