Image de la semaine | 21/05/2018
Les plages et les dunes riches en grenats de la côte namibienne
21/05/2018
Résumé
Sable à grenat, tri éolien et hydraulique en Namibie et sur l'ile de Groix.
La côte namibienne entre Walvis Bay, au Nord, et l'embouchure de l'Orange, 650 km au Sud, correspond à un désert particulièrement aride, le désert du Namib, dont les dunes arrivent jusqu'à l'océan. L'aridité de ce désert est due (1) à sa position sous le tropique Sud, et (2) à la présence d'un courant froid qui longe la côte, le courant du Benguela. Cette énorme masse de sable, ultra-majoritairement constituée de quartz, est, entre autres, alimentée par les quelques fleuves temporaires issus du plateau central qui atteignent la mer lors de grandes crues, et par un important fleuve permanent, le fleuve Orange. Ces fleuves traversent une chaine protérozoïque, la chaine des Damaras, constituée de roches granitiques et métamorphiques, elles-même riches en quartz et en grenats. D'autre part, l'Orange qui vient d'Afrique du Sud, en plus des quartz et des grenats, charrie des diamants venant de l'érosion des pipes de kimberlite nombreux en Afrique Australe (cf. L'origine des diamants). Grenats et diamants ont deux caractéristiques communes : (1) ils ne sont pas (ou peu) altérables, et (2) ils sont denses : ρ = 3,5 à 4,3 g/cm3 pour les grenats, 3,5 g/cm pour les diamants, à comparer aux 2,6 g/cm3 pour le quartz. En arrivant à la mer, tout ce matériel détritique se dépose en aval de l'estuaire, est repris par les courants marins allant du Sud au Nord et par les vents qui remobilisent les sables côtiers. Courants marins et vents effectuent alors un tri, essentiellement selon la masse des grains, et donc selon la densité des minéraux pour une granulométrie homogène, et aussi selon la vitesse du courant d'air ou d'eau. Pour une granulométrie donnée, les minéraux denses comme peu denses sont transportés par des courants rapides, mais seuls les minéraux peu denses le sont par des courants lents.
Imaginons par exemple un courant d'eau ou un vent assez forts pour transporter quartz et grenats. Si la vitesse du courant ou du vent diminue (augmentation de la profondeur d'un chenal, obstacle faisant derrière lui une zone à l'abri du vent…), alors les grenats se déposeront dans cette zone à faible vitesse, mais les grains de quartz continueront leur trajet seuls, “débarrassés” de leurs grenats, et iront se déposer plus loin sous forme de sable de quartz pur. Imaginons un autre cas : un courant (d'air ou d'eau) passe au-dessus d'un sable fait d'un mélange quartz + grenat. Si le courant n'est ni trop fort ni trop faible, il pourra être assez fort pour entrainer les grains de quartz, mais pas assez pour déplacer les grains de grenat. Le sable local sera “débarrassé” de ses quartz et il ne restera sur place qu'un sable très enrichi en grenats. Le sable quartzeux ira se déposer plus loin, où il formera des niveaux purement quartzeux.
Nous vous montrons ci-dessous 14 images d'affleurements tous situés à environ 50 km au Sud de Walvis Bay, et illustrant ce tri par densité, soit par le vent, soit par l'eau. Nous n'avons pas pu faire une étude approfondie ce ces affleurements ; les explications proposées ne le seront qu'à titre indicatif.
Plus au Sud, près de l'embouchure de l'Orange, ce type de tri a également (mais très partiellement) séparé les diamants des autres minéraux. Nous ne pourrons pas vous montrer les effets de ce tri (1) parce que même si le tri multiplie la proportion de diamants par 1000, le sable enrichi en diamants serait bien trop pauvre en gemmes pour que cela se voit à l'œil nu, (2) parce que pénétrer dans ces zones à sable diamantifère est formellement interdit.
Mais Google Earth permet d'avoir une idée du gigantisme des terrassements, excavations et autres bassins laissés par cette exploitation des dunes littorales, même si, actuellement, l'essentiel de l'exploitation se fait en mer. Il faut en effet remuer des mètres cubes et des mètres cubes de sable, même déjà pré-enrichi en diamants, pour récupérer quelques carats.
Ce type de gisement ayant concentré des minéraux denses (on parle habituellement de minéraux lourds) là ou une baisse de la vitesse d'un courant les a concentrés est nommé « placer ». Outre les diamants, les placers les plus connus et les plus exploités concentrent l'or, mais aussi le rutile et l'ilménite (TiO2 et FeTiO3, minerais de titane), le zircon (ZrSiO4, minerai de zirconium), la cassitérite (SnO2, minerai d'étain), la monazite ([Ce,La,Nd,Th]PO4 minerai de thorium et de quelques terres rares)…
Il n'est pas nécessaire d'aller en Namibie pour voir des plages à grenats. Il suffit d'aller sur la côte Est de l'ile de Groix dans le Morbihan (cf. Les glaucophanites de l'île de Groix). Bien sûr c'est un peu moins grandiose, mais c'est bien meilleur pour le bilan carbone.
Toutes les photographies de P. Thomas de cet article ont été prises lors d'une excursion géologique organisée par le CBGA (Centre briançonnais de géologie alpine) et encadrée par Olivier Dauteuil (Université de Rennes).