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Article | 19/10/2023

La genèse des septarias, nodules énigmatiques

19/10/2023

Bernard Barailler

Ancien membre Club Dauphinois de Minéralogie et de Paléontologie, Ingénieur INP Grenoble

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Modèle de formation des septarias, nodules souvent carbonatés, cloisonnés, issus d'une précipitation puis d'une évolution diagénétique dans les sédiments anoxiques de bassins marins profonds.


Les relations entre les grands réservoirs de la planète ont parfois des conséquences inattendues. Dans les bassins marins profonds, généralement des bassins épicontinentaux sur croute continentale amincie, des gaz remontent issus de la croute terrestre sous-jacente le plus souvent issus de phénomènes diagénétiques et/ou bactériens.

Parmi eux, sur les fonds sédimentaires, le méthane entre en réaction avec les sulfates via des bactéries dans ce qu'on appelle la Sulfate Methane Transition Zone (SMTZ). Ces réactions provoquent des accrétions carbonatées sous forme de nodules. Ces nodules s'alignent alors sur des horizons diagénétiques marquant une SMTZ stable pendant un temps suffisant pour que ces nodules croissent. La diagenèse précoce de ces nodules va les transformer en géodes emplies de cloisons, appelées septarias – du latin sæptum (septum) : clôture, barrière, enceinte. Ces septarias vont ensuite se fracturer sous le poids des sédiments. Alors les migrations de fluides hydrothermaux vont provoquer en leur sein des cristallisations variées. Ces cristaux sont les témoins de l'histoire géologique de ces paléo-horizons à septarias.


Contexte géologique : « il y a du gaz dans l'eau »

Aujourd'hui, la compréhension des mécanismes d'expulsion de fluides sur le fond des bassins océaniques et marins représente un enjeu à la fois sociétal et fondamental (Berndt, 2005 [1]). Par exemple, avec le moratoire sur son parc nucléaire, le Japon s'est lancé dans l'exploitation des hydrates de méthane des fonds marins. En raison de leur nature (CO2, CH4, H2S, H2…), ces fluides peuvent avoir un impact sur la chimie de l'océan et de l'atmosphère (Judd et al., 2002 [9]) et sont donc directement impliqués dans les bilans géochimiques entre les réservoirs (océan, atmosphère, biosphère). Par ailleurs des études récentes montrent que la concentration à grande échelle des hydrates de gaz ainsi que leur expulsion massive est peut-être responsable de changements climatiques globaux, comme lors de la crise Paléocène (Dickens et al., 1997 [3]) ou l'extinction massive de la limite Permien-Trias. Leur expulsion représente également un risque sur la stabilité des pentes (Ramprasad et al., 2011 [15]) avec des conséquences sur les installations humaines (Elverhøi et al., 2002 [4]).

Ces expulsions de gaz alimentent également de nombreuses communautés chimiosynthétiques sur le fond des océans et bassins épicontinentaux (Sibuet et Olu, 1998 [19]). Elles ont révolutionné notre conception de l'apparition de la vie sur Terre. Des études récentes ont montré que les alignements de septarias dans le milieu fossile pourraient représenter des paléo-horizons de SMI (Sulfate-Methane Interface) responsables de la précipitation de carbonates (voir plus loin). Ces nodules sont souvent des structures carbonatées de forme ovoïdale. On les rencontre le plus souvent dans des marnes noires (réduites, et riches en matière organique). Ils sont par exemple fréquemment dans des couches marneuses du Callovien et de l'Oxfordien des chainons subalpins au niveau du domaine vocontien. On en trouve aussi dans le Silurien des Pyrénées (indication de septarias dans la notice de la carte géologique de Béon), dans le Lias de Lorraine, et dans beaucoup d'autres couches argilo-marneuses déposées dans des conditions anoxiques. La genèse des septarias reste encore relativement incomprise au regard des processus sédimentaires et tectoniques. Elle est probablement liée à l'émanation de méthane (Gay, 2002 [6]). Une diagenèse précoce de la matière organique marine et du méthane, à partir de réactions anaérobies bactériennes, peut aboutir à la formation de concrétions carbonatées. Au niveau climatique, le travail de ces groupes de bactéries permet l'enfouissement de carbone, mais évite surtout des remontées de méthane qui est un puissant gaz à effet de serre (Lloyd et al., 2006 [11]).

Le méthane, source d'énergie des colonies bactériennes

Les nodules de septarias

Un « nid d'abeilles dans un ballon de rugby »

Le terme “septaria” vient du latin sæptum, signifiant cloison, barrière. Une septaria est un nodule de forme ovoïde, en général plus compact que sa roche encaissante. Sa taille varie de quelques centimètres jusqu'à près de trois mètres, comme les Moeraki Boulders de Nouvelle-Zélande (Salomon, 2007 [16]) !

En coupe, un tel nodule présente des fentes qui se rétrécissent vers la périphérie et “cloisonnent” le nodule. Ces fentes peuvent être remplies de vides, de cristaux ou de ciments minéralisés. En coupe, sur la partie externe, on trouve une zonation texturale par couches concentriques.

En termes de composition, les septarias peuvent être à dominante argilo-carbonatée (les plus fréquentes), sidéritique, gréseuse, barytique…

Mais la caractéristique la plus commune aux septarias pourrait être une série de cloisons pseudo-hexagonales sur une structure à symétrie radiale. Ce réseau de cloisons correspondrait de façon imagée à un « nid d'abeilles dans un ballon de rugby ».

Vues d'une septaria, respectivement, externe, interne avec dissolution, en coupe

Dans cet article nous focalisons principalement notre étude sur les septarias argilo-carbonatées du Jurassique sub-alpin (la grande majorité des exemples provenant du bassin vocontien mésozoïque).

Une énigme de la sédimentologie et de la diagenèse

Les septarias sont en général concentrées sur des couches qui suivent les strates des marnes (figure 4). On peut observer des bancs carbonatés entre les strates de marnes et de septarias. Les minéralisations au sein des septarias ne sont pas homogènes. On trouve, hormis un tapissage initial de calcite noire, des zones avec une prédominance d'aragonite-strontianite, d'autres de quartz…

Ces nodules peuvent être séparés ou bien former un agrégat de plusieurs nodules jointifs d'une surface d'environ 10 m².

Paléo-horizons de septarias dans des marnes noires

Agrégat de nodules de type septarias

Les marnes callovo-oxfordiennes de la région d'Orpierre (Hautes-Alpes)

Figure 6. Les marnes callovo-oxfordiennes de la région d'Orpierre (Hautes-Alpes)

On trouve des septarias dans les terrains notés J4 [Callovien supérieur, Oxfordien (et base de l'Argovien)],en bleu-gris à l'Est d'Orpierre (souligné en orange).


L'alternance de bancs de marnes et de bancs calcaires peut être rattachée à des phénomènes connus : cycles de Milankovitch, niveaux de la lysocline et de la CCD, production primaire, pression partielle de CO2… En revanche, expliquer pourquoi sur la strate des septarias, on a des nodules carbonatés durs au sein d'une matrice marneuse plus friable reste une énigme encore aujourd'hui fort débattue pour les sédimentologues.

Deux modèles de genèse des septarias sont présentés dans cet article. Le premier, historiquement proposé par Roger Martin en 1985 [13], est basé sur la décomposition de matière organique. Il soulève néanmoins de nombreuses critiques. C'est pourquoi un nouveau modèle basé sur les remontées de méthane est ensuite détaillé. Sa présentation est simplifiée et reste à vocation pédagogique. Comme toujours en sciences, c'est une tentative de représentation rationnelle du réel à l'instant “t” qui a vocation à être améliorée.

Un ancien modèle de genèse basé sur la décomposition de matière organique

Historiquement, les fluides, comme le méthane, n'entraient pas dans le modèle de genèse des septarias. Celle-ci était expliquée comme étant un travail de bactéries autour de débris d'animaux ou de végétaux (Martin, 1985 [13] ). En effet, on trouve parfois à l'intérieur des septarias des ammonites, par exemple du type Peltoceratoides ou Perisphinctidae, ammonites ayant vécu entre le Bajocien et le Tithonien.

Ammonite Peltoceratoides dans une septaria

Dans ce modèle, leur corps organique se dépose au fond de ce milieu euxinique (réducteur et anaérobie), comme c'est le cas des fluctuations de seuil dans la Téthys alpine, qui affectent la Fosse vocontienne durant le Callovien et l'Oxfordien, il y a 166-157 Ma. Dans le fond de ce bassin de sédimentation callovo-oxfordien, vivent des bactéries anaérobies. Elles vont coloniser et vivre du corps organique qui se décompose progressivement. L'origine des bactéries n'est pas précisée. Le produit de leur métabolisme est de l'ammoniaque (NH3/ NH4+). Dans l'eau de mer, cette production d'ammoniaque crée un déséquilibre local qui est compensé par un apport de carbonates prélevés dans l'environnement.

Premier modèle de genèse des septarias

L'altération et la dissolution des roches carbonatées ou ignées riches en calcium apportent principalement, via les fleuves, un flux d'ions calcium Ca2+ dans l'eau de mer.

H2O + CO2 → H2CO3 (production générale d'acide carbonique à partir de dioxyde de carbone dissous dans l'eau de mer)

NH3 + H2O → NH4+ + OH (décomposition organique localisée et production d'ammoniaque)

H2CO3 + OH → HCO3 + H2O (production d'ions hydrogénocarbonates localisée en pH fort)

2 HCO3 + Ca2+ → CaCO3 + CO2 + H2O (précipitation localisée autour du corps organique)

Lorsque les nutriments de matière organique sont insuffisants, la colonie bactérienne se déplace ou meurt piégée par les carbonates. Elle laisse derrière elle une masse carbonatée, de forme sub-sphérique. Cette boule entoure souvent les restes du corps organique. Ceci explique la présence dans certaines septarias de fossiles. Mais ceci peut également expliquer la présence d'hydrocarbures comme l'évankite, le bitume, les inclusions fluides de pétrole dans les cristaux de quartz… Localement les dépôts de vases très fines qui enserrent ces nodules deviendront, par compaction, des marnes. Ces marnes sont un mélange relativement plus appauvris en calcaire (calcaire 40%, argile 60%).

Ce modèle de genèse des septarias était principalement étayé par le fait qu'on trouve des fossiles comme des ammonites au sein des géodes de type septarias. Cependant, statistiquement, dans certaines zones, on ne retrouve pas de fossiles dans les septarias. À contrario, la présence d'hydrocarbures dans la calcite noire, la barytine noire et les inclusions dans les quartz est quasi-systématique. Par ailleurs, on peut trouver de vastes étendues avec de nombreuses septarias bien cristallisées sans fossiles. L'hypothèse d'une décomposition localisée générant de l'ammoniaque et de l'accrétion carbonatée est donc une explication possible localement, mais n'explique pas le phénomène à grande échelle sur plusieurs km² au niveau d'une strate. Par ailleurs, pourquoi les fossiles vivant sur de longues périodes seraient-ils uniquement ”regroupés” sur certaines strates à quelques centimètres de sédiment près ? Une autre critique de ce premier modèle est la présence de concrétions carbonatées et de septarias durant la période de l'Archéen. Bien avant l'apparition des ammonites ou autres fossiles évolués, les bactéries de l'Archéen formaient déjà des bio-constructions en faisant précipiter de la calcite. Une vie anaérobie était alors présente mais réduite à des formes unicellulaires procaryotes (bactéries et archées).

Des structures carbonatées à l'Archéen

Pour cela, il parait important d'introduire un autre modèle d'accrétion carbonatée, celui-ci à partir de méthane.

Un nouveau modèle de genèse basé sur le méthane, SMTZ et AOM

Ce nouveau modèle est basé sur le méthane. Ce méthane provient de la dégradation de matière organique contenue dans les sédiments sous l'interface eau-sédiment. Il peut être biogénique ou thermogénique. Il peut être transporté sur de longues distances par des paléo-chenaux. Il percole dans les zones sédimentaires faillées. La vie est un processus d'auto-organisation qui nécessite de l'énergie. Cela peut être des réactions d'oxydoréduction près des fumeurs noirs ou blancs (chauds) des dorsales médio-océaniques. Mais il y a très peu de sédimentation au niveaux des dorsales, et bien peu de marno-calcaires. Cela peut être aussi l'énergie des fumeurs froids sur les talus continentaux, et sur le fond des bassins sédimentaires profonds… Ici, la source d'énergie est le méthane pour les bactéries (ou archées) méthanotrophes qui sont la base d'écosystèmes particuliers.

La SMTZ (Sulfate-Methane Transition Zone) est une zone située dans les sédiments marins où coexistent le méthane et le sulfate à concentrations équivalentes. La concentration de sulfate diminuant avec la profondeur et la concentration de méthane augmentant avec celle-ci, la SMTZ se trouve à la profondeur où ces deux concentrations cohabitent.


L'AOM (Anaerobic Oxydation of Methane) est le métabolisme dominant utilisé par les micro-organismes de la SMTZ. Le méthane est oxydé par les sulfates grâce à l'action des bactéries suivant la réaction suivante :

SO42− + CH4 → HS + HCO3 + H2O + Q (énergie utilisable par des micro-organismes).

L'ion hydrogénocarbonate va pouvoir ensuite réagir pour former du carbonate de calcium :

2 HCO3 + Ca2+ → CaCO3 + CO2 + H2O.

La remontée de méthane permet des concentrations élevées de ce dernier dans les couches supérieures des sédiments relevant ainsi le niveau de la SMTZ. L'AOM et donc la précipitation de carbonates se produisent alors près de la surface.

Il peut y avoir des formations de cheminées carbonatées favorisant la remontée de méthane (figure 114 de Gay 2002 [6]). D' autre part, ce métabolisme n'est plus limité par la concentration de méthane mais par celle des sulfates qui est, elle, bien plus importante en surface. Ceci augmente donc considérablement l'activité de ces organismes, qui vont pouvoir coloniser des nucléus pour ensuite former des nodules par précipitation de carbonate de calcium.

Enfin, sur le terrain, on voit des strates à septarias, puis plus rien sur les niveaux inférieurs, puis de nouvelles strates. Ceci suggère des remontées cycliques de méthane. L'aspect cyclique des strates à septarias impliquerait, dans l'ancien modèle, une fourniture de matière organique d'origine pélagique discontinue et plus importante durant ces épisodes.

Ce deuxième modèle n'exclut pas le premier. Il le complète au niveau de la genèse des bactéries et le généralise à la création des septarias sans débris de fossiles. Le premier modèle devient alors juste un cas particulier du second. Ce qui est classique en science.

Les étapes de la genèse des septarias

Les septarias présentent des fentes de retrait et des fractures. Ces nodules sont remplis le plus fréquemment de cristallisations de calcite, de dolomie et de quartz. Voici un modèle de genèse des septarias en 6 étapes.

Formation du nodule

Un nodule de type septaria se crée par accrétion carbonatée grâce à une colonie bactérienne qui se développe en tirant son énergie du méthane dans la SMTZ. Ceci peut expliquer les couches concentriques externes du nodule. La profondeur de la SMTZ est située entre 0 et 150 m sous l'interface eau-sédiment. Dans un bassin profond, la pression à 2 000 m de fond, dans les sédiments de la SMTZ, est de l'ordre entre 20 à 24 MPa, la température y est de l'ordre de 4 à 18°C (Paxton et al., 2021 [14]).


Ces premières concrétions synsédimentaires de calcite ont précipité à partir de fluides dont les valeurs de δ18O correspondent à l'eau de mer de l'époque jurassique (Gauchat, 2002 [5] ; Paxton et al., 2021 [14]).

Arrêt de l'accrétion carbonatée

La croissance du nodule cesse. L'apport de méthane peut être stoppé, en effet l'analyse des strates indique une activité cyclique. L'activité des bactéries peut aussi s'arrêter au niveau du nodule considéré. On peut avoir un déplacement de la colonie. Elle peut aussi mourir, notamment du fait d'un enfouissement trop important. Il est important de noter que, dans ce cas, l'accrétion carbonatée d'un nodule pourrait être une “réaction chimique” relativement rapide au regard des temps géologiques.

Enfouissement du nodule et diagenèse précoces

Avec l'apport et l'empilement de nouveaux sédiments, la zone à septarias se retrouve de plus en plus profondément enfouie. Avec la perte progressive d'eau, une déformation du nodule s'opère formant des fentes de retrait, guidées par la contrainte de compaction locale. Le cœur encore malléable se déshydrate (séparation solide-liquide) avec une expulsion des fluides vers l'extérieur par porosité dans un réseau de fractures. On retrouve des figures de rétractation analogue à certaines argiles (cf. Prismation dans des argiles cuites à la base d'une coulée de basalte, Marjallat (commune de Mazeyrat d'Allier, Haute Loire)).

Une fois mis à l'affleurement (dernière étape nous permettant l'accès aux septarias), le nodule marno-calcaire s'érode parfois plus vite que la calcite remplissant les fentes. Ceci permet alors de voir la structure en nid d'abeilles de ce réseau de fente initialement développé dans une sphère, puis ensuite dans un ellipsoïde après compaction-déformation. Comme pour les boues en dessiccation, on peut avoir une séparation en couches, ce qui permet d'expliquer les fissures radiales que l'on observe parfois dans certaines septarias.

Quand on coupe une septaria par un plan quelconque, les fentes paraissent avoir un caractère aléatoire car la topologie globale d'un nid d'abeilles dans un ballon de rugby est complexe.


Lors de cette diagenèse précoce, la profondeur sous l'interface eau-sédiment est alors de l'ordre de 100 à 300 m. Il y règne une pression comprise entre 22 et 28 MPa et une température comprise entre 10 et 23°C (Paxton et al., 2021 [14] ; Lerouge et al., 2011 [10]).

Dans ces fentes se cristallise lentement une calcite noire millimétrique, noire car riche en hydrocarbures. Il s'agit principalement d'une calcite légèrement magnésienne, (Ca0,97Mg0,03)CO3.

Diffractogramme de la calcite noire

La réaction chimique, bien connue, est la suivante : 2 HCO3 + Ca2+ → CaCO3 + CO2 + H2O (les ions Mg2+ jouent globalement le même rôle que les ions Ca2+).

Il s'agit d'une nucléation secondaire sur les germes que sont les microcristaux de calcite de l'enveloppe carbonatée. Ensuite, il s'effectue à partir de ces germes une croissance compétitive des cristaux de calcite qui va privilégier les cristaux perpendiculaires aux fentes de rétractation (Grigor'ev, 1965 [8]).

Ces franges diagénétiques précoces peuvent également se présenter sous forme d'un ciment brun foncé. Les valeurs δ18O des fluides interstitiels indiquent à nouveau un fluide marin dans des conditions d'enfouissement peu profond. Ceci semble indiquer que lors de la déshydratation du nodule, le fluide interne piégé était de l'eau de mer. Ce fluide était riche en ions calcium et magnésium et en hydrocarbures issus de la décomposition de la partie de la colonie bactérienne restée à l'intérieur. Avec la déshydratation progressive, la concentration en ions augmente jusqu'à franchir le seuil de solubilité. La calcite noire cristallise alors. Elle présente une fluorescence due à la présence d'hydrocarbures.

Diagenèse d'une septaria, vue en coupe, en fonction du temps

Septaria en coupe, diamètre 11 cm, Aude

Fluorescence de la calcite noire dans une septaria de 10 cm, Beauvoisin, Drôme

Détail d'une frange diagénétique sous UV

Il peut parfois y avoir plusieurs épisodes. En effet, on trouve parfois une deuxième couche de calcite plus transparente qui peut être confondue avec la première. Les septarias peuvent avoir leurs fentes entièrement cimentées (figure 15). Elles peuvent aussi comporter des vides avec des cristaux bien exprimés sur leurs parois internes (figure 18).

Septaria, Orpierre (Hautes-Alpes)

Fracturation du nodule sous le poids de la pile sédimentaire

À partir d'un certain seuil d'enfouissement, le poids de la pile sédimentaire sus-jacente induit une fracturation des nodules (fin du comportement élastique du calcaire). D'autres contraintes déviatoriques liées à la tectonique locale peuvent aussi intervenir lors des stades de fracturation. Des stylolithes sont parfois présentes. Lors de cette compaction, les fractures s'initient en général sur les zones de faiblesse initiale, à savoir dans le prolongement des fentes de déshydratation où des vides ont pu se créer. Le liquide initial restant dans le nodule peut alors migrer vers l'extérieur.

Toutefois certains nodules plus compacts peuvent avoir résisté à la fracturation. Ils conservent alors en leur sein les matières organiques. Ceci peut expliquer le fait qu'à l'époque actuelle, lors de l'ouverture de certaines septarias souvent de petite taille, on ait une expulsion d'hydrocarbures sous pression, comme lors de l'ouverture d'une cocotte minute.

Cristallisations

Au sein des septarias, formées sur la calcite primaire noire, on trouve des cristallisations variées : calcite blanche, quartz, dolomie, ankérite, strontianite…

En effet, pour les septarias dont les fractures demeurent ouvertes, des fluides peuvent y circuler et des cristaux apparaitre. Le nodule peut ensuite se sceller à nouveau par précipitation de ciments carbonatés dans la partie mince des fractures. Pour le même paléo-horizon (la même strate à septaria), à 1 m de distance, on trouve par exemple des septarias avec quartz et sans strontianite (SrCO3), et des septarias avec strontianite sans quartz. Cela semble indiquer que les septarias ne sont pas ouvertes toutes en même temps. Certaines bénéficient de remontées de fluides riches en acide orthosilicique. À une autre époque les autres septarias reçoivent des fluides avec en solution des ions strontium Sr2+ et des ions hydrogénocarbonate HCO3.

Les différentes cristallisations trouvées dans les septarias et les informations sur l'histoire géologique déduites de leur étude sont présentées dans un article à part Les cristallisations rencontrées dans les septarias, une diversité minéralogique à l'échelle (pluri)millimétrique.

Mise à l'affleurement des nodules par orogenèse

L'orogenèse affectant les différents massifs proches de ces zones sédimentaires permet d'exhumer ces marnes. L'érosion différentielle fait ensuite apparaitre des vallons encaissés avec des litages de marnes, de concrétions calcaires et de lits à septarias. On voit souvent plusieurs zones à septarias qui montrent qu'il y a eu plusieurs épisodes de remontées de gaz. Parfois, on peut localiser l'origine des remontées de méthane. En effet, un flux quasi-continu va favoriser l'accrétion carbonatée sous la forme de lentilles (figure 19) ou des coalescences de nodules sur une dizaine de m². Des structures carbonatées tubulaires perpendiculaires au litage des marnes canalisent alors le flux de méthane. Une explication de ces “cheminées” pourrait être la présence de failles qui serait la structure drainante principale.

Édifice bioconstruit dans des marnes callovo-oxfordiennes

Conclusion

Une septaria n'est pas un minéral agrée par l'IMA (International Mineralogical Association), c'est un objet géologique particulier. Initialement nid d'une colonie de bactéries attirées par du méthane (ou de la matière organique en décomposition), elle se transforme en une concrétion se déshydratant avec des figures de rétractation et des premières cristallisations internes. Ensuite elle devient un nodule enfoui par les sédiments et subit une pression lithostatique progressive qui finit par la fracturer. Enfin, réceptacle des fluides en migration, elle peut se métamorphoser en une géode où cristallisent par épisodes de nombreux minéraux (cf. Les cristallisations rencontrées dans les septarias, une diversité minéralogique à l'échelle (pluri)millimétrique) : quartz, célestine, barytine, calcite, dolomie, strontianite…

Par la richesse de son contenu, une septaria est un nodule enregistreur de l'activité géologique de la zone où elle s'est formée initialement. C'est le témoin d'une histoire de plusieurs dizaines de millions d'années.

Remerciements

Merci à Éric Rodari pour ses échanges intéressants et pour l'accès à son exceptionnelle collection de septarias de la zone vocontienne.

Cet article a bénéficié de relectures d'Aurélien Gay, du laboratoire Géosciences de l'Université Montpellier 2, concernant le texte initialement soumis, et de précisions complémentaires demandées ou apportées par Pierre Thomas du Laboratoire de Géologie de Lyon à l'ENS de Lyon pour sa version publiée.

English "modified" manuscript: The genesis of septaria

The author (B.B.) also proposes a translation into English of his original manuscript integrating some remarks of the reviewing process and the complete formatted reference list. After a rapid language review (by Adèle Dequincey, DUNES, ENS de Lyon) and an overall format check (by Olivier Dequincey, ENS de Lyon / DGESCO), you may here download The genesis of septaria by Bernard Barailler.

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