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Image de la semaine | 11/12/2017

Les pierres de rêves de Dali (Chine), des marbres bien polis

2017

Loraine Gourbet

Earth Surface Dynamics Group, Geological Institute, ETH Zürich

Philippe Hervé Leloup

Laboratoire de Géologie de Lyon, Université Claude Bernard - Lyon 1

Wang Yanyan

Earth Surface Dynamics Group, Geological Institute, ETH Zürich

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Découpe particulière de marbres impurs (micas noirs) et foliés à contrastes de couleurs permettant d'obtenir des figures d'interférence ornementales dites « pierres de rêve », Dali, province du Yunnan, Chine.


Exemple de pierre de rêve, Dali, province du Yunnan, Chine

Les pierres de rêves proviennent de la ville de Dali dans la province du Yunnan, en Chine. En mandarin, le marbre se dit « pierre de Dali ». Le marbre est une roche calcaire métamorphisée. Dans le cas du marbre de Dali, on le trouve principalement au sein de gneiss [1] (figure 4), dont le métamorphisme est associé à la déformation ductile de la zone de cisaillement de l'Ailao Shan - Fleuve Rouge [2]. Les protolithes possibles du marbre de Dali sont des calcaires du Trias et surtout du Dévonien. La faille du Fleuve rouge, qui résulte de la collision Inde-Asie, s'étend sur 1000 km et sépare les blocs continentaux de l'Indochine et de la Chine du Sud. La déformation dans la zone de cisaillement de l'Ailo Shan - Fleuve Rouge a d'abord été un décrochement senestre entre 34 et 17 Ma, qui a provoque un décalage de 500 km avec extrusion du bloc indochinois, ainsi que le métamorphisme et la formation des gneiss, dont les protolithes possibles sont nombreux et d'âges très variés, et des marbres, avec une foliation raide (figures 4 et 5) et une linéation horizontale (figures 5 et 6). Depuis 5 Ma, la faille (toujours active) est dextre avec une composante normale au niveau de Dali, ce qui a permis l'exhumation finale des roches des monts Diancang et la formation du bassin de Dali (figure 3).

Lorsque le marbre (clair) contient certains minéraux comme des micas (noirs), le contraste de couleur fait apparaître dans certains plans de la roche des formes étranges qui peuvent évoquer des montagnes, des nuages, des silhouettes humaines ou animales… d'où le nom de « pierre de rêve ». Les pierres de rêves sont collectionnées depuis plusieurs siècles en Chine. Des dalles de marbre de Dali de plusieurs tonnes ont même été transportées jusqu'à Pékin pour construire les escaliers monumentaux de la Cité interdite.

Localisation de Dali (Yunnan, Chine) et contexte géologique

Figure 2. Localisation de Dali (Yunnan, Chine) et contexte géologique

Le mouvement actif de la faille est indiqué par les flèches rouges.


Vue depuis le Sud-Ouest du lac Erhai et d'une partie de la ville de Dali (Chine), qui sont situés dans un bassin sédimentaire néogène-quaternaire

Figure 3. Vue depuis le Sud-Ouest du lac Erhai et d'une partie de la ville de Dali (Chine), qui sont situés dans un bassin sédimentaire néogène-quaternaire

La photographie a été prise sur le flanc Est des monts Diancang. À cause du développement récent de la ville, de nombreux bâtiments sont construits sur l'escarpement de la faille normale active (en rouge) qui sépare aujourd'hui les monts Diancang de Dali et qui a permis la formation du bassin, ce qui pose des problèmes liés aux risques sismiques.


Affleurement de gneiss dans les monts Diancang, au-dessus de Dali (Yunnan, Chine)

Figure 4. Affleurement de gneiss dans les monts Diancang, au-dessus de Dali (Yunnan, Chine)

On observe un débit selon des plans quasi-verticaux (soulignés par endroits par de la végétation). Dans un matériau très déformé, ce débit correspond à une schistosité (qui se développe dans le plan d'aplatissement de la déformation) qui forme des plans dans lesquels des minéraux peuvent se développer pendant les phases de métamorphismes, on peut alors parler de plans de foliation.

De tels plans de schistosité / foliation sont visibles, par exemple, en haut et à droite du personnage qui donne l'échelle, et en haut à droite de l'affleurement.

La foliation, dans l’ensemble quasi verticale, présente des plis d'axes quasi-horizontaux, parallèles à la linéation. C'est une caractéristique des roches montrant une déformation très importante en cisaillement simple : les axes de plis se parrallèlisent à la direction de cisaillement (plis "a") alors que pour de faibles déformations ils lui sont perpendiculaires.


Affleurement de marbres Dali, dans les monts Diancang (Yunnan, Chine)

Figure 5. Affleurement de marbres Dali, dans les monts Diancang (Yunnan, Chine)

Les marbres sont affectés par deux débits. Les plans subverticaux sont des diaclases tardives. Les plans ondulés, et quasi-parallèles au plan de la photo, qui montrent des alternances de couleurs noir, gris ou blanc-crème, sont les plans de foliation mis en valeur dans les pierres de rêve. La linéation d'allongement et de microplissement (linéation composite) est bien visible : sub-horizontale, elle a un pendage d'une dizaine de degrés vers la droite (Nord Ouest).


Détail d'affleurement de marbre dans les monts Diancang, au-dessus de Dali (Yunnan, Chine)

Figure 6. Détail d'affleurement de marbre dans les monts Diancang, au-dessus de Dali (Yunnan, Chine)

Détail de l'affleurement précédent, au pied du personnage de droite.

La foliation (plan d'aplatissement) est vue de face. La linéation correspondant à la direction d'allongement et aux axes de microplis "a" est bien visible.

Le marbre semble ici très monochrome (et blanc) mais on observe sur la tranche, en haut à gauche, une passé plus grise.


Découpe de marbre de Dali, province du Yunnan, Chine

Figure 7. Découpe de marbre de Dali, province du Yunnan, Chine

Les blocs de marbre sont débités par une série de lames de scies parallèles (environ une cinquantaine de lames, ici) arrosées d'eau. Les blocs de marbre se déplacent lentement sur un chariot.


Découpe en tranches de blocs de marbre de Dali (Chine)

Figure 8. Découpe en tranches de blocs de marbre de Dali (Chine)

Deux blocs sont débités. Un gros bloc blanchâtre, à droite, et un bloc plus mince et grisé, à gauche.


Découpe en tranches de blocs de marbre de Dali (Chine)

Figure 9. Découpe en tranches de blocs de marbre de Dali (Chine)

Deux blocs sont débités. Un gros bloc blanchâtre, à droite, montre une première tranche à surface peu contrastée (légères variations de teintes). Le bloc de droite, avec des passées grisées, montre des tranches aux surfaces polychromes (franches variations de gris) précurseurs des pierres de rêve plus contrastées.


Le marbre est découpé à la scie simultanément en plusieurs tranches, l'ensemble étant continuellement arrosé d'eau pour le refroidir la scie. La découpe est réalisée selon un plan presque parallèle à la foliation du marbre ce qui accentue l'effet visuel des plis et permet de faire apparaître les formes sombres typiques des pierres de rêve. À noter que les géologues, pour faire des lames minces, ont l'habitude de faire exactement l'inverse : on découpe des lames perpendiculairement à la foliation pour bien observer les structures de déformation.

Les plaques résultantes seront ensuite redécoupées et polies pour donner les pierres de rêves des figures 10 à 12. Seuls les blocs présentant des variations de couleur sont ainsi découpés ; le marbre ayant une couleur uniforme, comme les blocs en bas à droite de la figure 7, est utilisé dans la construction.

Pierres de rêves presque achevées, Dali, province du Yunnan, Chine

Disque de marbre de Dali après polissage et ajout d'un texte calligraphié en haut à droite

Figure 11. Disque de marbre de Dali après polissage et ajout d'un texte calligraphié en haut à droite

Les nom et sceau du calligraphe apparaissent en rouge. Le texte écrit en petits caractères signifie  « Écrit en 2010 dans les monts Diancang, ville de Dali, province du Yunnan ». Enfin, le texte à droite en grands caractères est extrait d'un poème. Il s'agit de la moitié d'une strophe dont la traduction est : « La vue est splendide lorsque les montagnes sont entourées de fins nuages ». La seconde partie de la strophe (absente) est la suivante : « Le vent souffle à travers les pins et résonne comme un magnifique concert dans les montagnes ». En résumé, ce texte suggère non seulement que la roche imite une vue naturelle (des montagnes entourées de nuages), mais que l'observateur est libre d'imaginer un mélodieux concert. Il s'agit d'une méthode, souvent utilisée, consistant à décrire un paysage de façon à la fois visuelle et sonore. Le texte original a été composé par l'empereur Qianlong au XVIIIe siècle. La valeur d'une pierre de rêve dépend de la roche elle-même, de la qualité de la calligraphie, et de la beauté du poème.


Pierre de rêve en marbre de Dali évoquant une tête de tigre

Figure 12. Pierre de rêve en marbre de Dali évoquant une tête de tigre

Le prix pour cette pierre était de plus de 30 000 euros en 2001 !


Références

[1] P.H. Leloup, T.Mark Harrison, F. J. Ryerson, Chen Wenji, Li Qi, P. Tapponnier, R. Lacassin, 1993. Structural, petrological and thermal evolution of a Tertiary ductile strike-slip shear zone, Diancang Shan, Yunnan, Journal of Geophysical Research, 98, B4, 6715-6743, doi:10.1029/92JB02791

[2] P. Tapponnier, R. Lacassin, P.H. Leloup, U. Schärer, Zhong Dalai, Wu Haiwei, Liu Xiaohan, Ji Shaocheng, Zhang Lianshang, Zhong Jiayou, 1990. The Ailao Shan/Red River metamorphic belt: Tertiary left-lateral shear between Indochina and South China, Nature, 343, 431-437, doi:10.1038/343431a0