Image de la semaine | 13/10/2025
Les glaciers rocheux, des morphologies méconnues générées par la présence de pergélisol dans le sous-sol des montagnes
13/10/2025
Auteur(s) / Autrice(s) :
Publié par :
- Olivier DequinceyENS de Lyon / DGESCO
Résumé
Langues rocheuses avec morphologie de glaciers de glace, glaciers rocheux actifs ou inactifs, sur Terre et sur Mars.

Source - © 2024 — Pierre Thomas
La partie visible de la langue rocheuse mesure environ 500×150 m. L'altitude du front est de 2500 m. Les crêtes qui dominent ce glacier rocheux ont une altitude d'environ 3000 m. La neige encore présente en ce mois de juin 2024 masque en partie la morphologie de la surface de ce glacier rocheux ainsi que le “cirque” qui l'alimente en éboulis. La photo est prise en direction du Sud-Est.
Localisation par fichier kmz des exemples de glaciers rocheux alpins montrés dans cet article.
Les glaciers rocheux ressemblent à des coulées de lave visqueuse (cf. fig. 8 et 10 de Le Teide, ses coulées et ses cônes remplissant la caldeira de Las Canadas, ile de Tenerife, archipel des Canaries (Espagne)) : bourrelets et sillons convexes vers l'aval, talus bordiers raides (40° de pente) les limitant, en apparence figés.
Un glacier rocheux est une masse de débris rocheux contenant de la glace en quantité suffisante pour que le “mélange” s'écoule sur la pente sous l'effet de la pesanteur. C'est le fluage de la glace interstitielle qui est à l'origine du mouvement et donc des morphologies spectaculaires souvent rencontrées. Les vitesses, bien plus lentes que celles des glaciers, sont de l'ordre de quelques décimètres à quelques mètres par an (contre 100 à 200 m/an pour les glaciers des Alpes). Contrairement aux glaciers, les glaciers rocheux ne voient pas leur front reculer, ces derniers ne peuvent que progresser vers l'aval : certains, âgés de plusieurs milliers d'années, atteignent plusieurs kilomètres de long ! Par contre, ils peuvent “mourir” en s'immobilisant si la glace interne fond, par exemple à cause du réchauffement climatique. Un glacier rocheux actif n'est pas (ou très peu) colonisé par la végétation. Un glacier rocheux devenu inactif est progressivement colonisé par la végétation pionnière. Dans les Alpes françaises, on trouve plusieurs milliers de glaciers rocheux, couvrant plusieurs centaines de km² : un inventaire est en cours par les services du RTM (service de Restauration des Terrains en Montagne, de l'Office National des Forêts(lien externe - nouvelle fenêtre)) et les universités de Grenoble et Chambéry. Le gel permanent du sol, le pergélisol (ou permafrost) est souvent à l'origine des glaciers rocheux et, dans tous les cas, il permet leur maintien et leur fonctionnement. Certains glaciers rocheux se forment aussi aux dépens des moraines et renferment des glaces mortes, “abandonnées” par des glaciers. | ||
| --Texte extrait / inspiré de ecrins-parcnational.fr(lien externe - nouvelle fenêtre), modifié. | ||
Parfois un “vrai” glacier est entièrement recouvert de moraine comme le Glacier Noir dans le Parc national des Écrins. Vu de loin, un tel glacier peur ressembler à un glacier rocheux, avec une différence majeure : un torrent sort de son front. Si ce glacier fond intégralement, les moraines abandonnées sur place ont une morphologie très voisine des glaciers rocheux. Pour trancher entre ces deux possibilités, il faut mettre en évidence un mouvement, par exemple par la présence ou l’absence de végétation : un mouvement lent, c’est un glacier rocheux, une absence de mouvement, c’est une moraine abandonnée, sachant qu’un glacier recouvert entièrement de moraine et en train de disparaitre peut encore avoir de la glace mobile sous des mètres voir des dizaines de mètres de débris rocheux, et être dans une situation intermédiaire.
![]() Source - © 2024 — Pierre Thomas La partie visible de la langue rocheuse mesure environ 500×150 m. L'altitude du front est de 2500 m. Malgré la neige, les bourrelets et sillons convexes vers l'aval et les talus bordiers raides sont bien visibles. |
![]() Source - © 2024 — Pierre Thomas La partie visible de la langue rocheuse mesure environ 500×150 m. L'altitude du front est de 2500 m. Les crêtes qui dominent ce glacier rocheux ont une altitude d'environ 3000 m. |
![]() Source - © 2022 — Isabelle Gärtner-Roer / scnat.ch L'absence de neige et l'éclairage de milieu d'après-midi met bien en valeur les bourrelets et sillons convexes vers l'aval. On voit très bien le “cirque” qui alimente le glacier rocheux en éboulis, bien visible au centre de l'image, au-dessus de la partie amont du glacier. |
![]() Source - © 2025 — D’après Google Earth |
![]() Source - © 2025 — D’après Google Earth On reconnait le glacier rocheux de Muragl au fond de la vallée à droite et son cirque d'alimentation en éboulis. D'autres glaciers rocheux, plus larges et quasiment invisibles sur les photos précédentes, se déversent dans la vallée depuis les crêtes Ouest d'une altitude moyenne de 3000 m. Tout l'arrière-plan est constitué par le massif de la Bernina (culminant à 4049 m) recouvert par de vrais “glaciers de glace” (cf. Le recul des glaciers Pers et Morteratsch, massif de la Bernina, canton des Grisons, Suisse et » Le sable du Sahara sur les glaciers suisses, un agent d'accélération de leur recul – Exemple du glacier Pers (canton des Grisons, Suisse)). | |
Bien que très fréquents dans les Alpes, je n'ai pas d'autres photographies de glaciers rocheux européens dans mes réserves, car, pour la plupart d'entre eux, de longues marches en altitude sont nécessaires pour les photographier sous un bon angle. Mais en fouillant ma mémoire et ma diapothèque (argentique et numérique), j'ai retrouvé des glaciers rocheux photographiés depuis des routes en haute altitude dans les chaines de montagnes asiatiques. Nous vous montrons ici un glacier rocheux de l'Himalaya et un autre de l'Altaï mongol. Puis nous reviendrons dans les Alpes où Google Earth et plusieurs sites web traitant de géologie alpine montrent de très beaux glaciers rocheux.
Des buts de randonnées pour les marcheurs aimant la géologie ou tout simplement les beaux paysages !
![]() Source - © 2010 — Pierre Thomas L'extrémité de ce glacier rocheux semble inactif, car commençant à se végétaliser. | |
![]() Source - © 2010 — Pierre Thomas L'extrémité de ce glacier rocheux semble inactif, car commençant à se végétaliser. |
![]() Source - © 2010 — Pierre Thomas L'extrémité de ce glacier rocheux semble inactif, car commençant à se végétaliser. |
![]() Source - © 2008 — Pierre Thomas Photographie prise pendant un “arrêt technique” du bus de 15 minutes (en fait un “arrêt pipi”). Vu de loin, on dirait plus un glacier classique serpentant dans sa vallée, qu'un glacier rocheux. La présence de deux lithologies sans doute des granites roses recoupés et intrudés de dykes et masses de basaltes très sombres permet de visualiser ce qui ressemble à des moraines médianes (cf., par exemple, Le glacier d'Aletsch au XXIe siècle, le plus grand glacier des Alpes (canton du Valais, Suisse)). Cette interprétation, vu de loin et sous un seul angle de vue, est-elle correcte ? | |
![]() Source - © 2008 — Pierre Thomas Photographie prise pendant un “arrêt technique” du bus de 15 minutes (en fait un “arrêt pipi”). Vu de loin, on dirait plus un glacier classique serpentant dans sa vallée, qu'un glacier rocheux. La présence de deux lithologies sans doute des granites roses recoupés et intrudés de dykes et masses de basaltes très sombres permet de visualiser ce qui ressemble à des moraines médianes. Cette interprétation, vu de loin et sous un seul angle de vue, est-elle correcte ? |
![]() Source - © 2008 — Pierre Thomas Photographie prise pendant un “arrêt technique” du bus de 15 minutes (en fait un “arrêt pipi”). Vu de loin, on dirait plus un glacier classique serpentant dans sa vallée, qu'un glacier rocheux. La présence de deux lithologies sans doute des granites roses recoupés et intrudés de dykes et masses de basaltes très sombres permet de visualiser ce qui ressemble à des moraines médianes. Cette interprétation, vu de loin et sous un seul angle de vue, est-elle correcte ? |
Après un rapide détour dans les montagnes asiatiques, revenons dans les Alpes. Un glacier rocheux situé dans le Parc national des Écrins (Hautes-Alpes), a été instrumenté et étudié : le glacier rocheux de Laurichard(lien externe - nouvelle fenêtre). Ce glacier rocheux n'est situé qu'à 2 km à vol d'oiseau du col du Lautaret (Hautes-Alpes), mais 400 m plus haut (le “front” est à 2450 m). Il est invisible depuis le col, mais accessible par un sentier partant du col.
![]() Source - © 2016 — Parc national des Écrins |
![]() Source - © 2016 — Parc national des Écrins |
![]() Source - © 2003 — Xbodin – CC BY-SA 3.0 La tranchée séparant le “glacier” de la paroi rocheuse, fait trois à cinq mètres de hauteur. Les deux premières couches de la structure du glacier rocheux sont bien visibles, avec de la glace massive apparaissant entre des blocs de roches sous 50 cm à un mètre de débris rocheux sans glace (mais recouverts par de la neige). |
![]() Source - © 2025 — D’après Google Earth D'autres glaciers rocheux, plus petits sont visibles sur la droite. |
En France, les premières études systématiques de certains glaciers rocheux types datent de la période 1970-1980, des thèses leur sont consacrées et on commence à y faire des mesures répétées. En particulier, le glacier rocheux de Laurichard a été appareillé pour quantifier sa dynamique : à quelle vitesse il s'écoule, à quel rythme il exporte les produits de l'érosion des parois rocheuses qui le surplombent… Plusieurs lignes de blocs peints ont été installées, et on a mesuré précisément leur position pendant plusieurs années. Des sondages électriques ont également été effectué (mesure de la résistance électrique du sol) pour mettre en évidence la présence de glace. À la fin des années 1990, ce suivi a été confié au Parc national des Écrins, qui continue d'assurer une mesure annuelle par théodolite et depuis quelques années par GPS, des déplacements de la surface du glacier rocheux. Depuis le début des années 2000, d'autres mesures sont venues en complément : température du sol (enregistrée en continu), autres sondages géoélectriques et, plus récemment, suivi à haute résolution par laser terrestre (LiDAR), et par photographie de l'évolution de la géométrie du glacier rocheux. | ||
| --Texte extrait / inspiré de ecrins-parcnational.fr(lien externe - nouvelle fenêtre), modifié. | ||
![]() Source - © 2016 — Parc national des Écrins |
![]() Source - © 2012 — Bodin et al., conférence Optech / ecrins-parcnational.fr |
![]() Source - © 2015 — Bodin et al. Revue de Géographie Alpine / ecrins-parcnational.fr | |
Après le glacier de Laurichard (Hautes-Alpes), voici quelques images de quatre autres glaciers rocheux des Alpes franco-italiennes, actifs ou inactifs.
![]() Source - © 2006 — Xbodin – CC BY-SA 3.0 Dans le haut du vallon, les formes présentent une morphologie caractéristique de glaciers rocheux actifs (contours nets, bourrelets bombés, absence de végétation) puis passent à des formes reliques (morphologie plus affaissée, présence de végétation) vers le bas du glacier, à gauche. |
![]() Source - © 2025 — D’après Google Earth Sur l'autre versant de la crête dominant ce glacier rocheux du Vallon de la Route, on voit très bien un autre glacier rocheux. |
![]() Source - © - — Maurice Gidon / geol-alp.com |
![]() Source - © - — Dominique Soyez / geol-alp.com |
![]() Source - © 2025 — D’après Google Earth La photo 22 a été prise approximativement du point 1, à l'Ouest (à droite) du glacier. La photo 23 a été prise approximativement du point 2, à l'Est (à gauche) du glacier. | |

Source - © 2025 — D’après Google Earth
La partie amont du glacier, dépourvue de végétation, est active. La partie aval, en cours de colonisation, est inactive depuis un certain nombre d'année.

Source - © 2025 — D’après Google Earth
Cet ancien glacier rocheux semble maintenant inactif et bien colonisé par la végétation.
Et pour finir cette découverte des glaciers rocheux, en voici un assez extraordinaire situé au Kirghizistan et trouvé sur le web. Bonne recherche d’autres glaciers rocheux dans les Alpes et dans les montagnes terrestres avec Google Earth !

Source - © 2025 — Kim Taeshi / facebook, modifié

Source - © 2025 — D’après Google Earth
Il n'y a pas que sur Terre qu'il y aurait des glaciers rocheux. Sur Mars, par exemple au niveau des flancs d'Olympus Mons, les images Mars Express ou Mars Global Surveyor montrent des morphologies assez similaires à celles des glaciers rocheux terrestres, et qui sont souvent interprétées comme tels. Et comme il y a du pergélisol sur Mars…
Mais déjà sur Terre il est parfois difficile de trancher entre les deux possibilités (glacier rocheux ou moraine abandonnée par un glacier entièrement fondu), c’est encore plus difficile sur Mars, car, contrairement à la Terre, l’absence de végétation n’indique pas un glacier rocheux.
![]() Source - © 2025 — D’après Google Earth / Mars Le mécanisme de formation est-il le même que sur Terre ? La présence d'un cratère de météorite (Ø = 800 m) au centre de la structure montre que ce possible glacier rocheux a très probablement un âge certain et est aussi probablement inactif actuellement. Mais il n’est pas exclu que ce soient des moraines abandonnées par une vrai glacier. |
![]() Source - © 2025 — D’après Google Earth / Mars Le mécanisme de formation est-il le même que sur Terre ? |
D'autres très belles structures ressemblant à des glaciers rocheux peuvent être vues ailleurs sur Mars, par exemple vers 19° de latitude N, 138° de longitude O, toujours sur Olympus Mons. Bonne recherche avec Google Earth Mars.

























