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Image de la semaine | 11/05/2020

Le stratotype “historique” du Bajocien (Jurassique moyen) de Sainte-Honorine-des-Pertes (Calvados)

11/05/2020

Alexandre Aubray

PRAG Sciences de la Terre, Aix-Marseille Université

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Fossiles stratigraphiques, biozones, chronologie relative, GSSP (clou d'or), exemple d'un stratotype historique normand.


L'aiguille des Hachettes sur laquelle le stratotype du Bajocien a été défini, plage de Sainte-Honorine-des-Pertes (Calvados)

La semaine précédente, nous vous présentions une illustration de la diversité des fossiles des falaises de Sainte-Honorine-des-Pertes (cf. Les fossiles marins du Jurassique moyen de Sainte-Honorine-des-Pertes, Calvados). Cette semaine, nous vous proposons de détailler comment ces fossiles ont permis de définir ici le stratotype historique de l'étage du Bajocien.

L'aiguille des Hachettes et la falaise de Sainte-Honorine-des-Pertes, par la richesse des faunes préservées et notamment ses faunes d'ammonites, ont été choisies en 1852 par d'Orbigny pour définir l'étage du Bajocien (“Bajocien” vient de la ville de Bayeux célèbre pour sa fameuse tapisserie retraçant la vie de Guillaume le Conquérant, à proximité de Sainte-Honorine-des-Pertes).

Ammonites visibles dans la formation de la Malière

Ammonite dans la formation de l'Oolithe ferrugineuse de Bayeux

Figure 3. Ammonite dans la formation de l'Oolithe ferrugineuse de Bayeux

Cette ammonite appartient au membre (a) (Conglomérat de Bayeux) de l'Oolithe ferrugineuse de Bayeux.


Ammonite de la formation de l'Oolithe ferrugineuse

Figure 4. Ammonite de la formation de l'Oolithe ferrugineuse

Cette ammonite vue en coupe appartient à la formation de l'Oolithe ferrugineuse de Bayeux.


Ammonite de la formation de l'Oolithe ferrugineuse de Bayeux

Ammonite visible dans la formation de l'Oolithe ferrugineuse

Figure 6. Ammonite visible dans la formation de l'Oolithe ferrugineuse

Cette ammonite d'environ 5 cm montre en coupe une contre-empreinte de côtes du tour de la coquille sur le tour supérieur. Les lignes de suture, au centre, sont ici visibles en 3D.


Avant de préciser comment cet affleurement a permis la définition de l'étage du Bajocien, rappelons quelques principes de l'utilisation des fossiles pour la construction des étages géologiques.

La mesure du temps en domaine sédimentaire fait dans un premier temps appel à la chronologie relative et ses grands principes qui permettent de préciser les âges relatifs de différents objets géologiques.

L'utilisation des fossiles est la base de la biostratigraphie, méthode de mesure du temps basée sur l'étude des contenus fossilifères des couches sédimentaires. L'intercalation de coulées ou de couches de cendres interstratifiées dans les dépôts sédimentaires permet, par datation absolue radiochronométrique, d'obtenir un âge chiffré des couches sédimentaires.

La zone de répartition pour une espèce donnée (ou un taxon donné) dans les roches sédimentaires est appelée biozone. Elle est caractérisée à sa base par la première occurrence de l'espèces (LO : lowest occurrence) et à son sommet par la dernière occurrence du fossile (HO : highest occurrence). Il existe plusieurs types de biozones faisant parfois intervenir plusieurs espèces : biozone d'acmé, biozone d'association, biozone de distribution concomitante…

Quelques exemples de types de biozones

Figure 7. Quelques exemples de types de biozones

La biozone d'association est caractérisée par un assemblage unique de fossiles. La biozone de distribution d'un taxon est l'ensemble des couches sédimentaires dans lequel il est présent. La biozone de distribution concomitante représente une biozone limitée à la base par l'apparition d'un taxon et au sommet par la disparition d'un autre. La biozone d'abondance est un ensemble de couches sédimentaires dans lesquelles le taxon est abondant. La biozone d'intervalle est limitée par deux évènements de disparition et d'apparition.


La biozone est une notion stratigraphique qui décrit donc la réparation du fossile dans le sédiment. L'épaisseur sédimentaire de la biozone n'est pas une fonction du temps. Elle dépend du taux de sédimentation (et d'éventuels épisodes d'érosion ou de non-dépôt qui rendent l'enregistrement discontinu).

L'équivalent chronologique de cette notion est la chronozone, c'est-à-dire la période temporelle d'existence d'une espèce fossile. Elle est caractérisée par la première date d'apparition du fossile (FAD : first appearance datum) et par sa date de disparition (LAD : last appearance datum). Du fait de la préservation incomplète des terrains et l'existence locale de certains fossiles à certaines périodes, la chronozone peut-être peut correspondre à un intervalle de temps plus long que ce que ne peut laisser paraitre la biozone. En général les biozones correspondent à des intervalles de temps de l'ordre de la centaine de milliers d'années à une dizaine de million d'années.

L'idée d'obtenir une échelle des temps géologique à l'échelle spatiale mondiale nécessite d'utiliser des fossiles susceptibles d'être observés sur de nombreux affleurements dans le monde donc existant en grande quantité pendant un temps court et répartis à l'échelle mondiale. Ce type de fossile est appelé fossile stratigraphique.

Pour établir des corrélations à l'échelle régionale et mondiale il est nécessaire de trouver des enregistrements sédimentaires riches en fossiles et les plus continus possibles (c'est-à-dire sans interruption de la sédimentation). Ces coupes de référence sont appelées stratotypes.

La corrélation à l'échelle régionale et mondiale des différents affleurements contenant les mêmes fossiles que le stratotype permettent, par principe d'identité paléontologique, d'identifier l'entrée dans un étage sur ces différents stratotypes.

Différents stratotypes ont déjà été abordés sur Planet-Terre comme le stratotype du Toarcien à Sainte-Verge (cf. Le stratotype du Toarcien à Sainte Verge, banlieue de Thouars (Deux-Sèvres)), le stratotype de la base de l'Hauterivien (limite Valanginien-Hauterivien) à La Charce (cf. Les alternances marno-calcaires, les slumps et le GSSP (Global boundary Stratotype Section and Point) de la base de l'Hauterivien (Crétacé inférieur) de La Charce (Drôme)) ou le stratotype de la limite Frasnien-Fammenien à Coumiac (cf. Le Dévonien supérieur de la Montagne Noire : ses calcaires griottes, sa carrière de Coumiac avec sa dalle à goniatites et son GSSP Frasnien-Famennien, Saint-Nazaire-de-Ladarez et Cessenon-sur-Orb, Hérault).

Comme détaillée la semaine dernière (cf. Les fossiles marins du Jurassique moyen de Sainte-Honorine-des-Pertes, Calvados), la richesse en espèces d'ammonites présentes au niveau du platier et dans les falaises de Sainte-Honorine-des-Pertes a permis à d'Orbigny de définir une succession de biozones représentatives du Bajocien.

Biozones d'ammonites permettant de construire le stratotype du Bajocien

Figure 8. Biozones d'ammonites permettant de construire le stratotype du Bajocien

Les traits pointillés indiquent que les limites ne sont pas précisément localisées sur le log. En effet, la limite entre la zone à G. concavum et la zone à H. discites (limite Aalénien-Bajocien) passe au niveau du platier rocheux. L'aiguille des Hachette montre les différentes biozones du Bajocien. La limite entre le Bajocien inférieur et supérieur est au niveau de la surface de Sainte-Honorine 3. Ce stratotype présente donc de nombreuses discontinuités sédimentaires. Remarque : le Bajocien se termine dans la falaise au sommet des Calcaires à spongiaires et les “couches de passage” marquent l'entrée dans le Bathonien (cf. Les falaises de Sainte-Honorine-des-Pertes (Port-en-Bessin, Calvados) : un aperçu de la sédimentation jurassique affectée par de la tectonique et des phénomènes superficiels).


La présence de niveaux condensés et de surfaces d'érosion (surfaces de Sainte-Honorine) représentant des discontinuités de sédimentation ont conduit à proposer d'autres localisations pour définir le stratotype du Bajocien. Il a ainsi été déplacé en 1994 au Portugal au niveau de la coupe de Murtinheira à Cabo Mondego (Pavia et Enay, 1997 [5]) dans le district de Coimbra avec un complément d'information sur une coupe au niveau de l'ile de Skye en Écosse. Le nom de l'étage Bajocien n'a pas été modifié.

L'étude chronostratigraphique des différents stratotypes définissant les étages permet de découper le temps en âges et autres divisions temporelles. Ces différentes subdivisions du temps (éon, ère, période, époque, âge) sont à l'origine de la construction de l'échelle chronostratigraphique.

Division stratigraphique

Division chronologique

Stratotype du Bajocien

Éonothème

Éon

Phanérozoïque

Érathème

Ère

Mésozoïque

Système

Période

Jurassique

Série

Époque

Jurassique moyen

Étage

Âge

Bajocien

Figure 11. Extrait de l'échelle chronostratigraphique montrant l'étage du Bajocien

Dernière version 2020/01, en anglais, de l'International Chronostratigraphic Chart, dernière version 2019/05 traduite en français de la Charte Chronostratigraphique internationale.


La biostratigraphie se basant sur les fossiles, son utilité est limitée aux temps “récents” du Phanérozoïque où les fossiles et taxons abondent. D'autres méthodes de chronologie permettent de compléter l'échelle des temps géologiques : magnétostratigraphie (utilisation des inversions magnétiques au cours du temps), cyclostratigraphie (utilisation des cyclicités sédimentaires), sismostratigraphie et diagraphie (utilisation des séquences sédimentaires et des forages pour établir des corrélations temporelles), chimiostratigraphie (utilisation des variations de “proxies” / traceurs comme le δ18O).

Pour plus de précisions sur la mesure du temps en géologie, le rapport de l'agrégation externe de SVT de 2008, Le temps : dates, durées et vitesses des évènements géologiques, et l'article de Pierre Thomas, L'histoire de l'âge de la Terre, sont des lectures à ne pas manquer.

L'accès aux affleurements du stratotype historique du Bajocien se fait uniquement à marée basse à partir de Sainte-Honorine-des-Pertes (accès possible depuis Port-en-Bessin).


Localisation géologique des affleurements

Localisation des affleurements

Pour les enseignants et curieux de la géologie de la région, de nombreux compléments indispensables à cet article et à la géologie normande sont à consulter sur le site de la Lithothèque de l'académie de Caen.

Bibliographie

P. De Wever, B. David, D. Néraudeau, 2010. Paléobiosphère, Vuibert éd., 796p

Doré et coll., 1987. Guide géologique régional, Normandie – Maine, Masson éd.

International Commission on Stratigraphy, GSSP for Bajocian Stage

G. Pavia, R. Enay, 1997. Definition of the Aalenian-Bajocian Stage boundary, Episodes, 20, 1, 16-22

Dossier Pour la Science, 2004. Le temps des datations, n°42