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Article | 17/04/2023

La côte picarde – La Baie de Somme (Somme), un estuaire en cours d'envasement

17/04/2023

Nelson Pain

UFR des Sciences, Univ. de Picardie Jules Verne (Amiens)

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Dynamique sédimentaire à l’embouchure de la Somme, slikke, schorre et aménagements.


Cet article fait partie d'une série consacrée au littoral picard, qui propose de s'intéresser dans un premier temps à l’extrémité septentrionale de la falaise de craie au niveau de la ville d'Ault et aux risques associés à l'érosion, puis à la structure des Bas-Champs du Vimeu (ou de Cayeux), véritables polders gagnés sur la mer, et enfin à la Baie de Somme et à sa dynamique sédimentaire (cet article).

Les différentes zones du littoral picard décrites dans cette série d’articles : falaises vives, bas-champs et Baie de Somme.

Introduction

L'article précédent, Les Bas-Champs de Cayeux (Somme), une zone façonnée par la dérive littorale, s'intéressait à la zone qui borde la Baie de Somme dans sa partie méridionale. La Baie de Somme est une région emblématique de la Picardie, et fait partie de la vingtaine de Grands sites de France. Elle s'étend sur plus de 70 km2, entre la terminaison de la flèche de galets au Hourdel (poulier) et le musoir (terme géomorphologique désignant la partie opposée au poulier) de sable de la pointe de Saint-Quentin (Marquenterre) au Nord.

La Baie de Somme représente l'un des quatre estuaires qui s'échelonnent le long du littoral de la Manche, les autres étant les baies d'Authie, de la Canche et l'estuaire de la Slack (cf. Géologie et aménagement du territoire, un exemple d'échec : l'aménagement de l'estuaire de la Slack (Pas de Calais)).

Cet article propose d'étudier la baie en elle-même, afin de caractériser l'estuaire et la dynamique sédimentaire de ce secteur, pour ensuite examiner les aménagements élaborés au sein de ce territoire.

L'estuaire de la Baie de Somme : un estuaire dominé par les courants de marée

Classification de l'estuaire de la Somme selon Galloway

La classification de Galloway [11], établie en 1975, permet de distinguer les différentes embouchures en identifiant le régime hydrodynamique dominant (marée, houle ou influx fluvial) opérant entre terre et mer (figure 1). Elle est toujours utilisée, notamment dans les domaines de la sédimentologie et de la géomorphologie, même si la quantification des différents flux d'énergie n'est pas toujours aisée. En Baie de Somme, l'énergie des deux fleuves qui arrivent à la mer, la Somme et la Maye, est relativement faible. Cela d'autant plus que la Somme a été canalisée au cours des XVIIIe et XIXe siècles, ce qui a eu pour conséquence de réduire considérablement le débit et les apports sédimentaires fluviatiles. Dans la partie externe de l'estuaire, l'énergie des vagues domine. Au milieu de l'estuaire, ce sont les forces de marées qui prévalent.

Classification des embouchures de Galloway

Figure 1. Classification des embouchures de Galloway

La classification de Galloway est un diagramme ternaire distinguant les embouchures selon le régime hydrodynamique dominant. Trois embouchures remarquables, qui représentent des extrêmes en terme de régime hydrodynamique, ont été placées sur le diagramme : le delta du Mississippi (États-Unis), dominé par l'énergie du fleuve, avec sa forme allongée caractéristique (« patte d'oiseau ») présentant de nombreux chenaux distributaires ; le delta du fleuve brésilien São Francisco, dominé par les vagues, de forme triangulaire et bordé de cordons littoraux (lobe cuspidé) ; et, enfin, l'estuaire de la Gironde (France), dominé par les forces de marées.


Énergie relative des marées, des vagues et des fleuves en Baie de Somme

Figure 2. Énergie relative des marées, des vagues et des fleuves en Baie de Somme

La Baie de Somme est un milieu globalement dominé par les forces de marées. Dans le détail, l'énergie des vagues est plus importante que l'énergie des marées dans la partie externe de l'estuaire. Dans le milieu de l'estuaire, ce sont les forces de marées qui sont majoritaires, l'énergie des vagues étant partiellement dissipée sur les barres sableuses qui sillonnent l'estuaire. Les deux modestes fleuves qui se jettent en baie de Somme, la Maye (au Nord) et la Somme (au Sud), présentent une très faible énergie comparée aux vagues et aux marées, et n'ont une influence que dans la partie interne de l'estuaire. La Somme a été canalisée au cours des XVIIIe et XIXe siècle, ce qui a considérablement réduit son débit (estimé aujourd'hui à 34 m.s−1 – pour comparaison, le débit moyen de la Seine est de 400 m.s−1 [1]) ainsi que sa charge sédimentaire. L'énergie associée aux canaux de drainage des Bas-Champs (voir l'article précédent, Les Bas-Champs de Cayeux (Somme), une zone façonnée par la dérive littorale) est considérée comme négligeable.


Localisation des deux fleuves se jetant dans la mer en Baie de Somme

Figure 3. Localisation des deux fleuves se jetant dans la mer en Baie de Somme

La Maye est un petit fleuve d'une quarantaine de kilomètres de long qui se jette au Nord de la Baie de Somme. La largeur du tracé a été exagéré par rapport à la largeur du cours d'eau. La Somme, dont le cours s'étend sur environ 250 km, a été canalisée entre 1802 et 1827 (noter le tracé rectiligne du canal au Sud-Est de la carte). Une digue submersible a été édifiée en 1965 au large de Saint-Valery-sur-Somme (localisée approximativement à la fin du trait jaune), ce qui a eu pour conséquence de fixer le chenal principal de la Somme dans la baie (voir figures 35 et 36).


Le canal de la Somme, près de Saint-Valery-sur-Somme

Figure 4. Le canal de la Somme, près de Saint-Valery-sur-Somme

La vue est en direction du Sud-Est. Le canal de la Somme, construit entre 1802 et 1827, d'une longueur totale de 170 km, permet de relier le canal de Saint-Quentin à la Manche. L'artificialisation de la Somme a conduit à une diminution du débit et des apports sédimentaires à l'embouchure (constructions d'écluses successives qui freinent le courant), et au déplacement de l'embouchure des environs d'Abbeville à Saint-Valery-sur-Somme (migration d'une quinzaine de kilomètres vers l'Ouest).


La dernière écluse du canal de la Somme, à Saint-Valery-sur-Somme

Figure 5. La dernière écluse du canal de la Somme, à Saint-Valery-sur-Somme

La vue est en direction du Nord-Ouest. En arrière de l'écluse, se trouve le port de Saint-Valery-sur-Somme, duquel partit Guillaume le Conquérant en 1066 pour prendre le contrôle de l'Angleterre.


Le chenal de la Somme, vu depuis l'extrémité du quai Jeanne d'Arc de Saint-Valery-sur-Somme

Figure 6. Le chenal de la Somme, vu depuis l'extrémité du quai Jeanne d'Arc de Saint-Valery-sur-Somme

La vue est en direction du Nord-Ouest. Après la dernière écluse, la Somme emprunte un chenal qui longe la ville de Saint-Valery-sur-Somme. On distingue la ville du Crotoy au loin, à l'arrière plan à droite du cliché. La photographie a été prise durant une marée descendante.


Les caractéristiques d'un estuaire dominé par les marées

Description des marées

La Baie de Somme, comme toutes les côtes de la Manche, est un environnement macrotidal, c'est-à-dire que le marnage moyen (différence de niveau entre une pleine mer et une basse mer consécutive) est supérieur à 4 mètres. Il est en effet proche d'une dizaine de mètres dans la baie (pour un rappel sur les phénomènes de marée et le vocabulaire associé, se référer, par exemple, à l'article Le Mont-Saint-Michel et sa baie, au rythme des marées). Ce fort marnage permet la mise en mouvement de masses d'eau considérables : l'ordre de grandeur est de 200 millions de m3 par cycle de marée, à comparer à l'estimation associée aux entrées d'eau douce de la Somme et de la Maye dans l'estuaire  : 1,6 millions de m3 pendant un cycle de marée. La baie est remplie et presque entièrement vidée deux fois par jour. Par ailleurs, le flot (courant de marée montante) est plus court temporellement que le jusant (courant de marée descendante). Ceci implique que la vitesse du flot est plus grande (aux alentours de 2,5 m.s−1 en surface au Hourdel) que celle du jusant (environ 2 m.s−1 en surface au même endroit). Cette asymétrie a une influence majeure sur la dynamique sédimentaire de la zone (voir la partie Une baie en cours de comblement).

Marégramme du port du Crotoy, Baie de Somme, pour le 11 février 2023

Figure 7. Marégramme du port du Crotoy, Baie de Somme, pour le 11 février 2023

Le coefficient de marée était de 75, c'est-à-dire que la marée du 11 février était relativement modeste (la période était comprise entre les vives-eaux et les mortes-eaux). Le marnage était de 7,26 m. On peut noter que le flot (marée montante), qui durait 5h11 ce jour-là, était plus court temporellement que le jusant (marée descendante), qui a duré 7h02. C'est le cas de manière générale sur les côtes de la Manche et de l'Atlantique. L'écart temporel entre les durées du flot et du jusant est cependant variable entre les périodes de vives-eaux et les périodes de mortes-eaux.


Les barres sableuses

L'embouchure de la Somme est caractérisée par des barres sableuses de deux types. Les marées façonnent dans la partie distale de l'estuaire des bancs sableux linéaires, disposés en épis subparallèles au trait de côte des bas-champs. Dans la partie proximale de l'estuaire, les berges convexes du chenal principal de la Somme sont soulignées par des barres de méandres, sableuses également. La position des bancs de sable (qu'il soient tidaux ou associés au fleuve Somme) n'est pas constante au cours du temps, tout comme la localisation du chenal principal et des chenaux annexes.

Vue satellitaire de la Baie de Somme

Figure 8. Vue satellitaire de la Baie de Somme

Le flot, courant de marée montante, dessine des encoches dans le front de l'estuaire. Les barres tidales sableuses, localisées à l'extérieur de l'estuaire et repérées par les flèches oranges, sont sub-parallèles au trait de côte des bas-champs picards et disposées en épi. Les barres de méandre (point bar, en anglais) associées au fleuve Somme, repérées par les flèches vertes, soulignent les parties convexes du chenal principal.


Montage de trois photographies aériennes de la baie de Somme, entre 2007 et 2020

Figure 9. Montage de trois photographies aériennes de la baie de Somme, entre 2007 et 2020

L'animation présente des photographies aériennes de trois années différentes : 2007, 2017 et 2020. On remarque que la position des bancs sableux et la localisation des chenaux varient au cours du temps.


Une barre sableuse à proximité de la Pointe du Hourdel

Figure 10. Une barre sableuse à proximité de la Pointe du Hourdel

Depuis le cordon de galets de la Pointe du Hourdel, on aperçoit une barre sableuse tidale, sur laquelle on distingue des ondulations de la surface (mégarides, voir figures 23 et 24). Le cliché a été pris une heure avant l'étale de basse mer (coefficient 60), en direction du Nord-Ouest.


L'estran : slikke et schorre

La vasière intertidale s'organise en deux milieux distincts. La partie topographiquement la plus basse de l'estran, la slikke, dans laquelle s'incise des chenaux de marées, est recouverte à chaque marée haute (même celles de mortes-eaux). Elle est constituée de sables lithoclastiques fins (la taille des grains est majoritairement comprise entre 0,2 et 0,5 mm). La frange supérieure de l'estran, le schorre (ou “mollière” en picard), inondée uniquement lors des marées de vives-eaux, est constituée de sédiments vaseux (qui contiennent des grains de la classe granulométrique des lutites, particules dont la taille est inférieure à 63 µm) sur laquelle s'édifie un tapis de végétaux halotolérants. Le schorre se situe principalement au fond de la baie et en arrière de la flèche littorale de galets, dans les milieux où la vitesse des courants est la plus faible.

Répartition du schorre (“mollière” en picard) en Baie de Somme, vue brute

Figure 11. Répartition du schorre (“mollière” en picard) en Baie de Somme, vue brute

Le schorre se situe dans la partie la plus interne de l'estuaire, là où la vitesse des courants de marée est la plus faible (voir la partie Une baie en cours de comblement).


Répartition du schorre (“mollière” en picard) en Baie de Somme, vue interprétée

Figure 12. Répartition du schorre (“mollière” en picard) en Baie de Somme, vue interprétée

Le schorre se situe dans la partie la plus interne de l'estuaire, là où la vitesse des courants de marée est la plus faible (voir la partie Une baie en cours de comblement).


Le schorre (en vert) en arrière du poulier de la Pointe du Hourdel, lors d'une marée haute

Figure 13. Le schorre (en vert) en arrière du poulier de la Pointe du Hourdel, lors d'une marée haute

Sur cette photographie prise d'avion lors d'une marée haute (le jour de prise du cliché, le 27 février 2009, le coefficient de marée était de 94), on remarque que le schorre n'est pas recouvert par l'eau. Ce schorre est constitué de végétaux bas halotolérants, et n'est recouvert par la marée que lors de forts coefficients de marée.

On aperçoit sur la photographie la Pointe du Hourdel, partie terminale de la flèche littorale de galets de silex, ainsi que le port de plaisance du Hourdel et ses bateaux alignés.


Slikke et schorre entre Saint-Valery-sur-Somme et le Crotoy

Figure 14. Slikke et schorre entre Saint-Valery-sur-Somme et le Crotoy

La transition entre la slikke et le schorre se fait en quelques dizaines de centimètres. Le schorre, plus haut topographiquement, est recouvert par une végétation halotolérante. La slikke, de nature sableuse, est presque complètement dépourvue de végétation mais abrite une diversité de mollusques bivalves comme la coque (Cerastoderma edule), la mye commune (Mya arenaria) et des annélides comme l'arénicole (Arenicola marina) et la néréis (Hediste diversicolor). Le grand cormoran (Phalacrocorax carbo), qui sèche ses ailes au centre du cliché, donne l'échelle (environ 1 m d'envergure). Au loin, la ville du Crotoy.


Détail de la transition entre slikke et schorre, entre Saint-Valery-sur-Somme et le Crotoy

Figure 15. Détail de la transition entre slikke et schorre, entre Saint-Valery-sur-Somme et le Crotoy

La transition entre la slikke et le schorre se fait en quelques dizaines de centimètres. Le schorre, plus haut topographiquement, est recouvert par une végétation halotolérante. La slikke, de nature sableuse, est presque complètement dépourvue de végétation mais abrite une diversité de mollusques bivalves comme la coque (Cerastoderma edule), la mye commune (Mya arenaria) et des annélides comme l'arénicole (Arenicola marina) et la néréis (Hediste diversicolor). Le grand cormoran (Phalacrocorax carbo), qui sèche ses ailes au centre du cliché, donne l'échelle (environ 1 m d'envergure). Au loin, la ville du Crotoy.


Transition entre slikke et schorre, dans un petit chenal de marée entre Saint-Valery-sur-Somme et le Crotoy

Figure 16. Transition entre slikke et schorre, dans un petit chenal de marée entre Saint-Valery-sur-Somme et le Crotoy

La transition entre la slikke et le schorre se fait en quelques dizaines de centimètres. Le schorre, plus haut topographiquement, est recouvert par une végétation halotolérante. La slikke, de nature sableuse, est presque complètement dépourvue de végétation mais abrite une diversité de mollusques bivalves comme la coque (Cerastoderma edule), la mye commune (Mya arenaria) et des annélides comme l'arénicole (Arenicola marina) et la néréis (Hediste diversicolor).


Vue éloignée d'une partie du schorre en arrière de la Pointe du Hourdel

Figure 17. Vue éloignée d'une partie du schorre en arrière de la Pointe du Hourdel

La “carte” SGF, avec deux règles graduées de 7 cm, donne l'échelle.


Détail d'une partie du schorre en arrière de la Pointe du Hourdel

Figure 18. Détail d'une partie du schorre en arrière de la Pointe du Hourdel

Ce schorre est constitué en majorité par de l'obione (Halimione portulacoides). D'autres végétaux, non visibles sur le cliché, sont susceptibles de constituer le schorre : la salicorne (Salicornia Europaea), la puccinellie maritime (Puccinellia maritima) ou l'aster maritime (Tripolium pannonicum),

La “carte” SGF, avec deux règles graduées de 7 cm, donne l'échelle.


Une baie en cours de comblement

La dynamique sédimentaire dans la baie

La Baie de Somme est une zone propice à l'observation de quelques figures sédimentaires remarquables. À proximité du chenal de la Somme, la surface de la slikke est parsemée de rides asymétriques d'échelle décimétrique, qui témoignent d'un courant unidirectionnel associé à la marée (le jusant). La forme linguoïde de ces rides, couplée à la connaissance de la taille des particules sédimentaires (entre 0,2 mm et 0,5 mm – les sédiments sont plus fins au fond de la baie) permet d'estimer une vitesse de courant proche de 40 cm.s−1, courant qui correspond au jusant (voir figure 25).

Au large du poulier (terminaison de la flèche littorale) à la Pointe du Hourdel, des mégarides d'une longueur d'onde de plusieurs dizaine de mètres, présentant des crêtes en croissant, témoignent, elles, d'un hydrodynamisme un peu plus fort qu'au fond de la baie, aux alentours de 1 m.s−1.

Vue générale à proximité du chenal de la Somme à marée basse, près du quai Jeanne d'Arc de Saint-Valery-sur-Somme

Figure 19. Vue générale à proximité du chenal de la Somme à marée basse, près du quai Jeanne d'Arc de Saint-Valery-sur-Somme

La photographie est prise en direction du Nord-Est. Les environs du chenal de la Somme sont en partie découverts à marée basse. Sur la slikke ainsi exondée, on distingue des figures sédimentaires.


Vue détaillé de la slikke à proximité du chenal de la Somme à marée basse, près du quai Jeanne d'Arc de Saint-Valery-sur-Somme

Figure 20. Vue détaillé de la slikke à proximité du chenal de la Somme à marée basse, près du quai Jeanne d'Arc de Saint-Valery-sur-Somme

Des rides asymétriques d'une longueur d'onde décimétrique témoignent d'un courant unidirectionnel, ici orienté de la droite (Sud-Est) vers la gauche (Nord-Ouest). Les crêtes des rides, dont quelques-unes sont soulignées par un trait noir, ne sont pas très hautes (quelques centimètres) et ont une forme linguoïde. Cette forme traduit une vitesse de courant relativement faible (environ 0,4 m.s−1 – voir la figure 25).


Vue détaillée des rides asymétriques de courant, dans la slikke du chenal de la Somme à marée basse, à proximité du quai Jeanne d'Arc de Saint-Valery-sur-Somme

Figure 21. Vue détaillée des rides asymétriques de courant, dans la slikke du chenal de la Somme à marée basse, à proximité du quai Jeanne d'Arc de Saint-Valery-sur-Somme

Des rides asymétriques d'une longueur d'onde décimétrique témoignent d'un courant unidirectionnel, ici orienté de la droite (Sud-Est) vers la gauche (Nord-Ouest). Les crêtes des rides ont une forme linguoïde. Cette forme traduit une vitesse de courant relativement faible (environ 0,4 m.s-1). À côté du couteau, une valve de coque (Cerastoderma edule), appelée localement hénon. Ce mollusque lamellibranche est ramassé en baie de Somme par les « pêcheurs à pied », qui les récoltent sur l'estran à marée basse pour les déguster une fois cuits.


Vue détaillée et interprétée des rides asymétriques de courant, dans la slikke du chenal de la Somme à marée basse, à proximité du quai Jeanne d'Arc de Saint-Valery-sur-Somme

Figure 22. Vue détaillée et interprétée des rides asymétriques de courant, dans la slikke du chenal de la Somme à marée basse, à proximité du quai Jeanne d'Arc de Saint-Valery-sur-Somme

Le versant amont d'une ride présente une pente douce, tandis que le versant aval est caractérisé par une pente raide. Cela permet d'identifier le sens du courant unidirectionnel, qui est ici orienté de la droite (Sud-Est) vers la gauche (Nord-Ouest). Ce courant mis en évidence par les figures sédimentaires est le courant de jusant (marée descendante). Les crêtes des rides ne sont pas très hautes (quelques centimètres).


Mégarides sur une barre tidale sableuse à proximité de la Pointe du Hourdel

Figure 23. Mégarides sur une barre tidale sableuse à proximité de la Pointe du Hourdel

La surface des barres tidales qui se présentent en face de la flèche littorale de galet est ondulée. On distingue des mégarides (longueur d'onde proche d'une trentaine de mètres), qui sont asymétriques (pente douce à l'amont, pente raide à l'aval, de manière analogue aux rides de la figure précédente). Les crêtes de ces mégarides sont sinueuses et ont une forme en croissant. Le courant unidirectionnel est orienté de la gauche vers la droite (cela correspond, ici, au jusant).


Détail des mégarides sur une barre tidale sableuse à proximité de la Pointe du Hourdel

Figure 24. Détail des mégarides sur une barre tidale sableuse à proximité de la Pointe du Hourdel

La surface des barres tidales qui se présentent en face de la flèche littorale de galet est ondulée. On distingue des mégarides (longueur d'onde proche d'une trentaine de mètres), qui sont asymétriques (pente douce à l'amont, pente raide à l'aval, de manière analogue aux rides de la figure précédente). Les crêtes de ces mégarides sont sinueuses et ont une forme en croissant. Le courant unidirectionnel est orienté de la gauche vers la droite (cela correspond, ici, au jusant).


Représentation schématique des relations entre les différents types de structures sédimentaires, le diamètre moyen des grains et la vitesse d'écoulement de l'eau, dit “diagramme d'Allen”

Figure 25. Représentation schématique des relations entre les différents types de structures sédimentaires, le diamètre moyen des grains et la vitesse d'écoulement de l'eau, dit “diagramme d'Allen”

Les schémas ne sont pas à l'échelle. λ désigne la longueur d'onde d'une ride. Les rides de courant présentent une longueur d'onde généralement comprise entre 10 cm et 60 cm ; les mégarides sont des structures qui peuvent avoir une longueur d'onde de 60 cm à plusieurs dizaines de mètres.

Les figures sédimentaires des figures 19 à 22 (rides asymétriques linguoïdes – granulométrie d'environ 0,2 mm) et des figures 23 et 24 (mégarides en croissant – granulométrie d'environ 0,3 mm) sont reportées dans le diagramme pour en déduire la vitesse du courant (les sables sont plus fins en fond de baie qu'au large). Les valeurs de vitesse du courant (40 cm.s−1 pour la slikke à proximité du chenal de la Somme et 1 m.s-1 au large de la Pointe du Hourdel) ont le même ordre de grandeur que la vitesse de courant citée plus haut (2 m.s−1 pour le jusant).


Les principaux sédiments rencontrés dans la baie sont des sables lithoclastiques fins (granulométrie comprise entre 0,2 et 0,5 mm selon la notice de la carte géologique de Saint-Valery-sur-Somme / Eu à 1/50 000. Ces sables sont pour 80-90 % des sables éocènes de la Manche, composés de grains de quartz subanguleux et arrondis, et qui s'étendent jusqu'à 10 à 20 km du large ; pour 5 à 10 % des sables provenant de l'abrasion des silex relachés dans la mer au niveau des falaises vives ; les 5 à 10 % restants proviennent de coquilles[3]. Le reste des sédiments est représenté par des vases, qui sont constituées jusqu'à 75 % de particules dont la taille est inférieure à 63 µm (classe granulométrique des lutites).

En Baie de Somme, l'asymétrie entre la durée du flot et celle du jusant provoque un différentiel dans le transport et le dépôt des particules sédimentaires. Le flot, plus court et plus rapide, transporte un volume plus important de sédiments que le jusant (voir figure 26). Ce phénomène a pour conséquence un dépôt de sédiments dans la baie par le flot : les sédiments qui ne sont pas remobilisés par le jusant s'accumulent donc dans la baie. Ces sables et vases provoquent le comblement progressif de l'estuaire, qui se traduit par une avancée graduelle des schorres aux dépens de la slikke.

Débits solides en baie de Somme lors du flot et du jusant, selon le coefficient de marée

Figure 26. Débits solides en baie de Somme lors du flot et du jusant, selon le coefficient de marée

Pour un faible coefficient de marée (42), le débit solide est très faible et le flux de sédiments entrant est égal au flux de sédiments sortant de la baie. En revanche, pour un coefficient de marée plus fort (95), le flux entrant est presque deux fois plus élevé que le flux sortant : cela se traduit par un apport de matériel par le flot, que le jusant ne remobilise pas (0,24 tonne par mètre de largeur). Ces sédiments restent dans la baie et provoquent un colmatage progressif de la zone.


Extrait de la carte géologique de Saint-Valery-sur-Somme / Eu à 1/50 000

Figure 27. Extrait de la carte géologique de Saint-Valery-sur-Somme / Eu à 1/50 000

Les sédiments les plus fins (vases, notées VL sur la carte) se décantent préférentiellement dans les zones où la vitesse de l'eau est la plus faible (zones les plus abritées) : en fond de baie, ainsi qu'entre la Pointe du Hourdel et le Cap Hornu. En effet, le dépôt d'une particule transportée par l'eau dépend de la taille de la particule et de la vitesse de courant (voir la figure 28).


Diagramme de Hjulström

Figure 28. Diagramme de Hjulström

Un courant de 20 cm.s−1 permet d'arracher les particules de diamètre 0,2 mm (taille de la majorité des sédiments de la baie de Somme) du substrat. Entre 1,5 cm.s−1 et 20 cm.s−1, les mêmes particules sont transportées. Pour un courant inférieur à 1,5 cm.s−1, ces particules (de diamètre 0,2 mm) sont déposées (décantation).

Diagramme à retrouver, par exemple, dans Les galets mous de la molasse miocène de Saint-Fons (Rhône).


La progression des schorres au cours du temps : un phénomène naturel accéléré par les aménagements anthropiques

L'avancée des schorres est corrélée aux dépôts des particules les plus fines dans les zones où la vitesse des courants marins est la plus faible. Le développement des schorres est favorisé par l'implantation d'une plante pionnière colonisant la slikke : la spartine. Lors d'une marée montante, celle-ci freine localement le courant d'eau : la vitesse diminuant, le dépôt des particules sédimentaires les plus fines est possible. La zone d'implantation de la spartine devient alors un « schorre à butte », structure qui contribue à l'ancrage d'autres végétaux halotolérants (d'autres pieds de spartine, obione, puccinellie) et in fine à l'exondation des schorres. La sédimentation en baie de Somme est estimée à 700 000 m3 par an, et traduit une élévation moyenne des fonds d'environ 2 centimètres par an. Sur la période 1996-2013, les schorres ont progressé en moyenne à une vitesse de 50 000 m2 par an (voir figure 37).

Au-delà de facteurs physiques qui participent au comblement de la baie (asymétrie des marées et fixation des végétaux sur la slikke), les aménagements historiques ont accentué le phénomène de colmatage. Avant le début du XIXe siècle, le cours de la Somme n'était pas fixé, et le chenal principal divaguait dans la baie. Le canal de la Somme, achevé en 1827, cantonna le fleuve à un tracé rectiligne, ce qui l'empêche depuis cette date de balayer la baie, et donc diminue la surface de chasse des sédiments vers la mer. En 1912, l'estacade en pilotis qui accueillait une voie ferrée (voir figure 31) fut remplacée par une digue. La création de cette digue eut pour conséquence d'isoler définitivement la partie la plus interne de la baie de l'influence marine.

Le développement des schorres au détriment de la zone de slikke a des répercussions sur la faune. Au cours du XXe siècle, l'envasement progressif a conduit à un changement dans la répartition spatiale des espèces qui vivent sur le substrat de la slikke, comme la coque, entrainant une diminution de la productivité des espèces benthiques. Cette diminution a pu affecter les oiseaux limicoles qui fouillent l'estran à la recherche de petits bivalves, comme l'huitrier pie (Haematopus ostralegus).

Un schorre à butte au sein de la slikke, entre le Crotoy et Saint-Valery-sur-Somme

Figure 29. Un schorre à butte au sein de la slikke, entre le Crotoy et Saint-Valery-sur-Somme

La spartine anglaise (Spartina anglica, famille des Poacées) est un végétal pionnier qui colonise rapidement la slikke. Son implantation réduit localement la vitesse des courants, ce qui provoque la sédimentation des particules les plus fines et favorise donc l'exhaussement. Un autre végétal colonise la slikke (non visible ici) : la salicorne (Salicornia europaea, famille des Chénopodiacées), qui est une plante récoltée entre mai et juin et qui peut se déguster crue ou cuite.


Détail d'un schorre à butte au sein de la slikke, entre le Crotoy et Saint-Valery-sur-Somme

Figure 30. Détail d'un schorre à butte au sein de la slikke, entre le Crotoy et Saint-Valery-sur-Somme

La spartine anglaise (Spartina anglica, famille des Poacées) est un végétal pionnier qui colonise rapidement la slikke. Son implantation réduit localement la vitesse des courants, ce qui provoque la sédimentation des particules les plus fines et favorise donc l'exhaussement.


Ancienne carte postale qui montre l'estacade sur laquelle était construit le chemin de fer de la baie de Somme

Figure 31. Ancienne carte postale qui montre l'estacade sur laquelle était construit le chemin de fer de la baie de Somme

La ligne de chemin de fer qui relie Noyelles-sur-mer et Cayeux-sur-mer, et traverse Saint-Valery-sur-Somme, a été inaugurée en 1856. Cette ligne circulait, avant la création de la digue en 1912, sur une estacade en bois qui parcourait la baie de Somme. Cette estacade permettait le passage de l'eau et des sédiments à travers elle. La création de la digue en 1912 permit de gagner des terres sur la mer (processus de poldérisation, voir l'article précédent sur les bas-champs picards) en réduisant la surface inondable de la baie. Il faut noter que cette digue est l'une des nombreuses structures qui ont permis de gagner du terrain aux dépens de la mer.


La digue du chemin de fer de la baie de Somme entre Noyelles-sur-mer et Saint-Valery-sur-Somme

Figure 32. La digue du chemin de fer de la baie de Somme entre Noyelles-sur-mer et Saint-Valery-sur-Somme

Le chemin de fer est toujours présent, et il prend appui sur une digue depuis 1912. Cette ligne ferroviaire est toujours utilisée : les touristes peuvent relier le Crotoy à Cayeux-sur-mer à bord d'un train à vapeur entre avril et novembre. À droite du chemin de fer s'étend le schorre de la Baie de Somme. Le cliché a été pris vers le Nord-Ouest ; la ville de Saint-Valery-sur-Somme est visible au loin.


Vue aérienne de la Baie de Somme en 1950-1965

Figure 33. Vue aérienne de la Baie de Somme en 1950-1965

Les figures 33 à 36 permettent d'illustrer de manière qualitative et quantitative la progression des schorres grâce à Géoportail, qui intègre une fonction de tracé de polygones et de calcul de leur surface.


Limite d'extension des schorres sur la vue aérienne de la Baie de Somme en 1950-1965

Figure 34. Limite d'extension des schorres sur la vue aérienne de la Baie de Somme en 1950-1965

Grâce à la fonction de tracé de polygones dans Géoportail, il est possible de délimiter les schorres sur la photographie aérienne de la Baie de Somme de 1950-1965. La surface occupée par les schorres à cette période (en vert) est approximativement de 13,3 km2 (4,2 km2 entre la Pointe du Hourdel et le Cap Hornu et 9,1 km2 dans le fond de la baie). Noter les entailles dans le schorre de la partie interne de la baie : ce sont des chenaux liés aux marées.


Vue aérienne de la Baie de Somme en 2021 et limite d'extension des schorres en 1950-1965

Figure 35. Vue aérienne de la Baie de Somme en 2021 et limite d'extension des schorres en 1950-1965

Sur cette vue aérienne de la Baie de Somme en 2021 est repérée l'extension des schorres en 1950-1965 (en vert), pour comparaison avec les figures précédente et suivante. En 1965, une digue submersible a été construite à proximité du Cap Hornu. Cette construction a eu pour conséquence de réduire l'hydrodynamisme en arrière de la digue, et a ainsi favorisé la progression des schorres dans cette zone.


Vue aérienne de la Baie de Somme en 2021 et limite d'extension des schorres en 1950-1965 et 2021

Figure 36. Vue aérienne de la Baie de Somme en 2021 et limite d'extension des schorres en 1950-1965 et 2021

L'extension des schorres en 1950-1965 est repérée en vert tandis que la surface occupée en 2021 est indiquée en violet. En 2021, 18 km2 étaient recouverts par des schorres (5,1 km2 entre la Pointe du Hourdel et le Cap Hornu, et 12,9 km2 en fond de baie). Cela traduit une progression des schorres d'un peu plus de 30 % entre les deux périodes. En 1965, une digue submersible a été construite à proximité du Cap Hornu. Cette construction a eu pour conséquence de réduire l'hydrodynamisme en arrière de la digue, et a ainsi a favorisé la progression des schorres dans cette zone.

Selon que l'on considère l'intervalle 1950-2021 (71 ans) ou 1965-2021 (56 ans), et si l’on postule que la vitesse de progression est constante, l'extension se produit à un rythme compris entre 60 000 m2 et 80 000 m2 par an.


Progression de la surface des schorres (prés-salés) en Baie de Somme entre 1970 et 2013

Figure 37. Progression de la surface des schorres (prés-salés) en Baie de Somme entre 1970 et 2013

Entre 1970 et 2013, la surface des schorres de la Baie de Somme s'est accrue d'environ 3 km2. Cela correspond à un vitesse d'avancée de l'ordre de 7 hectares (70 000 m2) par an sur la période.

Pour expliquer la différence dans l'ordre de grandeur de la superficie des schorres entre les figures précédentes et ce graphique, il est supposé que l'auteur a probablement pris en compte d'anciens schorres, c'est-à-dire des zones qui ne sont plus atteintes par la mer actuellement (comme par exemple les secteurs en arrière de la digue du chemin de fer).


Les aménagements destinés à ralentir l'envasement

Le maintien de l'accès aux ports de Saint-Valery-sur-Somme et du Crotoy

Le comblement de la baie étant un phénomène rapide, l’une des questions principales pour les habitants est de maintenir les accès aux ports de Saint-Valery-sur-Somme et du Crotoy. Des dragages de sédiments ont lieu régulièrement dans les chenaux et dans les ports pour tenter de conserver un passage entre ces derniers et la mer. À Saint-Valery-sur-Somme, un des derniers dragages du chenal a été effectué à la fin de l'année 2020 pour retirer 10 000 m3 de sable, pour un cout de 160 000 € (2 mois de travaux ont été nécessaires).

Depuis les années 2010, ont été testées puis mises en place régulièrement des chasses hydrauliques grâce au canal de la Somme. Le principe est de stocker un volume d'eau entre la dernière écluse et Abbeville, lors d'une marée haute (voir figure 5). Ensuite, ce volume d'eau est relâché par l'ouverture des portes de l'écluse de Saint-Valery-sur-Somme afin de provoquer un effet de chasse des sédiments, qui sont alors refoulés en direction de la mer. Ceci permet de maintenir un chenal navigable.

La canalisation du fleuve à Saint-Valery-sur-Somme ayant entrainé une fixation du lit du fleuve, ce dernier ne pouvait plus balayer la baie comme il le faisait auparavant. La ville du Crotoy fut ainsi privée des chasses naturelles à partir du milieu du XIXe siècle. En conséquence, un bassin de chasse fut construit entre 1861 et 1865, jouxtant le port de la ville du Crotoy. Ce bassin couvre une surface de 62 hectares et permet de piéger de l'eau à marée haute (les portes étant maintenues ouvertes). À l'étale de pleine mer, les portes se ferment. Lors de la marée descendante, les portes s'ouvrent et laissent s'échapper l'eau dans le chenal qui permet d'accéder à la mer depuis le port du Crotoy. L'énergie potentielle de pesanteur est convertie en énergie cinétique, qui est susceptible de mobiliser les particules sédimentaires (domaine d'érosion dans le diagramme de Hjulström, voir figure 28) et de les transporter vers la mer (domaine de transport dans le même diagramme). Malgré tout, le chenal a vu son fond se relever à une vitesse de 25 mm par an entre 1865 (date de mise en fonction du bassin) et 1925.

Vue aérienne de la ville du Crotoy et de son bassin de chasse

Figure 38. Vue aérienne de la ville du Crotoy et de son bassin de chasse

Le bassin est repéré en jaune ; la flèche noire indique l'écluse. Achevé en 1865, ce bassin d'une soixantaine d'hectares permet de retenir une masse d'eau à marée haute, lorsque les portes de l'écluse sont ouvertes. À l'étale de pleine mer, les portes se referment et l'eau est retenue. Le volume d'eau est relâché lors d'une marée basse, afin d'emporter les sédiments vers la mer et de désencombrer le chenal qui permet aux bateaux d'accéder au milieu marin.


Le bassin de chasse du Crotoy vu d'avion

Figure 39. Le bassin de chasse du Crotoy vu d'avion

Au premier plan, le bassin de chasse de la ville du Crotoy, délimité par une digue. On peut constater que ce bassin est rempli de sédiments, qui sont apportés par la mer lors des marées hautes. Ces sédiments participent au colmatage graduel du bassin, et diminuent donc le volume d'eau qui peut être contenu dans le bassin, réduisant finalement l'efficacité des chasses. Noter les petits chenaux qui entaillent les sables et vases au sein du bassin.


L'écluse du bassin de chasse vues depuis la ville du Crotoy

Figure 40. L'écluse du bassin de chasse vues depuis la ville du Crotoy

Le cliché a été pris après la pleine mer ; les portes de l'écluse sont abaissées.


L'écluse du bassin de chasse vue depuis la digue qui le délimite

Figure 41. L'écluse du bassin de chasse vue depuis la digue qui le délimite

Le cliché a été pris après la pleine mer ; les portes de l'écluse sont abaissées. À droite de l'écluse, le bassin est rempli.


La digue qui délimite le bassin de chasse du Crotoy à l'Ouest

Figure 42. La digue qui délimite le bassin de chasse du Crotoy à l'Ouest

Le cliché a été pris après la pleine mer. À gauche de l'image, le bassin est rempli. À droite de la digue, la mer est en train de descendre.


La digue qui délimite le bassin de chasse du Crotoy à l'Est

Figure 43. La digue qui délimite le bassin de chasse du Crotoy à l'Est

Le cliché a été pris après la pleine mer. À droite de la digue, le bassin est rempli. À droite, les schorres contigus au bassin.


Le bassin de chasse du Crotoy s'ensable inexorablement

En dépit de son efficacité relative, le bassin de chasse du Crotoy s'ensable lui-même progressivement. En effet, il est soumis aux mêmes contraintes que le reste de la baie. Par conséquent, lorsque le bassin est rempli et que les portes de l'écluse se ferment à marée haute, les particules sédimentaires entrainées par la marée décantent. Le bassin, à l'instar de la baie, se colmate progressivement. La photographie aérienne de la figure 38 permet d'observer le sable et la vase qui s'y sont déposés ; on distingue même de petits chenaux de marée qui incisent les sédiments. Le volume d'eau emmagasiné à la création du bassin en 1865 était d'environ 1,5 millions de m3 ; aujourd'hui, les deux tiers de ce volume sont occupés par des sédiments.

Pour pallier le comblement inéluctable du bassin, des curages ont été organisés pour extraire les sédiments qui réduisent le volume d'eau (et donc l'efficacité des chasses). Une grande campagne a eu lieu entre 1976 et 1978. Entre 1992 et 1995, un dragage de grande envergure a permis de retirer 350 000 m3 de sable et de vase grâce à des engins mécaniques. Le dernier dragage en date a été réalisé à la fin de l'année 2022, et a permis d'enlever 10 000 m3 de sédiments du bassin pour un montant de 160 000€.

La question du devenir des sédiments est sensible : ce sont des sables et des vases qui présentent une forte concentration en sel, ce qui les rend inutilisables dans le cadre des travaux publics (ciments, remblais) et de l'agriculture (amendement, rechargement de parcelles). Les sédiments extraits sont donc stockés dans des grands casiers accolés au bassin. Cependant les casiers sont pleins et se végétalisent peu à peu (formation de roselières, avec leur cortège d'espèces protégées). Deux obstacles épineux viennent alors se surimposer : 1°) la question de la relocalisation des sédiments des casiers n'est pas résolue – et les dragages ne peuvent pas avoir lieu si les casiers sont pleins –, et 2°) la végétalisation des sédiments suivie de la formation de zones humides imposerait aux collectivités la mise en place de mesures compensatoires.

Diminution du volume d'eau contenu dans le bassin de chasse du Crotoy

Figure 44. Diminution du volume d'eau contenu dans le bassin de chasse du Crotoy

Pour une marée haute de 5 mètres, le bassin pouvait contenir 1,5 millions de m3 de sédiments à son achèvement en 1865. Quatre-vingt-dix ans plus tard, suite au comblement du bassin par les sédiments charriés par la marée, il ne pouvait retenir que le tiers de ce volume initial.


Conclusion

La Baie de Somme est un milieu estuarien dominé par les forces de marée, et en voie de comblement. Ce colmatage sédimentaire est un processus naturel, gouverné par l'asymétrie de la marée, et amplifié dans la région par des actions anthropiques (création de digues, ayant pour conséquence la formation de polders, et canalisation de la Somme qui fixe le tracé du fleuve et en diminue le débit). La progression de la terminaison de la flèche littorale de galets au niveau de la Pointe du Hourdel ferme peu à peu la baie, qui sera probablement entièrement comblée d'ici quelques centaines d'années.

Une autre baie emblématique du territoire français a déjà été présentée sur Planet-Terre, celle du Mont-Saint-Michel, qui présente certaines similitudes avec la Baie de Somme : influence des marées sur la dynamique sédimentaire, canalisation du fleuve qui se jette dans la mer, poldérisation… Cette baie est à retrouver dans une série de trois articles dont le premier est Le Mont-Saint-Michel et sa baie, une longue histoire géologique.

Remerciements

Merci à Alexandre Aubray, Maxime Henriquet et Cyril Langlois pour leur relecture et leurs suggestions qui ont permis d’enrichir cet article.

Orientations bibliographiques

Ouvrages

Collectif, 1994. Sédimentologie de la baie de Somme, Travaux du département de géologie de l'Université de Picardie, 123p. ISSN 0298-0614

J.-P. Ducrotoy, 2018, Les milieux estuariens et littoraux, Éditions Lavoisier, 466p. ISBN 978-2-7430-2339-3

A.-É. Paquier, F. Desmazes (coord.), 2022. Littoral : géologie, évolution et risques (Dossier), Géochronique, 164, 23-56 [présentation du dossier]

F. Verger, 2009. Zones humides du littoral français, Éditions Belin, 448p. ISBN 978-2-7011-5201-1

J.-L. Rubino (coord), 2022. Les deltas (Dossier), Géochronique, 162, 14-48 [présentation du dossier]

Articles scientifiques

G.P. Allen, J.C. Salomon, P. Bassoullet, Y. Du Penhoat, C. de Grandpré, 1980. Effects of tides on mixing and suspended sediment transport in macrotidal estuaries, Sedimentary Geology, 26, 1-3, 69-90

J. Bastide, 2011. Morphodynamique et enjeux d'aménagement des franges littorales d'un estuaire macrotidal tempéré : la baie de Somme, Picardie, France, thèse de doctorat, Univ. du littoral Côte d’Opale (Dunkerque), 332p.

C. Cloquier, 2002. Les aménagements de l'estuaire de la Somme et l'amélioration de la navigation fluvio-maritime (XVIIe-XVIIIe sciècles), Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, 124, 10, 205-219

F. Dolique, 1998. Dynamique morphosédimentaire et aménagements induits du littoral picard au sud de la Baie de Somme, thèse de doctorat, Univ. du littoral Côte d’Opale (Dunkerque), 420p.

J.P. Ducrotoy, M. Desprez, B. Elkaim, 1987. Crise de la production des coques (Cerastoderma edule) en Baie de Somme, Rev. Trav. Inst. Pêches marit., 49, 3-4, 231-241

W.E. Galloway, 1975. Process framework for describing the morphologic and stratigraphic evolution of deltaic depositional systems, in Deltas, Models for Exploration, M.L. Broussard (ed.), Houston Geol. Soc, 87-98 [pdf]

S. Leprêtre, 2014. Expérimentation des chasses hydrauliques à Saint-Valery-sur-Somme, XIIIèmes Journées Nationales Génie Côtier - Génie Civil (Dunkerque), 439-446

Sites et documents web

Site de Jacques Beauchamp, ancien professeur à l’Université de Picardie Jules Verne, qui a notamment travaillé sur les secteurs étudiés dans cet article (voir sa présentation de la Baie de Somme)



[1] L.A. Romaña, 2001. Le bouchon vaseux estuarien : filtre actif ou passif, La Houille Blanche, 8, 57-60

[3] Collectif, 1994. Sédimentologie de la baie de Somme, Travaux du département de géologie de l'Université de Picardie, p80