Image de la semaine | 01/06/2015
"Diapirs" d'argiles tourbeuses quaternaires, plage de Trez-Rouz, presqu'île de Crozon, Finistère
01/06/2015
Résumé
Interpénétration de dépôts tourbeux interglaciaires et de formations argileuses à blocs périglaciaires.
Le niveau relatif de la mer par rapport à la Bretagne varie énormément depuis des centaines de milliers d'années. Il y a d'abord les variations absolues du niveau de la mer (eustatisme), qui oscillent autour du zéro actuel (entre +20 m et -20 m) pendant les différents interglaciaires, comme l'interglaciaire actuel (Holocène), l'interglaciaire Würm-Riss (Éémien,), l'interglaciaire Riss-Mindel... mais qui peut s'abaisser jusqu'à -100 à -120 m pendant les maximums des stades glaciaires du Würm (= Weichsélien, de -100 000 à -15 000 ans), du Riss (= saalien, de -200 000 à -120 000 ans)...
Il y a aussi les effets isostatiques des glaciations qui font varier le niveau des continents, indépendamment du niveau de la mer. Pendant les périodes glaciaires, l'Europe du Nord, dont la Grande Bretagne, se couvre de glace et s'enfonce. La périphérie de la calotte, dont la Bretagne, se relève. La mise en glace étant en général lente et progressive, la remontée de la Bretagne est contemporaine de la mise en glace et cet effet de remontée du sol s'ajoute à la baisse eustatique. Après la fonte des glaces qui est un phénomène très rapide, il y a retour à l'altitude normale avec relèvement de l'emplacement de l'ancienne calotte, pendant que la périphérie de l'ancienne calotte (dont la Bretagne) s'enfonce. Cette subsidence péri-paléo-calotte dure pendant 15 000 à 20 000 ans après la déglaciation (c'est ce qui se passe actuellement, cf. L'allée couverte immergée de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère)...).
Il y a enfin des causes purement tectoniques, avec rejeux quaternaires d'anciennes failles hercyniennes qui peuvent s'accompagner localement de surrection ou d'enfoncement du sol. En effet, toute l'Europe de l'Ouest est en compression N-S (rapprochement Europe-Afrique) et cela a tendance à occasionner des ondulations à grande longueur d'onde (on parle de flambage), avec des zones en surrection et d'autres en subsidence. C'est pour toutes ces raisons que l'on peut trouver en Bretagne, Normandie, Picardie, Nord-Pas de Calais... des niveaux continentaux quaternaires immergés (et quelques fois des niveaux marins surélevés).
Pendant les périodes glaciaires, le climat ressemblait à celui des toundras sibériennes actuelles. D'après la notice de la carte géologique de Brest 1/50 000 (1980), les reliefs sont « empâtés » de dépôts périglaciaires : argiles à blocs, arènes de gélivation..., le tout pouvant s'être déplacé par gravité le long de pentes (solifluxion). Ces formations périglaciaires sont légendées "Sy" sur la carte géologique de Brest. Des dépôts lacustres (parfois marins) et tourbeux sont interstratifiés dans ces dépôts périglaciaires. Ces dépôts, grâce à leur pollens, sont assimilés aux interglaciaires. Les travaux de M. Th. Morzadec (dont on trouve le résumé dans la notice de la carte Brest 1/50 00, publiée en 1980) ont permis, il y a 40 ans, de trouver deux niveaux interglaciaires argilo-tourbeux sur la falaise de la plage de Trez-Rouz. De haut en bas, sous le sol holocène actuel, si toutes les périodes glaciaires et interglaciaires ont laissé des dépôts (ce qui est loin d'être certain), on aurait les formations périglaciaires du Würm, l'interglaciaire argilo-tourbeux supérieur du Würm-Riss (Éémien), les formations périglaciaires du Riss, l'interglaciaire argilo-tourbeux inférieur du Riss-Mindel et, enfin, les formations glaciaires du Mindel. Ces dépôts argilo-tourbeux contiennent des restes d'une végétation herbacée caractéristique d'un type d'étang fréquent le long des côtes au niveau des plus hautes mers. Des âges 14C leur donnent un âge incertain, mais largement plus vieux que 24 000 ans ; ces tourbes ne datent pas de l'Holocène, mais d'interglaciaires plus anciens, contrairement aux tourbes du Pas de Calais (cf. Les forêts, tourbes et sols submergés du littoral du Pas de Calais qui, elles, sont holocènes.
Plus récemment, la datation par résonance de spin électronique des sables contenus dans le principal niveau de tourbe donne un âge de 470 000 ± 53 000 ans (B. van Vliet-Lanoë et al., Journal of Geodynamics, 29 (2000) p. 15-41). Cette tourbe est donc anté-Holocène et post-Mindel (stade isotopique 12). Des études plus récentes ont permis de préciser/modifier à la marge ces interprétations, car la plage et sa falaise sont perpétuellement remaniées par l'érosion marine et changent aux fils des ans (cf., par exemple, M.-T. Morzadec-Kerfourn , 1999, Littoraux pléistocènes de l'ouest du Massif armoricain : de la rade de Brest à la Baie d'Audierne) et de nouveaux affleurement peuvent être mis à jour.
Quelle que soit la chronologie de ces niveaux argilo-tourbeux, l'un d'eux affleurait très bien à la base de la falaise de Trez-Rouz en janvier 2014, sans doute le niveau inférieur de la notice de la carte géologique de Brest, 1980. Ce niveau argilo-tourbeux et les strates sus-jacentes ne sont absolument pas horizontaux, mais dessinent des ondulations voire de "véritables plis". Une telle déformation affectant des niveaux quaternaires en Armorique est pour le moins étonnante. Une déformation aussi intense n'est pas à rechercher dans une vraie déformation tectonique, mais dans des déformations gravitaires ou liées au gel (cryoturbation).
On pourrait penser à des diapirs. En effet une argile tourbeuse est un matériel très déformable et moins dense que les dépôts périglaciaires sus-jacents. Cette argile tourbeuse a pu s'injecter à la manière d'un diapir de sel dans des roches sédimentaires "ordinaires". Les dépôts périglaciaires sus-jacents ont pu être mis en place sous forme d'une coulée de solifluxion. La progression de cette coulée aurait pu localement déformer les niveaux argileux plastiques sous-jacents. Enfin les alternances gels-dégels et les phénomènes associés de gonflement/tassement dans les pergélisols occasionnent souvent des déformations métriques (cf., par exemple, figure 1 de
Formes liées aux alternances de gel-dégel (2/2)), ce que l'on appelle la cryoturbation. On était dans des conditions climatiques où ces phénomènes de cryoturbation pouvaient se produire en Bretagne lors des dernières glaciations et affecter les niveaux géologiques déposés pendant l'interglaciaire précédent.
Ces trois mécanismes ne sont évidemment pas incompatibles, et l'un quelconque d'entre eux a pu se produire seul, ou associé à l'un et/ou l'autre.
Le résultat en est cette falaise de Trez-Rouz qui mérite une visite en attendant qu'une grosse tempête détruise ces affleurements (et n'en découvre éventuellement d'autres), et que d'éventuelles nouvelles datations permettent de préciser les âges de ces dépôts.