Article | 19/06/2019
La géologie anté-permienne de la Montagne Noire (Sud du Massif Central)
19/06/2019
Résumé
Données sédimentaires, tectoniques, métamorphiques, magmatiques et géochronologiques permettant de reconstituer l'évolution de la Montagne Noire du Dévonien au Permien et sa place dans l'orogenèse varisque.
Table des matières
Cet article est dédié à Maurice Mattauer qui a consacré sa vie à la déformation de la lithosphère continentale et aux relations entre grande tectonique et microstructures.
Introduction
À l'extrémité Sud-Est du Massif Central français, la Montagne Noire est un élément important de la chaine varisque européenne. Située à la limite entre les influences climatiques méditerranéennes du Haut Languedoc et des Cévennes à l'Est avec des précipitations saisonnières très violentes lors des épisodes cévenols ou des fleuves côtiers torrentueux comme l'Orb et des influences atlantiques à l'Ouest avec des précipitations régulièrement étalées sur l'année et drainées par l'Agoût et le Thoré, la Montagne Noire bénéficie de bonnes conditions d'affleurement. De ce fait, la lithologie, la stratigraphie et la cartographie de cette région ont été étudiées dès la fin du XIXe siècle (par ex. de Rouville, 1860 ; Bergeron, 1888 ; Thoral, 1935). En revanche, les aspects structuraux, magmatiques et métamorphiques n'ont été abordés que plus récemment (Roques, 1948 ; Gèze, 1949 ; Arthaud, 1970). Ainsi que nous le verrons, de nombreuses controverses demeurent pour expliquer la formation de cette région.
La Montagne Noire est un objet emblématique de la géologie française. Elle présente plusieurs intérêts géologiques parmi lesquels on illustrera et commentera ici 3 points :
- l'enregistrement sédimentaire marqueur de contextes géodynamiques variés au Paléozoïque ;
- la déformation ductile en plis couchés kilométriques des séries sédimentaires du versant Sud ;
- la fusion partielle de la croute continentale dans le dôme migmatitique de la zone axiale.
La place de la Montagne Noire dans l'architecture générale et l'évolution tectonique, métamorphique et plutonique de la chaine varisque française sort du cadre de cet article. À l'échelle du Massif Central, plusieurs événements tectono-métamorphiques ont été distingués (voir p. ex. Ledru et al., 1987 ; Faure et al. 2009). En Montagne Noire, tous les événements tectono-métamorphiques discutés ci-dessous se produisent au Carbonifère, entre le Viséen et le Gzhélien. Ils sont équivalents aux événements D3 et D4 du Massif Central. Pour la clarté de l'exposé, on parlera ici d'événements D1 et D2 car ce sont les seuls que l'on puisse reconnaitre sur le terrain.
Il est également nécessaire de rappeler que la région de la Montagne Noire contient deux des grands domaines lithologiques et structuraux du Massif Central, à savoir : i) le bassin d'avant-pays méridional qui se poursuit vers le Sud dans le Mouthoumet et les Pyrénées, et ii) la zone des plis et chevauchements non-métamorphiques (Fig. 1). À la suite de M. Roques et B. Gèze, il est devenu classique de distinguer en Montagne Noire un versant Sud et un versant Nord, formés de roches sédimentaires et séparés par une zone axiale granitique et métamorphique (Fig. 2). Pour accéder à une vision d'ensemble de la Montagne Noire, le lecteur intéressé pourra se reporter à la carte géologique et à la notice de Montpellier (1/200 000), et pour des données détaillées aux feuilles à 1/50 000 et aux notices de Saint-Chinian, Bédarieux, Saint-Pons, Lacaune, Lodève, Pézenas.
Les versants Sud et Nord sont structurés en plusieurs unités tectoniques.
La figure 3 est un schéma structural très simplifié de la partie orientale de la Montagne Noire. Plus précisément, le versant Sud est formé de plis couchés kilométriques. On reconnait ainsi des séries renversées (par exemple le Cambrien forme les sommets alors que le Carbonifère occupe le fond des vallées). Il est maintenant bien établi depuis les travaux de M. Mattauer et F. Arthaud que ces plis couchés sont déversés vers le Sud. Dans le versant Sud, on distingue quatre ensembles structuraux superposés de haut en bas. Les unités transportées (ou allochtones) sont représentées par deux plis couchés kilométriques : le pli couché supérieur ou nappe de Pardailhan, lui-même subdivisé en trois sous-unités, et le pli couché inférieur, ou nappe du Mont-Peyroux à l'Est et nappe du Minervois à l'Ouest. Sous le pli couché inférieur, affleurent l'unité para-autochtone des Monts de Faugères qui correspond à trois plis couchés, dits « en tête plongeantes », dans lesquels les flancs sont cisaillés, et un autochtone également déformé (unités du Pin, du Lau, de la Borie Nouvelle, etc) correspondant à des unités pas ou peu déplacées. Enfin le bassin sédimentaire d'avant-pays qui affleure à l'extrémité orientale du versant Sud peut être vu comme le prolongement méridional de l'autochtone. Les « écailles de Cabrières » sont des olistolithes d'échelle kilométrique resédimentés au sein de ce bassin.
Remarque
Il existe une différence entre les unités autochtones et para-autochtone de la Montagne Noire concernées par cet article (Fig. 2) et l'unité “para-autochtone” définie à l'échelle de tout le Massif Central (Fig. 1). En effet cette dernière unité, formée de roches métamorphiques, n'affleure pas dans la Montagne Noire, mais plus au Nord, dans les Cévennes ou l'Albigeois et dans des fenêtres sous l'unité inférieure des gneiss.
Les contacts entre les trois parties de la Montagne Noire sont tectoniques et à jeu polyphasé. Le passage entre le para-autochtone du versant Sud et les micaschistes de la zone axiale est progressif, mais il est repris par des mouvements décrochants tardifs. La limite entre le versant Nord et la zone axiale est également complexe. Au Nord de Bédarieux, la faille de Graissessac limite le bassin houiller du Carbonifère supérieur (Stéphanien ou Gzhélien) au Nord et des roches métamorphiques qui forment l'enveloppe du dôme de la zone axiale au Sud. Il s'agit d'une faille fragile normale à composante décrochante dextre active entre 300 et 295 Ma. Plus au Sud et à l'Ouest, la faille des Monts de Lacaune est une faille normale ductile qui sépare les orthogneiss et les granites de la zone axiale au Sud et le Paléozoïque du versant Nord (Fig. 4 et 5).
L'enregistrement sédimentaire marqueur de contextes géodynamiques variés
En raison de l'absence de métamorphisme, et malgré des déformations importantes (cf. partie La déformation ductile…), le versant Sud est une région privilégiée pour la paléontologie et la stratigraphie du Paléozoïque en France. La vallée du Landeyran, au Sud de Saint-Nazaire de Ladarez, est un site connu internationalement pour ses faunes de trilobites de l'Ordovicien inférieur et la carrière de Coumiac, près de Cessenon, est un stratotype de référence mondiale pour le passage Frasnien-Famennien.
À l'exception du Silurien et de l'Ordovicien supérieur, connus seulement dans les « écailles de Cabrières », toutes les périodes depuis le Néoprotérozoïque supérieur (Édiacarien, vers 600 Ma) jusqu'au Carbonifère inférieur (Serpukhovien, vers 318 Ma) sont représentées dans le versant Sud. Les faciès permettent de comprendre les milieux de dépôt et leurs contextes paléogéographique et géodynamique. On ne mentionnera ici que les points les plus significatifs. La colonne stratigraphique simplifiée de la Montagne Noire (Fig. 7) montre des faciès similaires à ceux que l'on trouve dans tout le Paléozoïque méditerranéen (Pyrénées, Baléares, Sicile, Algérie) et au-delà en Asie (Iran, Afghanistan, Indochine, Chine du Sud). Toutes ces séries caractérisent la marge septentrionale du Gondwana.
La mer épicontinentale de l'Édiacarien et la plateforme carbonatée du Cambrien
Les terrains les plus anciens de la Montagne Noire sont représentés par des alternances de pélites et grès verts (appelés formation de Marcory). La partie supérieure de cette série renferme des fossiles d'éponges et de mollusques du Cambrien inférieur. Un âge édiacarien est donc probable pour la base de la formation de Marcory. Ces dépôts correspondent à une mer peu profonde recouvrant le Nord du mégacontinent Pannotia, plus précisément sa partie gondwanienne (Fig. 8) dont la bordure est structurée par la chaine cadomienne. Celle-ci est bien connue dans le Nord du Massif Armoricain, mais dans le Massif Central et les Pyrénées, il n'y a aucune preuve de tectonique cadomienne. Ainsi, en Montagne Noire, les dépôts d'âge néoprotérozoïque ne sont déformés que par la tectonique varisque au Carbonifère. Du point de vue mécanique, il n'existe pas de “socle tectonique” déjà structuré ou métamorphisé impliqué dans l'orogenèse varisque. En ce sens, la chaine varisque du Massif Central diffère de la chaine alpine dans laquelle un socle anté-permien est bien présent.
Les séries de calcaires et dolomies du Cambrien inférieur et moyen qui succèdent aux dépôts terrigènes traduisent un environnement de plateforme carbonatée péri-gondwanienne. Celle-ci se développe également jusqu'en Asie du Sud-Est.
Le rifting Nord-gondwanien à l'Ordovicien inférieur
Dans le versant Sud, l'Ordovicien inférieur (Trémadoc) se caractérise par des alternances gréso-pélitiques et des conglomérats intra-formationnels évoquant des flyschs. Ils correspondent à des dépôts de plateforme externe avec des barres de tempête déposées sur une marge passive, on parle de contourites (Fig. 9A). Ces formations ne sont pas associées à une orogenèse mais à un rifting continental. Les données sédimentologiques (slumps, figures de base de bancs) traduisent un environnement de dépôt instable sur une pente.
L'Ordovicien supérieur et le Silurien manquent dans la quasi-totalité du versant Sud. Ces formations ont été érodées, mais elles existent dans le versant Nord de la Montagne Noire ou les Pyrénées. Dans les Pyrénées Orientales et en Sardaigne, on peut observer une discordance très nette entre l'Ordovicien inférieur et l'Ordovicien supérieur, même si les deux ensembles sont ultérieurement déformés lors de la tectonique varisque. En Montagne Noire, des conglomérats et grès du Dévonien inférieur (Lochkovien, vers 415 Ma) reposent directement en discordance sur les formations terrigènes de l'Ordovicien inférieur (Fig. 9B). Dans ces grès, les études sédimentologiques ont mis en évidence la présence de minéraux métamorphiques (grenat, tourmaline) issus de sources différentes de celles ayant alimenté les dépôts de l'Ordovicien. Il a été proposé que les sédiments détritiques du Dévonien inférieur proviendraient de l'érosion de reliefs formés à l'Ordovicien supérieur ou au Silurien (Quémart et al., 1993). L'analyse des zircons détritiques dans ces mêmes formations montre un pic d'âges compris entre 460 et 445 Ma. Ces données suggèrent l'existence d'un événement tectono-magmato-métamorphique à l'Ordovicien inférieur. La discordance du Dévonien inférieur documente l'existence d'un événement précoce dans le Massif Central, mais pas nécessairement une tectonique compressive. Il est actuellement bien accepté que c'est entre 490 et 470 Ma, que la croute continentale de la bordure Nord-gondwanienne est progressivement étirée du Sud vers le Nord lors d'un épisode de rifting. L'amincissement crustal s'accompagne d'une augmentation du flux de chaleur puisque le manteau remonte. Cette élévation de température, ainsi que l'abondance de fluides, constitue un contexte favorable à la production de magmas granitiques alcalins dans ce qui deviendra plus au Nord dans le Massif Central, l'Unité Inférieure des Gneiss. Un magmatisme bimodal, c'est-à-dire présentant à la fois des roches acides et basiques, se met en place dans ce qui deviendra les « complexes leptyno-amphiboliques » de l'Unité Supérieure des Gneiss (Fig. 1). Ce contexte s'accorde bien avec l'évolution géodynamique de la Montagne Noire qui appartient à la marge Nord-gondwanienne à l'Ordovicien inférieur.
La plateforme carbonatée du Dévonien et le bassin flexural du Carbonifère inférieur
Pendant le Dévonien, la sédimentation calcaire et dolomitique qui prédomine dans le versant Sud de la Montagne Noire et qui se poursuit dans les Pyrénées, indique un environnement stable de plateforme carbonatée. La succession lithologique change au passage Dévonien-Carbonifère (Fig. 7). Elle comprend du bas vers le haut les faciès suivants : i) des calcaires noduleux (connus sous le nom de “griotte” pour les calcaires rouges d'âge famennien, Fig. 9C, cf. Le Dévonien supérieur de la Montagne Noire : ses calcaires griottes, sa carrière de Coumiac avec sa dalle à goniatites et son GSSP Frasnien-Famennien, Saint-Nazaire-de-Ladarez et Cessenon-sur-Orb, Hérault) ; ii) des radiolarites noires à nodules phosphatés (appelées aussi “lydiennes”) à la base du Tournaisien (Fig. 9D) ; iii) des calcaires noduleux blancs et des calcaires siliceux ; iv) des alternances de grès et de pélites (Fig. 9E) avec des intercalations de conglomérats intraformationnels (Fig. 9F), ce sont des turbidites du Viséen supérieur au Serpukhovien (ou Namurien). Pour une description récente et détaillée, voir Vachard et al. 2017 dans la revue Géologie de la France.
Les calcaires noduleux sont généralement interprétés comme des dépôts de pente instable parcourue par de forts courants sous-marins. Ces faciès sont comparables au faciès “ammonitico rosso”, ou marbre de Guillestre, du Jurassique supérieur du domaine briançonnais des Alpes (cf. Le "marbre griotte" jurassique supérieur du Briançonnais, dit "marbre de Guillestre", et ses ammonites). La présence de radiolarites indique une profondeur importante du bassin, sans doute supérieure à 2000 m, sous la CCD (calcite compensation depth), même si cette limite dépend aussi du climat (température de l'eau de mer, upwellings…). La sédimentation terrigène caractérisée par des conglomérats intraformationnels à galets de calcaire ou de radiolarite, des plis synsédimentaires (ou slumps) et des olistolithes (ou blocs) de toutes tailles, du décimètre au kilomètre, de calcaire, grès, rares roches volcaniques au sein des turbidites indique une sédimentation contrôlée par des instabilités gravitaires sur des pentes. Les « écailles de Cabrières » sont aussi des olistolithes kilométriques transportés par des glissements gravitaires sous-marins du Nord vers le Sud et resédimentés dans le flysch. On parle alors d'olistostrome (Fig. 10A).
Cette même succession lithologique Dévono-Carbonifère se retrouve depuis le versant Sud de la Montagne Noire jusque dans les Pyrénées centrales en passant par le massif du Mouthoumet et les Pyrénées Orientales, mais il existe un diachronisme des phénomènes tectono-sédimentaires puisque les turbidites sont de plus en plus jeunes du Nord-Est vers le Sud-Ouest. Le passage de la sédimentation de plateforme carbonatée au Dévonien à des dépôts terrigènes syn-orogéniques au Viséen supérieur-Serpukhovien correspond à un approfondissement du bassin lors de l'arrivée des plis couchés. Nonobstant, les turbidites du Viséen supérieur-Serpukhovien sont aussi impliquées dans la tectonique en plis couchés du versant Sud. Ce dispositif est classique dans les chaines de montagnes dans lesquelles les bassins d'avant-pays s'approfondissent sous l'effet de la surcharge due à la mise en place de nappes dans un domaine plus interne de la chaine. On parle de bassin flexural (Fig. 10B).
Les bassins intramontagneux du Carbonifère supérieur (Gzhélien ou Stéphanien)
Dans le Massif Central, les dépôts du Carbonifère supérieur, représentés par des grès et conglomérats fluviatiles à passées de charbon, se trouvent dans de petits bassins : Saint-Étienne, Decazeville, Montluçon, Alès…, dans lesquels les couches de houille ont été exploitées jusqu'au milieu du XXe siècle. Ces bassins, dits “intramontagneux”, car situés au cœur de la chaine, sont d'anciens lacs ou des tronçons de rivière. En Montagne Noire, ces roches détritiques remanient des granites et des roches métamorphiques. Dans le versant Sud, il n'existe que le petit bassin de Roujan-Neffiès près de Pézenas. Dans le versant Nord, le bassin houiller de Graissessac est un demi-graben dont le remplissage est contrôlé par la faille normale située sur la bordure Sud du bassin (Fig. 2) (cf. Couches de charbon dans un bassin de type limnique, ou encore Fossiles de troncs d'arbres dans une couche de charbon). Il se forme lors de la phase d'extension post-orogénique varisque.
La déformation ductile en plis couchés kilométriques des séries sédimentaires du versant sud
Dans les années 1960, le versant Sud de la Montagne Noire a été l'un des premiers sites français dans lequel les méthodes de la microtectonique ont été mises en œuvre par M. Mattauer et F. Arthaud pour résoudre des problèmes de grande tectonique d'échelle crustale. Cette école de terrain exceptionnelle a formé des générations de géologues structuraux. L'analyse structurale repose sur l'application du principe d'homologie selon lequel les petites structures reflètent les grandes structures. Il s'agissait, en premier lieu, de déterminer la vergence (ou sens de déversement) des plis couchés, considérés par B. Gèze comme déversés du Sud vers le Nord, et en second lieu, d'établir les relations entre les mégastructures et la linéation d'allongement. Ces deux aspects sont examinés ci-dessous.
Schistosité et plissement
La schistosité est une surface (souvent un plan) d'anisotropie qui confère à la roche un débit prédominant (schisteux ou ardoisier). Si on connait la polarité stratigraphique, c'est-à-dire le haut et le bas d'une strate, les relations entre la surface de stratification (S0) plissée et la surface de schistosité (S1) permettent de déterminer la vergence du pli (Fig. 11A, 12A). Le comportement mécanique (ou rhéologique) des roches contrôle la formation de la schistosité. Un exemple classique est la réfraction de schistosité (Fig. 11B).
L'application de cette règle simple permet de démontrer que les séries renversées du versant Sud de la Montagne Noire se sont déplacées du Nord vers le Sud au-dessus d'un autochtone ou para-autochtone lui-même déversé vers le Sud. Ce mouvement tectonique est en accord avec les déformations syn-sédimentaires des turbidites du Carbonifère (cf. chapitre précédent). On peut ainsi observer en Montagne Noire le passage entre la tectonique superficielle syn-sédimentaire dans le bassin d'avant-pays Viséen-Serpukhovien et la tectonique profonde ductile sous le front de schistosité. L'examen de la zone axiale montera le passage en profondeur vers les déformations synmétamorphes.
Quelques cas plus complexes
Les exemples suivants montrent que les relations S0/S1 doivent être appliquées avec précaution.
a) Plis en tête plongeante. Dans l'unité des Monts de Faugères, les plis synschisteux ont un plan axial incliné vers le Sud, dans le sens du déversement des plis. Les relations S0/S1 illustrées ci-dessus restent applicables, mais le style des plis est légèrement différent, on parle de “tête plongeante” (Fig. 12D).
b) Pli surdéversé. Dans le pli couché inférieur (du Mont Peyroux), près de Roquebrun, on observe aussi des plis synschisteux dont les relations S0/S1 semblent indiquer un déversement vers le Nord. Ce qui est peu plausible dans le contexte géologique de la Montagne Noire. L'interprétation retenue est de considérer que la schistosité est contemporaine d'un pli déversé vers le Sud mais qui affecte une série déjà renversée. Il s'agit donc d'un surdéversement (Fig. 12E).
Les plissements superposés
La coupe du pli couché inférieur permet aussi d'analyser des plissements superposés à toutes les échelles. Sur l'affleurement, on observe des plis droits (P2) replissant des plis isoclinaux (P1) antérieurs (Fig. 12B). Ici l'observation est facilitée par l'absence de schistosité, mais on connait aussi des cas où des plis isoclinaux P1 sont replissés par des plis droits synschisteux P2 (Fig. 13). À l'échelle kilométrique, la série sédimentaire renversée du pli couché inférieur est replissée par des antiformes et synformes droits d'axe NE-SW. Il s'agit aussi de plis P2.
Remarque
Dans un anticlinal (respectivement, synclinal), les terrains les plus anciens se situent au cœur (respectivement, au bord) du pli. Dans un antiforme (respectivement synforme), les flancs convergent vers le haut (respectivement le bas) de la structure. Ainsi les long de la coupe de l'Orb (Fig. 4 et 5), on observe le synforme de Roquebrun et l'antiforme de Vieussan qui sont en réalité, respectivement, un anticlinal et un synclinal.
L'existence de plis couchés dans les domaines externes (c'est-à-dire pas ou peu métamorphiques) des orogènes n'est pas rare. Dans les Alpes, ces structures sont connues en Savoie et en Suisse où elles ont été décrites sous le nom de « plis helvétiques » ou « nappes helvétiques ».
Le problème de la linéation dans le versant Sud de la Montagne Noire
Un des grands apports de la microtectonique a été de montrer que la linéation d'allongement (ou d'étirement) des roches déformées ductilement pouvait être considérée comme la direction de transport de la matière car, à l'échelle des vitesses de déformation géologiques, les roches se comportent comme des fluides visqueux qui peuvent fluer. Par conséquent la direction de la linéation d'allongement et le sens de cisaillement associé devrait indiquer la direction et le sens de mise en place des plis couchés (Fig. 14). Cette relation entre microstructures et mégastructures a été démontrée dans les plis helvétiques des Alpes. Or, en Montagne Noire, la linéation d'allongement qui s'observe dans toutes les unités (plis couchés et para-autochtone) est orientée Nord-Est – Sud-Ouest (N50E à N80E), c'est-à-dire proche des axes des plis couchés. Ce problème a attiré l'attention des géologues depuis longtemps.
Dans la coupe de l'Orb, la linéation d'allongement, tout comme la schistosité qui la porte, apparait à partir du village de Ceps et se développe vers le Nord (Fig. 5). Cette linéation est marquée par l'étirement de galets dans les conglomérats, de nodules dans les calcaires ou de fossiles (crinoïdes, goniatites, radiolaires, Fig. 9C et 12D). Elle s'accompagne de cristallisations fibreuses de quartz en zones abritées (pressure shadows) autour de clastes et par l'apparition de mica blanc (séricite). Dans l'état actuel des connaissances, on considère que la linéation Nord-Est – Sud-Ouest de la partie Nord du versant Sud s'est formée en même temps que le dôme de la zone axiale (cf. chapitre suivant) et se surimpose aux plis couchés. Il faut mentionner que dans la partie méridionale du pli couché supérieur (ou unité de Camplong-Poussarou, Fig. 2) il existe un allongement subméridien peu marqué qui pourrait être attribué à la déformation contemporaine de la mise en place des plis couchés. D'une manière générale, dans le versant Sud, une linéation Nord-Sud contemporaine de la formation des plis couchés est très faiblement développée.
La mécanique du plissement
La formation de plis couchés kilométriques demeure une question mal comprise en tectonique. En effet, il est difficilement concevable que les séries sédimentaires déposées horizontalement puis renversées sur près de 15 km aient été verticalisées “en bloc”, simultanément avant d'être renversées. Il faut donc considérer que le renversement des couches s'est propagé à la manière d'un tapis qui se plisse et se renverse peu à peu. Ceci implique que toutes les couches se sont progressivement enroulées en passant par la charnière des plis, puis se sont déroulées pour devenir à l'envers. Un tel mécanisme requiert des déformations importantes et irréversibles des roches à toutes les échelles, mais en Montagne Noire, elles ne sont pas observées. Néanmoins les expériences analogiques conduites par J. Malavieille montrent qu'un tel mécanisme est possible, mais le détail des processus dans les matériaux naturels reste inconnu.
Une autre question actuellement sans réponse concerne le flanc normal du pli couché inférieur. Ainsi qu'on peut l'observer dans le panorama de la rive droite de l'Orb à Vieussan (Fig. 15), la base du pli couché supérieur, formé des séries renversées du Cambrien et de l'Ordovicien, est jalonnée par des boudins de calcaire dévonien, appelée “queue de cochon” par B. Gèze à cause de son aspect cartographique. Sous ce contact tectonique, la série renversée de l'Ordovicien appartient au pli couché inférieur. Il faut donc considérer que soit tout le flanc normal du pli couché inférieur s'est enroulé puis déroulé pour former le flanc inverse, soit celui-ci a été partiellement érodé pour donner les olistolithes du bassin d'avant-pays et/ou cisaillé vers le Sud. Dans ce cas, il se trouverait sous la plaine du Languedoc (Fig. 16).
En conclusion, dans le versant Sud de la Montagne Noire, l'analyse microtectonique permet de préciser l'architecture des séries sédimentaires renversées et déformées en plis couchés plurikilométriques sur environ 15 km, mis en évidence par la cartographie. Le déversement des plis couchés est du Nord vers le Sud. Cette déformation correspond à la première phase de déformation (D1) de la Montagne Noire. Mais il existe une deuxième phase de déformation D2, bien développée dans la partie Nord des plis couchés. À l'échelle de l'affleurement, D2 se caractérise aussi par une linéation minérale et d'étirement Nord-Est – Sud-Ouest. Les plis droits, observés à toutes les échelles, d'axe Nord-Est – Sud-Ouest et qui reprennent les séries déjà renversées par les plis couchés D1, appartiennent aussi à la phase D2. Toutes les structures D2 sont contemporaines de la formation du dôme de la zone axiale dont l'étude fait l'objet de la partie suivante de cet article.
La fusion partielle de la croute continentale dans le dôme migmatitique de la zone axiale
La structure en dôme de la zone axiale est reconnue depuis B. Gèze (1949). Il s'agit d'une structure elliptique avec un grand axe de 60 km, orienté Nord-Est – Sud-Ouest, et un petit axe d'environ 20 km. La régularité de la forme cartographique elliptique du dôme est interrompue par la faille inverse de Mazamet qui est une structure datée de l'Éocène due à la formation des Pyrénées. L'altitude de la zone axiale, plus élevée que pour le versant Sud, et les fortes influences atlantiques, font que les conditions d'affleurement sont nettement moins bonnes que pour le versant Sud. Cependant, la partie Sud-Est, et tout particulièrement la région des gorges d'Héric, présente des affleurements d'exception. La zone axiale est parfois subdivisée en plusieurs massifs : i) Nore au Sud de Mazamet, ii) Agoût autour de La Salvetat, iii) Espinouze à l'Est, et iv) Caroux au Sud-Est.
La diversité lithologique
Dans la zone axiale, on reconnait plusieurs grands types de roches métamorphiques et plutoniques. Ici on retiendra les ensembles suivants.
- Des roches orthodérivées : métagranites (orthogneiss), amphibolites foliées et métamorphisées (Fig. 17A).
- Des séries métamorphiques paradérivées (issues de sédiments) : micaschistes, paragneiss, marbres, gneiss à silicates calciques (Fig. 17F, G).
- Des roches plutoniques : granites à deux micas (± grenat), granite à cordiérite du Laouzas, pegmatites, etc (Fig. 17E).
En outre, il faut distinguer les migmatites (souvent à sillimanite et cordiérite, Fig. 17C, D) qui sont des roches partiellement fondues formées à partir des divers protolithes ortho- ou para-dérivés. Le passage entre les gneiss, les migmatites et les granites d'anatexie est progressif. Lorsque le taux de fusion est important, la roche se rapproche d'un granite et l'identification du protolithe peut devenir délicate. La formation des migmatites est très dépendante de l'augmentation de température et à ce titre ces roches peuvent être considérées comme le terme ultime d'un métamorphisme de haute température.
Les orthogneiss, très répandus, sont des granites déformés et métamorphisés. Il est maintenant bien établi que les orthogneiss de la zone axiale, comme tous ceux du Massif Central, dérivent de plutons granitiques, de l'Ordovicien (entre 470 et 450 Ma) ou plus rarement du Cambrien (vers 550 Ma). Il est donc clair qu'ils ne représentent pas un socle précambrien comme cela avait été supposé. Ces plutons, souvent porphyriques, sont donc quasi-contemporains ou légèrement plus jeunes que les formations terrigènes de l'Ordovicien inférieur observées dans le versant Sud, mais ils représentent la manifestation magmatique profonde du même phénomène de rifting de la marge Nord-gondwanienne. L'âge des protolithes des séries métamorphiques paradérivées n'est pas connu, il est bien sûr antérieur à l'âge des plutons. Les métapélites et métagrauwackes sont probablement du Néoprotérozoïque ou du Cambrien, pro parte équivalent à la formation de Marcory. Les niveaux de marbre seraient comparables aux calcaires du Cambrien.
L'examen de la carte géologique de Montpellier au 1/200 000 (Fig. 2) montre la disposition en enveloppes concentriques avec une enveloppe externe micaschisteuse, une enveloppe interne gneissique, et un cœur migmatitique et granitique. Contrairement aux plutons dont le contact avec l'encaissant est net, le passage entre les migmatites et le granite à cordiérite du Laouzas est progessif. On parle de « granite à bords diffus » ou granite d'anatexie. La fusion étant rarement totale, il existe au sein des migmatites de nombreuses restites qui correspondent aux roches réfractaires ayant totalement ou partiellement échappé à la fusion. La cartographie détaillée des restites dans les migmatites de la zone axiale fait apparaitre de nombreuses bandes de métapélites, de quartzites ou de marbres pouvant, selon M. Demange, représenter des plis hectométriques à kilométriques.
La structure polyphasée
La coupe classique des gorges d'Héric qui se situe dans la continuité septentrionale de la coupe de l'Orb, permet d'avoir une bonne idée de la structure du massif du Caroux (Fig. 5 et 7). Les orthogneiss œillés, ou métagranites ordoviciens déformés, y sont très développés. Plus au Nord sur la même coupe, affleurent des paragneiss et des micaschistes qui correspondent à l'encaissant des granites. De rares masses d'amphibolites à grenat chloritisé se révèlent être des éclogites très rétromorphosées formées à partir de filons basiques également d'âge ordovicien. Les gneiss sont recoupés par de nombreux filons de granite et de pegmatite plissés ou boudinés. Cette coupe ne montre pas de migmatites ou de granites d'anatexie mais on en trouve des blocs dans le ruisseau d'Héric.
La foliation des roches métamorphiques, d'abord à fort pendage Sud, devient presque horizontale vers le Nord. Elle permet de reconnaitre la mégastructure kilométrique en antiforme du massif du Caroux. La coupe des gorges d'Héric montre donc un granite ordovicien et son encaissant pélitique, respectivement transformés en orthogneiss et en micaschiste puis plissés en antiforme (Fig. 4). La foliation porte plusieurs types de structures linéaires. On distingue : i) une linéation d'étirement bien marquée par l'allongement des “yeux” des orthogneiss qui sont des mégacristaux de feldspath potassique du granite initial ; ii) une linéation minérale, car les minéraux constitutifs des gneiss (par ex. biotite) sont recristallisés dans une direction préférentielle ; iii) une linéation de crénulation, car la surface de foliation est microplissée à l'échelle millimétrique ou centimétrique. Toutes ces linéations sont parallèles et orientées Nord-Est – Sud-Ouest. La cinématique indiquée par l'asymétrie des yeux feldspathiques est ambigüe. Un sens dextre semble souvent exprimé (Fig. 17A), mais des critères de cisaillement senestre sont également présents.
La foliation est déformée par deux phases de plissement. La première D1 est représentée par des plis isoclinaux (P1) bien visibles dans les micaschistes (Fig. 17F). La seconde D2 replisse la foliation et les plis isoclinaux P1 en plis droits P2 d'axes Nord-Est – Sud-Ouest (Fig. 17G). La linéation de crénulation, parallèle aux axes des plis P2, est contemporaine de la déformation D2. Les nombreux plis droits formés durant la déformation D2, caractérisés par des axes Nord-Est – Sud-Ouest déforment aussi les filons granitiques. Certains filons sont plissés avec les mêmes axes et des plans axiaux subverticaux. En outre, d'autres filons sont boudinés selon la direction Nord-Est – Sud-Ouest (Fig. 18). Cette observation permet de bien réaliser qu'une même phase de déformation (ici D2) peut s'exprimer dans l'espace par différentes structures. Dans le cas de la zone axiale, un raccourcissement Nord-Ouest – Sud-Ouest et un allongement Nord-Est – Sud-Ouest contemporains vont permettre à la fois le plissement et le boudinage des filons selon leur orientation initiale.
Ainsi, l'interprétation structurale la plus simple de la zone axiale de la Montagne Noire est de considérer qu'elle résulte de deux événements principaux. La phase D1 est responsable de la formation de plis isoclinaux, équivalents profonds des plis couchés observés dans les séries sédimentaires. L'événement D2 est responsable du “doming” de la zone axiale dans des conditions de haute température pouvant aller jusqu'à l'anatexie. Les hypothèses sur la formation du dôme de la zone axiale sont présentées ci-dessous. Les phases D1 et D2 sont respectivement contemporaines des plis couchés et des plis droits du versant Sud.
L'évolution métamorphique
Comme la déformation, l'évolution métamorphique de la zone axiale est polyphasée. Dans l'enveloppe externe, on constate l'apparition successive de porphyroblastes de biotite, grenat, andalousite, cordiérite dans la foliation (Fig. 19B). Les isogrades de ces minéraux index des micaschistes se disposent en lignes concentriques en accord avec la structure en dôme. Il faut noter que la chlorite et la biotite apparaissent déjà au Sud de l'enveloppe micaschisteuse du dôme, dans les roches sédimentaires du para-autochtone et de la partie la plus septentrionale des plis couchés ce qui montre bien l'antériorité de ceux-ci par rapport au dôme. La proximité des isogrades (biotite, grenat, cordiérite, andalousite, sillimanite) indique un important gradient de température. Avant d'atteindre la fusion, les orthogneiss s'enrichissent en muscovite et sillimanite. L'anatexie crustale donnant naissance aux migmatites est progressive du fait de l'augmentation de température et aussi selon l'importance des fluides. Ainsi, le métamorphisme le mieux représenté dans la zone axiale est un événement de haute température/basse pression (HT/BP) allant jusqu'à la fusion crustale avec formation de migmatites puis de granites d'anatexie.
Dans les migmatites, on rencontre des masses restitiques de métapélites à biotite-grenat-sillimanite-cordiérite, appelées kinzigites (Fig. 19C). Il s'agit de granulites de basse pression correspondant aux minéraux réfractaires non fondus alors que les liquides silicatés ont migré pour produire les migmatites et les granites d'anatexie.
Par ailleurs, certaines roches basiques comme celles observées dans les gorges d'Héric, sont des éclogites, le plus souvent rétromorphosées en amphibolites, dans lesquelles le grenat et l'omphacite sont parfois reconnaissables (Fig. 19A). Les protolithes de ces roches sont des roches basiques d'âge ordovicien contemporaines du plutonisme granitique. Ces éclogites ne sont pas compatibles avec le métamorphisme de HT/BP, mais témoignent d'une évolution antérieure dans des conditions de haute pression-moyenne température (HP/MT). On peut supposer que les orthogneiss et une partie de leur encaissant ont également connu les conditions d'un métamorphisme de HP/MT, mais les minéraux caractéristiques ont entièrement disparu lors de l'évolution métamorphique ultérieure.
Dans les protolithes pélitiques de l'enveloppe externe, on rencontre aussi des porphyroblastes de grenat, staurotide, et plus rarement de disthène, formés lors d'une évolution prograde, c'est-à-dire à pression et température croissantes. Cette évolution est antérieure au métamorphisme de HT/BP. Elle est à rapporter à l'histoire précoce, précédant le dôme de la zone axiale. Les micaschistes de l'enveloppe externe ne sont jamais migmatitiques.
En conclusion, on peut donc identifier deux grandes étapes métamorphiques dans la zone axiale. Un premier évènement de haute pression/moyenne température (HP/MT), préservé uniquement sous forme de reliques, est surimposé par un second évènement de haute température-basse pression (BP/HT). Bien qu'encore préliminaires, les études thermo-barométriques permettent de tracer des trajets P-T pour les différentes lithologies (pélitiques, quartzo-feldspathiques, basiques) selon leur position au sein du dôme de la zone axiale (Fig. 20). Le trajet prograde des éclogites n'est pas documenté. Les conditions thermo-barométriques du climax métamorphique à 725±25°C et 1,4 GPa (Whitney et al. 2015) sont probablement plus réalistes que celles établies par Demange (1985). L'âge de la migmatisation reste encore débattu (voir paragraphe suivant consacré aux contraintes géochronologiques).
Par ailleurs, l'étude de la cristallinité de la matière organique par spectrométrie Raman est une méthode récemment utilisée pour estimer la température des roches faiblement métamorphiques. Une telle étude a été conduite dans les roches sédimentaires pélitiques du versant Sud. Les résultats montrent un gradient thermique décroissant du Nord-Ouest vers le Sud-Est (Fig. 21). Les isothermes suivent la géométrie du dôme de la zone axiale et ne sont pas modifiés par les structures de nappes du versant Sud (Fig. 22). Ce résultat montre que la température maximale enregistrée par la matière organique, même à grande distance de la zone axiale, est influencée par les événements thermiques post-nappe.
Contraintes géochronologiques
Plusieurs études récentes apportent des données radiométriques sur les granites et les roches métamorphiques de la zone axiale. Toutes les méthodes employées, U/Pb sur zircon et sur monazite, U-Th/Pb chimique sur monazite, Ar/Ar sur micas, Rb/Sr ou Sm/Nd sur roche totale, indiquent des âges du Carbonifère (Viséen à Gzéhlien). Il existe cependant des différences d'âge importantes selon les minéraux datés et les méthodes mises en œuvre.
Les granites à biotite et muscovite tardi- à post- migmatitiques permettent de contraindre la limite supérieure de la migmatisation. Des datations ICP-MS U-Pb sur monazite des granites des Martys, du Soulié et d'Anglès (Fig. 2) donnent respectivement des âges de 314±4 Ma, 306±4 Ma, et 305±1 Ma (Trap et al., 2017), plus récents que les âges chimiques U-Th/Pb sur monazite compris entre 325 et 318 Ma (Faure et al. 2010). Dans l'Est de la Montagne Noire, le granite du Vialais qui recoupe les migmatites a fourni plusieurs âges sur zircon et monazite : 327±5 Ma sur zircon (U/Pb ; Matte et al., 1998), 320±3 Ma sur monazite (U-Th/Pb ; Faure et al., 2010), et de nombreuses dates U/Pb ICP-MS, 315±11 Ma, 304±2 Ma, 303±10 Ma, 301±2 Ma, 299±4 Ma, sur zircon et monazite (Roger et al., 2015).
Les migmatites et les granites d'anatexie à cordiérite du Laouzas donnent également des âges U-Pb, par la méthode ICP-MS sur monazite, à 312±2 Ma, 307±2 Ma, 305±2 Ma, et 302±2 Ma (Trap et al., 2015) identiques à ceux des granites qui les recoupent. Des âges chimiques U-Th/Pb sur monazite sont nettement plus anciens, compris entre 333±7 et 325±7 Ma (Faure et al., 2010).
Des mesures non isotopiques (U-Th/Pb) sur les monazites des micaschistes et des kinzigites indiquent deux groupes d'âges à environ 320 Ma et 355-340 Ma (Faure et al., 2014). Des âges ICP-MS sur monazite de micaschistes à biotite-grenat-staurotide de l'enveloppe du dôme fournissent des âges à 312±2 Ma et 309±3 Ma (Trap et al., 2017). Les âges 39Ar/40Ar obtenus sur des micaschistes similaires de l'enveloppe du dôme sont compris entre 300 et 290 Ma (Maluski et al., 1991).
Enfin, les blocs d'éclogite inclus dans les migmatites ont donné des âges U/Pb respectivement sur zircon et rutile à 314 et 311 Ma (Faure et al., 2014, Whitney et al., 2015) et un âge Sm/Nd à 357±9 Ma (Faure et al., 2014). Ces âges sont diversement interprétés. Certains auteurs considèrent que le métamorphisme de haute pression se produit vers 315 Ma, c'est-à-dire en même temps que la migmatisation. Mais d'autres auteurs considèrent que l'âge du métamorphisme est plus ancien, vers 350 Ma, et que les âges jeunes reflètent les événements thermiques (magmatiques et métamorphiques) et possiblement aussi des circulations hydrothermales. Cette seconde interprétation est privilégiée ici car il parait difficile de produire simultanément et au même endroit, des roches de HP et des roches de HT. Un diachronisme des événements métamorphiques s'accorde mieux avec la déformation polyphasée décrite plus haut.
En outre, le rôle des processus hydrothermaux ne doit pas être sous-estimé. Des datations U-Pb sur monazite et zircon de la bordure mylonitique d'un granite à biotite (pluton de Montalet, Fig. 17E) donnent des âges à 295 Ma (Permien). Les images en cathodoluminescence des zircons datés par ICP-MS par la méthode U-Pb (Fig. 23) montrent que les âges à 295±3 Ma sont obtenus sur des surcroissances de zircons ayant des cœurs à 321±3 Ma (Poilvet et al., 2011). Une interprétation est que l'âge permien des surcroissances correspond au magmatisme granitique.
Une autre interprétation est que lors de la mylonitisation, le granite de Montalet, daté sur zircon à vers 324 Ma plus au sud (Faure et al., 2011), a connu un événement hydrothermal responsable des surcroissances des zircons. L'âge à 295 Ma est celui d'un jeu permien de la faille des Monts de Lacaune mais pas celui du magmatisme.
Ce panorama des données géochronologiques récentes de la zone axiale montre bien les problèmes posés par l'interprétation des données analytiques de plus en plus nombreuses et précises. De nombreux paramètres, température de blocage, taille de grain, taux de diffusion des éléments radiogéniques, etc, influent fortement sur les âges obtenus qui doivent être interprétés avec prudence. Fréquemment, l'âge obtenu est celui de la fermeture du chronomètre isotopique ou celui de circulations fluides et pas nécessairement celui de la cristallisation du minéral. Une discussion approfondie de cette question fondamentale sort du cadre de cet article. Dans l'état actuel des connaissances, la chronologie relative est bien contrainte mais des efforts restent à faire pour mieux comprendre la signification des nombreuses données radiométriques.
Les mécanismes du doming
La zone axiale a fait l'objet de nombreuses interprétations tectoniques. Quatre grands types de modèles peuvent être retenus (Fig. 24).
- Modèle diapirique (Fig. 24A). Ce premier modèle initialement proposé par Schuilling (1962) et repris ensuite (Faure et Cotterau, 1988 ; Soula et al., 2001 ; Charles et al., 2009), propose que la mise en place des migmatites serait contrôlée par leur faible densité et le contraste de viscosité avec l'encaissant métamorphique. L'ascension des roches fondues est donc favorisée par leurs propriétés rhéologiques. Les structures résultant de la déformation D2 seraient pro parte dues à la pression horizontale crée par la cristallisation des roches fondues.
- Modèle extensif (Fig. 24B). Dans les années 1990, la tectonique extensive dans les orogènes était très populaire. À l'instar des basins and ranges des USA, la zone axiale a été interprétée comme un “metamorphic core complex” ou “dôme extensif”. La faille de Graissessac serait une faille normale ductile à faible pendage, ou faille de détachement, qui permettrait l'exhumation des zones profondes (Van Den Driessche et Brun, 1992 ; Brun et Van Den Driessche, 1994).
- Modèle compressif (Fig. 24C, D). Une autre hypothèse considère que les foliations à fort pendage des roches métamorphiques de la zone axiale résulteraient d'un raccourcissement NO-SE et d'un étirement NE-SO simultané. La zone axiale serait donc un anticlinal de foliation (Mattauer et al., 1996).
- Modèle transcurrent (Fig. 24E, F). D'autres auteurs, privilégiant les linéations NO-SE du dôme, proposent que les migmatites de la zone axiale se mettraient en place dans un pull-apart dextre orienté NE-SO, associé à un raccourcissement NO-SE, serait responsable de la structure en dôme (Echtler et Malavieille, 1990 ; Franke et al., 2011).
Dans l'état actuel des connaissances, les seules preuves d'extension concernent la faille de Graissessac qui est clairement une structure postérieure au dôme de la zone axiale. Ainsi l'hypothèse extensive pour la mise en place de ce dôme semble la moins convaincante. Tous les auteurs s'accordent sur l'existence simultanée d'un raccourcissement NO-SE et d'un étirement NE-SO pendant la formation du dôme. Par ailleurs, il est évident que la rhéologie et la température élevée des migmatites et des magmas granitiques facilitent une ascension de ces roches fondues au sein d'un encaissant métamorphique solide. Un mécanisme combinant raccourcissement NO-SE, coulissage dextre et diapirisme serait sans doute le plus acceptable mais les proportions relatives de chacun de ces processus restent encore à établir.
Un modèle possible de l'évolution au Carbonifère
Un modèle synthétique de formation de la Montagne Noire à l'échelle crustale est présenté ci-dessous (Fig. 25). Il est bien sûr critiquable par certains aspects, notamment pour les contraintes chronologiques qui restent encore imprécises.
1) Une subduction intracontinentale se produit vers 350-345 Ma. À cette époque, de la Margeride aux Cévennes, le Sud du Massif Central, se caractérise par une tectonique compressive vers le Sud. Dans la croute supérieure sédimentaire, des plis et des chevauchements se développent en progressant du Nord vers le Sud. La croute moyenne est enfouie à des profondeurs suffisantes (environ 50 km, voire d'avantage) pour produire un métamorphisme de HP/BT (métamorphisme M1). Pendant cette subduction continentale, les granitoïdes du Cambrien-Ordovicien sont transformés en orthogneiss (déformation D1).
2) La mise en place des plis couchés du versant Sud se produit entre 330 et 325 Ma. Les séries sédimentaires du Paléozoïque du versant Sud sont structurées en grands plis couchés kilométriques. Une partie de ces séries est resédimentée sous forme d'olistolithes dans le bassin flexural d'avant-pays. Dans la croute moyenne, bien que non documentés, des plis couchés pourraient se développer également dans la zone axiale. Le métamorphisme de HT/BP et la fusion crustale commencent à se développer.
3) La fusion crustale va donner naissance au dôme granito-migmatitique de la zone axiale. Les plis couchés du versant Sud et de la zone axiale sont redéformés par des plis droits (déformation D2) vers 320-31 Ma. Le métamorphisme de HT/BP (M2) et l'anatexie donnent naissance aux migmatites et granites très abondantes dans le dôme de la zone axiale.
Une des questions encore mal résolues dans ce phénomène de fusion crustale est celui de l'origine du flux de chaleur nécessaire pour fondre des volumes importants de roches. Bien que souvent invoquée, la chaleur apportée par les éléments radiogéniques (Th et U) de la croute continentale semble insuffisante. Il faut donc envisager une contribution du manteau asthénosphérique selon des processus mal compris comme la délamination lithosphérique ou « l'érosion convective ». La discussion de ces phénomènes sort du cadre de cet article.
Conclusion
Les observations sédimentaires, structurales, métamorphiques et magmatiques doivent être replacées dans l'histoire géodynamique de la région. L'évolution de la sédimentation pré-orogénique, entre le Néoprotérozoïque supérieur et le Dévonien supérieur, de la Montagne Noire n'est pas détaillée ici. La Montagne Noire, comme la totalité du Massif Central et la partie méridionale du Massif Armoricain et les Pyrénées appartient au Gondwana. Du fait de l'absence de métamorphisme dans le versant Sud, les phénomènes sédimentaires et magmatiques de l'Ordovicien inférieur, illustrent bien le rifting qui sépare le microcontinent Armorica du Gondwana. La discordance du Dévonien inférieur documente l'existence d'une tectonique précoce dans le Nord du Massif Central. L'installation de la plateforme carbonatée dévonienne, caractérisée par les dépôts marins épicontinentaux, montre que la bordure Nord-gondwanienne formait une marge continentale stable. C'est seulement au Carbonifère que ce domaine sera affecté par l'orogenèse varisque.
Malgré des controverses sur l'âge des événements tectoniques, métamorphiques et magmatiques de la zone axiale, l'histoire varisque de la Montagne Noire peut être schématisée en deux grandes étapes. Au cours du Viséen supérieur-Serpukhovien, un raccourcissement crustal important est responsable de l'enfouissement d'une partie des roches du Paléozoïque inférieur et de la formation de plis couchés pluri-kilométriques partiellement syn-sédimentaires. Ultérieurement, lors du Carbonifère supérieur, l'édifice connait un épisode de haute température, allant jusqu'à la fusion crustale.
Par la richesse des phénomènes géologiques observables, la qualité et l'accessibilité de ses affleurements, la Montagne Noire se présente comme une école de terrain exceptionnelle permettant d'appréhender des objets naturels et d'acquérir de solides compétences dans des domaines aussi variés que la sédimentologie, la géologie structurale, la pétrologie endogène ou la géochronologie. Cette région emblématique de la chaine varisque offre l'opportunité de mettre en œuvre une démarche scientifique faisant la part entre les données acceptées par tous et les interprétations qui sont par nature provisoires et en constante évolution.
Cet article est une version légèrement remaniée et mise à jour de l'article La géologie anté-permienne de la Montagne Noire paru dans le Bulletin de l'APBG n°3 de 2015.