Image de la semaine | 11/05/2020
Le stratotype “historique” du Bajocien (Jurassique moyen) de Sainte-Honorine-des-Pertes (Calvados)
11/05/2020
Résumé
Fossiles stratigraphiques, biozones, chronologie relative, GSSP (clou d'or), exemple d'un stratotype historique normand.
La semaine précédente, nous vous présentions une illustration de la diversité des fossiles des falaises de Sainte-Honorine-des-Pertes (cf. Les fossiles marins du Jurassique moyen de Sainte-Honorine-des-Pertes, Calvados). Cette semaine, nous vous proposons de détailler comment ces fossiles ont permis de définir ici le stratotype historique de l'étage du Bajocien.
L'aiguille des Hachettes et la falaise de Sainte-Honorine-des-Pertes, par la richesse des faunes préservées et notamment ses faunes d'ammonites, ont été choisies en 1852 par d'Orbigny pour définir l'étage du Bajocien (“Bajocien” vient de la ville de Bayeux célèbre pour sa fameuse tapisserie retraçant la vie de Guillaume le Conquérant, à proximité de Sainte-Honorine-des-Pertes).
Avant de préciser comment cet affleurement a permis la définition de l'étage du Bajocien, rappelons quelques principes de l'utilisation des fossiles pour la construction des étages géologiques.
La mesure du temps en domaine sédimentaire fait dans un premier temps appel à la chronologie relative et ses grands principes qui permettent de préciser les âges relatifs de différents objets géologiques.
L'utilisation des fossiles est la base de la biostratigraphie, méthode de mesure du temps basée sur l'étude des contenus fossilifères des couches sédimentaires. L'intercalation de coulées ou de couches de cendres interstratifiées dans les dépôts sédimentaires permet, par datation absolue radiochronométrique, d'obtenir un âge chiffré des couches sédimentaires.
La zone de répartition pour une espèce donnée (ou un taxon donné) dans les roches sédimentaires est appelée biozone. Elle est caractérisée à sa base par la première occurrence de l'espèces (LO : lowest occurrence) et à son sommet par la dernière occurrence du fossile (HO : highest occurrence). Il existe plusieurs types de biozones faisant parfois intervenir plusieurs espèces : biozone d'acmé, biozone d'association, biozone de distribution concomitante…
Source - © 2020 Redessiné d'après Dossier PLS n°42 [6]
La biozone est une notion stratigraphique qui décrit donc la réparation du fossile dans le sédiment. L'épaisseur sédimentaire de la biozone n'est pas une fonction du temps. Elle dépend du taux de sédimentation (et d'éventuels épisodes d'érosion ou de non-dépôt qui rendent l'enregistrement discontinu).
L'équivalent chronologique de cette notion est la chronozone, c'est-à-dire la période temporelle d'existence d'une espèce fossile. Elle est caractérisée par la première date d'apparition du fossile (FAD : first appearance datum) et par sa date de disparition (LAD : last appearance datum). Du fait de la préservation incomplète des terrains et l'existence locale de certains fossiles à certaines périodes, la chronozone peut-être peut correspondre à un intervalle de temps plus long que ce que ne peut laisser paraitre la biozone. En général les biozones correspondent à des intervalles de temps de l'ordre de la centaine de milliers d'années à une dizaine de million d'années.
L'idée d'obtenir une échelle des temps géologique à l'échelle spatiale mondiale nécessite d'utiliser des fossiles susceptibles d'être observés sur de nombreux affleurements dans le monde donc existant en grande quantité pendant un temps court et répartis à l'échelle mondiale. Ce type de fossile est appelé fossile stratigraphique.
Pour établir des corrélations à l'échelle régionale et mondiale il est nécessaire de trouver des enregistrements sédimentaires riches en fossiles et les plus continus possibles (c'est-à-dire sans interruption de la sédimentation). Ces coupes de référence sont appelées stratotypes.
La corrélation à l'échelle régionale et mondiale des différents affleurements contenant les mêmes fossiles que le stratotype permettent, par principe d'identité paléontologique, d'identifier l'entrée dans un étage sur ces différents stratotypes.
Différents stratotypes ont déjà été abordés sur Planet-Terre comme le stratotype du Toarcien à Sainte-Verge (cf. Le stratotype du Toarcien à Sainte Verge, banlieue de Thouars (Deux-Sèvres)), le stratotype de la base de l'Hauterivien (limite Valanginien-Hauterivien) à La Charce (cf. Les alternances marno-calcaires, les slumps et le GSSP (Global boundary Stratotype Section and Point) de la base de l'Hauterivien (Crétacé inférieur) de La Charce (Drôme)) ou le stratotype de la limite Frasnien-Fammenien à Coumiac (cf. Le Dévonien supérieur de la Montagne Noire : ses calcaires griottes, sa carrière de Coumiac avec sa dalle à goniatites et son GSSP Frasnien-Famennien, Saint-Nazaire-de-Ladarez et Cessenon-sur-Orb, Hérault).
Comme détaillée la semaine dernière (cf. Les fossiles marins du Jurassique moyen de Sainte-Honorine-des-Pertes, Calvados), la richesse en espèces d'ammonites présentes au niveau du platier et dans les falaises de Sainte-Honorine-des-Pertes a permis à d'Orbigny de définir une succession de biozones représentatives du Bajocien.
La présence de niveaux condensés et de surfaces d'érosion (surfaces de Sainte-Honorine) représentant des discontinuités de sédimentation ont conduit à proposer d'autres localisations pour définir le stratotype du Bajocien. Il a ainsi été déplacé en 1994 au Portugal au niveau de la coupe de Murtinheira à Cabo Mondego (Pavia et Enay, 1997 [5]) dans le district de Coimbra avec un complément d'information sur une coupe au niveau de l'ile de Skye en Écosse. Le nom de l'étage Bajocien n'a pas été modifié.
Source - © 1997 G. Pavia et R. Enay [5] |
L'étude chronostratigraphique des différents stratotypes définissant les étages permet de découper le temps en âges et autres divisions temporelles. Ces différentes subdivisions du temps (éon, ère, période, époque, âge) sont à l'origine de la construction de l'échelle chronostratigraphique.
Division stratigraphique | Division chronologique | Stratotype du Bajocien |
---|---|---|
Éonothème | Éon | Phanérozoïque |
Érathème | Ère | Mésozoïque |
Système | Période | Jurassique |
Série | Époque | Jurassique moyen |
Étage | Âge | Bajocien |
Source - © 2020 International Commission on Stratigraphy
La biostratigraphie se basant sur les fossiles, son utilité est limitée aux temps “récents” du Phanérozoïque où les fossiles et taxons abondent. D'autres méthodes de chronologie permettent de compléter l'échelle des temps géologiques : magnétostratigraphie (utilisation des inversions magnétiques au cours du temps), cyclostratigraphie (utilisation des cyclicités sédimentaires), sismostratigraphie et diagraphie (utilisation des séquences sédimentaires et des forages pour établir des corrélations temporelles), chimiostratigraphie (utilisation des variations de “proxies” / traceurs comme le δ18O).
Pour plus de précisions sur la mesure du temps en géologie, le rapport de l'agrégation externe de SVT de 2008, Le temps : dates, durées et vitesses des évènements géologiques, et l'article de Pierre Thomas, L'histoire de l'âge de la Terre, sont des lectures à ne pas manquer.
L'accès aux affleurements du stratotype historique du Bajocien se fait uniquement à marée basse à partir de Sainte-Honorine-des-Pertes (accès possible depuis Port-en-Bessin).
Pour les enseignants et curieux de la géologie de la région, de nombreux compléments indispensables à cet article et à la géologie normande sont à consulter sur le site de la Lithothèque de l'académie de Caen.
Bibliographie
P. De Wever, B. David, D. Néraudeau, 2010. Paléobiosphère, Vuibert éd., 796p
Doré et coll., 1987. Guide géologique régional, Normandie – Maine, Masson éd.
G. Fily et coll., 1989. Notice de la carte géologique de Grandcamp-Maisy au 1/50 000, BRGM
International Commission on Stratigraphy, GSSP for Bajocian Stage
G. Pavia, R. Enay, 1997. Definition of the Aalenian-Bajocian Stage boundary, Episodes, 20, 1, 16-22
Dossier Pour la Science, 2004. Le temps des datations, n°42