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Image de la semaine | 24/06/2013

Craie tuffeau et cavités troglodytiques du Val de Loire

24/06/2013

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire de Géologie de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Devenir d'anciennes carrières de tuffeau : habitations troglodytiques, champignonnières et caves viticoles.


Cavités troglodytiques dans divers états de conservation sur la rive gauche de la Loire entre Montsoreau et Saumur (Maine et Loire)

Figure 1. Cavités troglodytiques dans divers états de conservation sur la rive gauche de la Loire entre Montsoreau et Saumur (Maine et Loire)

La falaise de craie tuffeau (Turonien moyen) qui domine la Loire est percée de cavités, dont certaines sont totalement abandonnées et ouvertes, et d'autres anciennement aménagées en habitation. Au premier plan, de vieilles « barriques » de vin, ce qui illustre la principale utilisation actuelle de ces cavités creusées dans le tuffeau : la vinification et le vieillissement des vins de Loire.


Les bords de la vallée de la Loire et de ses affluents (Vienne, Cher…) entre Angers et Blois sont assez souvent constitués de pentes raides et de falaises constituées d'un calcaire blanc : le tuffeau. Ce tuffeau, également appelé « craie tuffeau », est une craie légèrement micacée (muscovite) et glauconieuse d'âge Turonien moyen (C3b sur les cartes géologiques). La notice de la carte de Chinon décrit cette craie tuffeau turonnienne de la façon suivante.

C3b. Partie moyenne du Turonien. Craie micacée.

La Craie micacée de la région de Chinon est l'équivalent latéral du tuffeau de Bourré. Le passage de la craie à Inoceramus labiatus à ce tuffeau se fait progressivement et la limite cartographique entre les deux faciès est souvent difficile à fixer. La Craie micacée est constituée par un calcaire détritique gris ou blanc, micacé (muscovite), glauconieux, tendre, disposé soit en bancs homogènes massifs (épaisseur : 1 à 3 m) séparés par des lits de craie plus friable ou de marne blanche, soit en formation massive à stratification peu visible, riche en accidents siliceux (silex poreux branchus).

La teneur en carbonate de calcium est inférieure à celle de la craie à Inoceramus labiatus, sous-jacente : elle est généralement de 50 %, mais atteint encore parfois 70 %. La fraction détritique comprend des grains de quartz de petite taille, de la muscovite parfois très abondante, des minéraux lourds (tourmaline, staurotide, andalousite). La glauconie se présente en petits grains épars dans la roche, souvent altérés, de teinte verte à jaune-vert. L'analyse diffractométrique montre l'existence de clinoptilolite et d'opale-cristobalite. La fraction argileuse est formée de montmorillonite et d'illite.

Les fossiles sont assez rares : Romaniceras ornatissimum, Ostrea (Exogyra) [ …]

La Craie micacée a une épaisseur variant de 25 à 35 mètres. Elle a été exploitée intensivement autrefois par carrières souterraines d'où l'on extrayait la pierre des bancs homogènes. La roche est tendre et se travaille très facilement quand elle est encore imbibée de son eau de gisement ; elle durcit ensuite à l'air. Les galeries des anciennes carrières souterraines sont aujourd'hui utilisées comme champignonnières ou comme caves pour la vinification. La craie micacée n'est pratiquement plus exploitée comme pierre de construction ; on en extrait encore un peu de quelques carrières à ciel ouvert pour utilisation dans les champignonnières après broyage. Cette formation affleure largement sur les coteaux des vallées principales et des vallons secondaires et forme les escarpements rocheux bien visibles à Rigny-Ussé et entre Candes et Saumur.

Cette craie tuffeau, ou tuffeau, est donc un matériel tendre, poreux, facile à découper. C'est avec lui qu'a été construite la majorité des châteaux de la Loire et des maisons locales. Au cours des siècles, le tuffeau a été extrait de carrières souterraines, souvent établies à flanc de coteaux des vallées de la Loire, du Cher, de la Vienne... Il s'est creusé des carrières "artisanales" laissant de "petites" cavités souterraines, ou de vastes carrières "industrielles" (comme celle ouverte pour construire le château de Chambord par exemple) qui ont laissé des kilomètres de galeries après la fin de l'activité extractrice. Ces cavités souterraines ont été souvent laissées à l'abandon après l'arrêt de l'exploitation (ce qui n'est pas sans poser des problèmes). Souvent, près de leur entrée, elles ont servi d'habitation jusqu'au début du XXème siècle. Les parties plus profondes ont servi et servent encore de caves à vin et/ou de champignonnières pour les plus grandes d'entre elles. Les habitations troglodytiques (entrées habitées ou petites cavités creusées spécialement pour cet usage) sont l'un des charmes du Val de Loire. Depuis les années 1970, les constructions troglodytiques partiellement abandonnées depuis des dizaines d'années mais encore dans un état acceptable sont réaménagées en lieu publics (restaurants…) ou en habitations privées.

Nous vous montrons ici sept photographies extérieures de ces aménagements troglodytiques dans des états de conservation variables, toutes prises sur la rive gauche de la Loire entre Montsoreau (célèbre pour sa Dame) et Saumur (Maine et Loire), ainsi que cinq vues intérieures prises dans diverses cavités de la région, et une vue d'un château de la Loire bâti en tuffeau. La semaine prochaine, nous verrons que les propriétés du tuffeau, notamment sa perméabilité et sa porosité, entrainent parfois de fâcheuses conséquences sur certains monuments historiques.

Les utilisations actuelles les plus fréquentes des vastes cavités souterraines des bords de la Loire, de la Vienne, du Cher… sont la culture de champignons, et surtout tout ce qui concerne la vinification et le vieillissement des vins de Loire (Saumur, Champigny, Chinon, Bourgueil, Vouvray…). Ces cavités, la plupart du temps d'anciennes carrières souterraines abandonnées, sont propices à la cultures des champignons et à l'élevage du vin. En effet, il y fait sombre, le degré d'hygrométrie y est relativement élevé et constant, et la température y est constamment comprise entre 12 et 13°C.

Dans une cavité suffisamment profonde entourée de roches dont l'inertie thermique est importante, la température est constante et égale à la moyenne annuelle des températures locales, à laquelle il faut rajouter le degré géothermique (1°C tous les 30 m en moyenne, en France). La température moyenne annuelle dans le Val de Loire étant comprise entre 11 et 12°C, et la profondeur des cavités étant comprises entre 10 et 40 m sous la surface du sol, la température interne des caves est naturellement "thermostatée" entre 12 et 13°C. Or, les équilibres et cinétiques biologiques et chimiques qui permettent la fabrication et le vieillissement des grands crus sont optimales entre 11 et 14°C. Quand la géologie, la climatologie, la biologie, la chimie et le savoir- faire se rencontrent...

Cavités souterraines du Val de Loire actuellement utilisées

Figure 8. Cavités souterraines du Val de Loire actuellement utilisées

À droite, une « habitation ». À gauche, la porte de bois ferme une "cave à vin".

Rive gauche de la Loire entre Montsoreau et Saumur (Maine et Loire)



Stalactites "atypiques" sur le plafond d'une cave, Cravant-les-Coteaux, Indre et Loire

Figure 10. Stalactites "atypiques" sur le plafond d'une cave, Cravant-les-Coteaux, Indre et Loire

Le diamètre de ces stalactites est de quelques millimètres (diamètre d'une goutte d'eau). Pour bien vieillir, un vin a besoin de subir une micro-oxygénation, qui se fait par le (très faible) passage de l'O2 atmosphérique à travers le bois des tonneaux. Mais si de l'O2 peut entrer, de la vapeur d'alcool peut sortir, ce qu'elle fait (cet alcool "perdu" est appelé « part des anges »). Un champignon, Baudoinia compniacensis, pousse sur les murs et le plafond en utilisant cette vapeur d'alcool comme source de carbone organique. C'est pour cela que plafond et murs des caves à vin sont recouverts d'une moisissure noire (voir l'image précédente). Si de l'eau saturée en HCO3- et Ca2+ goutte d'un plafond calcaire, il se faorme des stalactites normaux, en calcite (CaCO3). Dans le cas de plafond tapissé de Baudoinia compniacensis, les stalactites sont mixtes, allant d'un pôle en pure calcite (stalactites blancs et durs) à des stalactites bruns foncés et mous, constitués simplement d'un mélange d'eau et de filaments mycéliens.


Vue d'ensemble d'une galerie des champignonnières de Bourré (Indre et Loire)

Figure 11. Vue d'ensemble d'une galerie des champignonnières de Bourré (Indre et Loire)

installées dans les anciennes carrières de craie tuffeau creusée sous François 1er pour la construction du château de Chambord.


Détail des bacs utilisés dans la champignonnière de Bourré pour la culture des champignons, ici le champignon de couche ou "champignon de Paris" (= Agaricus bisporus)

Figure 12. Détail des bacs utilisés dans la champignonnière de Bourré pour la culture des champignons, ici le champignon de couche ou "champignon de Paris" (= Agaricus bisporus)

Le mélange remplissant les bacs dans lequel grandit le mycélium et sur lequel pousse le champignon est constitué d'un mélange de tuffeau et de fumier de cheval.



Le Val de Loire, en France

Figure 14. Le Val de Loire, en France

Le tuffeau affleure entre les deux punaises rouges.


Extrait de la carte géologique de France au 1/1.000.000

Figure 15. Extrait de la carte géologique de France au 1/1.000.000

Le tuffeau est l'une des couches du Crétacé supérieur (vert clair) qui affleure d'Angers à Blois.


Vue du Val de Loire, entre Montsoreau et Saumur

Figure 16. Vue du Val de Loire, entre Montsoreau et Saumur

C'est dans l'escarpement qui forme la rive gauche du lit majeur de la Loire entre Montsoreau et Saumur que furent creusées les cavités dont nous avons montré, ci-dessus, des vues externes.


Carte géologique du Val de Loire entre Montsoreau et Saumur

Figure 17. Carte géologique du Val de Loire entre Montsoreau et Saumur

C'est dans l'escarpement qui forme la rive gauche du lit majeur de la Loire entre Montsoreau et Saumur que furent creusées les cavités dont nous avons montré, ci-dessus, des vues externes.


Le val de Loire, en amont de Saumur

Figure 18. Le val de Loire, en amont de Saumur

Les cavités dont nous avons montré des vues externes sont situées entre les 2 punaises rouges.