Image de la semaine | 05/03/2018
Le 4 novembre 1981, un geyser jaillit à Saint-Nectaire (Puy de Dôme)
05/03/2019
Résumé
Un geyser à CO2 intermittent... et temporaire car aujourd'hui capté pour alimenter un établissement de thermal médical et de détente.
Saint-Nectaire est surtout connu pour son fromage et sa superbe église romane, mais aussi pour son thermalisme. De très nombreuses sources chaudes (de 20 à 46°C) et gazeuses y sont connues et exploitées depuis les Romains, grands amateurs de bains et de thermes. Nous avons déjà évoqué les aspects géologiques (cf. Les sources thermominérales d'Auvergne : aspects géologiques) et biologiques (cf. Les sources thermominérales d'Auvergne : chimiolithotrophie et photosynthèse) de certaines de ces sources, en particulier celles de la Grotte du Cornadore qui est ouverte aux touristes. À la grande époque du thermalisme, de 1850 à 1950, Saint- Nectaire fut une station thermale réputée où l'on soignait les maladies rénales et métaboliques (diabète...). Mais la fréquentation des thermes déclina après la Seconde Guerre mondiale. Les Grands Thermes, anciens, furent abandonnés (ils sont maintenant occupés par l'office de tourisme) et un nouvel établissement thermal moderne est construit en 1978. Mais le thermalisme médical décroit toujours. Cet établissement thermal moderne sert maintenant d'établissement pour les soins de beauté, pour la remise en forme, pour de la "quasi-thalassothérapie" (la mer est loin, mais les eaux sont salées), pour des jeux aquatiques…
Ce nouvel établissement thermal n'était initialement alimenté (et chauffé) que par trois sources ne débitant qu'1 à 2 m3/h à une température maximale de 34°C. C'est pour alimenter et chauffer ce nouvel établissement que la commune de Saint-Nectaire a chargé le BRGM d'effectuer des recherches et de sous-traiter des forages, dans le but de récupérer de 5 à 10 m3/h d'eau à une température voisine de 40°C. Trois forages furent effectués entre septembre 1981 et mars 1982 par la société MONTAVON. L'un de ces trois forages situés au niveau du parking juste à côté de l'établissement thermal, le forage nommé A2, a atteint 57 m de profondeur, entièrement à travers un granite très fracturé. Ce forage avait été "tubé" et "crépiné" jusqu'à 31 m de profondeur, et laissé nu de 31 à 57 m de profondeur. Un compte-rendu du déroulement de ces trois forages a été mis en ligne par le BRGM et est disponible sur Infoterre.
Du mercredi 4 novembre 1981 à 10h30 jusqu'au samedi 7 novembre 15h30, ce forage A2 s'est transformé en geyser périodique jaillissant à une cinquantaine de mètres de hauteur pendant environ 1,5 min avec une périodicité d'environ 10 min. L'eau très riche en CO2 avait une température de 56,2°C. Ce jaillissement vigoureux fut précédé dans les jours précédents de jaillissements beaucoup plus modérés. Francine Mercier, du BRGM, décrit ainsi le phénomène le 5 novembre : « le jaillissement est annoncé par un grondement. L'eau sort en bouillonnant de la gueule du forage, puis s'élève progressivement à deux, quatre, six mètres, et brusquement la gerbe d'eau est propulsée à une cinquantaine de mètres de hauteur, avec un sifflement strident. Après quoi, la colonne d'eau décline rapidement et des blocs de granite arrachés par l'eau ascendante et éjectés avec l'eau retombent en mitraille sur le sol. Après 8,5 min de calme, le phénomène recommence. Mais en quelques jours, le geyser se transforme en une source jaillissante "modeste", puis se tarit complètement » ».
Le tarissement du geyser est dû au fait que la base du forage n'était pas tubée. Les fortes arrivées d'eau et de gaz ont provoqué désagrégation et éboulements du granite très fracturé, ce qui a partiellement colmaté la base du forage. Ce même forage a temporairement refonctionné en geyser une dizaine d'heures le 8 janvier 1982 après une reprise des travaux au fond du puits le 5 janvier. Depuis, ce forage n'est plus jaillissant. L'eau pompée dans de ce forage devenu non jaillissant et dans d'autres forages sert maintenant à alimenter le nouvel établissement construit en 1978.
La sortie de ce geyser fit "grand bruit" dans la région, et la presse en a abondamment fait écho. Le dimanche 8 novembre, des milliers de curieux sont venus admirer le phénomène qui, hélas, s'était arrêté la veille.
On ne sait pas ce qu'il serait advenu de ce geyser si le tubage avait été fait sur la totalité du forage, ni si ce jaillissement périodique aurait continué ou se serait spontanément arrêté par baisse de pression dans la nappe, par colmatage des fissures par l'eau très minéralisée... Certains proposaient d'utiliser l'eau en semaine pour l'établissement thermal et de le laisser fonctionner en geyser le week-end pour les touristes. La municipalité et les autres autorités compétentes n'ont pas voulu ou pas pu garder ce geyser en fonctionnement (ou en creuser un autre en parallèle), ce qui aurait constitué une attraction touristique. Dommage ! Peut-être une occasion perdue !
En plus de la figure ci-dessus, nous vous présentons huit autres images du forage A2 et du geyser en novembre 1981, photos prises par Francine Mercier, du BRGM (et maintenant présidente de la Société d'Histoire Naturelle d'Auvergne). Ces images sont des scans de photos papier de petit format et assez décolorées par un âge respectable de 36 ans. Un traitement numérique a permis de rectifier un peu le très relatif état des originaux, de faire des mosaïques…, mais la qualité des images n'est pas celle dont on a maintenant pris l'habitude. Puis, nous vous présentons deux articles de La Montagne, le quotidien régional de l'Auvergne, et deux montages présentant le site du geyser dans son cadre chronologique et géographique. Nous vous montrons aussi ce qu'est devenu ce forage A2 en janvier 2018. Enfin nous expliquerons le fonctionnement des geysers à CO2 et pourquoi ils sont nombreux dans le Massif Central (quatre sont en ordre de marche en 2018).
Ci-dessous quatre étapes de jaillissement du geyser de Saint-Nectaire. Si ces étapes avaient été photographiées lors de la même éruption, moins de 1,5 minutes sépareraient ces quatre clichéq. En fait, seules les 3 dernières photographies ont été prises lors de la même éruption.
Il existe deux types de geyser : (1) les geysers à eau bouillante comme ceux très célèbres d'Islande ou de Yellowstone, où c'est de la vapeur d'eau qui propulse l'eau en hauteur (cf. De l'eau en ébullition dans une bouteille à basse température et basse pression : manipulation simple, geysers et autres analogies géologiques), et (2) les geysers à CO2, où c'est du CO2 qui propulse l'eau en hauteur et dont il existe quatre exemples actifs en 2018 dans le Massif Central, tous sortant par un ancien forage : Vals les Bains (Ardèche) et Lignat (Puy de Dôme) (cf. Deux geysers du Massif Central : la « Source Intermittente » de Vals-les-Bains et la « Gargouillère » de Lignat), Sainte Marguerite (commune de Saint-Maurice-es- Allier, Puy de Dôme) et Bellerive sur Allier (Allier).
Comment fonctionne de tels geysers à CO2, tel que celui de Saint-Nectaire ? Du CO2 sort un peu partout du sol dans le Massif Central, donnant lieu à des eaux gazeuses exploitées commercialement (Badoit (Loire), Vichy (Allier), Vals (Ardèche), Rozana (Puy de Dôme)...), ou à des dégagements "dans la nature" (cf. Les sources thermominérales d'Auvergne : aspects géologiques). Le CO2 est beaucoup plus soluble dans l'eau à haute pression qu'à basse pression. Plaçons-nous dans une roche très fracturée avec un réseau de fractures ouvertes remplies d'eau, le tout formant une nappe phréatique. Imaginons un apport en CO2 à la base du système. L'eau en profondeur, donc sous une pression hydrostatique élevée, va se charger en CO2 dissout et va finir par être saturée en dioxyde de carbone : tout apport supplémentaire entraine un dégazage. Une bulle de CO2 va se former, remonter dans une fissure en entrainant dans sa remontée un peu de l'eau saturée en CO2, eau qui en remontant voit diminuer sa pression et baisser la solubilité du CO2, eau qui va donc à son tour libérer une nouvelle bulle de gaz, qui repoussera l'eau sus-jacente dont la solubilité en CO2 va diminuer... et ainsi de suite jusqu'au jaillissement à la surface des bulles de gaz et d'un panache d'eau entrainé par le gaz.
En plus de cette réaction simplement due à une ascension du liquide, un autre phénomène peut aussi participer au jaillissement. À partir du moment où de nombreuse bulles de gaz se trouvent dans la colonne d'eau, même sans entrainer de jaillissement, la densité de la colonne d'eau et donc son poids diminuent. En conséquence, la pression au fond diminue, ce qui entraine une augmentation du dégazage, et là aussi le phénomène peut s'emballer.
En jaillissant, l'eau se dégaze. L'eau dégazée qui retombe peut dans certains cas se ré-infiltrer dans le sous-sol et remplir les réseaux de fractures (pas à Saint-Nectaire en novembre 1981 où la sortie correspondait à une sortie de tuyau légèrement surélevée). Sinon, les fractures profondes peuvent simplement se remplir par de l'eau circulant dans les fissures de la nappe phréatiques. L'apport continu de CO2 à la base du système re-gazéifie l'eau qui alimente le système, et le cycle recommence.
Le Massif Central est propice au fonctionnement de tels geysers, car (1) du CO2 sourd un peu partout du sous-sol, le manteau très partiellement fondu sous la région laissant s'échapper ses éléments volatils, (2) l'extension oligocène a abondement faillé le substratum granitiquo-gneissique et le remplissage des grabens qui en a résulté, ce qui a constitué de nombreuses nappes phréatiques profondes et superficielles, et (3) de nombreux forages, sorties potentielles pour de tels geysers, ont été forés un peu partout, pour le thermalisme, mais aussi pour la géothermie, et même pour les hydrocarbures (cf. Une éruption de pétrole à Cébazat (Puy de Dôme)).