Image de la semaine | 18/05/2015
L'allée couverte immergée de Guinirvit, Baie de Kernic, Plouescat (Finistère) et le cromlech semi-immergé de l'île d'Er Lanic (Morbihan), témoins des mouvements relatifs mer/continent en partie liés au rebond post-glaciaire
18/05/2015
Résumé
Déglaciation, isostasie et mouvements verticaux : affaissement des bombements périphériques accompagnant le soulèvement isostatique central.
Source - © 2013 Pierre Thomas - O.T. PLOUESCAT sur panoramio
D'après tous les archéologues, les bâtisseurs de l'âge du bronze ont bâti cette allée couverte (sans doute une sépulture et ses "dépendances") dans une zone de bord de mer qui n'était jamais immergée, même pendant les plus fortes marées. La submersion actuelle à chaque marée indique que la mer est montée ou que ce secteur de la Bretagne s'est enfoncé de quelques mètres depuis 4 500 ans. Or, il y a 4 500 ans, on était à la fin de la période qu'on appelle l'« optimum climatique de l'Holocène », entre -8 000 et -4 000 ans. Pendant cette période, le Sahara était vert, la température moyenne de l'hémisphère Nord était légèrement supérieure à la moyenne actuelle, et le niveau de la mer était très voisin du niveau actuel (pré-industriel). Des études les plus précises possible essaient de reconstituer les variations du niveau de la mer depuis la fin de la dernière glaciation. C'est un sujet qui prend de plus en plus d'importance, justement à cause du réchauffement anthropique et de ses conséquences sur le niveau de la mer dans 10, 100, 200… ans. Des études géologiques archéologiques permettent plus ou moins facilement de reconstituer les variations relatives mer/continents. En France métropolitaine, des études ont été menées. Une synthèse publiée en 2014 par Pierre Stéphan et Jérôme Goslin (Quaternaire, 25, 4, 295-312). Pour résumer et simplifier, on peut dire que depuis 4 500 ans (la construction de l'allée couverte de Guinivirt), la mer est montée d'environ 4 m sur les côtes de la Manche, d'environ 2,5 m en Sud Bretagne et de 1 à 2 m en Vendée-Charente. Des études entreprises à l'échelle du globe (cf., par exemple, Élévation du niveau de la mer) montrent que (1) la majorité de la hausse post-glaciaire du niveau des mers était achevée il y a 4 500 ans (ce qu'on m'avait appris il n'y a pas si longtemps que ça), mais que (2) il y avait eu quand même une légère hausse globale de ce niveau (entre 1 et 1,5 m, arrondissons à 1,3 m).
Source - © 2007 D'après Robert R. Rohde, traduit par Supermanu, modifié, Post-glacial / Holocene – CC BY-SA 3.0
Ce n'est donc pas une remontée de la mer qui est la seule responsable de la submersion de l'allée couverte de Guinirvit, mais bien aussi un enfoncement, uns subsidence, de ce secteur de la côte bretonne. On peut chiffrer cette subsidence postérieure à 4 500 ans avec une simple soustraction. Si la hausse relative mer/Bretagne Nord est d'environ 4 m et la hausse globale de la mer de 1,3 m, alors le secteur de Guinirvit a subsidé d'environ 2,7 m. Quelle(s) peu(ven)t être la(les) cause(s) de cette subsidence ? On ne peut pas exclure qu'une cause "tectonique" locale ait pu entraîner ce mouvement de subsidence, comme le jeu quaternaire d'anciennes failles hercyniennes... En effet, toute l'Europe de l'Ouest est en compression N-S (rapprochement Europe-Afrique) et cela a tendance à occasionner des ondulations à grande longueur d'onde (on parle de flambage), avec des zones en surrection et d'autres en subsidence. Cette explication purement tectonique peut avoir un rôle dans cette subsidence, mais on peut remarquer que cette subsidence historique et proto-historique est importante (de l'ordre de grandeur du mètre par millénaire). Si cette subsidence s'était effectué avec cette vitesse depuis le début du Quaternaire, cela signifierait une subsidence de 2 000 m depuis 2 Ma. Or l'Armorique n'avait pas une altitude de 2 000 m au début du Quaternaire. La "rapide" subsidence des derniers millénaires est forcément un phénomène bref et temporaire. De plus, cette subsidence sub-actuelle est plus fréquente d'une zone allant de la Bretagne au Danemark que dans le reste de l'Europe, par exemple en Hollande où elle est maximale et où elle cause les problèmes que l'on sait (inondations, nécessité de surélévation des digues...). Cette zone avec une subsidence actuelle et sub-actuelle assez générale se trouve en périphérie de la zone recouverte par la calotte glaciaire würmienne du Nord de l'Europe, zone actuellement en phase de surrection. Par exemple, le Nord et le centre de la Grande-Bretagne, là où la calotte würmienne était la plus épaisse, sont en surrection tout comme la Scandinavie. Par contre, la périphérie de cette zone (l'Ouest de l'Irlande, le Nord-Ouest de la France, dont la Bretagne …) ont tendance à être en subsidence. Quelle peut être l'origine de cette subsidence périphérique à l'ancienne calotte glaciaire Nord-européenne ?
La mise en glace du Nord de l'Europe, de la Grande Bretagne à la Scandinavie, a entraîné la flexion de la lithosphère Nord-européenne et sa subsidence. Quand une surcharge entraîne une flexion (vers le bas) d'une plaque mince élastique (que ce soit une plaque tectonique ou une tôle métallique), cela entraîne aussi une flexion, plus faible et vers le haut, de la plaque élastique autour de la zone de surcharge. Lors de la mise en glace de l'Europe du Nord, Grande-Bretagne, Scandinavie… se sont enfoncés, et leurs régions périphériques (Ouest de l'Irlande, Nord-Ouest de la France, Flandre, Hollande…) se sont surélevées. Avec la disparition de la calotte glaciaire, on revient à l'équilibre antérieur, et Grande-Bretagne, Scandinavie… remontent alors qu'Irlande, Nord-Ouest de la France, Hollande… redescendent.
Source - © 2010 Kentynet sur wikipedia, CC BY-SA 3.0 | Source - © 2013 Ulamm sur wikimedia, CC BY-SA 3.0 |
L'allée couverte de Guinirvit n'est pas la seule indication archéologique d'une subsidence historique et proto-historique de la Bretagne, subsidence due en grande partie aux phénomènes post-glaciaires et pouvant être localement augmentée (ou diminuée) par des causes tectoniques et bien sûr amplifiée par la remontée de la mer. Il y a bien sûr les légendes de l'engloutissement de la ville d'Ys et de la forêt de Scissy (forêt qui est censée se trouver sous la Baie du Mont Saint Michel), et ces légendes ont peut-être comme fondement des submersions proto-historiques. Mais il y a aussi le double cromlech de l'ile d'Er Lanic dans le golfe du Morbihan, auquel on peut appliquer le même raisonnement qu'à l'allée couverte de Guinirvit, avec une amplitude de subsidence moindre et donc un effet de la hausse du niveau de la mer relativement plus important. Je n'ai pas d'images personnelles de ce cromlech, mais je ne peux résister à montrer quatre images, une prise sur le Géoportail et trois sur "panoramio".
Source - © 2006 Christophe Charon sur panoramio | |
Source - © 2008 François Madic sur panoramio | Source - © 2012 Patrick Bantigny sur panoramio |
Source - © 2015 IGN/Géoportail, modifié d'après Jeremy Percival pour la localisation des parties immergées |