Article | 29/01/2020
Interférométrie radar : principes et utilisation dans la surveillance de la déformation du sol
29/01/2020
Résumé
Principes de l'InSAR : acquisition des données, amplitude et phase, perturbation et interprétation du signal.
Table des matières
- Satellites SAR (Synthetic Aperture Radar)
- Images d'amplitude, images de phase
- Méthode InSAR et mesure de la déformation du sol
- Valeur des pixels dans un interférogramme
- Déroulement d'un interférogramme (unwrapping)
- Lecture d'un interférogramme
- Altérations du signal dans un but d'observation de la déformation
- Une fiche de synthèse
- Que fait-on des données d'interférométrie radar ?
- Bibliographie
L’imagerie satellitaire radar[1] est une technique d’imagerie qui utilise le domaine des micro-ondes (typiquement, longueur d'onde entre 1 et une vingtaine de centimètres). Par rapport à l’imagerie satellitaire optique, l’utilisation de ces longueurs d'ondes offre l’avantage d’être assez peu sensible aux nuages et permet de travailler à peu près quelles que soient les conditions météorologiques. Autre avantage, alors que l’imagerie satellitaire optique utilise la lumière du Soleil pour réaliser les images (méthode passive), l’imagerie radar est un système actif. En effet, la source d’énergie est embarquée dans le satellite, les ondes émises interagissent avec la surface du sol et reviennent vers le satellite. On peut ainsi réaliser des mesures à toute heure du jour et de la nuit.
Cet article présente les principes de l'interférométrie radar et son utilisation pour la surveillance de la déformation du sol. Les premières sections restent très qualitatives et peuvent être comprises par des étudiants en post-bac (BCPST ou ST) sans trop de problèmes. Les principales notions physiques sont vues en lycée, un élève de lycée (1re S ou spécialité physique) peut tout à fait comprendre cette méthode.
L'interférométrie radar peut être utilisée pour différentes mesures, telles que la mesure de la déformation du sol ou le calcul de modèles numériques de terrain. Ici, seule la mesure de la déformation sera abordée. Les principes d'obtention d'une image radar ainsi que les étapes calculatoires d'obtention d'un interférogramme donnant la mesure de la déformation ne seront pas abordés. L'objectif de cet article est de donner les principes de base permettant de lire et comprendre un interférogramme.
Dans cet article, les exemples géologiques concernent tous des déformations du Piton de la Fournaise (ile de La Réunion) lors de divers évènements dont l'éruption d'avril 2007 (cf. Effondrement du cratère Dolomieu, caldeira sommitale du Piton de la Fournaise (île de La Réunion) et Ile de La Réunion : l'éruption du Piton de la Fournaise, avril 2007).
L'InSAR et surtout son application à l'étude des failles et séismes ont été présentés dans la partie Imagerie radar et géodésie spatiale de la conférence Imagerie satellitaire et géodésie spatiale : de nouvelles données et techniques pour l'étude du cycle sismique des grandes failles actives.
Satellites SAR (Synthetic Aperture Radar)
Un satellite capable de faire de l'interférométrie radar est un satellite dit actif : il éclaire lui-même l'objet qu'il observe en émettant une onde radar (de longueur d'onde généralement comprise entre 1 et 20 cm), et en récupérant le signal renvoyé par la Terre. Il fonctionne de manière similaire à un appareil photographique équipé d'un flash. Les satellites radar ne sont pas équipés de lentilles comme les satellites optiques, mais d'une antenne, et sont capables de synthétiser une image à partir d'un signal enregistré en continu. Cette étape de synthèse sort du cadre de notre étude, mais c'est elle qui a donné son nom aux satellites : on parle de satellites SAR pour Synthetic Aperture Radar. On parle ainsi, pour l'interférométrie par satellite radar, de méthode InSAR (Interferometric Synthetic Aperture Radar).
Source - © 2019 A. Augier / CC BY-SA 4.0
Images d'amplitude, images de phase
Comme la lumière, une onde radar est une onde électromagnétique, caractérisée par une longueur d'onde comprise généralement entre 1 et 20 cm. Le signal réémis par la Terre pour une zone donnée est donc caractérisé par son amplitude et sa phase, que le satellite est capable de mesurer.
Source - © 2019 A. Augier / CC BY-SA 4.0
L'amplitude du signal reçu dépend des propriétés du sol (le signal est plus ou moins réfléchi, transmis ou diffusé) et correspond à la quantité de lumière revenant vers le satellite. Par exemple, une zone lisse aura tendance à réfléchir le signal comme un miroir et, vu l'obliquité du faisceau, ce signal ne revient pas au radar. La zone lisse apparaitra sombre sur l'image d'amplitude. À l'opposé, les surfaces rugueuses et les pentes dirigées vers le satellites apparaitront lumineuses.
La phase du signal reçu dépend de la phase pixellaire (due à la nature du sol et des objets qui y sont présents), et de la phase de trajet, qui ne dépend que de la distance entre le satellite et le sol. Formées de points dont la couleur (du blanc au noir – selon une nuance de gris – ou selon une échelle de couleur arbitraire) correspond à une valeur de phase comprise entre 0 et 2π, les images de phase ressemblent à du bruit, et ne sont pas exploitables en tant que telles.
Source - © 2019 A. Augier - OPGC / CC BY-SA 4.0
Méthode InSAR et mesure de la déformation du sol
L'interférométrie SAR (InSAR) permet d'exploiter l'information de distance contenue dans l'image de phase. Une acquisition d'une image de phase est faite à deux dates différentes.
- Si la nature du sol reste constante, la phase pixellaire restera aussi constante et sera la même sur les deux images, toutes choses égales par ailleurs.
- Si le satellite occupe exactement la même position lors des deux acquisitions, et que le sol n'a pas bougé, alors la distance entre le satellite et chaque point de la Terre est exactement la même, la phase de trajet des deux images sera la même et les deux images de phase seront strictement identiques.
- En revanche, si le sol a bougé entre les deux acquisitions, les valeurs de phase de trajet pourront être différentes, et ne dépendront que de la quantité de déplacement.
En faisant la différence entre les deux valeurs de phase, on a donc accès à la quantité de déplacement d'un pixel dans la direction du satellite.
Source - © 2019 A. Augier / CC BY-SA 4.0
Valeur des pixels dans un interférogramme
Un interférogramme correspond à la différence entre les deux images de phase, il est donc assimilable à une carte de déplacements du sol dans la direction du satellite.
- Si la différence de trajet aller-retour est inférieure à la longueur d'onde λ, la différence entre les deux valeurs de phase sera comprise entre 0 et 2π.
- Si la différence de trajet aller-retour est strictement égale à la longueur d'onde λ, alors la valeur de phase enregistrée sera la même pour les deux images, et leur différence sera égale à 0.
- Enfin, si la différence de trajet aller-retour est supérieure à la longueur d'onde λ, la seconde valeur de phase étant elle même comprise entre 0 et 2π, la différence des valeurs de phase sera encore comprise entre 0 et 2π comme dans le cas d'un déplacement inférieur à la longueur d'onde.
Source - © 2019 A. Augier / CC BY-SA 4.0
Pour une brève présentation de l'interférométrie radar comme exemple de figure d'interférence, se reporter à la vidéo de La physique animée : une série de vidéos de physique - Superposition de phénomènes ondulatoires : les moirés (de 1min07s à 2min23s).
Déroulement d'un interférogramme (unwrapping)
Le déroulement permet, en comptant le nombre de franges, de convertir les déplacements en phase en déplacements en mètres dans la ligne de visée du satellite.
Source - © 2019 A. Augier / CC BY-SA 4.0
Lecture d'un interférogramme
Quantité de déplacement
Une interfrange correspond à un déplacement cumulé d'une demi-longueur d'onde. Par exemple, ASAR (le radar d'ENVISAT) utilise une longueur d'onde de 5,66 cm alors que PALSAR (ALOS) utilise une longueur d'onde de 23,6 cm. La même déformation enregistrée par ces deux satellites ne donnera pas le même nombre de franges. En revanche, plus les franges sont nombreuses et serrées, et plus le déplacement est important. Le suivi du Piton de la Fournaise en avril 2007 (figure ci-dessous), par exemple, montre qu'avec PALSAR, dans le flanc Est, on compte 6 franges, ce qui correspond à 71 cm de déplacement.
Source - © 2019 A. Augier - OPGC / CC BY-SA 4.0
Direction des déplacements
N'oublions pas qu'un interférogramme correspond bien à une carte de déplacement dans l'axe de visée du satellite. Une même déformation visualisée dans deux lignes de visées différentes par le même satellite donnera donc deux interférogrammes pouvant avoir des aspects différents. Contrairement au GPS qui enregistre la déformation dans les 3 composantes géographiques (EW / NS / verticale), un interférogramme n'enregistre en fait que le projeté des déplacements dans l'axe de visée du satellite.
Source - © 2019 A. Augier / CC BY-SA 4.0
Un même événement enregistré dans des lignes de visée différentes pourra donc amener à des interférogrammes d'aspects différents.
Source - © 2019 A. Augier - OPGC / CC BY-SA 4.0
Sens des déplacements
Pour déterminer le sens des déplacements, on part d'un endroit qui n'a pas bougé, puis on suit l'ordre des couleurs vers un endroit qui a beaucoup bougé (flèches blanches). Sur la figure ci-dessous, pour le motif le plus à l'Ouest, on part du vert, puis on passe au rose, puis au jaune, puis au vert, puis à nouveau au rose.... : la valeur de la phase augmente, la distance Terre-satellite a donc augmenté, et comme le satellite est fixe, c'est le sol qui s'est éloigné du satellite. C'est l'inverse pour les lobes d'orientation Nord/Sud à l'Est du cône central (flèche du milieu).
Source - © 2019 A. Augier - OPGC / CC BY-SA 4.0
Altérations du signal dans un but d'observation de la déformation
Le calcul de la différence des phases entre l'image maitresse (celle de la première prise de vue) et esclave (celle de la seconde prise de vue) de sorte à en déduire la déformation peut être entaché de certaines erreurs. Ces erreurs sont de plusieurs ordres et peuvent affecter soit la valeur de la phase pixellaire, soit la valeur de la phase de trajet (cf. figure 4).
Source - © 2019 A. Augier / CC BY-SA 4.0
Variations de la position du satellite
Toute variation de la position du satellite entre les deux acquisitions s'accompagne d'une modification de la phase de trajet. Ce principe peut être utile pour mesurer l'altitude d'une zone (SRTM – campagnes de mesures topographiques, par exemple) mais constitue un signal parasite dans la mesure de la déformation.
Le calcul d'un interférogramme de mesure de déformation nécessite de connaitre la différence des positions d'acquisition entre les deux dates de sorte à simuler les franges liées à cette différence de position et à les retrancher de l'interférogramme de départ. Plus le modèle numérique de terrain (MNT) utilisé sera proche de la topographie réelle, meilleures seront les corrections.
Source - © 2019 A. Augier - OPGC / CC BY-SA 4.0
Effets atmosphériques
Les variations des conditions atmosphériques entre les deux acquisitions sont source de deux types de signaux parasites : les signaux corrélés à la topographie (à l'altitude du sol) et ceux qui ne le sont pas. En effet, l'épaisseur de la couche atmosphérique traversée par les ondes radar est d'autant plus faible que l'altitude du sol est élevée.
Source - © 2019 A. Augier - OPGC / CC BY-SA 4.0
Les signaux corrélés à la topographie peuvent parfois être corrigés, alors que les signaux liés à une atmosphère turbulente sont plus difficiles à corriger et nécessitent d'avoir des images météo rarement disponibles à résolution suffisante et au moment adéquat.
Source - © 2019 A. Augier - OPGC / CC BY-SA 4.0
Une fiche de synthèse
Source - © 2019 A. Augier - OPGC / CC BY-SA 4.0
Pour déterminer le sens des déplacements :
- on part d'un endroit qui n'a pas bougé,
- puis on suit l'ordre des couleurs vers un endroit qui a beaucoup bougé (flèche blanche),
- l'ordre de passage des couleurs donne alors le sens du mouvement : phase qui augmente (respectivement diminue) correspond à éloignement (respectivement rapprochement) par rapport au satellite dans la direction de la ligne de visée.
Ici, dans la figure ci-dessus, on part du vert, puis on passe au rose, puis au jaune, puis au vert, puis au rose.... : la valeur de la phase augmente, la distance sol-satellite a donc augmenté, et comme le satellite est fixe, c'est le sol qui s'est éloigné. Il s'agit dans cet exemple d'un signal compatible avec une subsidence.
Que fait-on des données d'interférométrie radar ?
Les interférogrammes permettent d'obtenir des cartes de la déformation. L'utilisation la plus commune des interférogrammes est la recherche des sources à l'origine de la déformation. Dans le cas d'un volcan, une source de déformations de surface pourra, par exemple, être le remplissage / la vidange d'un réservoir magmatique dont on ne connaît ni la taille ni la profondeur. Généralement, ces sources sont cherchées par “essai/erreur” : on teste plusieurs géométries différentes, et on garde celle(s) permettant de reproduire au mieux la déformation. On dit qu'on « inverse » le problème. En effet, on sait calculer les déplacements engendrés par une source connue, mais il est difficile de trouver la source connaissant les déplacements. Les inversions permettent de quantifier les paramètres de la source (quantité de glissement sur une faille, variation de volume d'une chambre magmatique …).
Les modèles utilisés se basent sur des aprioris, qu'il est nécessaire de confronter à d'autres données (terrain, télédétection...). La figure 18, ci-dessous, montre le résultat d'une inversion sur des données acquises suite à l'effondrement du cratère Dolomieu (Piton de la Fournaise) lors de l'éruption d'avril 2007. Les résultats montrent une position de la source beaucoup trop superficielle pour correspondre à une chambre magmatique. Des données complémentaires de mesures thermiques, des observations de terrain mettant en évidence de nombreuses fumerolles permettent d'interpréter cette source comme un système hydrothermal en cours de drainage suite à l'effondrement.
Source - © 2019 A. Augier - OPGC / CC BY-SA 4.0
L'interférométrie radar sert à mesurer des déplacements. Dans le domaine géologique, citons sous forme d'un inventaire non-exhaustif : les déplacements dus aux phénomènes volcaniques (comme montrés dans cet article), les déplacements tectoniques sismiques ou asismiques (cf. Le séisme du 11 novembre 2019, Le Teil (Ardèche)), les variations d'épaisseur des glaciers, les glissements de terrains, des subsidences liées à des pompages excessifs de nappes phréatiques… Mais ceci mérite, en plus de cet article consacré aux principes de l'InSAR, un article dédié à ses diverses applications.
Bibliographie
Aurélien Augier, 2011. Étude de l'éruption d'avril 2007 du Piton de la Fournaise (île de la Réunion) à partir de données d'interférométrie RADAR et GPS, développement et application de procédures de modélisation, Univ. Clermont-Ferrand 2, thèse de doctorat
Jean-Luc Froger, Vincent Famin, Valérie Cayol, Aurélien Augier, Laurent Michon, Jean-François Lénat, 2015. Time-dependent displacements during and after the April 2007 eruption of Piton de la Fournaise, revealed by interferometric data, Journal of Volcanology and Geothermal Research, 296, 55-68 (pdf sur HAL)
Site du Service OI2 (InSAR Observatory of Indian Ocean), Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand (OPGC)
Les pages “InSAR” du site www.kunos.fr