Le Tambora (Indonésie) et les conséquences locales de son éruption d'avril 1815, l'une des plus importantes éruptions volcaniques historiques
Image de la semaine | 07/04/2025
Résumé
Une éruption explosive massive et ses conséquences locales : caldeira, cendres, ponces, coulées pyroclastiques, tsunami… destruction immédiate de toute vie à proximité.
Source - © 2024 Iwan Setiyawan/AP sur r/Damnthatsinteresting - reddit
Figure 1. Le Tambora (Gunung Tambora) est un volcan de l'ile de Sumbawa en Indonésie
Le Tambora culmine à 2850 m, et son diamètre basal est d'environ 60 km. Son sommet est recoupé par une très belle caldeira, d'un diamètre de 6 à 7 km et d'une profondeur d'environ 1 000 à 1 200 m). Cette caldeira, gigantesque effondrement dû à la rapide vidange (moins de quelques jours) d'un réservoir magmatique, date de l'éruption d'avril 1815. Les explosions et surtout la formation de la caldeira qui a immédiatement suivi ont abaissé le volcan d'environ 1 500 m, montagne qui culminait à environ 4 300 m avant cette éruption de 1815.
Localisation par fichier kmz du volcan Tambora sur l'ile de Sumbawa (Indonésie).
Le 10 avril 2025, nous allons commémorer le 210e anniversaire d'une des plus violentes éruptions explosives des temps historiques. Son Indice d'Explosivité Volcanique (ou VEI = Volcanic Explosivity Index, en anglais) est estimé à 7 (il s'agit d'une échelle logarithmique allant de 0 à 8). Pour les temps historiques, cette éruption du Tambora d'avril 1815 n'est égalée ou dépassée que par celle du Santorin en Grèce (en −1640), celle du Mont Paektu à la frontière Chine-Corée du Nord (en 946), et celle du Samalas, également en Indonésie (en 1257). Pour comparaison, le VEI de l'éruption du Vésuve en 79 est estimée entre 5 et 6, celle du Krakatoa en 1883 en Indonésie à 6, celui de la Montagne Pelée en 1902 à 4, celui du Mont Saint-Helens (USA) en 1980 à 5, celui du Pinatubo en 1991 (Philippines) à 6 (cf. Le Pinatubo (Philippines), vingt-sept ans après) et celui du Hunga Tonga en 2022 à 5 (cf. L'histoire éruptive du Hunga Tonga-Hunga Ha'apai, archipel des Tonga, de l'an 1000 jusqu'à l'explosion du 15 janvier 2022).
Décrire l'éruption de 1815 est difficile ; la majorité des habitants sur Sumbawa et les iles voisines ont été tués par l'éruption et les tsunamis associés, et n'ont pas laissé de schémas ni d'écrits. La description qui suit associe (1) les rares témoignages humains lointains, (2) ce qu'on sait des éruptions pliniennes et (3) ce que révèlent les études géologiques récentes qui étudient les dépôts associés. N'oublions pas qu'en avril 1815, on était en pleines guerres napoléoniennes (2 mois avant la bataille de Waterloo) et l'Indonésie, colonie hollandaise, était sous administration provisoire anglaise qui avait d'autres choses à faire que de la volcanologie.
N'étant jamais allé en Indonésie et ne connaissant personne ayant travaillé à Sumbawa, toutes les images montrées ici, le récit des évènements… sont issus d'une compilation / synthèse de nombreux articles du web. Les adresses des sites utilisés, qui contiennent souvent une abondante bibliographie, sont indiqués pour chaque figure.
Avant l'éruption de 1815, le volcan semble avoir été considéré comme « éteint » par les autorités locales. Le 5 avril 1815, un très haut panache volcanique est vu de loin ; sa hauteur est estimée à 30 km. Des bruits d'explosion sont entendues à plus de 1 400 km de distance, de Java en particulier (Batavia, l'ancien nom de Djakarta, est à 1 200 km du Tambora). Après une accalmie de quelques jours, les explosions reprennent le 10 avril. Des panaches pliniens atteignent 40 à 45 km de hauteur. De très nombreuses retombées de ponces et des coulées pyroclastiques recouvrent toute la péninsule de Sanggar où toutes les formes de vies, humaines comprises, sont annihilées. Les cendres fines vont beaucoup plus loin et l'obscurité (en plein jour) envahi Java, les Célèbes (Sulawesi)… Les coulées pyroclastiques arrivant en mer déclenchent des tsunamis. Les bateaux croisant dans ce secteur de l'Indonésie décrivent une mer recouverte de troncs d'arbres calcinés et des « radeaux » de ponces. La phase principale dure jusqu'au 15 avril, mais des explosions mineures ont lieu pendant encore plusieurs semaines, et de la « fumée » est visible au-dessus du cratère jusqu'en août 1815. Les effondrements consécutifs à la vidange du réservoir magmatique et la formation de la caldeira ont dû avoir lieu en avril ; mais aucun témoignage humain ou instrumental (pas de sismogramme disponible) ne permet d'en préciser la date et la durée.
Le Tambora, au cours de son histoire, a eu des éruptions effusives et d'autres explosives. C'est un volcan de subduction, et ses laves sont intermédiaires entre celles de la classique série calco-alcaline et celle de la série alcaline à tendance shoshonitique (laves riches en potassium). Les laves les plus abondantes sont les trachy-andésites. Les produits émis par l'éruption de 1815 contiennent environ 57 % de SiO2 et 10 % de Na2O+K2O ; ils sont dans le champ des trachy-andésites dans un diagramme TAS.
Les évènements d'avril 2015 entrainèrent directement la mort de 60 000 à 100 000 habitants de Sumbawa et des iles voisines ; les famines et épidémies locales ont en effet augmenté le nombre de décès strictement dus à l'éruption elle-même et aux tsunamis. Le but de l'article de cette semaine est de montrer ce qu'on voit aujourd'hui des effets de cette éruption (dépôts volcaniques, villages ensevelis…). Les perturbations climatiques globales entrainées par cette éruption à partir de 1816 ont indirectement causé (en Chine, en Inde, en Europe…) la mort d'au moins 200 000 personnes (famines…). Nous illustrerons la semaine prochaine certaines des conséquences globales et mondiales (directes et indirectes) de l'éruption du Tambora, en particulier la fameuse « année sans été » de 1816.
En haut, image vue vers le Nord (orientation voisine de celle de la figure 1) et, en bas, profil de dénivelé le long du tracé en jaune. Les dimensions colossales du volcan et de sa caldeira sont alors manifestes.
Source - © - D'après Astelus.com
Figure 3. Vue du Tambora (Indonésie) depuis le Sud tel qu'il est aujourd'hui… et devait être avant avril 1815
Sur l'image du bas, j'ai rajouté en pointillés rouges la silhouette du volcan tel qu'il devait être avant avril 1815. J'ai également rajouté en pointillé noirs le profil approximatif de la caldeira, invisible depuis le sol. Ces deux ajouts visualisent bien l'ampleur des modifications morphologiques ayant affecté le Tambora en 1815.
On peut estimer l'ordre de grandeur du volume de ce qui a “disparu” au cours de l'éruption de 1815 (on suppose que le volcan n'a pas gonflé et que le volume du nouveau magma a été compensé par l'effondrement de la caldeira, due à la vidange de la chambre magmatique). Ce qui a disparu à cause de l'explosion et de l'effondrement correspond à la somme du volume de la caldeira (assimilable à un cylindre de 6,5 km de diamètre et de 1,1 km de profondeur) et du “cône sommital” maintenant détruit (assimilable à un cône de 6,5 km de diamètre et de 1,5 km de hauteur). L'application des formules donnant le volume d'un cylindre (V =Π.R2.h) et d'un cône (V =1/3.Π.R2.h), formules qui étaient au programme de CM2 quand j'étais en primaire, et qui semblent maintenant être à celui de 4e donne un résultat de l'ordre de 52 km3.
Source - © 2015 Katie Preece in Raible et al. (2016) (Open Access) Figure 4. Vue globale de l'intérieur de la caldeira du Tambora (Indonésie), vue prise en direction du Sud Un lac temporaire peut occuper une partie du fond pendant les périodes de très forte pluviométrie. |
Source - © 2024 sur demotivateur.fr Figure 5. Vue globale de l'intérieur de la caldeira du Tambora (Indonésie) Le lac temporaire qui peut occuper une partie du fond pendant les périodes de très forte pluviométrie est, ici, à sec. La figure suivante correspond à un zoom sur la paroi Ouest, visible à droite de cette photo. |
Source - © 1986 D'après Rizal Dasoeki – CC BY-NC 4.0 Figure 6. Détail du haut du rempart de la partie Ouest de la caldeira du Tambora (Indonésie) On peut distinguer trois unités. De bas en haut, on a l'unité (1) qui correspond à un empilement de coulées de lave remplissant une ancienne caldeira datant de 43 000 ans. L'unité (1) est surmontée de l'unité (2), formant une pente régulière formée de matériel pyroclastique émis il y a 5 900 à 1 210 ans. L'unité (3) mesure environ 200 m d'épaisseur et correspond aux dépôts produits pendant l'éruption de 1815. Le 1/5e basal de cette unité (3) correspond à des retombées de ponces (F sur la figure suivante). Tout le reste des 200 m correspond à des dépôts de coulées pyroclastiques (PDC sur la figure suivante). |
Source - © 2024 D'après Suhendro et al. (2021) (Open Access), modifié Figure 7. Détail des dépôts d'avril 1815 recoupés par le rempart de la caldeira du Tambora (Indonésie) Par dessus le substratum de ces dépôts (BT = Brown Tuf formation), on trouve des retombées de ponces (F = plinian Fall), surmontés par dépôts pyroclastiques variés (PDC = Pyroclastic Density Current, PF = Pyroclastic Flow, S = Surge = déferlante). La différence entre PDC 1 et 2 correspond à la fois à la dynamique du dépôt et à leur proportion ponce/scorie. |
Source - © 2017 Tisquesusa – CC BY 4.0 Figure 8. Couches de cendres fines près du sommet du Tambora (Indonésie) Ces cendres correspondent aux derniers épisodes de l'éruption de 1815. |
Des cônes et des coulées de laves de petite taille ont été émis au fond de la caldeira après sa formation, et ce au cours des XIXe et XXe siècles. La dernière éruption date de 1967. Des dépôts de soufre sont visibles au fond de la caldeira et, en 2017, quelques fumeroles sortaient du petit cône de Doro Api Toi. Tout cela atteste que le Tambora est loin d'être inactif ; il peut entrer en éruption du jour au lendemain. Mais, contrairement à 1815, il est surveillé ; cela ne prendra pas les habitants au dépourvu et une évacuation préventive sera possible.
Source - © 2017 Yohandi Kristiawan Il s'agit vraisemblablement de solfatares (cf. Les dépôts (soufre, sulfates et sublimés divers) des fumeroles et solfatares du Vulcano (Iles Éoliennes, Italie)) postérieures à 1815. |
Source - © 2017 Yohandi Kristiawan |
Après les images vues du sol, on peut grâce à Google Earth apprécier le Tambora dans toute sa splendeur, son contexte géologique…
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Figure 12. Vue globale de l'ile de Sumbawa et de sa voisine l'ile de Lombok, Indonésie D'après le Global Volcanism Program, il y a trois volcans actifs dans le champ de cette image : le Tambora (repéré en jaune), le Sangeang Api à l'Est, et le Rinjani (voir les figures 23 et 24) sur l'ile de Lombok, plus à l'Ouest. Ce dernier domine la caldeira Segara Anak, caldeira formée en 1257 par l'effondrement d'un ancien volcan, le Samalas. Cette éruption de 1257 a été au moins aussi violente que celle du Tambora, mais est bien moins documentée. Comme celle du Tambora, cette éruption a été la cause d'une importante crise climatique (cf. la semaine prochaine), mais bien moins documentée par les rares documents de l'époque. |
Source - © 2025 D'après Global Volcanism Program / Google Earth Figure 13. Vue satellitale de l'arc volcanique indonésien Chaque volcan actif est représenté par un triangle rouge ; le Tambora est localisé par la punaise jaune. On voit très bien la dynamique régionale : tous ces volcans (dont le Tambora) correspondent à un arc volcanique situé à l'aplomb de la subduction indonésienne, où la plaque indo-australienne plonge sous la plaque indonésienne, “annexe” de la plaque eurasiatique. |
L'éruption du Tambora n'intéresse pas que les géologues, mais aussi les archéologues et les historiens. L'éruption de 1815 a anéanti ce qu'on appelle maintenant la Culture de Tambora. Il s'agit d'une culture disparue du Nord de l'ile de Sambawa dont le mode de vie et la langue étaient différents de ceux des autres populations de Sumbawa. Elle correspond politiquement à l'ex-petit royaume de Tambora, détruit par l'éruption de 1815 (cf. détail sur la page Culture de Tambora).
Source - © 2011 D'après Emma Johnston |
Source - © 2009 Rik Stoetman On voit aussi les poutres carbonisées de l'ancienne maison de la victime. |
Source - © 2011 Emma Johnston |
Source - © 2010 Woudloper – CC BY-SA 3.0 Cette carte a pu être établie avec des témoignages historiques (épaisseur de cendre sur les toits), par l'observation de tranchées (travaux publics ou fouilles archéologiques), par des carottages en mer… |
Source - © 2005 USGS
Figure 18. Comparaison de volumes éjectés par différentes éruptions volcaniques
Schéma tiré d'un article de l'USGS sur le volcanisme quaternaire de Yellowstone (Wyoming, USA), article comparant le volume des cendres, ponces et autres pyroclastites émises lors des éruptions “préhistoriques” de Yellowstone et le volume émis lors de grandes éruptions explosives des XIXe et XXe siècles. Pour le Tambora, l'USGS estime ce volume à 50 km3 (12 mi3). En parcourant la bibliographie, les estimations vont de 40 à 60 km3. Il s'agit d'un chiffre DRE (Dense Rock Equivalent), indice chiffré qui “compense” la porosité des téphras. Le volume réel occupé par les téphras est voisin du triple de l'indice DRE. On peut comparer ce chiffre aux 52 km3 trouvés en estimant le volume “disparu” du volcan (cf. ci-dessus, après la figure 3), somme du volume de magma émis (supposé égal à celui de la caldeira) et du cône disparu.
Même en cherchant bien sur le web, je n'ai pas trouvé de dessins ou autres croquis représentant les phénomènes éruptifs de 1815 dessinés par un témoin direct. Il n'y a pas eu de Pline le jeune au Tambora, et encore moins de photographes (la photographie ne fut inventée / perfectionnée par étapes par Nicéphore Niepce et Louis Daguerre qu'entre 1822 et 1839). À défaut de montrer des représentations « d'époque », nous vous en montrons deux, une du XIXe siècle, et une du XXIe siècle.
Source - © 1872 Leon Sonrel Figure 19. Gravure de 1872 représentant comment un non géologue imaginait l'éruption On voit des destructions, les effets d'un tsunami, le volcan fumant mais non encore “étêté” par la formation de la caldeira, le tout daté de « 1821 » par l'auteur, ce qui montre sa très relative « recherche de la précision ». |
Source - © 2015 Post of Indonesia |
Source - © 2018 dans Kurniawan et Zuharnen Figure 21. Retombées de cendres sur les cultures suite à l'éruption volcanique du Mérapi (Indonésie) de 2010 Les éruptions explosives “modernes”, ici celle du Mérapi (Indonésie) en 2010, montrent les dégâts qu'une éruption explosive comme celle du Tambora (Indonésie) en 1815 a pu faire sur les iles voisines de Sumbawa, en particulier sur les récoltes. Dans ces iles, les habitants ne sont pas morts en avril 1815 du fait de l'éruption sensu stricto, mais morts du fait de la famine qui a suivi la quasi-destruction des récoltes de l'année 1815. |
Source - © 2020 D'après Our World In Data – CC BY 3.0, modifié Figure 22. Nombre de morts dus aux principales éruptions volcaniques depuis le XVIe siècle Il s'agit des morts “locaux”, dus à l'éruption elle-même, à des tsunamis associés, et à des famines “locales” (dans le cas du Laki, seule la famine qui a sévi sur toute l'Islande est prise en compte). Les décès “lointains” dus à des perturbations climatiques globales ne sont pas comptabilisés. Pour le Tambora, on estime entre 60 000 et 100 000 le nombre de décès sur l'ile de Sumbawa et les iles voisines (du fait de la famine). Sur ces 7 éruptions les plus meurtrières, 6 sont associées à une subduction, 3 sont situées en Indonésie, et une en France. |
Source - © - D'après panoramio Cette éruption de 1257 a été au moins aussi violente que celle du Tambora, mais est bien moins documentée. Comme celle du Tambora, cette éruption a été la cause d'une importante crise climatique (cf. la semaine prochaine), mais est bien moins documentée par les rares documents de l'époque. Localisation par fichier kmz du volcan Rinjani sur l'ile de Lombok (Indonésie). |
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Figure 25. Localisation du Tambora en Indonésie