Image de la semaine | 28/11/2011
Traces de racines fossiles, pépérites, bitume et lussatite, quelque part à l'Est de Clermont-Ferrand, Puy de Dôme
28/11/2011
Résumé
La Limagne : ses pépérites, son bitume et sa lussatite.
Chaque « trait » noir correspond à un « mini tube » plein de bitume. Ces « tubes » sont très probablement des empreintes de racines de végétaux oligo-miocènes, racines qui ont disparus à leur mort en laissant des tubes creux dans la roche en cours de diagénèse. Ces tubes creux sont maintenant remplis d'hydrocarbures lourds (bitume) qui suintent ici comme en de nombreux sites de la Limagne d'Allier (mine de Dallet, Puy de la Poix).
Dans un nouvel affleurement récemment dégagé à l'Est de Clermont-Ferrand, on trouve quelques mètres de dépôts pyroclastiques bien stratifiés, appelés pépérites alternant avec quelques rares et fins niveaux de calcaires. Dans ces quelques mètres de pépérites, quelques strates et localement le niveau calcaire sous-jacent sont perforés de tubes quasi-verticaux, de 1 à 3 cm de longueur pour 0,5 à 1,5 mm de diamètre. La quasi-totalité de ces tubes sont remplis d'hydrocarbures lourds (bitume). Ces tubes sont interprétés comme des fossiles de traces de racines.
À l'extrême fin de l'Oligocène - début du Miocène, la subsidence et la sédimentation de la Limagne étaient quasi-terminées. Le paysage ressemblait à une zone humide en grande partie exondée mais sans doute avec encore ici ou là des zones marécageuses avec quelques centimètres ou décimètres d'eau. C'est dans ce contexte que débute le volcanisme du Massif Central, essentiellement sous forme d'éruptions phréatomagmatiques à l'emplacement de la Limagne. Ces éruptions engendrent des maars, avec leurs lacs et leurs anneaux de pyroclastites, et recouvrent les environs de quelques centimètres à mètres de dépôts pyroclastiques sub-horizontaux. Toutes ces couches pyroclastiques sont constituées d'un mélange de basalte et de substratum (ici, des calcaires et des marnes) pulvérisés par les explosions. Après diagénèse, ce mélange basalte-calcaire donne une roche nommée pépérite. Parfois, le mélange basalte-calcaire est si riche en calcaire qu'après diagénèse il est difficile à distinguer d'un calcaire purement sédimentaire.
C'est sur de tels dépôts pyroclastiques encore meubles (et parfois sur la boue calcaire) qu'après une accalmie dans le rythme des explosions, s'installent des végétaux (sans doute des herbes et autres végétaux de petite taille) dont les racines pivots sont à l'origine des figures de cet affleurement. Une reprise de l'activité éruptive entraînait l'arrivée de nouvelles cendres, qui ensevelissaient la couche précédente en voie de colonisation par ces végétaux. On ne sait pas si ces herbes étaient terrestres ou poussaient dans un marécage de quelques centimètres d'eau. Il faudrait pour cela trouver des fossiles entre les strates de pyroclastites, indiquant si le milieu était aquatique ou aérien.
Le paysage local oligo-miocène n'est pas sans rappeler le paysage actuel des environs du Capelinhos (Açores) recouverts de plusieurs mètres de dépôts pyroclastiques sub-horizontaux en voie de colonisation par la végétation, malgré beaucoup de différences (topographie plate et peut-être marécageuse en Limagne / topographie relativement accidentée aux Açores, éruption phréatomagmatique en Limagne / éruption surtseyenne aux Açores …).
Après la mort et la décomposition des végétaux (mort sans doute due à une nouvelle éruption), il ne reste plus que des tubes creux dans les dépôts en voie de diagenèse. Et pour compliquer le tout, comme dans de nombreux sites en Limagne, des hydrocarbures lourds ont imprégné la roche. Les tubes de racines sont devenus les pores de cette roche magasin d'un nouveau genre.
Les neuf figures suivantes montrent différents aspects et zooms de cet affleurement, de ces roches et de ces tubes de racines.
Gros plan du centre de l'image précédente. | Les « traits noirs » visibles sur la section des strates (tranche de l'échantillon) sont bien des tubes et non pas, par exemple, les intersections entre la section de la strate et des fractures remplies de bitume. Sur le plan de stratification, chaque « trait noir » ne correspond qu'à un « point noir » et non pas à une ligne. Ces traits noirs sont bien des tubes, de 1 à 3 cm de long, pour environ 1 mm de diamètre. |
La photo du milieu montre ce qui pourrait être des traces de radicelles issues de la racine pivot principale. La photo de droite montre une racine ramifiée. | Comme sur les figures 1 et 2, la majorité des traces de racine dans les pyroclastites s'arrêtent au niveau des calcaires, probablement plus difficiles à pénétrer par les racines que les projections volcaniques meubles. |
Le couteau suisse (ainsi que des racines actuelles) donne l'échelle. Les figures 1 et 2 correspondent à des zooms de la partie centrale de cette photo. La flèche rouge localise les zooms des figures 12 à 14. |
Zoom de la figure précédente (couteau resté en place). | |
Zoom de la figure précédente (couteau resté en place). On voit bien la structure de la pépérite et le remplissage de bitume des tubes, empreintes fossiles de racines oligo-miocènes. | Zoom de la figure précédente. On voit bien la structure de la pépérite et le remplissage de bitume des tubes, empreintes fossiles de racines oligo-miocènes. |
Cet affleurement présente une autre caractéristique qui le rend assez exceptionnel : ces tubes de racines fossiles sont remplis, outre de bitume, de lussatite. La lussatite est une variété rare de calcédoine, silice microcristalline dont la disposition des micro-cristaux forme des gouttes bleutées. Il s'agit d'un faciès particulier de silice hydrothermale péri-volcanique, en général déposée dans des fractures ou des roches poreuse (cf lussatite de la mine de Dallet), Le terme de lussatite est franco-francais. Cette variété de silice micro-cristalline est internationalement appelé opale CT, C comme cristobalite et T comme tridymite. L'origine de ce faciès particulier n'est pas claire. On peut cependant remarquer que, si de nombreux affleurements de pépérite et de bitume de Limagne ne présentent pas de lussatite, tous les affleurements de lussatite montrent aussi des suintements de bitume et ne sont jamais très loin de pépérites. Quelle relation y a-t-il entre pépérite, bitume et lussatite ? La lussatite a été découverte au 19ème siècle à Lussat (localisation ci-dessous), d'où son nom, puis dans la Mine des Rois de Dallet, d'où proviennent des échantillons présents dans les collections et musées du monde entier. On pouvait aussi en trouver ici ou là dans ce qu'on peut appeler le « triangle d'or de la lussatite », à l'Est de Clermont-Ferrand, où j'en connaissais au total 6 affleurements dans les années 1970 (mais il y en avait d'autres, disait-on). Tous ces affleurements ont maintenant disparus. Mais des affleurements nouveaux peuvent être encore découverts dans ce triangle d'or, au hasard d'une tempête qui déracine un arbre, de l'ouverture d'un chemin ou d'une route… C'est le cas de l'affleurement montré ici. Du fait de la rareté de la lussatite, la localisation de ces nouveaux affleurements reste confidentielle.
Figure 11. Localisation du triangle d'or de la lussatite, à l'Est de Clermont-Ferrand
La majorité des affleurements de lussatite se trouve à l'intérieur ou au voisinage du triangle figuré en rouge sur cette carte.
Localisation (flèche) de la lussatite des figures précédentes. Ce secteur peut être localisé sur la photo générale de l'affleurement de la figure 6. | |
Échantillon à goutte de lussatite à structure complexe (diamètre de 2,5 mm) dans une empreinte de racine remplie de bitume. | Goutte de lussatite à structure complexe (diamètre de 2,5 mm) dans une empreinte de racine remplie de bitume. |
Goutte de lussatite à structure complexe (diamètre de 2,5 mm) dans une empreinte de racine remplie de bitume. | |
L'une des gouttes de lussatite est assez grosse et à structure complexe (diamètre de 3 mm). | Zoom de la figure précédente sur la goutte de lussatite à structure complexe (diamètre de 3 mm). |