Image de la semaine | 11/02/2019
Les ophiolites en 180 photos – 6/7 L'extension spatiale et temporelle du magmatisme
11/02/2019
Résumé
Des filons et sédiments en positions inattendues qui montrent que le magmatisme des dorsales peut marquer des pauses, et varier en intensité et en extension spatiale.
Avant-propos
Le but de cette série de sept “images de la semaine“ n'est pas d'expliquer la genèse de la lithosphère océanique, ni la mise en place des ophiolites sur les continents, ni la géologie précise des ophiolites prises en exemple, mais simplement d'être un album d'environ 180 photos (un clin d'œil au concours Ma thèse en 180 secondes), une banque de données photographiques que chacun pourra utiliser pour illustrer/démontrer ses propos. Ces images montreront divers aspects de divers cortèges ophiolitiques, ophiolites “complètes” car issues de dorsales rapides, ou beaucoup plus “réduites” car issues de dorsales lentes. Il s'agira uniquement de photos prises sur le terrain, sans photo de lame mince, sans diagramme, sans analyse chimique… On se limitera à ce qui découle de l'histoire océanique de l'ophiolite, sans aborder ce qui est lié aux phénomènes de subduction/obduction/collision. Cet album photo comporte sept semaines/chapitres : (1) le manteau, (2) les gabbros, (3) le cortège filonien, (4) les basaltes en coussins (pillow lavas), les coulées et les sédiments, (5) le Moho, (6) l'extension spatiale et temporelle du magmatisme, et (7) l'hydrothermalisme. Un schéma des deux types d'ophiolites sera placé à la fin de chaque article, pour que chacun puisse (1) situer les divers objets photographiés dans le(s) modèle(s), et (2) comparer réalité naturelle et modèles. Le choix des photos est forcément subjectif, intersection entre ce que je connais personnellement et ce que je pense utile à tout un chacun selon ses besoins, pour que les ophiolites ne soient pas réduites ou à un (des) modèle(s) théorique(s) ou au seul Chenaillet pour les plus chanceux qui peuvent y aller.
Sauf pour les ophiolites “françaises” (les Alpes et la Désirade en Guadeloupe), toutes les photographies de ces articles ont été prises lors d'excursions géologiques organisées par le Centre briançonnais de géologie alpine (CBGA) et encadrées par Romain Bousquet (Université de Kiel) pour Chypre, par Jean Pierre Bouillin (Université de Grenoble) pour l'ile d'Elbe, par Emmanuel Ball (Université de Montpellier) ou Aymond Baud (Université de Lausanne) pour l'Oman, et par Thierry Juteau (Université de Brest) pour la Turquie. Sans eux, je n'aurais jamais pu prendre ni commenter ces 180 photographies.
Dans les ophiolites issues de dorsales rapides, on voit souvent des filons de basalte (souvent très altérés mais pas toujours) recoupant la masse des basaltes en coussins, donc postérieurs à la mise en place de ces derniers. Trois hypothèses extrêmes peuvent expliquer cette observation, avec tous les intermédiaires et combinaisons possibles.
- Tout se passe à l'axe de la dorsale. En moyenne, sur les dorsale rapides actuelles (qui n'ont pas de rift rappelons-le), la zone où se concentrent les émissions volcaniques correspond à une étroite dépression axiale d'environ 200 m de large pour 5 à 10 m de profondeur. Des volcans isolés peuvent parfois (mais assez rarement) se trouver quelques centaines de mètres à l'écart de cet axe émissif. Des coulées assez longues peuvent parfois s'éloigner de quelques centaines de mètres des fissures ou points de sortie. Ce recoupement filons tardifs / couche de laves en coussins pourrait être dû à une interruption « momentanée » du volcanisme à l'axe de la dorsale.
- Les basaltes en coussins, comme toute la croute et la lithosphère, sont déplacés par la dérive de la lithosphère. Si on suppose une demi-vitesse d'extension de 5 cm/an, un basalte en coussin émis à l'axe de la dorsale en est éloigné de 5 km au bout de 100 000 ans. Mais si, à ce moment-là, le volcanisme subit une augmentation temporaire d'intensité, la zone atteinte par le magmatisme devient beaucoup plus large que les quelques centaines de mètres standards, et des filons “tardifs” peuvent recouper des basaltes en coussins “anciens”.
- Le volcanisme est continu et d'intensité presque constante, mais les centres éruptifs se décalent de temps en temps de plusieurs centaines de mètres à droite ou à gauche de l'axe de la dorsale.
Dans le premier cas il y a un volcanisme discontinu dans le temps. Dans le deuxième cas, il y a un volcanisme continu dans le temps mais d'intensité variable. Dans le troisième cas, on a un volcanisme continu mais se déplaçant un peu. Il faudrait faire de fines études sur le terrain et au laboratoire pour trancher.
Nous vous montrons (en 8 photographies) deux autres sites situés dans l'ophiolite de Chypre ou des filons de basalte recoupent des formations superficielles (laves en coussins, coulées ou pyroclastites).
Dans le même affleurement de Kalo Chorio, Chypre, lors d'une excursion organisée par le CBGA, Romain Bousquet nous a montré et interprété un affleurement assez extraordinaire (au sens propre du terme). Il s'agit d'un filon de basalte recoupant des pyroclastites. Les pyroclastites sont fondues-vitrifiées au contact du basalte. On peut interpréter cette situation assez atypique de la façon suivante. Avant l'arrivée du filon basaltique, les pyroclastites étaient gorgées d'eau et très altérées en argile (elles avaient presque acquis une composition de micaschistes voire de granite). Un tel mélange a une température de fusion assez basse (700 à 800°C), beaucoup plus basse que la température d'un magma basaltique (1100 à 1200°C). Le basalte en traversant ces pyroclastites hydratées et argilisées les a fait fondre sur quelques centimètres, et ce liquide est devenu un verre en refroidissant. Cette fusion-vitrification n'est pas sans rappeler la formation de la buchite et la fusion-vitrification superficielle des granites (cf. Anatexie en conditions de (sub-)surface : les murs vitrifiés du camp de Péran et autres phénomènes anthropiques ou naturels). Cette interprétation est confirmée sur la figure 11. Ce filon traverse un gros bloc de basalte massif au sein des pyroclastites. Au niveau du bloc de basalte, la zone fondue-vitrifiée est quasiment absente, alors qu'elle mesure environ 3 à 4 cm de large quand le basalte recoupe les pyroclastite pulvérulente. L'absence de fusion-vitrification au niveau du bloc de basalte s'explique par l'hydratation-argilisation beaucoup plus faible du basalte massif que du basalte pulvérulent.
Quelle qu'en soit la cause (cf. plus haut), le volcanisme peut s'arrêter pour un lieu donné, puis reprendre plus tard pour ce même secteur (qui s'est significativement déplacé entre temps si l'arrêt du volcanisme en ce lieu est long). Pendant cet arrêt, il y a bien sûr de la sédimentation, qui peut déposer quelques décimètres à mètres de sédiments entre deux coulées sous-marines. On trouve cette situation dans les ophiolites mésozoïques (≈ 140 Ma) de La Désirade (Guadeloupe) où des niveaux sédimentaires (radiolarites) sont interstratifiés entre deux coulées de pillow lavas. Le contexte de mise en place océanique de ces ophiolites est discuté [“vrai” océan, bassin marginal (comme la mer du Japon), plateau océanique (comme Otong Java ou les Kerguelen)]. Quoi qu'il en soit, on peut “estimer” la durée de l'interruption locale du volcanisme. L'épaisseur de la couche sédimentaire est de quelques mètres. Retenons 3 m (3000 mm). La vitesse de sédimentation dans une plaine abyssale loin des côtes est en moyenne d'1 mm/siècle. Il a donc fallut 3000 siècles, soit 300 000 ans pour déposer ces sédiments. Pour la zone correspondant à l'actuelle pointe orientale de La Désirade, l'arrêt du volcanisme, quel qu'en soit la cause, a duré ≈ 300 000 ans. Si cet arrêt et cette reprise du volcanisme sont dus à la dérive du fond océanique suivie d'un élargissement ou d'un déplacement de la zone magmatiquement active, et si on retient une vitesse de déplacement de la plaque de 5 cm/an, l'élargissement/déplacement de la zone volcaniquement active a été d'au moins 15 km.
Ce volcanisme “tardif” qui arrive en surface après un long arrêt (au moins local) doit évidemment traverser, avant d'arriver en surface, le cortège filonien et les gabbros. Si l'écart chronologique entre ce dernier épisode volcanique et la mise en place du cortège filonien et/ou des gabbros plus anciens est important, le basalte traverse des roches déjà refroidies. On voit alors des filons de roches basiques à grains fins (basaltes ou dolérites à grains fins) recoupant des gabbros ou des dolérites à gros grains.