Image de la semaine | 09/11/2020

Les flute casts des “molasses” miocènes de la région lyonnaise (Rhône)

09/11/2020

Auteur(s) / Autrice(s) :

  • Pierre Thomas
    Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Publié par :

  • Olivier Dequincey
    ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Figures de courant, érosion et moulage, indications sur le milieu de dépôt.


Flute casts dans une falaise de sables et grès molassiques miocènes le long de la rue Paul Descartes, Saint-Fons, Rhône
Figure 1. Flute casts dans une falaise de sables et grès molassiques miocènes le long de la rue Paul Descartes, Saint-Fons, Rhône — ouvrir l’image en grand

Ces flute casts sont ici vus “par-dessous”, puisque les couches sont à peu près horizontales. Ces flute casts sont constitués de grès bien indurés, au sein de grès très peu indurés qu'on peut quasiment considérer comme des sables. Les flute casts sont formés par affouillement d'un fond sédimentaire non induré par des courants. Ils correspondent théoriquement à des dépressions oblongues, allongées ou triangulaires dont la “pointe” indique la direction d'où vient le courant (voir la figure 7). Ces dépressions creusées dans des sédiments tendres sont rarement conservées, contrairement à leurs “moulages” par les sédiments déposés par le “courant érodant” quand sa vitesse diminue. Morphologiquement, les flute casts les plus fréquents sont donc des rides oblongues, allongées ou triangulaires dont la pointe indique le sens du courant, rides visibles à la base d'un banc (le plus souvent un banc de grès). Des flute casts groupés donnent donc à une base de banc une allure de tôle ondulée. En plus de ces flute casts classiques, cet affleurement montre des flute casts cylindriques ou en cônes étroits et allongés, isolés dans les sables, ce qui n'est pas sans poser des problèmes d'interprétation. Cette morphologie en pointe isolée doit sans doute être à rechercher dans l'interaction entre d'une part la sédimentation et d'autre part la grésification diagénétique, irrégulière et guidée par la granulométrie et la perméabilité de la roche. Dans cet affleurement, la pointe est dirigée vers la gauche (vers le Nord-Ouest). Le courant ayant formé ces flute casts venait donc du Nord-Ouest.

Localisation par fichier kmz des affleurements de molasses miocènes à flute casts de Saint-Fons.

Nous avons vu la semaine dernière des affleurements de molasse miocène au Sud-Est de Lyon, principalement à Saint-Fons (rue Paul Descartes) et à Feyzin (cf. Les chenaux des « molasses » miocènes de la région lyonnaise (Rhône)). Nous retournons cette semaine rue Paul Descartes à Saint-Fons pour voir, étudier et essayer de comprendre deux affleurements séparés de 100 m l'un de l'autre et distants (à vol d'oiseau) de seulement 4 km de l'ENS de Lyon, et 6,7 km de la Place Bellecour (le centre de Lyon). Rappelons que les flute casts sont formés par affouillement d'un fond sédimentaire non induré par des courants d'eau (chenaux fluviatiles, chenaux deltaïques, courants de marées…). Ils correspondent théoriquement à des dépressions oblongues, allongées, allant d'une forme cylindrique à une forme conique plus ou moins ouverte. Leur “pointe” indique le sens d'où vient le courant (voir figure 7). Ces dépressions creusées dans des sédiments tendres sont rarement conservées, contrairement à leurs “moulages” (ou contre-empreintes) par les sédiments déposés par le “courant postérieur érodant” quand sa vitesse diminue. Parce que déposé par un courant plus rapide, ce remplissage est plus grossier et plus résistant que la couche qu'il surmonte (sable fin sur argilite, sable grossier sur sable fin…). Les flute casts les plus fréquents sont donc visibles sur des bases de bancs, moulages “en relief” des dépressions creusées dans la couche sous-jacente ; ils forment des rides oblongues, allongées ou triangulaires dont la “pointe” indique le sens du courant. Des flute casts nombreux et groupés donnent donc à une base de banc une allure de tôle ondulée. En plus de ces flute casts classiques bien présents, les affleurements de Saint-Fons montrent des flute casts cylindriques ou en cônes allongés très resserrés, isolés dans les sables, ce qui n'est pas sans poser des problèmes d'interprétation. Cette morphologie “en cylindre ou cône pointu isolé” doit sans doute être à rechercher dans l'interaction entre d'une part la sédimentation et d'autre part la grésification diagénétique, irrégulière et guidée par la granulométrie et la perméabilité de la roche. Pour expliquer un flute cast isolé, on peut proposer que le remplissage d'un sillon particulier était différemment perméable que celui de ses “voisins” ; lors de la circulation intra-sédimentaire des eaux responsable de la grésification diagénétique, seuls quelques sillons ont été fortement grésifiés et sont maintenant mis en relief par l'érosion différentielle. Pour expliquer la section cylindrique de certains flute casts, isolés ou groupés, on peut proposer que la grésification diagénétique a affecté un cylindre, débordant vers le haut le chenal initial hémicylindrique. Planet-Terre serait ravi si un spécialiste des figures sédimentaires et/ou diagénétiques pouvait nous amener des précisions.

Nous vous montrons (1) trois autres photographies de cet affleurement, (2) cinq photographies d'un échantillon tombé au pied de cet affleurement et ramené à l'ENS de Lyon, et (3) un schéma expliquant l'origine des flute casts et de leurs deux morphologies extrêmes. Enfin (4) nous verrons sept photographies d'un deuxième affleurement situé 100 m plus au Sud sur le bord de la même rue Paul Descartes à Saint-Fons.

Schéma montant le mode de formation des flute casts, ou plutôt des sillons en creux dont le remplissage-moulage donne les flute casts
Figure 7. Schéma montant le mode de formation des flute casts, ou plutôt des sillons en creux dont le remplissage-moulage donne les flute casts — ouvrir l’image en grand

En haut, sillon classique : une turbulence aléatoire crée au départ un petit sillon, qui augmente la turbulence, ce qui agrandit le sillon… En bas, une irrégularité (un gros gravier par exemple) localise la turbulence et l'érosion par le courant. Le gravier se retrouve à la pointe du sillon, et donc à la pointe de la ride dans le cas d'une contre-empreinte.

Ces deux types de flute casts se retrouvent sur les deux photos précédentes.

Vues aériennes de la Baie de Somme prises à 10 ans d'intervalle
Figure 18. Vues aériennes de la Baie de Somme prises à 10 ans d'intervalle — ouvrir l’image en grand

On voit que la géométrie des chenaux a bien changé en dix ans. C'est peut-être dans un milieu semblable que se sont déposés les grès contenant les flute casts de Saint-Fons, avec une grande différence quant à l'arrière-pays : l'arrière-pays de la Baie de Somme ne correspond pas à une chaine de montagne chevauchant un bassin flexural.

Extrait de la carte géologique de France au 1/1 000 000
Figure 21. Extrait de la carte géologique de France au 1/1 000 000 — ouvrir l’image en grand

Tous les terrains jaune-pâle nommés “m”, de Genève à Arles et à Digne en passant par Chambéry, Lyon, Valence et Avignon correspondent aux sédiments miocènes déposés dans le bassin flexural péri-alpin. Localement, la subsidence a commencé à l'Oligocène (jaune vif, “g”). L'origine de ce bassin molassique est expliquée à la figure 9 de Les chenaux des « molasses » miocènes de la région lyonnaise (Rhône). Le secteur de Saint-Fons et Feyzin est entouré en rouge.