Image de la semaine | 01/07/2013
Quand le "salpêtre" attaque la craie tuffeau sur des sculptures historiques du XVIème siècle
01/07/2013
Résumé
Les sculptures sur tuffeau de la « Cave aux sculptures » de Dénézé-sous-Doué, Maine et Loire.
En, 1956, à Dénézé-sous-Doué (Maine et Loire), on a découvert de façon fortuite une cave souterraine remblayée, cave souterraine creusé dans le tuffeau du Turonien (cf. Craie tuffeau et cavités troglodytiques du Val de Loire). En déblayant cette cave, on y a trouvé des centaines de personnages sculptés sur les parois, d'anciens piliers de soutènement ou de "bosses" laissées dans la cavité par les excavateurs. Des recherches historiques ont montré que cette cave sculptée avait sans doute été remblayée par un curé du village au XVIIIème siècle. Elle aurait été creusée et sculptée au XVIème siècle, sous le règne d'Henri II (1519-1559). On ne sait pas bien qui a réalisé ces sculptures dans cette cave artificielle (protestants se cachant lors de ce début des guerres de religions, francs-maçons, compagnons sculpteurs, opposants politiques… ?), ni pourquoi. Ces sculptures racontent des scènes caricaturales de cette époque lointaine, en se moquant, entre autres, de la cour d'Henri II.
Cette cave aux sculptures a été appelé « le Lascaux de la Renaissance » lors de sa découverte. Il s'agit d'un ensemble unique en Europe. Le plafond étant partiellement détruit et/ou instable, un toit en béton l'a isolé des intempéries et y a recréé une ambiance souterraine ; cette cave a été classée aux Monuments historiques en 1969 et a été achetée par la commune afin de l'ouvrir au public.
Mais les sculptures réalisées dans le tuffeau posent actuellement un très sérieux problème de conservation, les sculptures en tuffeau étant attaquées par du "salpêtre". Nous allons visiter cette cave dans son état de 2013, avec ces sculptures intactes et celles qui sont plus dégradées, puis tenter d'expliquer la dégradation du tuffeau par le "salpêtre".
Quelle est l'origine de cette attaque par le "salpêtre" ? On peut remarquer que les statues dégradées sont celles qui ont été sculptées sur les parois de la cave, parois en communication directe avec l'eau du sol et du sous-sol proche. Les sculptures isolées de l'eau phréatique parce faites sur des "bosses" au milieu de la cave ne sont pas attaquées, sauf peut-être légèrement pour celles situées à la base de ces bosses. Les sculptures détachées et isolées des parois ou loin du sol sont totalement intactes. Il semble donc y avoir une relation entre l'attaque par le "salpêtre" et la disponibilité en eau des roches environnantes.
Le salpêtre sensu stricto correspond au nitrate de potassium (KNO3). Ce sel (associé souvent à d'autres nitrates ou sulfates) cristallise souvent sur les parois de certaines cavités naturelles, sur les murs des caves et à la base de vieux murs humides. Cette cristallisation est due à l'évaporation de l'eau du sol et des nappes phréatiques arrivant sur ces murs et parois par capillarité. Les nitrates sont des sels fréquents dans les nappes phréatiques superficielles, ce que les pratiques agricoles actuelles n'arrangent pas. À ce nitrate primaire qui cristallise sur les parois peut s'ajouter un nitrate secondaire, car des bactéries vivant près de l'interface roche/atmosphère oxydent les sels d'ammoniaque de l'eau phréatique pour les transformer en nitrates. Dans le cas du tuffeau du Val de Loire, une complication annexe peut avoir lieu. En effet, la craie tuffeau contient parfois de petits nodules de sulfures d'origine diagénétique (FeS2, pyrite et/ou marcassite). Ces sulfures peuvent s'oxyder en sulfates, qui vont se rajouter aux nitrates (d'où l'emploi des guillemets autour du mot "salpêtre" qui n'est peut-être pas du pur nitrate de potassium, ici, à Dénézé-sous-Doué).
Le tuffeau est une roche tendre, perméable, et très poreuse. Sa porosité peut atteindre 50%. Si des eaux circulant de pore en pore sont riches en nitrates (et éventuellement en sulfates), ces derniers vont cristalliser dans les pores superficiels des parois humides si l'eau contenue dans ces parois s'évapore, même légèrement. La croissance des cristaux de nitrates (et sulfates) dans les pores vont les faire éclater, transformant la surface des parois (et des sculptures) en une poudre constituée d'un mélange de calcaire pulvérulent, de nitrates et éventuellement de sulfates (de calcium). Il s'agit là d'une véritable maladie de la pierre à laquelle le tuffeau est particulièrement sensible du fait de sa nature et de sa structure. Ce problème ne se posait pas avant 1956, puisque la cave était remblayée et qu'il n'y avait aucune évaporation à la surface des sculptures. Peut-être ces dégâts avaient-ils commencé avant le remblaiement de la cave au XVIIIème siècle. Ils devaient être moindre, car la cave, vraiment souterraine avant le remplacement de son plafond naturel de tuffeau par une dalle de béton, devait être beaucoup plus humide (moins d'évaporation interne). Les dégâts, tels que la disparition de la plume de l'Indien ou l'effacement des visages, ont donc moins de57 ans, et ont quasiment détruit certaines sculptures.
Il semble donc urgent que les autorités compétentes (municipalité, département, région, état… ?) remédient à cette attaque avant qu'il ne soit trop tard, par exemple en cernant la cave (à quelques mètres de ses limites) par un mur imperméable s'enfonçant dans le sous-sol plus profondément que le niveau du sol de la cave et en drainant le tuffeau sous-jacent. La grotte de Lascaux a failli "mourir" dans les années 1960 mais a finalement été sauvée. Qu'en sera-t-il du « Lascaux de la Renaissance » ?