Image de la semaine | 12/06/2017
Le "marbre griotte" jurassique supérieur du Briançonnais, dit "marbre de Guillestre", et ses ammonites
12/06/2017
Résumé
Le calcaire griotte du Briançonnais et le faciès ammonitico rosso, un calcaire noduleux utilisé par les marbriers.
De très nombreuses constructions de la vallée de la Durance, entre Briançon et le lac de Serre-Ponçon, sont construites avec un calcaire noduleux de couleur rouge, nommé localement « marbre griotte », ou « marbre de Guillestre », d'âge jurassique supérieur (Kimmeridgien-Tithonien). Dans le Briançonnais, ce faciès forme une couche de 10 à 30 m d'épaisseur. Ce faciès se retrouve largement dans tout le Jurassique supérieur des Alpes internes, en particulier en Italie. À cause de sa couleur et de sa richesse en ammonites, il est souvent nommé « ammonitico rosso ». Un tel faciès se retrouve bien sûr ailleurs que dans le Jurassique alpin. En France, par exemple, on en retrouve dans le Dévonien supérieur de la Montagne Noire ou de l'Est des Pyrénées, les ammonites étant dans ce cas "remplacées" par des goniatites (un de mes anciens professeurs d'université parlait alors de faciès "goniatitico rosso"). La genèse de ce type de faciès est encore sujette à discussion. On peut résumer ce qui fait consensus de la façon suivante : « L'ammonitico rosso est un faciès de calcaires fins, plus ou moins argileux, colorés en rouge par des oxydes de fer (Fe3+), avec une texture noduleuse. Les nodules sont plus carbonatés et assez souvent allongés selon le plan de stratification. De nombreuses surfaces durcies (hardgrounds en anglais) souvent recouvertes d'une patine ferro-manganésienne, dues à de longues périodes immergées mais sans sédimentation, sont présentes dans ces sédiments. L'ammonitico rosso est un exemple typique de série condensée, c'est-à-dire caractérisée par une vitesse de sédimentation très lente, ayant pour conséquence des épaisseurs cumulées de sédiments très réduites sur une longue période de dépôt. Ce faciès témoigne de milieux de dépôts marins relativement profonds (au moins 200 mètres). Malgré sa profondeur, cet environnement est suffisamment renouvelé pour permettre une bonne oxygénation de l'eau, responsable de l'oxydation du sédiment et du développement d'un faune marine diversifiée. L'interprétation classique du milieu de sédimentation de l'ammonitico rosso est un haut fond marin pélagique sur lequel se déposent des calcaires avec des phénomènes de non-dépôt voire de dissolution lorsque la profondeur ou la vitesse des courants augmentent » (d'après wikipedia, modifié).
Ce qui n'est pas encore clair, c'est la genèse des nodules. Ceux-ci peuvent être dus à trois phénomènes, d'ailleurs non incompatibles.
- Il s'agit de nodules engendrés directement par des phénomènes biologico-sédimentaires, avec concentration de carbonates autour de restes d'organismes (ammonites en particulier), d'accumulations bactériennes…
- Il s'agit de couches plus ou moins continues de calcaires et d'argiles, mais couches plus ou moins disloquées juste après la sédimentation par des instabilités gravitaires, des séismes…
- il s'agit de couches plus ou moins continues de calcaires argileux et d'argiles calcaires, des phénomènes de diagenèse exagérant la ségrégation et la séparation argile-carbonate pour engendrer des nodules de carbonate presque pur au sein d'argile presque pure.
Dans le cas du Briançonnais, cette histoire sédimentaire doit être intégrée dans l'histoire paléogéographique de cette zone des Alpes au Jurassique et Crétacé : jusqu'au milieu du Jurassique supérieur, au moment de la formation de la marge continentale séparant l'Europe du futur océan alpin, alors que subsidait et s'amincissait la zone dauphinoise (cf. La faille bordière d'un bloc basculé dans les Alpes : la faille du col d'Ornon, La Chalp, commune de Chantelouve (Isère) et Les failles normales et les mini-blocs basculés des rochers d'Armentier, commune de La Garde, près de Bourg d'Oisans (Alpes)), la région de ce qui est maintenant le Briançonnais ne subsidait pas, et constituait ce qu'on appelle « l'ile briançonnaise ». Ce n'est qu'à partir du Jurassique supérieur que ce Briançonnais a à son tour été immergé, avec sédimentation de 10 à 30 m de calcaire griotte, puis quelques mètres de calcaires tithoniens à calpionnelles, eux-mêmes surmontés d'une grande épaisseur de "marnes" (maintenant schistosées et connues sous le nom de calcschistes) principalement d'âge crétacé supérieur.
On peut noter que le « marbre » de Guillestre », s'il mérite bien le nom de "marbre" pour la profession des marbriers (c'est une roche donnant lieu à de beaux polis) ne mérite pas ce nom de "marbre" pour un géologue, ce terme étant réservé aux calcaires métamorphisés, ce qui n'est pas (ou très peu) le cas du Jurassique supérieur à Guillestre.
Nous allons voir par la suite quelques nouvelles images des ammonites visibles sur les places de Guillestre, quelques vues d'un affleurements naturels de cet ammonitico rosso à Saint Crépin (en fait, une ancienne carrière), et enfin quelques vues des bâtiments de la forteresse de Mont-Dauphin majoritairement construits avec ce "marbre" de Guillestre.
Source - © 2013 D'après Étienne Baudon sur wikimedia, CC3.0 BY-SA | |