Image de la semaine | 25/01/2021
Filons de quartz des Alpes et d'ailleurs
25/01/2021
Résumé
Cristal de roche, quartz laiteux, quartz fibreux. Filons et fours à cristaux de La Gardette et d'ailleurs.
Les quartz des Alpes sont célèbres depuis les Romains, au moins depuis Pline l'Ancien. Ils ont cristallisé dans ce qu'on appelle les « fentes alpines ». Monsieur Toulemonde peut certes trouver des cristaux de quartz en se promenant dans les Alpes, mais il aura très peu de chance d'en trouver dans la nature d'aussi beaux que ceux présenté ici sur les figures 1 à 6. Par contre, des musées alpins en exposent d'extraordinaires, en particulier en Haute-Savoie, Savoie et Isère. En plus du musée de Bourg-Saint-Maurice, citons le musée de Chamonix, le musée de Bourg-d'Oisans, et le muséum de Grenoble. Ces deux derniers musées exposent en particulier des quartz provenant du gisement de La Gardette, le filon qui a donné les plus beaux quartz alpins. Les cinq photographies qui suivent ont été prises en 2018 au muséum de Grenoble. Les conditions de prises de vue n'étaient pas idéales (à travers une vitre), il n'y avait pas d'échelle (inutile puisqu'on était devant les échantillons), on n'était pas maitre de l'éclairage… Mais malgré cela, les images laissent entrevoir la splendeur de ces échantillons. N'hésitez pas à visiter ces musées lors de vos prochains séjours dans les Alpes.
Dans quels contextes géologiques de tels cristaux ont-ils pu cristalliser ? Ces cristaux ont “poussé” dans des géodes contenues dans des filons ou des lentilles de quartz, comme dans la chaine hercynienne (cf. Quelques filons de quartz dans la chaine hercynienne : l'ile Callot (29), Roche d'Agoux (63), Saint-Paul-la Roche (24)). Ces lentilles et filons sont le plus souvent soit verticaux, soit horizontaux. Dans les Alpes externes, en particulier en zones dauphinoise ou briançonnaise, ces filons et lentilles sont d'âge cénozoïque, principalement miocène. C'est dans les Massifs Cristallins Externes qu'on trouve les plus beaux cristaux. Les géodes de quartz sont localement appelées « four à cristaux ».
Les cristaux de quartz (quartz appelé aussi « cristal de roche ») semblent plus nombreux dans les Alpes que dans la chaine hercynienne. Cela est sans doute dû au moins en partie aux conditions d'affleurement. Les pentes raides sans végétation, les versants de plusieurs milliers de mètres de dénivelé, les éboulements fréquents mettant à jours de nouvelles surfaces rendent ces filons plus faciles à découvrir que dans les bocages bretons ou limousins. Ces cristaux de quartz ont été exploités pour la fabrication de bijoux, de pendeloques, de lustres, de vases… Les chercheurs de cristaux qui parcouraient les montagnes étaient appelés « cristalliers ». Le plus célèbre cristallier est Jacques Balmat (1762-1834). C'est lui, avec le docteur Michel Paccard (1757-1827), sous l'impulsion du physicien et géologue genevois Horace Benedict de Saussure (1740-1799) et grâce à son habitude de gravir les montagnes à la recherche de cristaux, qui fit la première ascension du Mont-Blanc le 8 août 1786.
Source - © 1854 Collection du Musée Alpin de Chamonix-Mont-Blanc | Source - © 2020 Zembo |
L'exploitation “utilitaire” des cristaux de roche diminua fortement avec l'invention du “cristal”, verre dopé à l'oxyde de plomb, ce qui lui donne éclat et son “cristallin”. La découverte de gisements de quartz à Madagascar, au Brésil, aux USA… accentua la fin de l'intérêt économique de la recherche des quartz alpins. S'il reste quelques chercheurs de cristaux professionnels (profession très réglementée, dont les effectifs sont en forte diminution), c'est pour fournir les amateurs et autres collectionneurs de beaux minéraux. Il existe aussi des “cristalliers amateurs”, ce qui est légal mais très contrôlé (cf. figure 9), et aussi des cristalliers “sauvages” qui pillent sans vergogne “nos” richesses naturelles. Le comble du pillage (au moins du pillage connu) fut atteint en 1979 lorsque des Suisses sont venus en hélicoptère ramasser à l'explosif et au marteau piqueur 700 kg de minéraux dans la face Nord des Grandes Jorasses.
Source - © 2008 Arrêté municipal
Pour simplifier, dans les Alpes, il existe deux types de sites où on peut trouver des cristaux de quartz.
- Des filons ou des lentilles isolées, souvent de petite taille et perdus dans la montagne. Ce sont les fameux « fours à cristaux » qu'on trouve en particulier dans les massifs du Mont-Blanc et de l'Oisans, ceux que recherchaient les cristalliers.
- Des filons de plus grande taille, où le quartz est souvent associé à des minerais métalliques comme la galène (PbS), la sidérite (FeCO3), la chalcopyrite (CuFeS2) et l'or natif (Au). Ces filons où le quartz constitue la gangue de minerais métalliques ont été exploités en mine depuis le Moyen-Âge. Toutes ces mines sont maintenant fermées depuis longtemps, mais il existe des kilomètres de galeries creusées dans ces filons de quartz. De magnifiques échantillons y ont été trouvés. Les plus beaux quartz des Alpes, et sans doute du monde, viennent de la célébrissime mine de La Gardette au-dessus de Bourg d'Oisans (Isère). Il est probable que les échantillons des figures 2 à 6 en proviennent.
Source - © 2019 Stéphane Dan / Boulot de Héros | Source - © 2019 Stéphane Dan / Boulot de Héros |
Source - © 2012 François-R. Thevenet / Regards de guide | Source - © 207 invité titane / Géoforum |
Ces mines abandonnées riches en minéraux extraordinaires sont l'objet de débats légitimes quant à leur accessibilité et leur préservation. Mais ces débats sont souvent clos de la manière la plus absurde qui soit : la destruction irréversible de ces mines par les autorités (in)compétentes. Certes, ces mines sont dangereuses et tout un chacun ne peut s'y aventurer. Mais des “sports” dangereux, surtout en montagne, c'est chose courante et on ne rase pas les montagnes pour autant. Certes, s'il y a des géologues amateurs qui les visitent armés de leurs seuls appareils photographiques, ou au plus d'un petit marteau et d'un petit sac, il y a aussi beaucoup de véritables « pilleurs mercantiles » qui n'hésitent pas à prélever des dizaines de kilogrammes d'échantillons et qui, par leurs creusements intempestifs, mettent en jeux la sécurité des galeries, pilleurs mercantiles qui sont en partie objectivement responsables de la décision de rendre ces mines définitivement inaccessibles. Dans un pays intellectuellement développé (comme le sont la Suisse ou l'Autriche), les autorités compétentes auraient compris l'intérêt de préserver ces mines, que ce soit pour des raisons géologiques ou d'archéologie industrielle. Elles auraient installé à l'entrée des galeries des portes blindées fermées à clé, et auraient organisé des moyens de visite pour un public averti, voire une valorisation touristico-commerciale (au sens noble) autour de ces mines. En France, la DRIRE (maintenant transformée en DREAL) règle le problème par l'absurde : elle rend les mines inaccessibles, au mieux en les murant par d'épais murs sans porte (ce qui est somme toute réversible et donc un moindre mal), au pire en dynamitant leurs entrées sur des dizaines de mètres. Tuer le malade plutôt que de chercher un remède, voila la devise de la DRIRE/DREAL (au moins de certaines directions régionales) et de ses tutelles. Et tout ça pour un principe de précaution judiciaire : surtout ne pas avoir d'ennuis. Deux exemples qui concernent l'Auvergnat que je suis. 1/ Dans les anciennes mines de stibine (Sb2S3) de la région de Massiac (Cantal), en août 2002, la DRIRE a dynamité les entrées de beaucoup de galeries. Mais dans les galeries où il y avait des chauves-souris, les entrées n'ont pas été dynamitées, mais seulement murées (sans porte, hélas) en laissant un étroit passage pour laisser passer ces chauves-souris. 2/ C'est la même chose pour le secteur des mines de fluorine de la Barre (commune de Saint-Jacques-d'Ambur, Puy-de-Dôme) où, jeune homme, à peine à 100 m d'une entrée (je ne suis pas spéléologue) et sans donner de coups de marteau (je ne voulais pas provoquer de chutes de pierres) j'ai ramassé (dans l'argile tapissant le fond de la galerie) cet échantillon dont on peut voir des photographies dans Cristallisations de fluorine. Heureusement que j'ai ramassé cet échantillon dans les années 1970 ; sinon il aurait été détruit par la grâce de la DRIRE. Imagine-t-on des autorités dynamiter des ruines romaines ou médiévales parce que des pierres se détachent des murs et mettraient en danger d'éventuels visiteurs ? « On » préserve donc les chauves-souris (c'est tout à fait souhaitable, bien qu'elles puissent se reproduire), mais les minéraux (ou les fossiles) qui pourtant ne se reproduisent pas, « on » s'en fout. La protection du patrimoine géologique ne semble pas une préoccupation majeure de la DRIRE/DREAL. On voit là la place (ou plutôt l'absence de place) des sciences de la Terre en France. La situation s'améliore lentement depuis quelques années et on commence à prendre conscience que la nature minérale fait aussi partie de l'environnement ; mais il reste du chemin à faire. On peut se demander ce que nous, enseignants de géologie, avons fait (ou n'avons pas fait) pour qu'on en soit encore là.
La DRIRE, dans les années 2000, voulait dynamiter les entrées de la célébrissime mine de La Gardette sur des dizaines de mètres pour en interdire définitivement l'accès. Devant les levées de bouclier aussi bien locales qu'internationales (cette mine est connue de réputation par les minéralogistes du monde entier), la décision fut prise de ne dynamiter les galeries que sur quelques mètres ou de les murer avec des murs massifs, sans portes (mais avec une meurtrière, merci les chauves-souris) ; l'irréversible n'a pas été commis, mais…
Si on n'est pas spéléologue et qu'on ne peut (ou ne veut) pas pénétrer dans les quelques mines encore épargnées par l'obsession destructrice de la DRIRE-DREAL, si on n'est pas un montagnard aguerri, peut-on voir des cristaux de quartz dans les Alpes en dehors des musées ? Oui, si on se contente de pièces de moindre qualité esthétique et de plus petite taille (mais il n'y a pas que la taille qui compte). Les six photographies qui suivent ont été prises en 2006 en Tarentaise (Savoie), à moins de 100 m d'une piste forestière carrossable (et autorisée) au-dessus de la Côte d'Aime, dans les grès carbonifères de la zone briançonnaise. À défaut de pouvoir gagner des euros en vendant des échantillons dans une bourse, on peut comprendre la genèse de ces fentes et filons et de leurs (mini) fours à cristaux en se promenant tranquillement dans les Alpes. Cherchez et vous trouverez !
En plus des filons hercyniens ou alpins, on peut voir d'autres filons de quartz en voyageant dans le monde, “en vrai” ou sur le web. On peut toutefois remarquer que sur le web, il y a beaucoup plus de photographies d'échantillons de quartz que de photographies d'affleurements. Les amateurs de quartz sont plus des collectionneurs que des géologues de terrain.
En naviguant sur le web, on tombe assez vite sur les Ouachita Mountains qui s'étendent de l'Est de l'Oklahoma jusqu'au centre de l'Arkansas (cf. fig. 28). Ces montagnes sont exploitées, et produisent depuis 150 ans des cristaux de quartz qui ne sont dépassés en taille et/ou en qualité que par ceux du Brésil et de Madagascar, et par ceux des Alpes quant à la qualité. Ces quartz se trouvent dans des géodes internes à des filons (en général verticaux) recoupant des séries argilo-gréseuses de l'Ordovicien, séries plissées au Carbonifère supérieur-Permien inférieur. Ces filons sont d'âge permiens. Un certain nombre de carrières (surtout dans l'Arkansas) exploitent ces quartz, entre autres comme source de “beaux minéraux”. Nous vous montrons sept photographies prises dans trois carrières différentes.
Source - © 2009 A.C. Akhavan | Source - © 2009 A.C. Akhavan |
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Source - © 2009 A.C. Akhavan | Source - © 2009 A.C. Akhavan |