Image de la semaine | 20/06/2016
Stries de progression, thermométamorphisme, minéraux hydrothermaux…, les merveilles maintenant presque disparues des coulées du Puy de Gravenoire
20/06/2016
Résumé
Argiles cuites, stries de progression et sphérules de minéraux hydrothermaux sur les sites de Boisséjour (commune de Ceyrat) dans la banlieue de Clermont-Ferrand (Puy de Dôme).
Les coulées basaltiques issues du Puy de Gravenoire au-dessus de Clermont-Ferrand ont historiquement fait couler beaucoup d'encre à cause des particularités pétrographiques, minéralogiques et structurales associées. Le Puy de Gravenoire est l'un des deux seuls volcans de la Chaine des Puys exactement situés sur la Faille de Limagne. Ses coulées se sont principalement épanchées sur les sédiments argilo-sableux oligocènes de Limagne. Ce substratum oligocène, quand il affleure, ne semble pas en place, mais est constitué d'une formation hétéroclite et chaotique remaniant les sédiments oligocènes. Les coulées passant sur cette formation y ont occasionné un thermométamorphisme ayant "cuit" les argiles et les ayant transformées en une espèce de brique naturelle plus ou moins indurée selon les endroits et improprement connue localement sous le nom de "porcelanite". Les fractures internes de ces argiles plus ou moins cuites sont fréquemment tapissées de minéraux hydrothermaux (zéolites ou espèces plus rares). Il a fallu attendre 1993 (et la publication par la Société Géologique de France d'un article d'Alain de Goer de Hervé et al.) pour que soit interprétée la nature de ce substratum. Le Puy de Gravenoire date de 60 000 ans (datation par thermoluminescence), pendant la période glaciaire du Würm donc. Ce puy s'est construit sur l'escarpement topographique séparant le plateau des Dômes de la plaine de la Limagne, escarpement constitué de terrains oligocènes recouverts de dépôts de pentes, le tout étant gelé en permanence (permafrost). Les premières éruptions du Puy de Gravenoire (dont des explosions phréatomagmatiques) auraient ébranlé ce versant raide et auraient partiellement fait fondre ce permafrost, qui se serait mis en mouvement et aurait été transformé en « avalanche de débris » riches en eau. C'est sur cette avalanche de débris qu'auraient progressé les coulées de lave, déplaçant peut-être encore certains blocs, métamorphisant parfois les argiles et chauffant les eaux présentes initialement dans les éboulis et sédiments. Ces eaux chaudes ont été à l'origine d'un véritable hydrothermalisme permettant le dépôt des zéolites et/ou d'autres minéraux plus rares présents dans les fractures de la brique naturelle.
Nous vous avons déjà montré des argiles "cuites" sous une coulée de lave. Mais dans ces deux cas précédents, il s'agissait de métamorphisme de paléosols ou d'alluvions fluviatiles, et non pas de sédiments beaucoup plus anciens que les coulées, cf. Thermo-métamorphisme d'un paléosol par une coulée de lave, Bournac (Haute Loire) et Prismation dans des argiles cuites à la base d'une coulée de basalte, Marjallat (commune de Mazeyrat d'Allier, Haute Loire).
Boisséjour est donc un site géologique exceptionnel ou plutôt deux sous-sites (l'affleurement de Boisséjour Haut et la carrière de Boisséjour Bas, 1200 m plus au Sud-Est), facilement visitables il y a 35 ans mais qui sont maintenant très difficiles à montrer à des élèves ou des étudiant : multiplication des propriétés privées et des lotissements résidentiels, abandon des anciennes carrières, colonisation par la végétation pour les terrains non encore urbanisés...
Nous vous présentons trois séries de photographies, prises en 1981-1983, en 1991 (ces deux premières séries correspondent aux scans de vieilles diapositives) et en 2013 dans les Hauts de Boisséjour, ainsi que des photographies d'échantillons collectés pendant ma jeunesse auvergnate dans une ancienne carrière située dans les Bas de Boisséjour (échantillons sans doute ramassés entre 1967 et 1973, et conservés depuis).
Un autre site très spectaculaire de thermométamorphisme était également visible dans l'agglomération clermontoise, en banlieue Nord (cf. Mini prismation d'argile cuite sous une coulée de lave). Ce site a maintenant disparu, ce qui est, hélas, également l'avenir prévisible des affleurements décrits aujourd'hui.
En 1991, la végétation commençait à bien coloniser le site, mais on voyait encore beaucoup de détails. Sur un petit secteur, un mini éboulement avait fait tomber la base scoriacée de la coulée et mettait à l'affleurement, sur une vingtaine de centimètres de large, la surface de contact base scoriacée de la coulée / sédiments argilo-sableux oligocènes métamorphisés. Cette surface montrait de très belles stries, stries mécaniques faites par la progression de la coulée, dont la base scoriacée en train d'avancer "rayait" ces niveaux sédimentaires en train de se faire cuire.
Planet-Terre vous a déjà montré des stries mécaniques affectant des coulées de lave en train de progresser (cf. Stries de friction et de progression sur et dans les coulées de type aa). C'est la première fois que nous vous montrons des stries affectant le substratum d'une coulée.
En 2013 (et 2016) il restait quelques portions de l'affleurement des Hauts de Boisséjour visibles et accessibles. On peut ainsi étudier de près la nature des différentes couches, et même ramasser au pied des affleurements des blocs naturellement détachés, et ainsi échantillonner sans dégrader ce qu'il reste de l'affleurement. On voit ainsi que la falaise est constituée d'alternances de sables absolument pas indurés, et d'argiles plus ou moins "cuites" et indurées. Cette dualité sables non transformés-indurés par le thermométamorphisme et argiles indurées et transformées par ce même thermométamorphisme illustre bien l'importance de la nature de la roche-mère sur le devenir d'une roche métamorphique. Chauffé quasiment à la pression atmosphérique et à quelques centaines de degrés, du sable ne se transforme quasiment pas (il en faudrait beaucoup plus pour qu'il devienne quartzite, voire qu'il fonde). Par contre des argiles portées aux mêmes conditions se transforment (déshydratation partielle des phyllosilicates…).
Il n'y a maintenant presque plus d'affleurements accessibles de ces sédiments métamorphisés par les coulées du Puy de Gravenoire, hormis celui des figures précédentes et ce qu'il en reste. Mais au hasard des travaux comme des élargissements de rue, le creusement de fondations pour un nouveau lotissement, on peut encore faire de belles (mais transitoires) observations ou de belles trouvailles.
Et, avant les années 1980, une ancienne carrière sur le bord de l'ancienne route nationale entre Clermont-Ferrand et Ceyrat était célèbre pour ses minéraux hydrothermaux secondaires. Dans les années 1970, cette ancienne carrière servait de débarras/dépotoir/entrepôt d'un carrossier. Cette carrière existe encore (punaise ou astérisque jaune sur les figures de localisation, mais bien dégradée. Elle est aujourd'hui incluse dans le terrain d'un concessionnaire Citroën, et n'est pas librement accessible. D'après ce qu'on peut en voir depuis la rue, il semblerait que seul le basalte de la coulée affleure encore, et que les sédiments sous-jacents soient complètement recouverts et/ou masqués. Entre 1967 et 1973 (pendant les week-ends de mes études en lycée et en 1er cycle universitaire), j'ai échantillonné dans cette ancienne carrière (et dans d'autres affleurements locaux) et j'en ai gardé plusieurs échantillons. Les fissures de ces argiles cuites sont en effet parfois tapissées de minéraux secondaires blancs, déposés par des eaux chaudes (liquide ou vapeur) ayant circulé dans ces sédiments en cours de métamorphisme et dans leurs fractures. Il pouvait s'agir soit d'eau météorique (eau liquide, ou plutôt glace imbibant ces sédiments il y a 60 000 ans), soit d'eau métamorphique obtenue lors de la transformation des argiles en silicates moins hydratés. Ces minéraux blancs pourraient être des minéraux de la famille des zéolites, mais aussi d'autres minéraux plus rares comme de l'hydrocalumite, de l'ettringite, de la thaumasite, de l'afwillite…
À cause de ces minéraux rares, cette carrière était célèbre dans le petit cercle de la minéralogie mondiale. Il suffit de taper "Boisséjour minéral" sur un moteur de recherche pour tomber sur Mindat, une des banques de données minéralogiques les plus complètes du web, http://www.mindat.org/loc-63178.html. On ne peut alors que regretter ce que sont devenus ces sites, devenir assez caractéristique du non attachement des pouvoirs publics français à notre patrimoine géologique. La France sait (à juste titre) protéger-conserver des biotopes où vivent des espèces rares. Elle ne sait que très peu faire la même chose pour des sites abritant des espèces minéralogiques ou paléontologiques rares !
Nous vous présentons ici sept photographies (prises en 2016) de quatre de ces échantillons ramassés il y a environ 45 ans dans cette carrière (déjà abandonnée à l'époque) dans les Bas de Boisséjour.
Source - © 1993 Alain de Goer de Hervé et al., BSGF |